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Décisions

CA Rennes, 2e ch.com., 23 mars 2010, n° 09/01645

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

JLD CUISINES (SARL), Monsieur (G) D., Monsieur (J-L) D.

Défendeur :

CUISINES DANET (SARL), Monsieur (C) F.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur Yves LE GUILLANTON

Conseillers :

Madame Françoise COCCHIELLO, Monsieur Joël CHRISTIEN

Avoués :

SCP CASTRES, COLLEU, PEROT & LE COULS-BOUVET, SCP JACQUELINE BREBION ET JEAN-DAVID CHAUDET

Avocats :

Me Bertrand ERMENEUX, Me François HERPE

CA Rennes n° 09/01645

22 mars 2010

Selon protocole d'accord du 25 juillet 1996, Jean-Luc Danet, Grégory D. et divers autres membres de la famille D. ont cédé à Charles F. le contrôle de la société anonyme Jean-Luc Danet ayant une activité de cuisiniste, les cédants autorisant en outre la société cédée à faire usage de leur nom patronymique à des fins industrielle et commerciale.

Le 16 juin 2000, la société Jean-Luc Danet, devenue la société Cuisines Danet, a déposé à l'Institut national de la propriété industrielle, pour désigner dans les classes 20, 37 et 38 des meubles de cuisine, salle de bains, agencement d'intérieur (banques d'accueil, bars, comptoirs, placards, rayonnages), service d'installation ( pose de cuisines, salle de bains et aménagement intérieur), service de transmission d'information par réseau Internet, la marque semi-figurative suivante :

Prétendant que la société JLD Cuisines, qui a pour gérant Grégory D. et exerce une activité identique à la sienne, imitait sa marque en utilisant l'expression Grégory Danet C.' sur son site Internet, dans les pages jaunes de l'annuaire téléphonique ainsi que dans diverses publicités par voie de presse, la société Cuisines Danet l'a, par acte du 18 octobre 2007, assignée en contrefaçon devant le tribunal de grande instance de Vannes.

Jean-Luc et Grégory D. sont intervenus volontairement à l'instance, par conclusions du 17 juin 2008, pour solliciter l'annulation de l'enregistrement de la marque Cuisines Danet qu ils prétendent avoir été déposée en fraude à leurs droits.

Charles F. est également intervenu volontairement à l'instance afin la garantie d'éviction des cédants au cas où la Cour accueillerait leur demande reconventionnelle en annulation de marque.

Par jugement du 3 février 2009, les premiers juges ont statué en ces termes :

Juge la société JLD Cuisines, Jean Luc D. et Grégory D. irrecevables à poursuivre l'annulation de la marque Cuisines Danet ;

Juge que le signe Grégory Danet C. est une imitation illicite de la marque Cuisines Danet', au sens de l'article L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle ;

Interdit en conséquence, avec exécution provisoire, à la société JLD Cuisines :

• tout usage de la marque française semi-figurative n° 00 3036297 Cuisines D. déposée le 19 juin 2000 dans les classes 20, 37 et 38, publiée au BOPI le 28 juillet 2000, pour désigner des produits ou services, à peine d'astreinte de 2.500 euros par infraction constatée, à compter de la signification du présent jugement, • tout usage des vocables ou mentions Grégory Danet C. et l utilisation du nom patronymique Grégory D. pour l exercice de son activité et du patronyme D. associé au mot cuisines , à peine d astreinte de 2.500 euros par infraction constatée, à compter de la signification du présent jugement, à l'exception de la signature de courriers et tous actes sociaux et de la présence sur les cartes de visite de Grégory D. ;

Condamne, avec exécution provisoire, la société JLD Cuisines à payer à la société Cuisine D. la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Ordonne la publication du dispositif du présent jugement dans deux revues ou journaux, au choix de la société Cuisines Danet et aux frais de la société JLD Cuisines, dans la limite de

5.000 euros par insertion, ainsi qu'en page d'accueil du site internet de la société JLD Cuisines pendant une durée de 2 mois à compter de la signification du présent jugement ;

Déboute la société JLD Cuisines de ses demandes ;

Condamne, avec exécution provisoire, la société JLD Cuisines à payer la somme de 5.000 euros à la société Cuisines Danet, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la société JLD Cuisines aux dépens'.

