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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 18 janvier 2022, n° 21/04836

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Valay-Brière

Conseillers :

Mme Baumann, Mme Legeay

Versailles, 13e ch., du 16 mars 2021, n°…

16 mars 2021

La SARL Haras de Sainte Gemme, dirigée par M. X, exploite un fonds de commerce d'école d'équitation, de pension d'équidés et de poney club.

M. Y, auparavant cogérant de cette société, en est associé à hauteur de 33,33 % du capital social comme les deux autres associés de la société, M. X et la SAS Z, représentée par M. W, fils de M. X.

M. Y dirige également la SCI Sainte Gemme, bailleresse de la société Haras de Sainte Gemme dans le cadre d'un bail à ferme régularisé le 1er novembre 2011, pour une durée de 9 ans.

Plusieurs contentieux judiciaires ont opposé ces deux sociétés.

Par jugement du 13 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Versailles, sur déclaration de cessation des paiements, a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Haras de Sainte Gemme et désigné la Selarl AJ associés et la Selarl JSA en qualité respectivement d'administrateur et de mandataire judiciaires.

Par jugement contradictoire assorti de l'exécution provisoire du 13 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Versailles a :

- arrêté le plan de redressement judiciaire de la société Haras de Sainte Gemme ;

- donné acte des délais et remises des pénalités, majorations et abandons de créances consentis tacitement ou expressément par les créanciers ;

- dit que les créances inférieures à 500 euros devront être payées dès le jugement, à hauteur de 2 444,20 euros ainsi que la créance superprivilégiée de 1 079,31 euros ;

- dit que les autres créances seront payées en sept annuités selon les modalités fixées au dispositif, le premier règlement s'effectuant avant le 13 octobre 2021 ;

- prononcé pour la durée du plan, l'inaliénabilité de l'exploitation de la société Haras de Sainte Gemme;

- mis fin à la mission de l'administrateur judiciaire ;

- mis fin à la mission du mandataire judiciaire ;

- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de redressement judiciaire.

Par arrêt contradictoire du 16 mars 2021, la présente cour a :

- déclaré la société Haras de Sainte Gemme recevable en son appel partiel ;

- infirmé le jugement en ce qu'il n'a pas retenu la proposition alternative de plan, proposée en complément du règlement en sept annuités des créances ;

Statuant à nouveau de ce seul chef,

- prévu, en sus des dispositions du plan, une clause d'accélération de remboursement du plan de redressement adopté par le tribunal, dans le cadre de la réalisation de l'opération de modification du capital suivant les conditions et modalités détaillées à l'article III 4 du projet de plan de redressement de la société Haras de Sainte Gemme ;

- pris acte de l'engagement de Mme A, future nouvelle associée ;

- dit qu'en application des dispositions de l'article L. 626-3 du code de commerce, l'assemblée générale, s'agissant des modifications statutaires résultant de cette opération de modification du capital social de la société Haras de Sainte Gemme, statuera sur première convocation à la majorité des voix dont disposent les associés présents ou représentés dès lors que ceux-ci possèdent au moins la moitié des parts ayant le droit de vote, permettant ainsi un vote de l'assemblée générale sur cette opération de modification du capital social à la majorité simple des associés ;

- donné mission à l'administrateur judiciaire, en application de l'article L. 631-9-1 du code de commerce, de demander en cas de refus de l'augmentation du capital, la désignation d'un mandataire en justice chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter sur la reconstitution du capital à concurrence du montant proposé par l'administrateur, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à respecter le plan ;

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégies de la procédure collective.

Par déclaration du 26 juillet 2021, M. Y a formé une tierce opposition à l'encontre de l'arrêt. La déclaration de tierce opposition a été signifiée le 2 septembre 2021, par acte d'huissier remis à personne habilitée, à la Selarl JSA ès qualités qui n'a pas constitué avocat.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 26 novembre 2021, les précédentes ayant été signifiées le 4 novembre 2021 à la Selarl JSA ès qualités par acte d'huissier remis à étude, M. Y demande à la cour de :

- déclarer recevable sa tierce opposition ;

- rétracter l'arrêt en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- débouter la société Haras de Sainte Gemme de son appel partiel ;

- confirmer le jugement du 13 octobre 2020 en toutes ses dispositions ;

- condamner la société Haras de Sainte Gemme à la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens ;

- subsidiairement, ordonner une expertise graphologique du procès-verbal de l'assemblée du 30 juin 2015.

