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Décisions

ADLC, 7 juillet 2011, n° 11-DCC-105

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif de la société Modelabs Group par la société BigBen Interactive

ADLC n° 11-DCC-105

6 juillet 2011

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 23 mai 2011 et déclaré complet le 17 juin 2011, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Modelabs Group pat la société BigBen Interactive, sur la base d’une offre publique annoncée le 24 mai 2011 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;

Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. BigBen Interactive (ci-après « BBI ») est une société anonyme de droit français cotée sur le marché NYSE Euronext Paris. BBI est active en France, Benelux, Allemagne et à Hong Kong dans le domaine des accessoires pour consoles de jeux vidéo, l’édition de jeux vidéo, les produits audio tels que chaines hi-fi et lecteurs MP3 ainsi que la distribution exclusive et non exclusive de jeux vidéo. BBI a en outre récemment lancé une activité de fabrication et de vente d’accessoires pour smartphones. BBI est détenu à 32,35 % par MI 29, un investisseur financier, à 21,73 % par son fondateur M. X, à 15,31 % par Concert Bolloré et à 6,26 % par M. Y, le reste du capital étant flottant. Il n’existe aucun accord particulier entre les différents actionnaires de BBI susceptible de conférer à un ou plusieurs de ces actionnaires le contrôle de BBI.

2. Modelabs Group (ci-après « Modelabs ») est une société anonyme de droit français également cotée sur le marché boursier parisien. Ses activités, en France et à l’international, sont orientées autour de deux pôles stratégiques : un pôle « distribution », qui englobe la fabrication et la vente d’accessoires de téléphones mobiles sur l’ensemble des réseaux de vente (opérateurs, grande distribution alimentaire, grandes surfaces spécialisées, détaillants spécialisés et sites d’e-commerce) ainsi que d’écrans LCD et plasma, et le pôle « manufacture », qui concerne la conception, le développement et la distribution de téléphones mobiles sur mesure pour les marques de luxe. Seul le pôle distribution (92 % du chiffre d’affaires de Modelabs) entre dans le champ de l’opération, le pôle « manufacture » ayant été cédé le 30 juin 2011. 46,64 % du capital de Modelabs est détenu par le public, le solde étant aux mains de divers actionnaires dont aucun ne possède plus de 18 % du capital de Modelabs.

3. L’opération projetée consiste en l’acquisition par BBI de la totalité des actions de Modelabs par le biais d’une offre publique d’achat pour laquelle un projet de note d’information a été déposé auprès de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) le 23 mai 2011 et qui a été annoncée publiquement le 24 mai 2011. L’offre a été officiellement lancée le 23 juin 2011. L’opération constitue donc une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires hors taxe sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (BBI : 101,3 millions d’euros pour l’exercice clos au 31 mars 2011 ; Modelabs : 220,1 millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2010). Chacune des entreprises concernées réalise un chiffre d’affaires en France supérieur à 50 millions d’euros (BBI : 51,6 millions d’euros pour l’exercice clos au 31 mars 2011 ; Modelabs : 115,1 millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2010). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension européenne. En revanche, les seuils de contrôle de l’article L. 430-3 du code de commerce sont franchis. La concentration est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

 

II. Délimitation des marchés pertinents

5. Les activités des parties ne se chevauchent pas dans le domaine de l’édition et de la distribution de jeux vidéo et les produits audio, où seul BBI est actif. De même, seul Modelabs est présent dans le secteur des écrans LCD et plasma. En revanche, il apparaît que BBI a récemment lancé une activité d’accessoires pour smartphones en concurrence avec l’activité principale de Modelabs. De même, il convient d’examiner si les accessoires pour consoles de jeux video commercialisés par BBI sont susceptibles d’être en concurrence avec les accessoires pour téléphones mobiles de Modelabs pour certaines de leurs fonctionnalités.

 

A. LES MARCHÉS DE PRODUITS

1. LES ACCESSOIRES POUR CONSOLES DE JEUX VIDÉO

6. Selon la pratique décisionnelle nationale1, les accessoires pour consoles de jeux vidéo constituent des marchés distincts des consoles de jeux vidéo. En effet, ces produits répondent à des demandes distinctes et complémentaires des utilisateurs et il apparaît que beaucoup de constructeurs indépendants des producteurs de consoles (tels que BBI) sont spécialisés dans la production de ces accessoires.

