ADLC, 4 juillet 2011, n° 11-DCC-104
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle exclusif de la société FIMA par la Société Financière de Turenne Lafayette
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 26 mai 2011, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société FIMA par la Société Financière de Turenne Lafayette, formalisée par un protocole d’acquisition en date du 7 juin 2011 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. La Société Financière de Turenne Lafayette (ci-après « SFTL ») est une société holding contrôlée par Madame X qui détient […] % de son capital. SFTL contrôle plusieurs sociétés actives notamment dans le secteur de la charcuterie salaison industrielle. Parmi ses filiales figurent les sociétés Paul Prédault, Montagne Noire et William Saurin. Madame X contrôle par ailleurs la société Les Comptoirs du Biscuit spécialisée dans la production de biscuits.
2. FIMA est une société holding par l’intermédiaire de laquelle la famille Madrangeas détient […] % du capital de la société Latronche Madrangeas1, société de tête du groupe Madrange (ci-après « Madrange »). Madrange est actif dans le secteur de la charcuterie salaison industrielle et produit principalement de la charcuterie cuite, notamment du jambon cuit, des mousses et terrines, des saucisses, des aides culinaires tels que les lardons, et du chorizo.
3. Aux termes du protocole de cession en date du 7 juin 2011, il est prévu que SFTL acquiert l’intégralité des titres de la société FIMA, les titres de la société Latronche Madrangeas ayant été préalablement transférés à cette dernière dans leur totalité.
4. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif du groupe Madrange par SFTL, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce. Les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d’affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros au dernier exercice clos (SFTL : […] millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2010 ; Madrange : […] millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2010). Chacune de ces entreprises a réalisé, en France, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (SFTL : […] millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2010 ; Madrange : […] millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2010). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
5. Les activités des parties se chevauchent dans le secteur de la charcuterie salaison industrielle.
A. LES MARCHÉS DE PRODUITS
6. La pratique décisionnelle2 se réfère à plusieurs critères pour segmenter les marchés de produits de charcuterie salaison : la famille à laquelle appartient le produit, le canal de distribution, le mode de distribution (libre-service ou à la coupe) et le positionnement des produits.
7. S’agissant de la segmentation par famille de produits, l’INSEE, le Ministère de l’Agriculture et la Fédération Française des Industriels Charcutiers, Traiteurs, Transformateurs de Viandes (ci-après « FICT ») utilisent une nomenclature qui distingue vingt-trois familles de produits regroupés selon leur mode de préparation (crus ou cuits), la technologie employée (salage, séchage, fumage, cuisson, conserve, surgelés) et la nature de la viande employée (porc, volaille, boeuf, gibier, etc.). Cette segmentation en vingt-trois familles de produits a été reprise par la pratique décisionnelle nationale3. Les parties sont simultanément présentes sur douze familles de produits : Les jambons cuits, les épaules cuites, les viandes cuites de volaille, les jambons secs, les saucisses et saucissons, les pâtés et préparations divers à base de foie4, les pâtés et préparations divers à base de volaille et gibier, les pâtés et préparations diverses à base de porc et, les autres viandes de porcs salées, séchées ou fumées.
8. De plus, Madrange est seul actif sur la famille des poitrines fumées. Pour sa part, SFTL est également présent sur les marchés des viandes de boeuf séchées et des autres pièces cuites, desquels Madrange est absent.
9. S’agissant de la segmentation par canal de distribution, le marché de la vente de produits de charcuterie salaison est divisé 5 selon que la charcuterie salaison est à destination (i) des commerces de détail (grande surface, moyenne surface et commerces de proximité), en vue de la consommation à domicile (ci-après « GMS et magasins de proximité») ; (ii) des établissements spécialisés en restauration hors foyer (restauration collective, restauration commerciale) et des grossistes (ci-après « RHF et grossistes ») ou (iii) des industriels agroalimentaires (ci-après « IAA »). Ces trois circuits forment alors autant de marchés distincts, dans la mesure où, notamment, les produits requièrent un conditionnement spécifique. De plus, au sein des commerces de proximité, la pratique décisionnelle a envisagé de distinguer les boucheries-charcuteries traiteurs (ci-après « BCT ») des autres commerces traditionnels et des commerces dits « modernes »6. En tout état de cause, la question de la délimitation d’un marché distinct pour les BCT peut demeurer ouverte en l’espèce, les conclusions de l’analyse demeurant inchangées quelque soit l’hypothèse retenue.
10. S’agissant du mode de distribution, au sein de la vente auprès de la GMS et des magasins de proximité, une segmentation supplémentaire peut être opérée7 entre la vente en libre-service (produits prétranchés) et la vente à la coupe.
