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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 28 juin 2011, n° 10/19746

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Bernard (ès qual.)

Défendeur :

Uniross (SA), Marchier (ès qual.), SCP Valliot Le Guerneuve Abitbol (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maestracci

Conseillers :

Mme Moracchini, Mme Delbes

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Huyghe

Avocats :

Me Charlery, Me Boulanger

CA Paris n° 10/19746

27 juin 2011

Vu le jugement rendu le 15 juin 2009 par le tribunal de commerce de Meaux qui a arrêté le plan de sauvegarde de la société UNIROSS SA et désigné Maître MARCHIER et la SCP VALLIOT ET ASSOCIES en qualité de commissaires à l'exécution du plan ;

Vu la déclaration au greffe en date du 17 juillet 2009 par laquelle Monsieur Christophe ORDONNEAU, en qualité de représentant de la masse des obligataires, a formé tierce opposition à ce jugement ;

Vu le jugement du tribunal de commerce de Meaux en date du 27 septembre 2010 qui a déclaré la tierce opposition introduite par Monsieur ORDONNEAU, remplacé le 4 janvier 2010 par Monsieur BERNARD, en qualité de représentant des porteurs d'obligations remboursables en actions et en numéraire (ORA) émises par la société UNIROSS, recevable, l'a jugée mal fondée, a débouté la société UNIROSS de sa demande de dommages et intérêts et a condamné Monsieur BERNARD, ès qualités, à payer à celle-ci la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

Vu la déclaration du 8 octobre 2010 par laquelle Monsieur Antoine BERNARD a interjeté appel de cette décision ;

Vu l'arrêt de cette cour en date du 1er mars 2011 qui a confirmé le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la tierce opposition recevable et a ordonné la réouverture des débats en demandant à l'appelant de s'expliquer sur la nature de sa demande, après avoir relevé que l'appelant ne pouvait sans contradiction prétendre que le tribunal avait statué ultra petita en jugeant que la nullité n'était pas encourue pour défaut de réunion de l'assemblée générale des obligataires, tout en invoquant le non-respect des dispositions de l'article L626-3 et L228-103 du code de commerce, qui, à le supposer établi, n'apparaît pouvoir être sanctionné que par la nullité;

Vu les conclusions signifiées le 7 juin 2011 par Monsieur BERNARD, ès qualités, qui demande à la cour :

- de déclarer irrecevable l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société UNIROSS,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a statué ultra petita,

- de rétracter les dispositions du jugement du 27 septembre 2010 statuant sur le plan de sauvegarde de la société UNIROSS et relatives à l'opération de réduction de capital de cette dernière au motif qu'elles sont contraires aux dispositions des articles L228-103 et L626-3 du code de commerce,

- de débouter la société UNIROSS, la SCP VALLIOT ET ASSOCIES et Maître MARCHIER de leur appel incident,

- subsidiairement, au cas où les chefs du jugement relatifs à la validité de l'opération de réduction de capital réalisée par la société UNIROSS seraient qualifiés de non décisoires par la cour, de les dire non revêtus de l'autorité de la chose jugée,

- en tout état de cause, de condamner la société UNIROSS à lui payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions signifiées le 3 juin 2011 par la société UNIROSS, la SCP VALLIOT ET ASSOCIES et Maître MARCHIER, ès qualités, qui demandent à la cour :

- à titre principal, d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la tierce-opposition, formée par Monsieur ORDONNEAU et poursuivie par Monsieur BERNARD, recevable, en conséquence, de la déclarer irrecevable,

- à titre subsidiaire, de confirmer la décision en ce qu'elle a rejeté la tierce opposition de l'appelant et de rejeter toutes ses demandes,

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société UNIROSS en paiement de dommages et intérêts et en conséquence de condamner Monsieur BERNARD à leur payer la somme de 1 € à titre de dommages et intérêts,

- de rejeter la demande formée par l'appelant au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner celui-ci à lui verser la somme de 20.000 € sur ce fondement ;

SUR CE

Le groupe UNIROSS fabrique et commercialise des batteries destinées au grand public et aux industriels. La société holding française UNIROSS SA est la société mère du groupe.