La société Haras de Sainte Gemme et la Selarl AJ Associés, en la personne de maître M. en qualité de commissaire à l'exécution du plan, dans leurs dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 26 novembre 2021, demandent à la cour de :

A titre principal,

- déclarer irrecevable la tierce opposition formée par M. Y car hors délai ;

- débouter M. Y de l'ensemble de ses demandes ;

- confirmer en toutes ses dispositions l'arrêt ;

A titre subsidiaire,

- déclarer irrecevable la tierce opposition formée par M. Y faute pour lui de démontrer une fraude à ses droits ou un moyen lui étant propre ;

- débouter M. Y de l'ensemble de ses demandes ;

- confirmer en toutes ses dispositions l'arrêt ;

A titre très subsidiaire, dans l'hypothèse où la tierce opposition formée par M. Y serait jugée recevable,

- la déclarer non fondée ;

- débouter M. Y de l'ensemble de ses demandes ;

- confirmer en toutes ses dispositions l'arrêt ;

En toute hypothèse,

- condamner M. Y à payer à payer à la société Haras de Sainte Gemme la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et au paiement d'une amende civile sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile en raison de la procédure abusive engagée par ce dernier ;

- condamner M. Y à payer à la société Haras de Sainte Gemme la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de maître Franck L., avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans son avis notifié par RPVA le 26 août 2021, le ministère public demande à la cour de déclarer la tierce opposition irrecevable. Après avoir rappelé les dispositions de l'article R661-2 du code de commerce et le délai pour former tierce opposition ainsi que l'article 122 du code de procédure civile, il relève que M. Y a formé opposition le 26 juillet 2021, plus de dix jours après le prononcé de la décision rendue en matière de redressement judiciaire.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 novembre 2021.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Sur la recevabilité de la tierce opposition :

M. Y, agissant en sa qualité d'associé de la société débitrice, expose que le délai pour former tierce opposition, pour les décisions soumises aux formalités d'insertion au Bodacc, ne court qu'à compter de la publication de sorte qu'en l'espèce, le délai d'opposition lui est parfaitement ouvert, l'arrêt du 16 mars 2021 ne lui ayant jamais été notifié et n'ayant fait l'objet d'aucune publication au Bodacc.

Il fait valoir que son intérêt à agir est légitime et découle de la solution préjudiciable retenue par la cour qui n'a pas tiré les conséquences, à défaut de disposer des éléments nécessaires, de la dilution dans le capital qui a été 'orchestrée' par deux autres associés majoritaires, soulignant qu'il s'évince de cette augmentation de capital qu'elle a bien plus pour objet, en supprimant le droit préférentiel de souscription, de créer un bloc 'ultra majoritaire M.', à l'encontre duquel il ne pourrait plus ainsi faire valoir ses droits d'associé dans le cadre des décisions extraordinaires prises à la majorité des 3/4 du capital dès lors que le tiers qui apporte le capital, Mme H., est la soeur de M. M..

Il expose :

- en premier lieu que le pacte d'associé conclu lors de la constitution de la société n'a semble-t-il pas été volontairement porté à la connaissance de la cour, ce qui constitue une tromperie par omission, la cour ayant ainsi statué en méconnaissance d'un élément essentiel qui consacre à chacun des associés le droit au maintien de sa participation à hauteur de sa quote-part dans le capital social. Outre qu'il conteste avoir signé le procès-verbal de l'assemblée générale du 30 juin 2015 communiqué par les intimées en précisant que sa signature qui y figure est 'nécessairement ' un ajout photographique, il observe que ce sont les statuts eux-mêmes qui fixent la règle de majorité dans les assemblées extraordinaires qui sera ainsi modifiée en cas d'augmentation de capital réservée au profit d'un tiers ;

- en second lieu, que la cour a statué au visa des comptes arrêtés au 31 décembre 2020 faisant ressortir une perte d'exploitation de 161 406 euros et des capitaux propres négatifs de 208 436 euros alors qu'ils sont la conséquence d'une écriture comptable de dépréciation de 244 000 euros du fonds commercial alors qu'il s'agit bien d'un fonds agricole, parfaitement cessible et qui n'est donc pas dénué de valeur ;

