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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 16 mars 2021, n° 20/05071

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Haras de Sainte Gemme (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Valay-Brière

Conseillers :

Mme Baumann, Mme Bonnet

TGI Versailles, du 13 oct. 2020, n° 18/0…

13 octobre 2020

La SARL Haras de Sainte Gemme, dirigée par M. X, exploite un fonds de commerce d'école d'équitation, de pension d'équidés et de poney club.

M. Y, auparavant cogérant et toujours associé de cette société à hauteur de 33,33 % du capital social, est également le dirigeant de la SCI Sainte Gemme, bailleresse de la société Haras de Sainte Gemme dans le cadre d'un bail à ferme régularisé le 1er novembre 2011, pour une durée de 9 ans.

Plusieurs contentieux judiciaires ont opposé et opposent encore ces deux sociétés.

Par jugement du 13 décembre 2018, le tribunal judiciaire de Versailles, sur déclaration de cessation des paiements, a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Haras de Sainte Gemme et a désigné la Selarl AJ associés (société AJA) et la Selarl JSA en qualité respectivement d'administrateur et de mandataire judiciaires.

Par jugement contradictoire assorti de l'exécution provisoire du 13 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Versailles, saisi d'un projet de plan de la société Haras de Sainte Gemme, a :

- arrêté le plan de redressement judiciaire de la société Haras de Sainte Gemme ;

- donné acte des délais et remises des pénalités, majorations et abandons de créances consentis tacitement ou expressément par les créanciers ;

- dit que les créances inférieures à 500 euros devront être payées dès le jugement, à hauteur de 2 444,20 euros ainsi que la créance superprivilégiée de 1 079,31 euros ;

- dit que les autres créances seront payées en sept annuités selon les modalités fixées au dispositif, le premier règlement s'effectuant avant le 13 octobre 2021 ;

- dit que les règlements seront annuels à chaque anniversaire du plan ;

- prononcé pour la durée du plan, l'inaliénabilité de l'exploitation de la société Haras de Sainte Gemme ;

- mis fin à la mission de l'administrateur judiciaire ;

- mis fin à la mission du mandataire judiciaire,

- désigné la Selarl AJA, prise en la personne de maître M., en qualité de commissaire à l'exécution du plan ;

- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de redressement judiciaire.

Par déclaration du 20 octobre 2020, la société Haras de Sainte Gemme a interjeté appel partiel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 25 novembre 2020, la société Haras de Sainte Gemme demande à la cour de :

- la recevoir en son appel et la déclarer bien fondée ;

- réformer partiellement le jugement en ce qu'il a rejeté la proposition alternative de plan de redressement liée à une augmentation de son capital ;

Statuant à nouveau,

- prévoir une clause d'accélération de remboursement du plan de redressement adopté par le tribunal, dans le cadre de la réalisation de l'opération de modification du capital suivant les conditions et modalités détaillées à l'article III 4 du projet de plan de redressement et dans ce cadre :

(I) prendre acte de la proposition alternative de plan de redressement ainsi formulée par le dirigeant à titre de clause d'accélération ;

(II) prendre acte de l'engagement pris par Mme A, future nouvelle associée, à ce titre ;

(III) décider en application des dispositions de l'article L. 626-3 du code de commerce, que l'assemblée générale qui statuera sur les modifications statutaires résultant de cette opération de modification de son capital social statuera sur première convocation à la majorité des voix dont disposent les associés présents ou représentés dès lors que ceux-ci possèdent au moins la moitié des parts ayant le droit de vote, permettant ainsi un vote de l'assemblée générale sur cette opération de modification du capital social à la majorité simple des associés ;

- donner mission à l'administrateur judiciaire, en application de l'article L. 631-9-1 du code de commerce, de demander en cas de refus de l'augmentation du capital, la désignation d'un mandataire en justice, afin de convoquer l'assemblée compétente et de voter sur la reconstitution du capital à hauteur du minimum prévu par le même article, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à respecter le plan ;

- confirmer le jugement pour le surplus ;

- statuer ce que de droit sur les dépens.