La société JLD Cuisines, Jean-Luc et Grégory D. ont relevé appel de cette décision en demandant à la Cour de :

Déclarer nulle la marque Cuisines Danet enregistrée le 19 juin 2000 sous le numéro 00 303 6297 ;

Débouter la société Cuisines Danet et Monsieur Charles F. de l'intégralité de leurs demandes ;

Autoriser la société JLD Cuisines et Messieurs D. à publier l'arrêt aux frais de la société Cuisines Danet, dans 3 journaux de leur choix sans que chaque insertion ne puisse excéder la somme de 3.500 euros hors taxe, ainsi qu'en page d'accueil du site Internet de la société Cuisines Danet pendant une durée de 2 mois dans les 7 jours de la signification de la décision à intervenir, et ce, à peine de 1.000 euros d'astreinte définitive par jour de retard ;

Condamner la société Cuisines Danet à payer 30.000 € de dommages-intérêts au titre des actes de dénigrement ;

Déclarer irrecevable la demande de condamnation de Messieurs D. à payer la somme de 250.000 € dès lors que c'est une prétention nouvelle en cause d'appel ;

À titre subsidiaire, et au cas où cette demande serait déclarée recevable, débouter Monsieur F. de sa demande ;

Condamner la société Cuisines Danet à verser à la société JLD Cuisines et Monsieur Grégory D. la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile'.

La société Cuisines Danet et monsieur F. concluent quant à eux devant la Cour en ces termes :

Dire et juger que la société JLD Cuisines s est rendue coupable d actes de contrefaçon de la marque française semi-figurative n° 00 3036297 Cuisines D. au détriment de la société Cuisines Danet ;

Dire et juger que la société JLD Cuisines s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale au détriment de la société Cuisines Danet ;

Dire et juger irrecevable la demande reconventionnelle de J. Cuisines en nullité de la marque française semi-figurative n°00 3036297 Cuisines D. ;

Dire et juger que le procès-verbal de constat dressé par l'Agence de la protection des programmes le 14 janvier 2008 n'est pas admissible à titre de preuve ;

Dire et juger que la pièce n°14 versée aux débats par J. Cuisines (attestation de monsieur Christophe P.) n'est pas admissible à titre de preuve ;

Dire et juger que la pièce n° 55 versée aux débats par J. Cuisines (attestation de monsieur B.) n'est pas admissible à titre de preuve ;

Dire et juger que la société JLD Cuisines ne bénéficie d'aucun droit sur le patronyme D. ;

En conséquence, et à titre principal,

Interdire à la société JLD Cuisines et aux consorts D. tout usage de la marque française semi-figurative n° 00 3036297 Cuisines D. pour désigner des produits ou services similaires ou identiques et ce, sous astreinte de 2.500 € par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir et se réserver la liquidation de l'astreinte ;

Interdire à la société JLD Cuisines et aux consorts D. tout usage des vocables ou mentions Grégory Danet C. et l utilisation du nom patronymique Grégory D. pour l'exercice de son activité et du patronyme D. associé au mot cuisines , et ce, sous astreinte de 2.500 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir et se réserver la liquidation de l'astreinte ;

À titre subsidiaire,

Limiter l'utilisation du nom D. par J. Cuisines et par les consorts D. à la signature de courriers, de tous actes sociaux et à la présence du patronyme sur une carte de visite, à l'exclusion de toute utilisation sur des publicités de J. Cuisines, sur un site Internet et sur les Pages jaunes ;