- en troisième lieu, s'il a effectivement refusé, au vu des dispositions du pacte d'associé, l'augmentation de capital qui lui a été proposée, il n'est nullement opposé au principe d'une augmentation de capital, se disant "parfaitement disposé à y participer" comme il l'a écrit aux associés le 7 décembre 2020 mais il s'oppose à ce que cette augmentation puisse être réalisée avec la suppression du droit préférentiel de souscription qui aurait pour conséquence de rompre l'équilibre entre associés alors qu'il entend demeurer associé pour un tiers dans le capital et qu'il refuse d'être dilué dans l'intérêt exclusif du "bloc X" ; qu'il ressort de la motivation de la cour que celle-ci n'a pas été avisée de son intérêt pour participer à une augmentation de capital et éviter qu'il ne soit dilué, l'augmentation de capital ayant pour conséquence immédiate de diminuer sa part dans le capital de 33,33 % à 16,80 % et donc une incidence significative. Il souligne que le droit préférentiel de souscription est la règle lors d'une augmentation de capital, ce droit étant attaché à la qualité d'associé.

Il observe enfin sur son intérêt à faire tierce opposition que ce n'est qu'en méconnaissance de ces différents éléments d'appréciation que la cour a pu considérer que l'augmentation de capital proposée aura la même incidence à l'égard des trois associés.

Au visa des articles 585 et 586 du code de procédure civile, L. 661-1, L. 661-3 et R. 662-1 du code de commerce et rappelant que le tiers formant tierce opposition à une décision modifiant un plan de redressement doit exercer ce recours dans le délai de dix jours à compter du prononcé de la décision, les sociétés intimées font valoir, comme le ministère public, que M. Y est irrecevable en sa tierce opposition.

Subsidiairement, elles soutiennent que celui-ci est irrecevable faute de démontrer, conformément à l'article 583 du code de procédure civile, une fraude à ses droits ou un intérêt propre à formuler cette tierce opposition.

Elles exposent premièrement que si un pacte d'associé a effectivement été conclu entre les associés fondateurs de la société Haras de Sainte Gemme, les associés, y compris M. Y, ont unanimement décidé, lors d'une assemblée générale ordinaire du 30 juin 2015, de la caducité de ce pacte de sorte qu'il ne peut leur être valablement reproché de l'avoir prétendument dissimulé à la cour et que M. Y ne saurait donc être titulaire d'aucun droit propre en vertu de ce pacte d'associé. Pour répondre aux 'graves accusations' de l'appelant, elles versent aux débats un rapport d'expertise établi par LFD criminalistique qui conclut à l'authenticité du procès-verbal d'assemblée litigieux après en avoir examiné l'original.

Elles font valoir deuxièmement que non seulement la dilution de M. Y dans le capital de la société Haras de Sainte Gemme est strictement identique pour tous ses associés mais aussi que ce moyen de l'appelant repose sur une présentation déformée des causes et conséquences de l'opération ayant porté sur le capital social de la société lors de l'assemblée générale extraordinaire du 24 juin 2021 de sorte que ce deuxième moyen sera également écarté. Elles expliquent en effet que d'une part l'opération d'augmentation du capital par un apport en numéraire a été rendue nécessaire afin de renforcer la trésorerie de la société débitrice pour lui permettre de rembourser plus rapidement ses créanciers et que c'est cette seule opération, réservée à un tiers, qui a eu pour conséquence la dilution des associés puis que d'autre part, au regard aussi de la nécessité de reconstituer les capitaux propres devenus inférieurs à plus de la moitié du capital social, il a été décidé de faire suivre cette augmentation du capital d'une réduction du capital. Elles ajoutent, en communiquant une attestation de l'expert-comptable de la société, que la dépréciation du fonds de commerce à hauteur de 244 000 euros a été rendue nécessaire par la disparition du bail commercial cédé à la débitrice par acte du 3 octobre 2011, lequel a nécessairement été abrogé par les conclusions entre les mêmes parties d'un bail rural, ajoutant qu'au demeurant M. Y qui dispose de ces comptes sociaux n'a jamais émis une quelconque remarque à cet égard jusqu'à ce jour, celui-ci n'ayant d'ailleurs pas assisté à l'assemblée au cours de laquelle les comptes ont été présentés.