7. Parmi les accessoires pour consoles de jeux vidéo, la partie notifiante a envisagé une distinction entre les accessoires pour consoles de jeux vidéo statiques (ou consoles de salon) et les accessoires pour consoles nomades, par analogie avec la segmentation entre consoles statiques et consoles nomades identifiée par le Conseil de la concurrence dans sa pratique décisionnelle2. Il apparaît en effet que la gamme des accessoires pour consoles nomades et la gamme des accessoires pour consoles statiques ne se recouvrent pas à l’exception, très partielle, des accessoires d’écoute tels que les casques. Les principales consoles statiques sont la Wii de Nintendo, la Playstation 3 de Sony et la Xbox 360 de Microsoft. Les principales consoles nomades sont la DS de Nintendo et la PSP de Sony.

8. En ce qui concerne ces divers accessoires, la partie notifiante souligne qu’un accessoire destiné à une console donnée lui est spécifique et ne peut a priori être utilisée sur une autre console, qu’elle soit nomade ou statique. Il existerait donc un nombre très important de marchés pertinents correspondant à chaque accessoire. Elle relève toutefois que les accessoires commercialisés par les principaux acteurs du marché (dont BBI) peuvent être regroupés en quatre principales catégories : (i) les accessoires de protection, qui regroupent les étuis de protection, les films et les sacoches (consoles nomades) ; (ii) les accessoires d’alimentation tels que les batteries, chargeurs, câbles et adaptateurs (consoles nomades et statiques) ; (iii) les accessoires d’écoute tels que les casques (casques filaires et non filaires pour consoles statiques, casques filaires pour consoles nomades) ; enfin (iv) les accessoires de contrôle et de jeux tels que les manettes, poignées, télécommandes et cartes mémoire (consoles statiques et nomades). Chacune de ces catégories d’accessoires remplit une fonction spécifique pour la console (protéger, alimenter, écouter ou contrôler) qui ne peut être remplie par un accessoire de l’autre catégorie.

9. En toute hypothèse, la définition précise du ou des marchés des accessoires pour consoles de jeux vidéo peut rester ouverte, les conclusions de l’analyse ne s’en trouvant pas substantiellement modifiées.

 

2. LES ACCESSOIRES POUR TÉLÉPHONES MOBILES

10. Il n’existe pas de pratique décisionnelle nationale ou communautaire concernant les accessoires de téléphonie mobile. Par analogie avec les consoles de jeux vidéo, on peut cependant considérer qu’ils appartiennent à des marchés de produits distincts des appareils de téléphonie mobile compte tenu du caractère complémentaire de la demande d’accessoires de téléphonie mobile et d’appareils de téléphonie mobile.

11. La partie notifiante soumet que l’accessoire de téléphone est spécifique à la marque de téléphone pour lequel il a été conçu. Dans certains cas, un accessoire est même spécifique au modèle de téléphone donné et ne peut être utilisé pour un autre modèle de la même marque.

12. Comme pour les accessoires pour consoles de jeux vidéo, la partie notifiante indique qu’il est possible d’identifier quatre grandes catégories d’accessoires de téléphonie mobile qui remplissent des fonctions spécifiques pour les appareils : (i) les accessoires de protection (housses, coques et étuis), (ii) les accessoires d’alimentation (chargeurs, batterie de remplacement), (iii) les accessoires « nomades » (kit piétons, oreillettes) et (iv) les accessoires multimédia (adaptateurs Bluetooth pour PC et baladeur MP3, casques, enceintes, etc.).

13. En toute hypothèse, la définition précise du ou des marchés des accessoires pour téléphones mobiles peut rester ouverte, les conclusions de l’analyse ne s’en trouvant pas substantiellement modifiées.

 

B. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

14. La partie notifiante fait valoir que la dimension géographique des marchés des accessoires pour consoles de jeux est susceptible de différer en fonction de l’accessoire concerné, certains revêtant une dimension « internationale » (par exemple s’agissant des accessoires de protection), d’autres étant limités à une zone géographique correspondant au champ d’application des nomes électriques européennes, voire nationales ou de normes nationales particulières. Il en est de même s’agissant des accessoires pour téléphones mobiles.

15. Il apparaît toutefois, s’agissant de la France, que les clients grossistes et distributeurs se fournissent sur une base nationale. De même la partie notifiante et Modelabs suivent l’évolution de leur activité de manière spécifique en ce qui concerne le marché français, sur la base de panels GFK3. Enfin, la partie notifiante a fourni ses parts de marché sur la base d’un marché national français.

16. Sans qu’il soit nécessaire de trancher définitivement la question de la dimension géographique de ces marchés, les effets de l’opération seront donc examinés dans la présente décision sur la base d’un marché géographique limité au territoire français.