Dans l'hypothèse où la Cour viendrait à dire que la société JLD Cuisines bénéficierait de droits sur le patronyme D., condamner solidairement Monsieur Jean-Luc D. et Monsieur Grégory D. à payer à Monsieur Charles F. la somme de 250.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

En toutes hypothèses,

Condamner la société JLD Cuisines à payer à la société Cuisines Danet la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice subi par la société Cuisines Danet à raison des actes de contrefaçon de la marque française semi-figurative n° 00 3036297 Cuisines D. et de concurrence déloyale ;

Ordonner la publication du jugement à intervenir dans deux journaux ou revues au choix de la société Cuisines Danet, et aux frais exclusifs de la société JLD Cuisines, dans la limite de la somme de 5.000 euros hors taxe par insertion, ainsi qu'en page d'accueil du site Internet de la société JLD Cuisines pendant une durée de 2 mois à compter de la signification de la décision à intervenir ;

Débouter Monsieur Jean-Luc D. et la société JLD Cuisines de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

Condamner solidairement la société JLD Cuisines et les consorts D. à payer à la société Cuisines Danet la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile'.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société JLD Cuisines ainsi que Messieurs Jean-Luc et Grégory D. le 13 janvier 2010, et pour la société Cuisines Danet ainsi que monsieur F. le 4 janvier 2010.

Motifs

#1 EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur la recevabilité des moyens de preuve produits par les appelants

Les premiers juges ont, à la demande de la société Cuisines Danet, écarté des débats le constat de l'Agence de la protection des programmes (APP) en date du 14 janvier 2008, au motif que ses agents ne sont habilités à dresser procès-verbal que pour constater certains faits de contrefaçon d'œuvres de l'esprit étrangers à la présente affaire.

Si l'APP est en effet une association ayant pour objet de défendre les auteurs, éditeurs ou producteurs de programmes informatiques et d'œuvres numériques, et si ses agents sont, en vertu de L.331-1 du Code de la propriété intellectuelle, habilités à dresser des constats de contrefaçon de droits d'auteur mettant en uvre des logiciels, il demeure qu en matière de contrefaçon de marque, la preuve des actes invoqués peut être rapportée par tous moyens, de sorte que rien n'interdit à la partie qui s'en prétend victime de produire comme moyen de preuve un constat dressé sur sa demande par un agent de l'APP, quand bien même celui-ci serait intervenu dans un litige ne relevant pas du champ de compétence de l'agence.

Il sera simplement précisé que ce constat est soumis à la discussion des parties et qu'en l'espèce, la partie adverse est recevable à apporter la preuve contraire.

Les attestations de monsieur P. et des époux B. n'ont pas davantage à être rejetées des débats aux seuls motifs que la première émane d'un salarié de la société JLD Cuisines et que la seconde n'a pas été établie dans les formes prévues par l'article 202 du Code de procédure civile.

Les règles de forme précitées ne sont en effet pas prescrites à peine de nullité, et aucune disposition légale ne frappe, par principe, le salarié d'incapacité de témoigner en justice en faveur de son employeur, la règle selon laquelle nul ne peut se constituer une preuve à lui-même interdisant au juge de se fonder exclusivement sur le témoignage émanant d'une partie mais ne l'empêchant pas, pour statuer sur une action en concurrence déloyale opposant deux sociétés commerciales où la preuve est libre, de retenir, si elle est confortée par d'autres éléments de preuve et si les circonstances dans lesquelles elle a été établie offrent des garanties acceptables, l'attestation du salarié d'une partie.

Il appartiendra en définitive à la Cour d'apprécier, notamment au regard des autres éléments de preuve produits, si ces attestations, dont l'origine ou la forme sont certes critiquables, présentent néanmoins des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.

Sur la demande reconventionnelle en annulation de marque

La société JLD Cuisines et les consorts D. sollicitent reconventionnellement, sur le fondement de l'article L.711-4-g du Code de la propriété intellectuelle prohibant l'adoption à titre de marque d'un signe portant atteinte à un nom patronymique, l'annulation de l'enregistrement de la marque Cuisines Danet .