Troisièmement, les intimées exposent que M. Y ne peut prétendre à aucun droit préférentiel de souscription dès lors que celui-ci, prévu au pacte d'associé au demeurant caduc, bénéficiait à tous les associés de sorte que l'appelant ne peut valablement invoquer un droit propre de ce chef. Elles ajoutent qu'il ne ressort pas non plus de la loi régissant les SARL ou des statuts de la société débitrice que M. Y disposerait d'un tel droit préférentiel de souscription à toute opération d'augmentation du capital social de sorte qu'il ne peut donc pas soutenir que les règles de majorité lors des décisions collectives seraient modifiées par une augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription et qu'il est donc possible de prévoir une augmentation de capital réservée à un tiers quand bien même celle-ci est la soeur de l'actuel gérant de la société, ce qui est sans incidence ; qu'en outre et surtout, les dispositions d'ordre public applicables au projet de plan de redressement (article L. 626-3 alinéa 2 du code de commerce) qui prévoient la possibilité d'appeler l'assemblée générale à décider l'augmentation du capital en faveur d'une personne qui s'est engagée à exécuter le plan, permettent à la cour de prendre, comme elle l'a fait, une décision ayant pour effet de modifier les règles statutaires.

Elles contestent de surcroît la volonté prétendue de M. Y de participer à une augmentation de capital, observant notamment que pendant la période d'observation il ne s'est jamais manifesté et n'a pas accepté de rencontrer maître M. pour échanger sur la situation de l'entreprise, se souciant davantage de ses intérêts personnels en qualité de créancier que de l'intérêt social de la société débitrice; qu'en outre, celui-ci qui n'a pas participé à une seule assemblée générale depuis 2017 a également sollicité le paiement de son compte courant non pas en fin de plan comme les deux autres associés de la débitrice mais au même titre que les autres créanciers et ayant tout mis en oeuvre pour faire cesser l'exploitation du centre équestre et récupérer son patrimoine immobilier au travers de la procédure menée devant le tribunal paritaire des baux ruraux qui a donné lieu au jugement du 7 juillet 2021.

Selon l'article L. 661-3 du code de commerce, les décisions arrêtant ou modifiant le plan de sauvegarde ou de redressement ou rejetant la résolution du plan sont susceptibles de tierce opposition.

Si en application du premier alinéa de l'article R.661-2 du code de commerce, la tierce opposition est formée contre les décisions rendues notamment en matière de redressement judiciaire dans le délai de dix jours à compter du prononcé de la décision, le second alinéa de cet article prévoit aussi que pour les décisions soumises aux formalités d'insertion dans un journal d'annonces légales et au Bodacc, le délai ne court que du jour de la publication au Bodacc et, pour les décisions soumises à la formalité d'insertion dans un journal d'annonces légales, du jour de la publication de l'insertion.

L'arrêt du 16 mars 2021 précisant qu'il serait transmis au greffe du tribunal judiciaire de Versailles pour accomplissement des formalités de publicité et les intimées ne discutant pas qu'il n'a pas été procédé à la publication au Bodacc de l'arrêt contesté par M. Y, le délai de dix jours prévus par l'article précité n'a pas couru à l'encontre de ce dernier de sorte qu'aucune fin de non-recevoir ne peut lui être valablement opposée de ce chef.

Aux termes de l'article 583 du code de procédure civile, "est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque. Les créanciers et autres ayants cause d'une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s'ils invoquent des moyens qui leur sont propres."

M. Y qui n'était ni partie ni représenté à l'arrêt qu'il critique et qui agit en sa qualité d'associé de la société Haras de Sainte Gemme, doit justifier, pour être recevable en sa tierce opposition, de moyens qui lui sont propres, c'est à dire distincts de ceux des autres ayant cause de la société ou établir l'existence d'une fraude.