A l'appui de ses conclusions, la société Haras de Sainte Gemme, sur le fondement des articles L. 626-1 à L. 626-3 et L. 626-10 du code de commerce, applicables au redressement judiciaire, demande à la cour de réformer le jugement en ce qu'il a rejeté à tort la proposition alternative de plan de redressement, laquelle consiste à mettre en oeuvre une augmentation du capital social à hauteur de 97 500 euros apportée par un nouvel associé, suivie d'une réduction du capital du même montant par absorption des pertes, ramenant le capital à sa valeur d'origine. Elle souligne que cette proposition alternative au plan d'apurement sur sept années se justifie du fait des contentieux en cours avec son bailleur qui représentent un aléa important sur l'avenir de l'exploitation du fonds de commerce et que dans ce contexte, ce projet qui permettrait de reconstituer des capitaux propres, dans l'intérêt de la sauvegarde de l'entreprise, garantirait également la bonne exécution du plan par le paiement du passif et sécuriserait le paiement des créanciers, limitant aussi le risque de blocage des décisions importantes pour l'avenir de la société.

L'appelante critique la motivation du tribunal sur le rejet de la solution alternative sur laquelle pourtant le mandataire judiciaire comme le juge-commissaire et le ministère public avaient émis un avis favorable, observant que le tribunal n'a pas tiré les conséquences de la mésentente entre associés qui est une des difficultés essentielles et a omis de faire application des dispositions de l'article L. 626-3 qui permettent, en cas de conflit entre associés, de déroger aux règles de majorité prévues par les statuts.

Elle précise enfin avoir convoqué les associés à une assemblée générale extraordinaire après le jugement afin qu'il puisse être délibéré sur l'augmentation de capital proposée dans le cadre du plan de redressement mais qu'elle s'est heurtée, avant même la tenue de l'assemblée à laquelle il ne s'est pas présenté, à l'opposition de M. Y, le différend qui les oppose étant de nature à nuire à la survie de l'entreprise et à la bonne exécution de son plan de redressement.

La Selarl AJA et la Selarl JSA, chacune ès qualités, dans leurs dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 11 décembre 2020, demandent à la cour de :

- les recevoir en leurs conclusions ;

- réformer le jugement en ce qu'il a rejeté la proposition alternative de plan de redressement liée à une augmentation du capital de la société Haras de Sainte Gemme ;

Statuant à nouveau,

- prévoir, en sus des dispositions du plan arrêté, une clause d'accélération de remboursement du plan de redressement adopté par le tribunal, dans le cadre de la réalisation de l'opération de modification du capital suivant les conditions et modalités détaillées à l'article III 4 du projet de plan de redressement de la société Haras de Sainte Gemme et dans ce cadre :

* prendre acte de la proposition alternative de plan de redressement formulée par le dirigeant à titre de clause d'accélération ;

* prendre acte de l'engagement pris par Mme A, future nouvelle associée, à ce titre ;

* décider en application des dispositions de l'article L. 626-3 du code de commerce, que l'assemblée générale qui statuera sur les modifications statutaires résultant de cette opération de modification du capital social de la société Haras de Sainte Gemme statuera sur première convocation à la majorité des voix dont disposent les associés présents ou représentés dès lors que ceux-ci possèdent au moins la moitié des parts ayant le droit de vote, permettant ainsi un vote de l'assemblée générale sur cette opération de modification du capital social à la majorité simple des associés ;

* donner mission à l'administrateur judiciaire, en application de l'article L. 631-9-1 du code de commerce, de demander en cas de refus de l'augmentation du capital, la désignation d'un mandataire en justice, afin de convoquer l'assemblée compétente et de voter sur la reconstitution du capital à hauteur du minimum prévu par le même article, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à respecter le plan ;

- confirmer pour le surplus le jugement rendu ;