A partir de 2006, cette société a rencontré des difficultés qui ont conduit son dirigeant à rechercher de nouveaux investisseurs.

C'est dans ce contexte que, le 31 octobre 2007, la société UNIROSS SA a émis un emprunt obligataire de 10.500.000 € constitué de 140 obligations remboursables en actions et en numéraires (ORA) d'une valeur chacune de 7.500 € remboursables en trois tranches selon les modalités suivantes:1. La tranche A, le 31 octobre 2008, à raison de 3 250 actions, 2. La tranche B, le 31 octobre 2009, à raison de 3.250 actions, 3. La tranche C, le 31 décembre 2010, en actions ou en numéraire, au choix de l' émetteur.

Les conditions d'emprunt prévoyaient que les ORA porteraient intérêt au taux de 3,50% l'an, capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code Civil et payables au terme de 1'emprunt, soit le 1er décembre 20l0.

En définitive, 105 ORA ont été souscrites par différents investisseurs pour un montant total de 7.875.000 €.

Les difficultés financières de la société UNIROSS ont persisté, et les dirigeants ne sont pas parvenus à mobiliser un refinancement à court terme. Ils ont en conséquence sollicité l'ouverture d'une procédure de sauvegarde qui a été prononcée par jugement du 20 octobre 2008.

Le 2 janvier 2009, le représentant de la masse des ORA a déclaré au mandataire judiciaire la créance des porteurs, soit la somme de 7.875.000 € pour le montant en principal des 105 obligations, et la somme de 268.828,76 € pour les intérêts courus depuis la date d'entrée en jouissance des ORA, soit le 31 octobre 2007, jusqu'au jour d'ouverture de la procédure. Les modalités de calcul des intérêts à échoir et des intérêts moratoires étaient précisées.

Cette créance a été admise par une ordonnance du juge-commissaire en date du 5 mai 2010.

Durant la période d'observation, la société EVEREADY Industria India Ltd a manifesté son intérêt pour un investissement dans le capital de la société UNIROSS mais exigé au préalable qu'UNIROSS opte pour le remboursement exclusivement en actions de la tranche C, ce qui fut fait le 14 avril 2009.

Le 14 mai 2009, un accord a été conclu avec la société EVEREADY aux termes duquel celle-ci, par l'intermédiaire de la société NOVENER, société française ad hoc, s'est engagée à investir la somme de 6 M € à la condition que la société UNIROSS procède, dans un premier temps, à une réduction du capital à zéro, et dans un second temps, à une augmentation de capital avec une suppression du droit préférentiel de souscription à son profit.

Interrogés dans le cadre du plan de sauvegarde, les porteurs d'ORA ont décidé, lors de l'assemblée générale du 29 mai 2009, d'opter pour l'option B qui prévoit le remboursement des créances à 100% sur 10 ans, sans intérêts. Lors de cette assemblée générale, il était précisé que 'si l'assemblée générale votait en faveur du coup d'accordéon exigé par EVEREADY, la réduction du capital à zéro aura pour conséquence d'annuler les ORA.'

C'est dans ces conditions que le plan de sauvegarde a été arrêté, par jugement du 15 juin 2009, sous condition résolutoire de la réalisation de l'investissement d'EVEREADY dans UNIROSS à hauteur de 6 M €, par l'intermédiaire de la société NOVENER.

Le 17 juin 2009, le conseil d'administration de la société UNIROSS, dans le cadre des pouvoirs qui lui avaient été conférés par l'assemblée générale extraordinaire du 29 mai 2009, a procédé à une réduction de capital à zéro et décidé une augmentation de capital en numéraire selon les modalités suivantes :

- 4.500.000 €, augmentation intégralement réservée à la société NOVENER,

- 1.500.000 € avec maintien du droit préférentiel de souscription au profit des actionnaires de la société et des titulaires d'obligations remboursables en actions.