Indépendamment du pacte d'associé conclu entre les associés fondateurs de la société débitrice le 3 octobre 2011, les parties s'opposant sur la caducité de ce pacte dont il n'est pas admis qu'elle aurait été décidée au cours de l'assemblée générale du 30 juin 2015 dont M. Y conteste avoir signé le procès-verbal, il est constant qu'il a été convenu à l'article 22 des statuts que les décisions collectives extraordinaires, définies comme étant celles qui ont pour objet la modification des statuts ou l'agrément des cessions ou mutations de parts, droit de souscription ou d'attribution, sont, sous réserve d'autres conditions impératives définitives dans les statuts ou par la loi, adoptées par des associés représentant les trois quarts au moins des parts sociales.

Dans le cadre de la proposition de plan de redressement, contestée par M. Y, il est constant qu'il est prévu une modification du capital social qui se présente ainsi :

- augmentation du capital, à la suite d'un apport numéraire de 97 500 euros par Mme A, à hauteur de 196 500 euros par émission de 9 750 parts,

- réduction du capital de 97 500 euros par absorption des pertes,

- le capital sera ramené à sa valeur d'origine, 99 000 euros et les capitaux propres à hauteur de 50 469 euros,

- le capital se trouvant dès lors réparti à hauteur de 49,62 % détenus par la nouvelle associée et à hauteur de 16,79 % par chacun des trois anciens associés.

S'il est constant que cette modification ainsi proposée aux termes de la clause d'accélération de plan a, à l'égard des trois actuels associés de la société appelante, la même incidence en ce qui concerne leur part dans le capital, il n'en demeure pas moins que compte tenu du lien de parenté entre Mme H. et MM. Christian et W, dont elle est la soeur et la tante, et compte tenu du conflit qui oppose la société débitrice à sa bailleresse, dirigée par M. Y, celui-ci sera encore plus minoritaire qu'il n'est actuellement et n'aura plus la même possibilité de peser sur les délibérations de l'assemblée générale extraordinaire.

Dans ces conditions il a un intérêt propre à agir et est recevable en sa tierce opposition.

Sur le bienfondé de la tierce opposition :

M. Y, après avoir fait l'historique des décisions rendues par le tribunal paritaire des baux ruraux entre la société débitrice et la société Sainte Gemme, bailleresse dont il est le dirigeant afin que la cour ne se laisse pas convaincre par "l'historique partiel et tronqué" des intimées et reprenant des éléments déjà développés à propos de son intérêt propre à faire opposition, demande à la cour de débouter la société débitrice de son appel partiel du jugement du 13 octobre 2020 et de confirmer celui-ci en ce qu'il a considéré qu'il "n'apparaît pas opportun d'entériner un projet prévoyant une modification du capital et d'autoriser dans ce cadre un changement des règles de majorité de l'assemblée générale", ajoutant que le tribunal a également relevé que "l'une des difficultés essentielles de gestion est liée à la mésentente existant au sein de la société débitrice mettant en cause M. Y", à la fois bailleur et associé, la juridiction de première instance considérant que "ce conflit qui dépasse le cadre des procédures collectives appelle ainsi un règlement selon les voies de droit commun".

Après avoir rappelé les dispositions des articles L. 626-1 alinéa 1er à L. 626-3 et L. 626-10 du code de commerce, les intimées qui produisent les conclusions développant les moyens précédemment soutenus devant la cour pour démontrer le bienfondé et le sérieux de la proposition alternative de redressement, formulée en complément du règlement des créances en sept annuités, entendent en réitérer les moyens en soulignant en particulier que les dispositions de l'article L. 626-3 permettent expressément d'appeler l'assemblée générale à décider l'augmentation du capital en faveur d'une personne qui s'est engagée à modifier le plan et de modifier les règles de majorité applicables lors du vote de cette opération, observant que quand bien même un pacte ou les statuts interdiraient une telle augmentation de capital réservée à Mme A, ce qui n'est pas au demeurant le cas en l'espèce, ces dispositions d'ordre public permettent de déroger à ces stipulations contractuelles à titre exceptionnel, dans l'intérêt social et dans celui des créanciers, avec pour objectif de favoriser le redressement de l'entreprise et d'assurer sa pérennité. Les intimées soulignent que Mme H. a seule pris l'engagement ferme d'apporter à la société débitrice une somme en numéraire de 97 500 euros et que cette augmentation du capital social, si elle a certes dilué les actionnaires de la société débitrice, dans des proportions identiques au demeurant, est intervenue dans le strict respect du livre VI du code de commerce.