Si la société JLD Cuisines n'est, comme le soutient pertinemment la société Cuisines Danet, titulaire d'aucun droit sur le nom considéré, les consorts D. ont intérêt et qualité pour agir en défense des droits attachés à leur patronyme.

Ces derniers font en outre à juste titre valoir qu'ils ne peuvent être regardés comme ayant toléré l'usage de cette marque durant plus de 5 ans, dès lors que, s'ils ne pouvaient ignorer cet usage à titre de dénomination commerciale pour avoir cédé le 25 juillet 1996 le contrôle d'une société ainsi dénommée, rien ne démontre qu'ils aient eu connaissance, avant que la société JLD Cuisines ne soit assignée en contrefaçon, du dépôt de cette dénomination sociale à titre de marque.

#2 La forclusion de l'article L.714-3 du Code de la propriété intellectuelle n'est donc pas encourue, de sorte que la demande reconventionnelle en annulation de marque est recevable.

Pour autant, la société Cuisines Danet ne peut être considérée comme ayant, en déposant sa dénomination sociale à titre de marque, porté atteinte au nom patronymique des appelants, dès lors que ceux-ci avaient précisément autorisé, lors de la cession de contrôle de cette société, l'usage de leur nom à des fins commerciales et industrielles.

En effet, aux termes du protocole de vente des actions de la société Danet en date du 25 juillet 1996, les cédants, dont notamment Jean-Luc et Grégory D., ont déclaré :

Après réalisation des cessions d actions, la société (cédée) pourra librement et exclusivement utiliser à des fins commerciales ou industrielles le nom de D., sans autres limites que celles prévues par les lois en vigueur.

Monsieur et madame D. ayant manifesté leur soucis de ne pas voir leur nom terni par les effets d'une procédure dont la société anonyme viendrait à faire l'objet, il est convenu que l'usage du nom ci-dessus est libre, sauf en cas de difficulté de la société entraînant la mise en redressement judiciaire de la société Danet.

Dans ce cas, le cessionnaire prend l'engagement ferme et irrévocable de procéder à un changement de dénomination sociale de nature à ne pas ternir le nom D.'.

Il s'en déduit que les consorts D., anciens actionnaires et dirigeants de la société Cuisines Danet, ont expressément autorisé cette dernière à utiliser leur patronyme sans autre restriction que d'en faire une utilisation à des fins industrielles et commerciales, de se conformer à la loi, et de ne pas avilir la réputation de leur nom par une déconfiture.

En outre, la société JLD Cuisines ne peut prétendre, pour dénier à la société Cuisines Danet le droit de déposer sa dénomination sociale à titre de marque, que les dispositions de l'acte de cession d'actions doivent s'interpréter comme ne conférant au cessionnaire aucun droit exclusif à l'usage de ce nom au delà d'un délai de 5 ans, dès lors que, d'une part, l'utilisation de l'adverbe exclusivement dans la clause précitée se rapporterait, non à l autorisation d'usage (exclusif) du nom, mais à ses modalités (exclusivement commerciales) d'utilisation, et que, d'autre part, les clauses de non concurrence imposées à Jean-Luc et Grégory D. ne limitaient l'interdiction de l'usage de leur nom patronymique pour une activité de cuisiniste que pour un durée de 5 années à compter de la cession.

#3 En effet, la cession d'actions du 25 juillet 1996 opérait en toute hypothèse un transfert irréversible de l'usage du patronyme constituant la dénomination sociale de la société cédée qui interdisait nécessairement aux cédants, sauf à évincer le cessionnaire dans des droits qu'il avait régulièrement acquis, de s'opposer à l'usage par la société cédée de leur patronyme à des fins commerciales ou industrielles.

