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Décisions

ADLC, 28 juillet 2016, n° 16-DCC-120

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la création d’une entreprise commune de plein exercice entre les sociétés DCNS et Piriou

ADLC n° 16-DCC-120

27 juillet 2016

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 1er juillet 2016, relatif à la création d’une entreprise commune de plein exercice entre les sociétés DCNS SA et Piriou SAS, formalisée par un accord industriel et commercial en date du 21 mars 2016 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;

Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. La société DCNS SA (ci-après, « DCNS ») est spécialisée dans la vente de navires de combat et de soutien logistique conçus selon les normes militaires, destinés aux marines françaises et étrangères. Les activités de DCNS comprennent la conception, la réalisation et la maintenance de sous-marins, navires de surface, systèmes navals de défense et systèmes d’armements.

DCNS est également active dans le secteur de l’énergie, en particulier dans le nucléaire civil et les énergies renouvelables. DCNS est contrôlée par le groupe Thales, lui-même contrôlé conjointement par l’Etat et le groupe Marcel Dassault.

2. La société Piriou SAS est la holding du groupe Piriou (ci-après, « Piriou »). Piriou intervient dans le domaine de la construction navale dans les secteurs de la pêche artisanale ou industrielle, le remorquage, l’offshore pétrolier, les navires de service public et les navires de service. Piriou conçoit, réalise et entretient des navires conçus selon des standards civils destinés à des clients privés ou à des administrations civiles pour une utilisation industrielle ou commerciale.

3. En 2013, DCNS et Piriou ont créé une entreprise commune, Kership, pour mettre en commun leurs savoir-faire respectifs et développer une activité de construction de navires de moins de 95 mètres faiblement armés.

4. La présente opération, formalisée par un accord industriel et commercial en date du 21 mars 2016, vise à élargir le périmètre de Kership et à la doter de moyens supplémentaires.

5. Kership dispose actuellement de ressources limitées ne lui permettant pas d’exercer son activité de manière autonome. Sa force commerciale est limitée. [Confidentiel]. Kership est également dépendante de ses sociétés mères pour la réalisation des navires. [Confidentiel]. Enfin, les activités de Kership visent exclusivement le marché français, limitant ainsi les possibilités de débouchés pour l’entreprise commune. Par conséquent, Kership ne constitue pas, dans sa forme actuelle, une entreprise commune de plein exercice.

6. A l’issue de l’opération, Kership aura accès aux marchés français et étrangers. Des moyens supplémentaires, financiers et humains, lui seront affectés pour soutenir son activité, [confidentiel]. Kership sera en outre amenée à se tourner vers des fournisseurs tiers, et non plus exclusivement ses mères, en raison des spécificités des appels d’offres à l’exportation qui imposent très souvent le recours à des sous-traitants locaux. Elle disposera enfin d’un outil industriel propre, dès qu’elle aura finalisé l’acquisition en cours du chantier naval de Rohu auprès de la société STX, qui viendra ainsi achever la transformation de Kership et son émancipation vis-à-vis de ses mères.

7. En ce qu’elle se traduit par la transformation de l’entreprise commune Kership en entreprise de plein exercice, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

8. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total hors taxes sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Marcel Dassault/Thales : […] d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2015 ; Piriou : […] d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2014). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Marcel Dassault/Thales : […] d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2015 ; Piriou : […] d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2014). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

9. Kership et DCNS sont simultanément actives sur les marchés de la construction navale militaire (A). Kership, Piriou et DCNS opèrent également sur le marché aval de la réparation et maintenance de navires militaires (B).

A. LES MARCHÉS DE LA CONSTRUCTION NAVALE MILITAIRE

1. MARCHÉ DE PRODUITS

10. La pratique décisionnelle de la Commission européenne distingue plusieurs marchés de produits selon les différentes catégories de navires militaires. Elle retient ainsi des marchés distincts pour les frégates, les petits bâtiments de guerre (comprenant les corvettes, les bateaux de patrouille et autres navires de surface), les chasseurs de mines et les porte-aéronefs. Pour les autres types de navires, la Commission a également envisagé une distinction entre les navires amphibies, les navires auxiliaires et les navires d’enquête, tout en laissant la question ouverte.