L'article L. 626-3 du code de commerce dont les dispositions ont été rappelées dans l'arrêt du 16 mars 2021, précise notamment les modalités selon lesquelles le tribunal peut décider, lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital, que l'assemblée compétente statuera sur les modifications statutaires, sur première convocation, à la majorité des voix dont disposent les associés présents ou représentés, dès lors que ceux-ci possèdent au moins la moitié des parts ayant le droit de vote. Cet article prévoit également dans quelles conditions cette assemblée est d'abord appelée à reconstituer les capitaux propres, l'article L.631-19 disposant en outre en son II qu'en cas de modification du capital social notamment prévue dans le projet de plan ou dans le plan, les clauses d'agrément sont réputées non écrites.

Ces règles qui sont d'ordre public s'appliquent indépendamment des dispositions statutaires adoptées par la société débitrice.

Il ressort du projet de plan établi par l'administrateur judiciaire le 24 septembre 2020, avant l'arrêt au 31 décembre 2020 du bilan et du compte de résultat de la société Haras de Sainte Gemme discutés par le tiers opposant à l'occasion de la présente instance, qu'outre la diminution de son chiffre d'affaires de 11 % entre 2018 et 2019, en lien avec l'inoccupation de 22 boxes sur les 60 boxes exploités par la société, la société débitrice a présenté un résultat d'exploitation déficitaire en 2018 comme en 2019, respectivement à hauteur de 59 303 euros et de 39 034 euros et des capitaux propres négatifs au 31 décembre 2019 à hauteur de 47 031 euros, étant précisé que le capital social est de 99 000 euros et que l'administrateur judiciaire indique dans ce rapport que les résultats prévisionnels de la société ajoutés à ceux de 2020, lesquels prennent en compte des résultats exceptionnels liés à une décision judiciaire contestée devant la présente cour, sont insuffisants pour reconstituer les capitaux propres dans les deux ans.

D'après les comptes arrêtés au 31 décembre 2020, la situation comptable de la société débitrice s'est aggravée dans la mesure où ils font apparaître un résultat d'exploitation déficitaire à hauteur de 300 716 euros et un déficit de 161 406 euros.

S'il est exact, comme le relève M. Y, que figure au compte de résultat, dans les charges d'exploitation sous la rubrique 'dépréciations sur immobilisations', la somme de 244 000 euros qui correspond aux éléments incorporels du fonds de commerce acquis par la société débitrice le 3 octobre 2011 au prix total de 280 000 euros dont 15 000 euros pour les matériels et mobiliers et 21 000 euros pour le cheptel équidé, il n'en demeure pas moins que même sans prendre en compte cette dépréciation, le déficit du résultat d'exploitation sur l'exercice de l'année 2020 s'est aggravé par rapport à celui de 2019 (déficit de 56 716 euros au lieu de 39 034 euros) ; ainsi le résultat d'exploitation bénéficiaire constaté au cours de la période d'observation par l'administrateur judiciaire au cours des sept premiers mois de l'année 2020 n'a pas persisté, étant précisé que dans son projet de plan de redressement, l'administrateur notait que l'exploitation restait insuffisante au regard du passif.

Comme rappelé par l'expert-comptable de la société débitrice, dans une note du 29 septembre 2021, le bail commercial a disparu du fait de la conclusion entre la société débitrice et la société Sainte Gemme d'un bail rural portant sur les mêmes biens, cette disparition du bail commercial entraînant par voie de conséquence celle du fonds de commerce ; la dépréciation effectuée dans ces comptes est ainsi justifiée, étant observé que le bail rural n'a pas une valeur comparable à celle du droit au bail attaché au fonds de commerce dans la mesure où sa cession, en dehors des dispositions particulières prévues aux articles L. 418-1 à L.418-5 du code rural, est en principe interdite par les dispositions de l'article L.411-35 du même code sauf cession intra-familiale sous réserve de l'agrément du bailleur.