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Les organes de la procédure, après avoir rappelé les procédures judiciaires engagées entre la société Haras de Sainte Gemme et sa bailleresse, la société Sainte Gemme, exposent que si la société Haras Sainte Gemme a retrouvé une exploitation bénéficiaire grâce à la diminution du montant des loyers, celle-ci n'est pas acquise définitivement en l'état des procédures en cours et au gel des prêts en cours, que les résultats, en l'absence des produits exceptionnels résultant du jugement du 17 décembre 2019 qui est contesté en appel, sont en l'état insuffisants pour assurer la reconstitution des capitaux propres et que l'apurement du plan peut être impacté par le risque de perte du bail. Ils ajoutent qu'il est apparu au cours de la période d'observation que la société Sainte Gemme n'entend pas favoriser une solution amiable avec sa locataire puisque outre qu'elle ne s'est pas présentée à une réunion organisée par l'administrateur, elle a fait délivrer à sa locataire un commandement de payer les loyers et un congé pour reprise ; que c'est dans ce contexte qu'il a donc été proposé la solution alternative prévue au projet de plan, ce qui permettrait tout à la fois de reconstituer des capitaux propres, de payer le montant du passif dans l'année de l'opération ou à tout le moins, de réduire les délais de paiement des créanciers.

Ils en concluent que cette solution, permettant un paiement plus rapide des créanciers et la sauvegarde des intérêts de l'appelante, est de nature à favoriser les objectifs édictés par l'article L. 631-1 du code de commerce.

Dans son avis écrit notifié par RPVA le 23 décembre 2020, le ministère public a demandé à la cour de confirmer le jugement.

A l'audience et au regard des éléments qui y ont été développés tant par l'appelante que par les organes de la procédure, il s'est dit néanmoins favorable à la solution alternative proposée en complément du plan en sept annuités, homologué par le tribunal.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 janvier 2021.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Aucun moyen n'étant soulevé ou susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer recevable l'appel partiel de la société Haras de Sainte Gemme.

Selon l'article L. 626-1 alinéa 1 du code de commerce applicable, de même que les dispositions ci-après énumérées, au plan de redressement par renvoi de l'article L. 631-19 du même code, lorsqu'il existe une possibilité sérieuse pour l'entreprise d'être sauvegardée, le tribunal arrête dans ce but un plan qui met fin à la période d'observation.

Conformément à l'article L. 626-2, le projet de plan, proposé par le débiteur avec le concours de l'administrateur, détermine les perspectives de redressement en fonction des possibilités et des modalités d'activités, de l'état du marché et des moyens de financement disponibles. Il définit les modalités de règlement du passif et les garanties éventuelles que le débiteur doit souscrire pour en assurer l'exécution.

Selon l'article L. 626-3, lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital, le tribunal peut décider que l'assemblée compétente statuera sur les modifications statutaires, sur première convocation, à la majorité des voix dont disposent les associés ou actionnaires présents ou représentés, dès lors que ceux-ci possèdent au moins la moitié des parts ou actions ayant le droit de vote. Sur deuxième convocation, il est fait application des dispositions de droit commun relatives au quorum et à la majorité.

Si du fait des pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social, l'assemblée est d'abord appelée à reconstituer ces capitaux à concurrence du montant proposé par l'administrateur et qui ne peut être inférieur à la moitié du capital social. Elle peut également être appelée à décider la réduction et l'augmentation du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à exécuter le plan.

Les engagements pris par les actionnaires ou associés ou par de nouveaux souscripteurs sont subordonnés dans leur exécution à l'acceptation du plan par le tribunal.

Enfin, conformément à l'article L. 626-10, le plan de redressement, comme le plan de sauvegarde, désigne les personnes tenues de l'exécuter et mentionne l'ensemble des engagements qui ont été souscrits par elles et qui sont nécessaires à la sauvegarde de l'entreprise. Ces engagements portent sur l'avenir de l'activité, les modalités du maintien et du financement de l'entreprise, le règlement du passif soumis à déclaration ainsi que, s'il y a lieu, les garanties fournies pour en assurer l'exécution.

Le projet de plan de redressement établi par l'administrateur judiciaire, après avoir notamment rappelé la situation de la société appelante, souligne que la procédure collective a été marquée par plusieurs contentieux avec sa bailleresse, la société Sainte Gemme, dont il fait le rappel détaillé ; après une première procédure en référé, la cour d'appel est toujours saisie de l'appel du jugement du tribunal paritaire des baux ruraux du 17 décembre 2019, relatif notamment à la remise en état des lieux loués et au montant du loyer ; le congé, délivré à l'initiative du bailleur par acte d'huissier du 24 avril 2019 pour la fin du bail prévue le 30 octobre 2020 et contesté par la locataire, fait aussi l'objet d'une procédure judiciaire, après une conciliation qui a échoué et fait peser un risque sur la poursuite du contrat de bail.