11. En l’espèce, Kership et DCNS sont simultanément actives sur le marché des petits bâtiments de guerre.

2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

12. La pratique décisionnelle de la Commission retient une délimitation nationale des marchés de la construction navale militaire lorsqu’il existe une industrie nationale capable de répondre à la demande de son ministère de la défense, et un marché « reste du monde » comprenant les pays dépourvus de producteur national.

13. Au cas d’espèce, l’industrie nationale est en mesure de répondre à la demande du Ministère de la Défense. L’opération sera donc analysée au niveau national.

B. LES MARCHÉS DE LA RÉPARATION ET MAINTENANCE DE NAVIRES MILITAIRES

1. MARCHÉ DE PRODUITS

14. La pratique décisionnelle de la Commission distingue l’entretien périodique des navires, qui correspond à l’entretien courant du navire, de l’activité plus lourde de refonte des navires, visant à remettre à niveau et prolonger la vie opérationnelle d’un ancien navire. Elle a également envisagé une segmentation entre les réparations et refontes de navires complexes et celles de navires non complexes.

15. En l’espèce, Kership, Piriou et DCNS sont simultanément actives sur le marché de l’entretien périodique des navires non complexes.

2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

16. Comme pour la construction navale, la Commission5 retient une délimitation nationale des marchés de la construction navale militaire lorsqu’il existe une industrie nationale capable de répondre à la demande de son ministère de la défense, et un marché « reste du monde » comprenant les pays dépourvus de producteur national.

17. En l’espèce, l’industrie nationale étant en mesure de répondre à la demande du Ministère de la Défense, l’opération sera analysée au niveau national.

III. Analyse concurrentielle

18. Les effets horizontaux (A) et verticaux (B) de l’opération sont analysés successivement ci-après.

A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX

1. LE MARCHÉ DES PETITS BÂTIMENTS DE GUERRE

19. Par l’intermédiaire de Kership, DCNS et Piriou ont souhaité développer une activité de construction de navires de moins de 95 mètres faiblement armés, segment de marché sur lequel DCNS et Piriou n’étaient pas en mesure d’intervenir seules.

20. Préalablement à la création de Kership, DCNS ne dispose pas de l’outil industriel requis pour fabriquer ce type de navires. Son activité de construction navale se concentre sur des navires plus longs, plus lourdement armés, et plus chers, tels que les frégates ou les corvettes. En revanche, DCNS détient une activité de conception de systèmes navals de défense, incluant des systèmes de combat, et une activité d’intégration de systèmes de communication susceptibles d’équiper des navires faiblement armés.

21. Piriou est pour sa part capable de construire des navires non armés d’une longueur inférieure à 95 mètres, conçus selon des standards civils, à des prix compétitifs et dans des délais courts. En revanche, Piriou ne détient aucun savoir-faire en matière d’armement et n’est donc pas en mesure d’équiper ses navires pour l’action de l’Etat en mer.

22. La transformation de Kership en entreprise de plein exercice, permet ainsi, par la mise en commun de savoir-faire complémentaires, l’apparition d’un nouvel opérateur pour la construction de navires faiblement armés. Elle n’est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché des petits bâtiments de guerre par le biais d’effets horizontaux en France.

2. LE MARCHÉ DE L’ENTRETIEN PÉRIODIQUE DES NAVIRES NON COMPLEXES

23. Kership propose des services d’entretien périodique pour les navires non complexes. Il s’agit toutefois d’une activité accessoire à son activité de vente de navires faiblement armés. Elle vise à répondre à la demande de clients qui, au moment de la commande d’un navire, exigent la fourniture de services de maintenance pour les premières années de mise en service du navire. Kership ne dispose pas d’activité autonome sur ce marché.