Le passif à apurer, après déduction des créances rejetées, des créances abandonnées, des contrats en cours et des sommes déclarées au titre des trois comptes courants d'associés, s'élève à la somme de 161 839,38 euros, étant précisé par l'administrateur judiciaire que seul un des trois associés, M. Y, n'a pas accepté de différer jusqu'au terme du plan le remboursement de sa créance de 9 309,96 euros au titre de son compte courant, pourtant beaucoup moins élevée que celle des deux autres associés, et que seul celui-ci et la société Sainte Gemme qu'il dirige ont expressément refusé, sur les 29 créanciers consultés, les propositions d'apurement figurant au projet de plan.

Il a en outre été pris en compte lors de l'élaboration du plan et pour expliquer la proposition d'augmentation du capital social permettant par ailleurs de reconstituer les capitaux propres, l'incertitude pesant sur l'avenir de l'activité de la société Haras de Sainte Gemme, l'administrateur judiciaire ayant rappelé que la société bailleresse avait donné congé à la société débitrice au terme des neuf ans du bail prenant fin le 30 octobre 2020, congé contesté par la société locataire.

Cet aléa lié à la situation locative de la société débitrice persiste à ce jour. En effet, s'il est relevé dans le dernier jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux en date du 7 juillet 2021 que par jugement du 7 avril 2021, ce même tribunal a prononcé la nullité du congé pour reprise délivré le 24 avril 2019 par la société bailleresse et rejeté la demande d'annulation et de résiliation de bail, le tribunal a également indiqué que ce jugement fait l'objet d'un appel dont les parties n'indiquent pas qu'il y aurait été mis fin.

Dans ces conditions, il est adapté à la situation de l'entreprise et à l'intérêt de ses créanciers, dont fait partie M. Y, d'organiser un paiement plus rapide des créanciers de la société débitrice que la durée de sept ans initialement envisagée.

Si M. Y qui, par courrier du 18 novembre 2020 s'est opposé à l'augmentation de capital réservée à Mme H.-M., soumise pour la première fois aux associés lors de l'assemblée générale du 20 novembre 2020, s'est dit 'disposé à participer à une augmentation de capital identique dans un bref courrier daté du 7 décembre 2020, il n'a réitéré cette proposition qu'à l'occasion de la présente procédure ; son attitude à l'occasion des propositions de redressement de la société Haras de Sainte Gemme et le contentieux judiciaire qui oppose depuis plusieurs années la société dont il est le dirigeant à la société Haras de Sainte Gemme, à propos notamment de l'état des lieux loués, lesquels ont fait l'objet d'une expertise judiciaire ordonnée en référé le 5 octobre 2018, ne permettent pas de considérer qu'il fait la preuve d'une volonté réelle et sérieuse de participer à l'augmentation de capital dans la même proportion que Mme H.-M..

Dans ces conditions, il convient de débouter M. Y de sa tierce opposition.

Sur la demande en dommages et intérêts et au titre d'une amende civile :

Les intimées sollicitent la condamnation de M.C. au paiement d'une amende civile ainsi qu'à verser à la société intimée la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile. Elles font valoir que la tierce opposition formée par ce dernier en qualité d'associé de la société Haras de Sainte Gemme repose sur des moyens mensongers et dénués de tout fondement sérieux, marquant une volonté de nuire à la société débitrice à des fins personnelles ; elles ajoutent qu'il a été 'largement démontré' que la situation difficile à laquelle a été confrontée la débitrice a été la conséquence directe des agissements et du comportement agressif de M. Y, à la fois associé et créancier de la société.

M.C. ne présente pas d'observations sur cette demande.

La réponse apportée par la cour à la tierce opposition de M. Y ne permet pas de retenir que la présente procédure est abusive, le tiers opposant ayant pu en outre se méprendre sur l'étendue de ses droits au regard des règles de la procédure collective, étant observé que l'attitude de M. Y antérieurement à l'introduction de la présente instance n'a pas à être prise en compte dans l'appréciation de la demande indemnitaire.

Il n'y a pas lieu par conséquent au paiement d'une amende civile et la société Haras de Sainte Gemme sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt réputé contradictoire,

Déclare M. Y recevable en sa tierce opposition ;

Déboute M. Y de sa demande de rétractation de l'arrêt du 16 mars 2021 ;

Déboute la société Sainte Gemme de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Condamne M. Y à payer à la société Haras de Sainte Gemme la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. Y aux dépens de la procédure de tierce opposition.