Ainsi, ce libre usage industriel et commercial du nom patronymique des cédants englobait de toute évidence son enregistrement à titre de marque, une telle opération ne relevant, contrairement à ce que soutiennent les appelants, que de l'exercice du droit d'usage de ce nom et non d'un acte de disposition.

Enfin, les consorts D. n'établissent en rien que le dépôt de la marque Cuisines Danet aurait porté atteinte à leurs droits patronymique au sens de l'article L 711-4-g du Code de la propriété intellectuelle, dès lors que ce nom n'est pas notoirement connu, que sa relative et locale notoriété ne résulte au demeurant que de l'activité de la société Danet elle-même, et que, partant, il ne saurait exister de risque de confusion entre cette société et les personnes portant ce patronyme.

Il en résulte qu'en déclarant dans le protocole de cession d'actions du 25 juillet 1996 que la société cédée pourrait librement faire usage de leur nom patronymique à des fins industrielles et commerciales, les consorts D. ont autorisé toutes formes d'exploitation commerciale de leur nom admises par la loi, en ce compris son dépôt à titre de marque pour désigner des produits ou service en rapport avec l'activité de la société cédée, peu important que cette opération particulière n'ait pas été expressément consentie par les cédants.

Les premiers juges ont donc pertinemment rejeté la demande reconventionnelle en annulation de la marque Cuisines Danet .

Sur l'action en contrefaçon de marque

Il résulte des articles L.713-3-b et L.713-6-b du Code de la propriété intellectuelle que l'imitation d'une marque pour désigner des produits ou des services identiques à ceux désignés par la marque déposée constitue, s'il en résulte un risque de confusion, une contrefaçon, sauf lorsque l'utilisation d'un signe similaire est le fait d'un tiers de bonne foi employant son nom patronymique.

En l'occurrence, il est fait reproche à la société JLD Cuisines d'avoir fait figurer sur son site Internet, sur les pages jaunes de l'annuaire téléphonique ainsi que sur des encarts publicitaires publiés dans la presse, les mentions suivantes :

J. Cuisines

Grégory D.

Cuisines

Concept et Agencement

Ou encore :

J.

Cuisines

Concept et Agencement

Grégory D.'.

#4 Contrairement à ce que soutiennent les appelants, la mention du nom du gérant de la société JLD Cuisines ne constitue nullement une référence nécessaire destinée à identifier un contact au sein de la société JLD Cuisines, comme ce fut le cas dans une insertion publicitaire antérieure où la mention contact : Jean-Luc D. figure en lettres minuscules sur une partie marginale de l'encart, mais fait corps avec la dénomination sociale J. Cuisines et l'enseigne commerciale Concept et Agencement .

L'usage du nom D. avait en réalité bien pour objet de permettre à la clientèle à laquelle l'appelante s'adressait d'identifier l'origine des produits et services qu'elle commercialise.

Il n'est donc pas douteux que la société JLD Cuisines se livre à une imitation de la marque Cuisines Danet en reprenant de manière ostensible, sur son site Internet et dans sa communication publicitaire, les éléments verbaux D. et cuisines .

Il est en outre incontestable que la société JLD Cuisines commercialise des produits et exécute des prestations strictement identiques aux produits et services désignés par la marque de la société Cuisines Danet.

Et, il est par ailleurs démontré que l'imitation de cette marque crée un risque de confusion dans l'esprit du public.

En effet, le nom D. constitue l'élément distinctif de la marque Cuisines Danet puisque, aux plans visuel, phonétique et conceptuel, il est le seul élément à présenter un caractère strictement arbitraire, le mot cuisine n'étant que simplement descriptif des produits et services désignés dans le dépôt.

En outre, bien que faiblement distinctive, la reprise du mot cuisines dans la communication commerciale de la société JLD Cuisines renforce le risque de confusion, car l'association ostensible des deux termes conduit un consommateur d'attention moyenne n'ayant pas la marque imitée sous les yeux à opérer un lien entre le patronyme D. et les produits et services commercialisés par chacune des parties auxquels il va donc attribuer une origine commune.