En outre, le dirigeant de la société bailleresse étant également associé de la société appelante, à hauteur d'un tiers du capital social, il existe, compte tenu des conflits opposant ces deux sociétés, de réelles difficultés pour la prise de décisions nécessitant un vote des associés à la majorité qualifiée. La tentative de la société Haras de Sainte Gemme de faire voter les associés, lors d'une assemblée générale extraordinaire prévue le 20 novembre 2020, ayant pour objet l'augmentation du capital social prévue dans l'alternative non admise par le tribunal, a d'ailleurs échoué ; M. Y, dirigeant de la société bailleresse et associé de la société locataire, a refusé cette augmentation de capital par courrier du 18 novembre 2020 et n'a pas participé à l'assemblée.

Enfin, si l'administrateur a noté, dans le bilan qu'il a fait de la situation de la société au cours de la période d'observation, qu'en 2020 celle-ci a de nouveau connu un résultat d'exploitation bénéficiaire, il a aussi précisé que cette situation résultait en particulier de la réduction des loyers comptabilisée à compter de janvier 2020 suite à la décision du tribunal paritaire des baux ruraux dont il a été relevé appel. De plus, il ressort du projet de plan et des explications données que l'apurement en sept annuités du passif nécessite que la société poursuive son exploitation, ce qui suppose que son contrat de bail puisse toujours s'exécuter, ce qui est soumis à un aléa certain tant que la procédure relative au congé délivré par la société bailleresse n'a pas pris fin.

Etant observé que l'augmentation de capital proposée aura la même incidence à l'égard des trois associés de la société appelante, il ressort des éléments recueillis par l'administrateur qu'elle permettra l'apurement du passif vérifié, d'un montant total de 161 040 euros, en une année, remédiant ainsi au risque consécutif à la perte du bail.

Dans ces conditions, infirmant le jugement, il convient de retenir, avec l'accord des organes de la procédure et en plus des mesures de règlement adoptées par le tribunal, la mesure alternative proposée par la société appelante, laquelle s'inscrit dans les objectifs fixés par l'article L. 631-1 précité.

Il n'y a pas lieu de confirmer le jugement pour le surplus de ses dispositions dans la mesure où la cour n'est saisie de l'appel du jugement qu'en ce qu'il "a rejeté la proposition alternative de plan de redressement liée à une augmentation de capital".

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire, dans la limite de l'appel,

Déclare la société Haras de Sainte Gemme recevable en son appel partiel ;

Infirme le jugement du 13 octobre 2020 en ce qu'il n'a pas retenu la proposition alternative de plan, proposée en complément du règlement en sept annuités des créances ;

Statuant à nouveau de ce seul chef,

Prévoit, en sus des dispositions du plan, une clause d'accélération de remboursement du plan de redressement adopté par le tribunal, dans le cadre de la réalisation de l'opération de modification du capital suivant les conditions et modalités détaillées à l'article III 4 du projet de plan de redressement de la société Haras de Sainte Gemme ;

Prend acte de l'engagement de Mme A, future nouvelle associée ;

Dit qu'en application des dispositions de l'article L.626-3 du code de commerce, l'assemblée générale, s'agissant des modifications statutaires résultant de cette opération de modification du capital social de la société Haras de Sainte Gemme, statuera sur première convocation à la majorité des voix dont disposent les associés présents ou représentés dès lors que ceux-ci possèdent au moins la moitié des parts ayant le droit de vote, permettant ainsi un vote de l'assemblée générale sur cette opération de modification du capital social à la majorité simple des associés ;

Donne mission à l'administrateur judiciaire, en application de l'article L.631-9-1 du code de commerce, de demander en cas de refus de l'augmentation du capital, la désignation d'un mandataire en justice chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter sur la reconstitution du capital à concurrence du montant proposé par l'administrateur, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à respecter le plan ;

Dit qu'en application de l'article R.661-7 du code de commerce le présent arrêt sera transmis au greffe du tribunal judiciaire de Versailles qui accomplira les publicités prévues à l'article R. 621-8 du même code ;

Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.