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Décisions

CA Lyon, 1re ch. civ. A, 4 juin 2020, n° 18/00480

LYON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Sekoya (SARL)

Défendeur :

Bamboo's (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rachou

Conseillers :

Mme Clement, Mme Isola

TGI Lyon, 10e ch., du 5 déc. 2017, n° 13…

5 décembre 2017

La société Bamboo's a pour activité la création, la fabrication et la commercialisation d'articles vestimentaires.

Elle a déposé le 7 juin 2012 plusieurs modèles originaux dont :

- un modèle de robe à bretelles sous le numéro 2012/2663, reproduction numéro 928 407

- un modèle d'ensemble composé d'un haut sans manche et d'un sarouel sous le numéro 2012/2663, reproduction numéro 928 410 et 928 411

- un modèle d'ensemble composé d'un bustier et d'un pantalon sous le numéro 2012/2663, reproduction numéro 928 415 et 928 416.

Ces dépôts ont éte publiés au BOPI 13/14 du 5 juillet 2013.

Les modèles correspondants ont été déclinés en différentes versions figurant au catalogue de la société Bamboo's sous les références BR 1403, BR 1308, BR 1309, BR 1305 et BR 1306.

La société Sekoya exploite plusieurs magasins de prêt à porter sur le territoire national et notamment, sous l'enseigne Loli Lola à Bourgoin-Jallieu et Grenoble.

Le 28 mars 2013, la société Bamboo's a fait constater par huissier de justice que la société Sekoya commercialise, selon elle, des modèles conçus par ses soins et en fraude de ses droits.

Ce constat d'achat a porté sur cinq modèles :

- un pantalon

- un top à bretelles fines

- un sarouel

- un top à bretelles larges

- une robe à bretelles

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 avril 2013, la société Bamboo's a mis en demeure sans résultat la société Sekoya de cesser de commercialiser les articles litigieux et l'a assignée devant le tribunal de grande instance de Lyon en contrefaçon et concurrence déloyale.

La société Sekoya a reconventionnellement demandé l'annulation des modèles.

Par jugement du 5 décembre 2017, le tribunal de grande instance de Lyon a :

- rejeté les demandes en nullité de l'enregistrement des modèles numéro 2012/2663, reproductions 928 407, 928 410 , 928 411, 928 415 et 928 416 déposé le 7 juin 2012 par la société Bamboo's

- jugé que la société Sekoya ne s'est pas rendue auteur d'actes de contrefaçon de modèles en l'absence d'opposabilité des droits de la société Bamboo's avant le 5 juillet 2013 et de preuve corrélative de la poursuite des actes prétendument contrefaisants passé cette date

- jugé que les créations figurant au catalogue printemps-été 2013 de la société Bamboo's sous les références BR 1305, BR 1306, BR 1308, BR 1309 et BR 1403, respectivement constituées d'un bustier, d'un pantalon, d'un sarouel, d'un haut sans manche et d'une robe à bretelles sont protégés par le droit d'auteur bénéficiant à cette société

- dit et jugé que la société Sekoya s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon des droits d'auteur protégeant les bustier, pantalon, sarouel et robe à bretelles référencés BR 1305, BR 1306, BR 1308 et BR 1403 au catalogue printemps-été 2013 de la société Bamboo's mais qu'elle n'a point contrefait en revanche le haut sans manches référencé BR 1309

- condamné la société Sekoya à payer à la société Bamboo's la somme de 10 000 euros en indemnisation de son préjudice matériel issu des actes de contrefaçon de droit d'auteur

- condamné la société Sekoya à payer à la société Bamboo's la somme de 3 000 euros en indemnisation de son préjudice moral issu des actes de contrefaçon de droit d'auteur

- fait interdiction à la société Sekoya de poursuivre la fabrication, l'importation, la détention, la distribution, l'offre en vente et la commercialisation des articles contrefaisants référencés RB 272, RB 273, RB 274 et RB 277, sous peine d'astreinte provisoire de 50 euros par article pour chaque manquement constaté passé le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement

- ordonné la publicité du dispositif du présent jugement dans trois journaux ou périodiques au choix de la société Bamboo's et aux frais de la société Sekoya sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 3 000 euros

- dit et jugé que la société Sekoya a également commis des actes de concurrence déloyale distincts de la contrefaçon du droit d'auteur

- condamné la société Sekoya à payer à la société Bamboo's la somme de 5 000 euros en indemnisation des actes de concurrence déloyale

- condamné la société Sekoya à payer à la société Bamboo's la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- rejeté le surplus des demandes

- ordonné l'exécution provisoire, à l'exception des mesures de publication

- condamné la société Sekoya aux dépens de l'instance dont distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

La société Sekoya a régulièrement interjeté appel de cette décision le 19 janvier 2018.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 5 avril 2018, la société Sekoya demande à la cour de :

- confirmer la décision en ce qu'elle a dit qu'elle ne s'était pas rendue auteur d'actes de contrefaçon de modèles en l'absence d'opposabilité des droits de la société Bamboo's avant le 5 juillet 2013 et de preuve corrélative de la poursuite des actes prétendument contrefaisants passé cette date.

Elle conclut à sa réformation pour le surplus et demande à la cour de :

- prononcer la nullité de l'ensemble des modèles issus du dépôtn°2012/2663 de la Sarl Bamboo's en raison du caractère frauduleux dudit dépôt

- prononcer la nullité des modèles référencés sous lesn°20122663-004, 20122663-007, 20122663-008, 20122663-012 et 20122663-013, issus du dépôtn°2012/2663 de la Sarl Bamboo's en raison de leur défaut de caractère propre

- dire et juger que le droit de la Sarl Bamboo's sur les modèles référencés sous lesn°20122663-004, 20122663-007, 20122663-008, 20122663-012 et 20122663-013 est inopposable à son égard

- dire et juger qu'elle n'a commis aucun acte de contrefaçon de modèles

- dire et juger que la Sarl Bamboo's n'est pas titulaire de droit d'auteur sur les modèles de vêtements qu'elle revendique

- dire et juger que les modèles de vêtements revendiqués par la Sarl Bamboo's ne sont pas protégeables au titre du droit d'auteur étant dépourvus d'originalité

- dire et juger qu'elle n'a commis aucun acte de contrefaçon de droits d'auteur

- dire et juger que la Sarl Bamboo's n'a subi aucun préjudice ou à tout le moins que ce préjudice doit être ramené à de plus justes proportions en prenant en compte au titre des bénéfices réalisés par elle une marge réelle de 393,61 euros

En conséquence,

- rejeter toutes les demandes de la Sarl Bamboo's comme irrecevables et/ou mal fondées

A titre incident,

- constater le caractère abusif de l'action engagée par la Sarl Bamboo's à son encontre

- condamner la Sarl Bamboo's à lui payer 10 000 euros à ce titre

- condamner la Sarl Bamboo's à lui payer 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par ordonnance du 4 septembre 2018, le premier président de la cour d'appel de Lyon a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire présentée par la société Sekoya.

Par ordonnance du 4 octobre 2018, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande tendant à la radiation de l'affaire pour défaut d'exécution des dispositions du jugement frappé d'appel présentée par la société Bamboo's.

Par ordonnance du 4 décembre 2018, le conseiller de la mise en état a prononcé d'office l'irrecevabilité de conclusions déposées le 8 novembre 2018 par la société Bamboo's.