Le dépôt de la marque de l'intimée sous une forme semi-figurative, au demeurant banale et sans notoriété particulière, ainsi que l'association, dans la communication commerciale de l'appelante, du nom D. à sa dénomination sociale (J.), à son enseigne commerciale (concept & agencement) et au prénom de son gérant (Grégory), ne constituent nullement des facteurs pertinents de natures à écarter tout risque de confusion, alors que l'impression d'ensemble produite par chacun des signes en présence est largement dominée par le patronyme D. qui, en raison de son caractère hautement distinctif et de son association ostensible avec le mot cuisines, descriptif des produits et services offerts par chacune des parties, entraîne le public à se méprendre sur l'origine de ceux-ci.

De même, le constat de l'APP ne permet nullement d'établir l'absence de tous risques de confusion, alors que ces constatations se bornent à mesurer des risques en lien avec l'utilisation d'un moteur de recherche sur l'Internet, qu'elles sont partiellement démenties par le constat d'huissier du 18 mai 2008 qui révèle que la requête Grégory D. permet de faire un lien avec la société JLD Cuisines, et que, surtout, le risque de confusion ne se limite pas à cet usage de l'Internet mais résulte aussi de l'imitation de la marque de l'intimée dans les pages jaunes de l'annuaire ainsi que dans sa communication publicitaire par voie de presse.

La société JLD Cuisines ne peut enfin être regardée comme un tiers ayant, de bonne foi, fait usage du nom patronymique de son gérant, alors que la confusion entre les deux entreprises a, de toute évidence, été sciemment recherchée dans le but d'amener le consommateur à se méprendre sur l'origine des produits et services en cause.

À cet égard, il sera d'abord observé que la mention du nom de son gérant sur son site Internet et dans sa communication, selon une disposition et un graphisme intégrant ostensiblement celui-ci à sa dénomination sociale et à son enseigne commerciale, ne répondait à aucune nécessité technique ou commerciale avérée.

Il convient également de souligner que l'imitation de la marque de la société Cuisines Danet avait pour objet de concurrencer directement l'intimée sur le même marché et dans la même zone de chalandise, les deux entreprises exerçant une activité identique de cuisiniste dans le Morbihan.

Enfin, il y a lieu de rappeler que les consorts D. ont, lors de la cession du contrôle de la société Danet, expressément autorisé toutes formes d'exploitation commerciale de leur patronyme admises par la loi, ce qui impliquait le droit de déposer sa dénomination, sociale à titre de marque pour désigner des produits ou service en rapport avec l'activité de la société cédée, de sorte que, à supposer même que le protocole du 25 juillet 1996 dût s'interpréter comme limitant à 5 ans l'engagement contractuel des cédants de ne pas utiliser leur nom pour exercer une activité analogue à celle de la société cédée, ils ne pouvaient, en toute hypothèse, faire usage de ce nom de bonne foi dans des circonstances telles qu'elles ne pouvaient que créer un risque de confusion dans l'esprit du public.

Il se déduit de ce qui précède que la société JLD Cuisines a bien imité la marque de la société Danet Cuisines en utilisant le nom patronymique de son gérant dans des circonstances ayant porté atteinte à cette maqrue en créant sciemment un risque de confusion dans l'esprit des consommateurs relativement à l'origine des produits et des services identiques commercialisés par les parties.

Les premiers juges ont donc à juste titre décidé que la société JLD Cuisines avait commis des actes de contrefaçon de marque et lui a à bon droit fait interdiction de faire usage du nom patronymique D. pour l'exercice de son activité, sauf pour signer actes et courriers ou pour identifier le gérant sur des cartes de visites, sous astreinte de 2.500 euros par infraction constatée.

À ce sujet, la Cour considère qu'il n'y a pas lieu de réserver le contentieux de la liquidation de cette astreinte.