11. Enfin, s’agissant du positionnement commercial des produits, pour la charcuterie salaison proposée aux clients finals par les GMS et magasins de proximité, une segmentation additionnelle peut être effectuée8 entre, d’une part, les marques de fabricant (MDF) et, d’autre part, les marques de distributeur (MDD), marques de premier prix (MPP) et marques hard discount (MHD) (ci-après désignées sous l’abréviation « MDD » pour l’ensemble des marques MDD, MPP et MHD).
12. En effet, les fabricants de produits vendus sous MDD n’interviennent qu’en application d’un cahier des charges défini par l’enseigne et n’ont aucun rôle dans la définition des stratégies commerciales de ces marques (décisions de lancer de nouveaux produits, politique de communication etc.). L’identité de l’opérateur qui approvisionne une enseigne pour ses MDD reste inconnue du consommateur final. De plus, les achats auprès des fabricants des produits vendus sous MDD se font la plupart du temps par la voie d’appels d’offres et les contrats sont de courte durée.
13. L’Autorité de la concurrence a cependant observé à plusieurs reprises9 que du côté de la demande, les MDD exercent sur les MDF une pression concurrentielle non négligeable, les consommateurs opérant un choix entre l’ensemble des produits proposés, qu’ils soient sous MDD ou sous MDF, comme en atteste la progression régulière de la part des MDD dans chaque catégorie de produit10. L’intensité de cette concurrence peut différer selon les catégories de produits en fonction des stratégies de différentiation des MDF et de leur notoriété.
14. De plus, du côté de l’offre les mêmes fabricants fournissent souvent la grande distribution en produits sous MDD et en produits à leur marque. Leurs positions sur les deux segments de produits sont donc interdépendantes puisqu’elles déterminent l’utilisation de leurs capacités et leurs perspectives de développement.
15. En l’espèce, la question de la substituabilité entre MDF et MDD peut demeurer ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées quelle que soit la délimitation retenue. L’analyse du pouvoir de marché de la nouvelle entité a donc été menée pour chaque famille de produits, d’une part au sein du seul segment des MDF et, d’autre part, sur le marché de l’ensemble des produits proposés aux consommateurs par les GMS (incluant MDF, MDD, MPP et MHD). Par ailleurs, le pouvoir de marché de SFTL est également analysé sur le marché mettant en présence les GMS et l’ensemble des fournisseurs de produits MDD.
B. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
16. Les autorités de concurrence nationales et communautaires ont retenu une dimension nationale pour les marchés de la charcuterie salaison. Il n’y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l’occasion de la présente opération.
III. Analyse concurrentielle
A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX
17. A titre liminaire il convient de rappeler qu’un précédent projet consistant en l’acquisition du contrôle exclusif de Madrange par SFTL a été notifié au ministre de l’économie qui l’avait autorisé par lettre du 23 avril 200811.
18. La partie notifiante a fourni une estimation12 de la part de marché qu’elle détiendra en France à l’issue de l’opération envisagée, pour chacune des familles de produits de charcuterie salaison concernée et segmentée selon le canal de distribution, le mode de distribution (libre-service ou à la coupe) et le positionnement des produits13. Au regard de ces données, il apparait que les positions de la nouvelle entité seront inférieures à 25 % sur l’ensemble des segments envisagés par la pratique, à l’exception de trois familles de produits de charcuterie salaison vendus sous marque de distributeurs par les GMS : les jambons secs, les volailles cuites et les jambons cuits.
19. S’agissant tout d’abord des jambons secs vendus sous MDD, la part de marché de SFTL sera de [20-30] % une fois l’opération réalisée. Il convient cependant d’observer que sur ce segment l’incrément de part de marché est relativement faible puisque la position de Madrange est estimée à [0-5] % (celle de la partie notifiante s’élevant à [20-30] % avant l’opération). SFTL demeurera par ailleurs confronté à la concurrence exercée notamment par les groupes Smithfield/Campofrio et Maisadour.
20. Sur le marché des volailles cuites vendues sous MDD, la part de marché de SFTL s’élèvera également à [20-30] % à l’issue de la concentration (soit [10-20] % pour SFTL et [10-20] % pour Madrange). La nouvelle entité demeurera cependant soumise à la concurrence exercée notamment par LDC volaille (dont la part de marché dans le secteur des produits élaborés cuits à base de volaille était comprise entre 20 % et 30 % sur les MDD en 200914).