Vu les dernières conclusions ;

Vu l'ordonnance de clôture du 8 janvier 2019 ;

Sur ce :

Sur l'absence de contrefaçon des modèles :

Attendu que la société Sekoya conclut à la confirmation de la décision en ce qu'elle a rejeté la demande relative à la contrefaçon ;

qu'il convient de confirmer la décision par adoption de ses motifs, le tribunal ayant à juste titre retenu l'absence de contrefaçon de modèles en l'absence d'opposabilité des droits de la société Bamboo's avant le 5 juillet 2013 et de preuve corrélative de la poursuite des actes prétendument contrefaisants passé cette date ;

Sur la nullité alléguée en raison du caractère frauduleux du dépôt :

Attendu que la société Sekoya conclut à la nullité du dépôt des modèles litigieux pour fraude aux droits d'un tiers ;

qu'elle expose que la société Bamboo's a cherché à s'approprier le travail effectué par ses fournisseurs au Népal et a fait enregistrer les modèles par l'INPI dans le seul but de s'arroger artificiellement un monopole et d'opposer ses droits, acquis frauduleusement, à ses concurrents

qu'elle produit une attestation du gérant de Rose boutique au Népal, fabricant des modèles, en ce sens ;

qu'ensuite, la société Bamboo's a volontairement détourné la fonction protectrice du droit au dessin et modèle comme l'établit la publication des modèles le 5 juillet 2013, un an après leur dépôt, trois mois après la mise en demeure et trois semaines avant l'assignation ;

Mais attendu qu'il convient de confirmer la décision déférée par adoption de ses motifs qui répondent aux conclusions prises en appel, la cour observant en outre que le document produit par la société Sekoya émanant du gérant de Rose boutique au Népal n'est ni daté, ni accompagné de pièces permettant de déterminer une date ou a minima une période à la différence de l'attestation transmise par mail par ce même gérant à la société Bamboo's et accompagnée d'un justificatif d'identité, la société Sekoya se contentant d'indiquer dans ses écritures que le gérant certifie

' aujourd'hui ' n'avoir jamais reconnu la prétendue titularité des droits de la société Bamboo's sur les modèles ;

Sur la nullité alléguée du dépôt des modèles pour défaut de caractère propre:

Attendu que la société Sekoya soutient que les modèles sont dépourvus de caractère propre comme étant, aux yeux de l'observateur averti, que de pièces du genre et sans aucune caractéristique propre distinctive ;

Attendu qu'il convient de confirmer la décision déférée par adoption de ses motifs qui répondent aux conclusions d'appel, le premier juge ayant avec justesse relevé qu'aucune des antériorités proposées ne reproduisait l'intégralité en une seule pièce des caractéristiques des modèles litigieux

Sur le droit d'auteur et la titularité du droit d'auteur :

Attendu que la société Sekoya conclut à l'absence d'apport créatif des modèles litigieux leur permettant d'être protégés au titre des droit d'auteur ;

qu'elle soutient que la société Bamboo's ne peut être reconnue auteur d'une oeuvre de l'esprit, seule une personne physique pouvant revendiquer ce droit ;

que si la titularité de droits d'auteur peut être reconnue à une personne morale, encore faut- il qu'il y ait cession de droits d'auteur à son profit ou en cas d'oeuvre collective ;

que le tribunal a retenu à tort que la société Bamboo's pouvait bénéficier de la présomption de titularité au profit des personnes morales qui exploitent l'oeuvre sous leur nom sans pour autant qu'il soit justifié de ses créations et de leur exploitation effective distincte de simples actes d'utilisation ;

que le droit d'auteur protège les oeuvres originales du seul fait de leur création ;

que l'originalité se définit comme l'empreinte de la personnalité de l'auteur ;

qu'en l'espèce, cet élément n'existe pas, la société Bamboo's se contentant d'acquérir au Népal des vêtements qu'elle vendra en France ;

que ces pièces ne sont en rien originales s'agissant de vêtements qui s'inscrivent dans un genre ethnique et suivent un phénomène de mode ;