Ils ont aussi à juste titre ordonné la publication de la décision dans deux revues ou journaux ainsi qu'en page d'accueil du site Internet de la société JLD Cuisines, ces mesures de publicité étant indispensables à la réparation de l'entier préjudice de la société Cuisines Danet.

#5 Ces actes de contrefaçon ont d'autre part causé une atteinte à la marque de la société Cuisines Danet.

Outre le préjudice moral et d'image résultant de l'atteinte à sa marque, celle-ci est en effet fondée à obtenir réparation du préjudice économique résultant des gains qu'elle a manqués ou des bénéfices que la société JLD Cuisines a réalisés du fait de la confusion provoquée par l'imitation de la marque.

Toutefois, la Cour observe que la société Cuisines Danet demande, à titre d'alternative, que son préjudice soit forfaitairement réparé par l'allocation de dommages-intérêts d'un montant équivalent aux redevances qu'elle aurait perçues si la société JLD Cuisines avait licitement utilisé sa marque en sollicitant une licence.

À cet égard, compte tenu du chiffre d'affaires moyen annuellement réalisé par la société JLD Cuisines et du taux de redevance de licence de marque proposé par la société Danet Cuisines sans être utilement réfutée, le montant annuel de la redevance éludée ressort à 10.000 € .

Il est en effet normal que la redevance soit assise sur la totalité du chiffre d'affaires, en ce compris celui réalisé grâce aux prestations d'agencement, dès lors que cette activité n'est que l'accessoire de l'activité principale de cuisiniste, que les produits et services offerts par chacune des ces deux activités sont similaires, et que cette activité accessoire a donc profité du caractère attractif de la marque imitée.

Cependant, il est excessif de calculer le montant des dommages-intérêts représentatifs des redevances éludées sur 5 ans à compter de 2003, année de création de la société JLD Cuisines, alors que les actes de contrefaçon avérés n'ont commencé que postérieurement qu'en 2005, année au cours de laquelle Grégory D. a succédé à son père dans les fonctions de gérant de la société JLD Cuisines, étant à ce sujet rappelé que le fait pour Jean-Luc D. d'avoir fait figurer la mention contact : Jean-Luc D. en marge d un encart publicitaire n'a pas été jugé constitutif d'un fait d'imitation de marque, et qu'il n'est d'autre part pas utilement discuté que les actes de contrefaçon ont cessé au cours de l'année 2008.

En conséquence, le préjudice économique souffert par la société Cuisines Danet sera exactement réparé par l'allocation de dommages-intérêts d'un montant de 30.000 euros, le jugement attaqué étant réformé en ce sens.

Sur les demandes réciproques en concurrence déloyale

La société Cuisines Danet agit aussi contre la société JLD Cuisines en concurrence déloyale, faisant à cet égard valoir que l'utilisation du patronyme D. dans sa communication commerciale procédait, outre d'une contrefaçon de marque, d'une usurpation de dénomination sociale et d'enseigne commerciale.

Cependant, s'il est constant que la marque Cuisines Danet est aussi utilisée par l intimée comme dénomination sociale et enseigne commerciale, la reprise par la société JLD Cuisines du nom D. ne saurait être regardée comme susceptible de constituer des faits distincts de contrefaçon par imitation de marque et de concurrence déloyale par usurpation de dénomination sociale ou d'enseigne commerciale, alors qu'en l'espèce le risque de confusion entre les deux entreprises provoqué l'usurpation de dénomination ou d'enseigne se confond strictement avec le risque de confusion sur l'origine des produits et services généré par l'imitation de la marque éponyme.

Au demeurant, la société Cuisines Danet ne réclame pas d'indemnisation des actes de concurrence déloyale distincte de celle sollicitée au titre de la contrefaçon.