21. Enfin, sur le marché des jambons cuits vendus sous MDD, la part de marché de SFTL atteindra [30-40] % après l’acquisition de Madrange (soit [10-20] % pour SFTL et [20-30] % pour Madrange). La nouvelle entité demeurera cependant soumise à la concurrence exercée par des groupes puissants tels que Smithfield/Campofrio, leader du marché de la viande transformée en Europe et dont la position est estimée en France à [20-30] %15 sur le segment des jambons cuits vendus sous MDD, ou encore Cooperl Arc Atlantique ([10-20] % de part de marché sur le segment des jambons cuits). Il convient par ailleurs de noter que certains groupes de GMS se sont dotés de capacité de production en matière de charcuterie salaison et notamment de jambon cuit, tel que le groupe ITM Entreprises avec Monique Rannou ou encore Leclerc avec sa filiale Kermené. Au surplus, la partie notifiante observe que les groupes principalement positionnés sur le marché des jambons cuits vendus sous MDF (notamment Nestlé avec la marque Herta et Fleury Michon), sont en mesure de proposer ce type de produit pour une distribution sous MDD.
22. Compte tenu de ce qui précède, la présente opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés des produits de charcuterie salaison par le biais d’effets horizontaux.
B. ANALYSE DES EFFETS CONGLOMÉRAUX
23. La présente opération permettra à SFTL de renforcer sa présence sur plusieurs familles de produits de charcuterie salaison et d’élargir sa gamme avec la distribution de poitrines fumées. Cependant, bien que la détention d’une telle gamme puisse être un argument de vente pour certains clients, la nouvelle entité ne disposera pas, à l’issue de la présente opération, d’une position suffisamment importante sur l’une des familles de produits qu’elle distribue pour pouvoir exploiter un éventuel effet de levier. Par ailleurs, SFTL devra faire face à la concurrence de grands groupe disposant également d’une gamme importante tels que Smithfield/Campofrio, Fleury Michon ou encore Cooperl Arc Atlantique.
24. De même, la présente opération permettra à SFTL d’accroître son portefeuille de marques avec le regroupement de Paul Prédault et Madrange. Toutefois, le secteur de la charcuterie salaison se distingue par la présence de plusieurs marques concurrentes dont l’Autorité de la concurrence a déjà souligné la notoriété : Herta (Groupe Nestlé), Fleury Michon, Aoste ou encore Justin Bribou (ces deux dernières marques appartenant au groupe Smithfield/Campofrio). A titre d’illustration, la revue LSA16 observait à ce sujet dans un article du 3 juin 2010 que le marché du jambon cuit sous MDF était principalement « disputé par Fleury Michon, numéro un de la catégorie et par Herta ». Toujours selon LSA quand bien même « Madrange n'a pas complètement disparu de l'esprit des consommateurs, comme le prouve son taux de notoriété (68 %) » la marque accuse un fort recul, « sortie par Casino comme par Carrefour ».
25. Compte tenu de ce qui précède, la présente opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés des produits de charcuteries salaison par le bais d’effets congloméraux.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 11-0095 est autorisée.
NOTES :
1 L’ensemble des participations directes et indirectes de la famille Madrangeas représente […] % du capital de la société Latronche Madrangeas.
2 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-52 du 12 octobre 2009 ainsi que la lettre du ministre de l’économie n°C2007-153 du 15 février 2008.
3 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-52 précitée ainsi que la lettre du ministre de l’économie n°C2007-153 précitée.
4 Depuis décembre 2010 SFTL […] demeure ainsi actif sur les marchés de pâtés vendus sous marque de fabricant.
5 Voir notamment les décisions n°09-DCC-52 et n°C2007-153 précitées ainsi que la lettre du ministre de l’économie n°C2006-72 du 18 août 2006.
6 Voir notamment la lettre du ministre de l’économie n°C2008-28 du 23 avril 2008.
7 Voir notamment les décisions n°09-DCC-52 et n°C2007-153 précitées ainsi que la lettre du ministre de l’économie C2008- 28 du 23 avril 2008.
8 Ibid.
9 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-48 du 22 septembre 200, n°09-DCC-67 du 23 novembre 2009 et n°10-DCC-21.
10 Pour la charcuterie salaison, les parties notifiantes indiquent que les MDD représentent en moyenne 51 % de l’ensemble des ventes.
11 Voir la lettre du ministre de l’économie n°C2008-127 du 20 février 2009.
12 Les parts de marché ont été communiquées en volume. Les estimations de la partie notifiante ont été établies sur la base des données 2009 de la Fédération française des industriels charcutier traiteurs, actualisées pour l’année 2010 selon une augmentation moyenne de 1 % telle qu’indiquée par l’étude Xerfi 2010 « Charcuterie, Analyse du marché – Prévision 2011 – Forces en présence ».
13 Au total, les positions des parties ont ainsi été estimées sur plus de 60 segments de marché.
14 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-67 du 23 novembre 2009.
15 Estimation des parties.
16 Voir l’article de la revue LSA, « Tout est bon dans le jambon », du 3 juin 2010, http://www.lsa-conso.fr/tout-est-bon-dans-le-jambon,114127.