 

III. L’analyse concurrentielle

A. ACCESSOIRES POUR CONSOLES DE JEUX VIDÉO

17. BBI estime sa part de marché 2010 sur un marché global des accessoires pour consoles de jeux vidéo en France à 17,1 %4. BBI fait face, sur ce marché, à la concurrence de Microsoft (21,6 %), Nintendo (21,3 %) et Sony (20,2 %).

18. Sur la base d’une segmentation entre consoles statiques et consoles nomades, BBI estime sa part de marché 2010 des accessoires pour consoles statiques à environ [10-20] % à égalité avec Microsoft mais derrière Nintendo (environ [30-40] %). Pour les accessoires pour consoles nomades, la part de marché de BBI est nettement plus élevée (environ [50-60] %), loin devant ses principaux concurrents Nobilis et Madcatz ([5-10] % chacun).

19. Sur la base d’une segmentation entre les principales catégories d’accessoires pour consoles, la partie notifiante soumet que BBI bénéficierait d’une part de marché de [50-60] % en France pour les accessoires de protection, de [20-30] % pour les accessoires d’alimentation, de [0-5] % pour les accessoires d’écoute et de [10-20] % pour les accessoires de contrôle et de jeux.

20. L’opération n’entraînera cependant pas d’effets sur ces marchés, puisque Modelabs n’est pas actif dans le domaine des accessoires pour consoles de jeux. Modelabs fabrique et commercialise des accessoires pour téléphone mobile qui ne peuvent pas être utilisés pour des consoles de jeux. Ainsi, les accessoires d’alimentation fabriqués par Modelabs répondent à des standards de connectique et d’impédance électrique normalisé qui les rendent inadaptés (voire potentiellement dangereux pour l’appareil) aux consoles de jeux nomades. De même les étuis, housses, coques et sacoches pour consoles nomades ou téléphones mobiles ont été conçus pour répondre à la taille et à l’ergonomie des seuls appareils pour lesquels ils sont destinés. Les consommateurs ne les utilisent donc pas pour d’autres types d’appareil, d’autant plus que ces accessoires sont vendus dans des magasins différents ou dans des rayons différents (jeux vidéo ou téléphonie) des grandes surfaces spécialisées.

21. Seuls les casques Bluetooth destinés à la console statique PS3 de Sony pourraient être utilisés avec un téléphone mobile, les autres casques n’étant pas compatibles (soit pour des raisons de connectique, soit parce qu’ils ne permettent que l’écoute). Toutefois dans la mesure où la part de marché de BBI pour les accessoires d’écoute n’est que de [0-5] %, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché potentiel des accessoires d’écoute.

22. L’opération n’est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le ou les marchés des accessoires pour consoles de jeux vidéo.

 

B. ACCESSOIRES POUR TELEPHONES MOBILES

23. Dans le domaine des accessoires pour téléphones mobiles, Modelabs fabrique et commercialise les quatre catégories d’accessoires (accessoires de protection, accessoires d’alimentation, accessoires « nomades » et accessoires multimédia). Sur un marché des accessoires de téléphonie mobile en France en 2010 d’environ 350 millions d’euros pour 10 millions d’unités vendues, la partie notifiante estime la part de marché de Modelabs à 35 %. La partie notifiante n’a pas été en mesure d’estimer la part de marché des concurrents de Modelabs, ni les parts de marché de Modelabs sur les différents marchés par catégories d’accessoires.

24. Pour sa part, BBI commercialise depuis février 2010 des accessoires de protection (étuis, coques et films), des accessoires d’alimentation (chargeurs et adaptateurs électriques) et des accessoires multimédia (casques) uniquement pour trois modèles de smartphones ou tablettes (l’iPhone et l’iPad d’Apple et le Galaxy S de Samsung). BBI a réalisé un chiffre d’affaires d’environ […] euros pour ces produits et atteint une part de marché de [0-5] %.

25. L’opération n’est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés des accessoires pour téléphones mobiles.

 

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 11-0096 est autorisée.

 

NOTES :

1 Voir notamment la lettre du Ministre de l’économie n° C2006-38 du 13 avril 2006 aux conseils de la société Deutsche Bank, relative à une concentration dans le secteur des jeux vidéo.

2 Voir décision n° 07-D-06 du 28 février 2007 relatives à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des consoles de jeux et des jeux vidéo.

3 Les résultats 2010 de BigBen Interactive en France sont disponibles à l’adresse suivante : http://www.bigben.fr/uploads/pdf/ Resultats_annuels_2010_11-13_05_2011.pdf.

4 Sources : données GFK.