Le 3 juillet 2009, le conseil d'administration d'UNIROSS a constaté l'annulation de la totalité des ORA émises le 31 octobre 2007.

C'est dans ces conditions que le représentant des porteurs d'ORA a formé tierce opposition au jugement du 15 juin 2009 et que le jugement déféré est intervenu.

Sur la recevabilité de la tierce opposition

La question relative à la recevabilité de la tierce opposition de Monsieur BERNARD, ès qualités, a été tranchée par l'arrêt de cette cour en date du 1er mars 2011 qui a confirmé le jugement déféré en ce qu'il avait déclaré celle-ci recevable.

Il s'ensuit que l'exception d'irrecevabilité formée par la société UNIROSS est irrecevable.

Sur la demande visant à la réformation du jugement en ce qu'il a statué ultra petita

L'appelant prétend que la masse a saisi les premiers juges d'une demande tendant 'à la rétractation du jugement du 15 juin 2009 et le rejet du plan de sauvegarde de la société UNIROSS SA en ce que celui-ci a prévu une réduction du capital à zéro sans avoir recueilli l'approbation de l'assemblée des porteurs d'ORA.', qu'elle ne demandait en conséquence que l'inopposabilité à la masse des chefs du plan de sauvegarde relatifs à la réduction du capital à zéro et non sa nullité, qu'en indiquant que 'la nullité n'est pas encourue' et en statuant sur la validité de l'opération de réduction du capital à zéro, les premiers juges ont statué sur une question dont ils n'étaient pas saisis.

Les intimés répliquent que les premiers juges n'ont pas statué sur la réduction de capital mais sur le fait de savoir si la consultation des porteurs d'ORA était obligatoire ou non pour cette opération, qu'en tout état de cause il s'agit de motifs non décisoires.

L'appelant fait valoir que si le motif par lequel les premiers juges ont affirmé la validité de l'opération de réduction de capital est jugé non décisoire par la cour, il n'a pas autorité de chose jugée.

En application de l'article 5 du code de procédure civile, le juge ne peut se prononcer que sur ce qui est demandé. En l'espèce, l'appelant a soutenu devant les premiers juges, dans les conclusions récapitulatives n°3 qu'il produit devant la cour, que le défaut de consultation des créanciers obligataires devait entraîner la nullité du plan de sauvegarde. Il ne peut en conséquence sérieusement soutenir que le tribunal, en constatant dans ses motifs que la nullité n'est pas encourue par le défaut de réunion de l'assemblée générale des obligataires, a statué ultra petita.

Sur la demande principale

Le tribunal a retenu :

- que si la modification du capital social a une conséquence juridique sur les conditions dans lesquelles les obligataires vont avoir accès ou non au capital, elle ne constitue pas une modification du contrat d'émission, que les dispositions de l'article L228-103 du code de commerce ne visent que de telles modifications,

- que les obligataires subissent les conséquences d'un acte juridique des actionnaires qui s'imposent à eux comme un fait juridique, indépendamment des termes du contrat d'émission,

- que la réunion de l'assemblée des obligataires n'est pas le préalable nécessaire à la réduction de capital autorisée par l'AGE du 29 mai 2009.

L'appelant soutient qu'il est fondé à solliciter l'inopposabilité des chefs du jugement arrêtant le plan de sauvegarde qui lui font grief, qu'en l'espèce, il résulte de la combinaison des articles L228-103 et L626-3 du code de commerce que la société UNIROSS aurait dû convoquer une assemblée générale des titulaires des titres donnant accès au capital, pour autoriser l'opération et qu'elle ne l'a pas fait, qu'en ne procédant pas à l'émission de la première tranche à la date fixée, soit le 31 octobre 2008, la société UNIROSS a nécessairement modifié les conditions d'attribution des titres du capital déterminées au moment de l'émission, violant ainsi les textes susvisés, qu'en tout état de cause, il ne peut être soutenu que l'anéantissement de l'objet même du contrat d'émission n'a pas modifié ce contrat.