24. DCNS et Piriou ont en revanche une activité à part entière sur le marché de l’entretien périodique des navires non complexes qui dépasse le cadre de leur collaboration au sein de Kership. Le risque que l’opération incite ces deux entreprises à coordonner leur comportement concurrentiel sur ce marché doit donc être examiné.

25. Un tel risque paraît toutefois improbable en l’espèce. En effet, les services de maintenance de DCNS et Piriou, compte tenu de leurs activités de construction navale, ne visent pas les mêmes types de navires. Piriou se concentre sur des navires de moins de 100 mètres non armés et conçus selon les standards civils. DCNS entretient de navires plus longs et lourdement armés, qui requièrent des prestations de maintenance différentes. Une éventuelle coordination entre DCNS et Piriou présenterait donc une utilité limitée et paraît ainsi peu vraisemblable.

26. En tout état de cause, une telle coordination aurait un effet limité sur la concurrence au vu des parts de marché de DCNS et Piriou sur le marché de l’entretien périodique des navires non complexes. Piriou détient en effet une part de marché de [0-5] % sur ce marché, sur lequel la part de marché de DCNS n’excède pas [10-20] %.

27. Dès lors, l’opération envisagée n’est pas de nature à affecter la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur le marché de l’entretien périodique des navires non complexes.

B. ANALYSE DES EFFETS VERTICAUX

28. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l’accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l’entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents à l’aval, ou les marchés amont, lorsque la branche aval de l’entreprise intégrée refuse d’acheter les produits des fabricants actifs à l’amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux.

29. En l’espèce, Kership est active sur le marché des petits bâtiments de guerre qui est situé en amont du marché de l’entretien périodique des navires non complexes sur lequel DCNS et Piriou interviennent.

30. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence écarte en principe les risques de verrouillage du marché lorsque la part de l’entreprise issue de l’opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %.

31. Sur le marché aval de l’entretien périodique des navires non complexes, DCNS et Piriou détiennent des parts de marché de respectivement [10-20] % et [0-5] %. Elles sont par ailleurs confrontées à un nombre important de concurrents, parmi lesquels notamment CMN ([10-20] % de part de marché), STX ([10-20] %) ou Damen ([10-20] %). Compte tenu de la part de marché des parties et de la structure du marché, DNCS et Piriou ne disposent pas d’un pouvoir de marché suffisant pour servir d’appui à un éventuel effet de levier.

32. Sur le marché amont des petits bâtiments de guerre, Kership, en collaboration avec ses sociétés mères, a remporté deux des sept appels d’offres lancés depuis 2013, soit moins de 30 % des appels d’offres. Elle fait en outre face à un nombre importants de concurrents, tels que Socarenam, H2X, STX, CMN ou Damen. Kership ne dispose donc pas d’un pouvoir de marché suffisant sur le marché des petits bâtiments de guerre pour imposer à ses clients le recours à ses services de maintenance ou celui de ses sociétés mères.

33. En conséquence, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux.

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 16-076 est autorisée.

NOTES

1 [Confidentiel].

2 Voir décisions de la Commission européenne COMP/M.5943 – Abu Dhabi Mar / Thyssen Krupp Marine System du 31 août 2010, COMP/M.4640 – BAE Systems / VT / JV du 17 octobre 2007, COMP/M.4191 – Thales / DCN du 19 mars 2007 et COMP/M.3720 – BAE / AMS du 14 mars 2005.

3 Id.

4 Id.

5 Id.

6 Le risque d’effets congloméraux entre les activités de Kership et de construction navale militaire de DCNS peut être écarté. Les petits bâtiments de guerre proposés par Kership font en effet l’objet d’appels d’offres distincts. Il ne paraît donc pas possible dans ces conditions de pratiquer des ventes liées et/ou groupées combinant de petits bâtiments de guerre avec d’autres navires de guerre.