Mais attendu que le premier juge a, à juste titre par une motivation adoptée, retenu, après avoir mis en exergue les particularités de chacun des modèles, que les créations revendiquées sont protégées par le droit d'auteur comme ayant une apparence esthétique distincte révélant un parti pris créatif portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur ;

que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ;

que la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée ;

qu'une personne morale peut néanmoins bénéficier de la présomption simple prévue à l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que la société Sekoya conclut à tort que la production du catalogue produit n'est pas daté alors qu'il est mentionné en page de garde de celui-ci ' catalogue printemps/été 2013 ' ;

que le document fourni par le gérant de Rose boutique est dépourvu de force probante pour les motifs sus exposés ;

que le tribunal a, à juste titre, retenu que la participation au salon Who's next au mois de juin/juillet 2012 établissait la divulgation des créations de la société Bamboo's, la cour observant que, contrairement à ce que conclut la société Sekoya, les modèles photographiés par un certain M. D., correspondent pour partie à ceux figurant dans le catalogue, tels les modèles BR 1308 et BR 1309 ;

Sur la contrefaçon des droits d'auteur :

Attendu que la société Sekoya soutient qu'en tout état de cause, aucune contrefaçon n'existe, les modèles s'inscrivant dans une inspiration commune d'esprit népalais et de genre ethnique, comme le sarouel, et les éléments caractéristiques censés individualiser chaque modèle de la société Bamboo's étant communs à plusieurs d'entre eux et n'étant donc pas de nature à démontrer l'originalité d'un modèle en particulier ;

Mais attendu que là encore, le tribunal a justement apprécié les éléments de nature à établir la contrefaçon par une motivation adoptée ;

qu'il a également à juste titre , sans se contredire, rejeté la demande pour le haut sans manche, la structure même du vêtement étant différente et éliminant de ce fait toute contrefaçon ;

qu'enfin, la présence commune de poches à soufflets et d'élastique au bas des jambes relevés sur les modèles de la société Bamboo' et ceux de la société Sekoya ne sont pas des caractéristiques techniques, s'agissant de vêtements de prêt à porter et non pas de vêtements professionnels nécessitant, par exemple, une capacité de poche importante ;

Sur la concurrence déloyale :

Attendu que la société Sekoya fait valoir qu'aucun acte de concurrence déloyale n'est caractérisé en l'espèce, en l'absence de faits reprochés distincts de ceux liés à la contrefaçon ;

Attendu que l'action en concurrence déloyale est ouverte notamment à celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif et peut être fondée sur les mêmes faits que ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon rejetée pour défaut d'atteinte à un droit privatif dès lors qu'il est justifié d'un comportement fautif ;

que la société Bamboo's a été déboutée de sa demande en contrefaçon de modèles;

Mais attendu qu'elle ne rapporte la preuve d'aucun acte distinct de la fabrication et de la commercialisation déjà sanctionnées au titre de la contrefaçon de droit d'auteur;

que la décision sera infirmée de ce chef ;

Sur l'indemnisation allouée :

Attendu que la société Sekoya conclut à une réduction des sommes allouées en réparation du préjudice matériel et moral de la société Bamboo's ;

Attendu qu'il résulte des dispositions du jugement déféré et des pièces produites par la société Sekoya qu'en définitive, la société Sekoya a fait fabriquer 374 articles contrefaisant et en a vendu 19 au cours du premier trimestre 2003 ;

qu'eu égard au faible coût de ces articles et des investissements nécessaires et à la marge bénéficiaire de la société Sekoya, il convient de fixer le préjudice matériel subi par la société Bamboo's à la somme de 5 000 euros ;

que le montant alloué au titre du préjudice moral sera en revanche confirmé, eu égard à l'atteinte aux droits créatifs de la société Bamboo's ;

Attendu que la société Sekoya qui succombe majoritairement à l'instance sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive et la décision confirmée sur ce point ;

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Sekoya qui succombe majoritairement les frais irrépétibles engagés ;

Par ces motifs

La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort

Infirme la décision déférée sur le montant de l'indemnisation allouée à la société Bamboo's en réparation de son préjudice matériel et en ce que la société Sekoya a été condamnée à payer des dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale

et statuant à nouveau de ces chefs,

Condamne la société Sekoya à payer à la société Bamboo's la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice matériel

Déboute la société Bamboo's de sa demande fondée sur la concurrence déloyale

Confirme la décision déférée pour le surplus

Y ajoutant,

Déboute la société Sekoya de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la société Sekoya aux dépens.