Sur la question posée par la cour, il fait valoir qu'il n'y a aucune contradiction dans ses demandes, qu'il n'a fait qu'user de son droit de former tierce-opposition et que cette voie de recours tend logiquement à la rétractation ou la réformation du jugement 'au profit du tiers qui l'attaque'. Il fait valoir que dès lors que le projet de plan ne prévoyait pas cette consultation de la masse pourtant exigée par l'article L626-3 du code de commerce, il devait être déclaré inopposable, comme contraire aux dispositions susvisées.

Les intimés prétendent que la masse n'avait ni à être consultée ni à autoriser l'opération. Ils font valoir:

- que Monsieur ORDONNEAU a assisté, ès qualités, à l'assemblée générale du 29 mai 2009 au cours de laquelle toutes les informations ont été données sur le projet de plan ainsi que sur ses conséquences sur la situation des porteurs d'ORA,

- que l'article L228-103 du code de commerce n'exige pas une consultation préalable de la masse avant une réduction de capital,

- qu'il est impossible de déclarer l'inopposabilité du jugement du 15 juin 2009 aux seuls tiers opposants dès lors que les dispositions de celui-ci sont indivisibles et que cela reviendrait à anéantir le plan de sauvegarde et l'investissement d'EVEREADY sur lequel il repose.

L'article L626-3 du code de commerce stipule que, lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital, les assemblées générales visées à l'article L228-3 du code de code de commerce sont convoquées 'lorsque leur approbation est nécessaire'.

Aux termes des dispositions impératives de l'article L228-103 du code de commerce, les assemblées générales des titulaires de valeurs mobilières donnant accès à terme au capital sont 'appelées à autoriser toutes modifications au contrat d'émission et à statuer sur toute décision touchant aux conditions de souscription ou d'attribution de titres de capital déterminées au moment de l'émission' .

En l'espèce, l'opération de réduction du capital à zéro et l'annulation des ORA qui s'en est suivi, touchent à l'évidence aux conditions d'attribution de titres de capital déterminées au moment de l'émission de sorte que cette opération nécessitait l'approbation préalable de l'assemblée des obligataires.

Dès lors qu'en application de l'article L228-104 du code de commerce, la violation des dispositions susvisées est sanctionnée par la nullité, la cour ne peut que prononcer la nullité des dispositions du plan, adopté par le jugement du 15 juin 2009, et entérinant les délibérations des conseils d'administration du 17 juin 2009 qui a réduit le capital de la société UNIROSS à zéro et du 3 juillet 2009 qui a constaté l'annulation consécutive de la totalité des obligations remboursables en action émises le 31 octobre 2007, sans avoir consulté préalablement l'assemblée générale des obligataires.

Il s'ensuit que le jugement déféré sera infirmé.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts

Il se déduit de ce qui précède que la demande de dommages et intérêts formée par les intimés sera rejetée.

Sur les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile

Compte tenu de la solution donnée au litige, la demande formée par la société UNIROSS au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée. Il apparaît en revanche équitable de la condamner à payer à Monsieur BERNARD, ès qualités, la somme de 5.000 € sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS,

Déclare irrecevable l'exception d'irrecevabilité de l'appel formée par la société UNIROSS,

Infirme le jugement déféré,

Prononce la nullité des dispositions du plan entérinant les délibérations des conseils d'administration du 17 juin 2009 qui a réduit le capital de la société UNIROSS à zéro et du 3 juillet 2009 qui a constaté l'annulation consécutive de la totalité des obligations remboursables en action émises le 31 octobre 2007, sans avoir consulté préalablement l'assemblée générale des obligataires,

Condamne la société UNIROSS à payer à Monsieur BERNARD, ès qualités, la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société UNIROSS aux dépens qui pourront être recouvrés selon les modalités prévues par l'article 699 du code de procédure civile.