La société JLD Cuisines fait de son côté grief à la société Cuisines Danet de s'être livrée à des actes de concurrence déloyale par dénigrement de son entreprise auprès de sa clientèle ou de ses partenaires commerciaux.

La circonstance qu'un collaborateur de la société intimée ait établi une note décrivant les désordres affectant une cuisine posée par l'appelante chez les époux G. n'est pas, en elle-même, constitutive d'un acte de concurrence déloyale si le constat de malfaçon, établi à la demande des maîtres de l'ouvrage, est objectif et exempt d'intention malicieuse.

Les époux B. affirment par ailleurs que la société Cuisines Danet aurait montré à d'autres clients des clichés photographiques de malfaçons affectant les travaux de la société JLD Cuisines dans le but de les convaincre de ne pas contracter avec celle-ci, mais leur attestation, produite dans des formes méconnaissant les dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile, ne fait que rapporter les propos d'un tiers, qui les a d'ailleurs niés dans une contre-attestation, de sorte que ce témoignage ne présente pas de garantie suffisante pour asseoir la conviction de la Cour.

De même, s'il ressort des attestations de Messieurs H. et Bigorgne que la société Cuisines Danet a contraint ces deux poseurs sous-traitants à choisir entre travailler pour le compte de l'appelante ou de l'intimée, cette dernière soutient sans être utilement réfutée qu'elle a constitué un réseau de poseurs exclusifs, de sorte qu'il ne peut lui être fait grief d'avoir veillé au respect de cette exclusivité.

Enfin, s'il ressort de la sommation interpellative d'huissier du 12 février 2008 et de l'attestation de monsieur P. que l'organisateur du salon de l'habitat de Loudéac a, sur une intervention de la société Cuisines Danet, contacté la société JLD Cuisines pour obtenir sa renonciation à participer à cette manifestation commerciale, il n'est pas suffisamment établi que l'appelante ait elle-même exercé des pressions ou se soit livrée à un dénigrement de son concurrent pour obtenir l'éviction de celui-ci, le courrier adressé à l'organisateur du salon se bornant à exiger, de manière légitime, que la société JLD Cuisines ne fasse pas usage du patronyme D. au cours de cette manifestation.

Au demeurant, il n'est pas discuté que l'appelante a en définitive pu participer à ce salon des 9 et octobre février 2008, et rien ne démontre que l'absence d'invitation au salon suivant soit imputable à des actes de dénigrement de la société Cuisines Danet.

Il s'en déduit que les premiers juges ont à juste titre rejeté la demande reconventionnelle en concurrence déloyale de la société JLD Cuisines.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La société JLD Cuisines, qui succombe en l'essentiel de ses prétentions, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel.

Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de la société Cuisines Danet l'intégralité des frais exposés par elle à l'occasion de l'instance d'appel et non compris dans les dépens, en sorte qu'il lui sera alloué une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Dit n'y avoir lieu d'écarter des débats le constat de l'APP du 14 janvier 2008 ainsi que les attestations de monsieur P. et des époux B. ;

Infirme le jugement rendu le 3 février 2009 par le tribunal de grande instance de Vannes en ce qu'il a jugé les consorts D. irrecevables à agir en annulation de la marque Cuisines Danet et fixé le montant des dommages-intérêts alloués à la société

Cuisines D. à 50.000 euros ;

Dit que l'action reconventionnelle des consorts D. en annulation de la marque Cuisines Danet est recevable mais mal fondée, et les en déboute ;

Condamne la société JLD Cuisines à payer à la société Cuisines Danet la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts ;

Confirme le jugement attaqué en ses autres dispositions ;

Y additant, déboute la société Cuisines Danet de son action en concurrence déloyale ;

Condamne la société JLD Cuisines à payer à la société Cuisines Danet une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Déboute les parties de toutes autres demandes contraires ou plus amples ;

Condamne la société JLD Cuisines aux dépens d'appel ;

Accorde à la société civile professionnelle BREBION et CHAUDET, avoués associés, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;