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Décisions

ADLC, 19 juillet 2011, n° 11-DCC-107

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle de la société Groupe TWC SAS par la société L Capital Management, conjointement avec la société Financière Molière

ADLC n° 11-DCC-107

18 juillet 2011

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 16 juin 2011, relatif à la prise de contrôle de la société Groupe TWC SAS par la société L Capital Management, conjointement avec la société Financière Molière, formalisée par un accord du 8 juin 2011 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. L Capital 3, fonds commun de placement à risque, est géré par L Capital Management, société par actions simplifiée (ci-après « L Capital »). L Capital, société de capital-investissement dont l’activité est de gérer trois fonds de placement à risque, est elle-même détenue à 100 % par LVMH-Moët Hennessy – Louis Vuitton SA, société anonyme contrôlée par le groupe Arnault1. Cette société est à la tête d’un groupe (ci-après « LVMH ») principalement actif dans le secteur du luxe dans le monde entier. LVMH intervient ainsi dans six grandes branches d’activité : mode et maroquinerie, vins et spiritueux, distribution sélective, parfums et cosmétiques, montres et joaillerie, presse et média. Le groupe Arnault détient par ailleurs le contrôle de Christian Dior SA, société anonyme active dans le secteur du luxe.

2. Financière Molière est une société familiale indépendante active en matière de capital investissement et d’investissement immobilier. Par le biais de ses fonds, la société Financière Molière est active dans divers secteurs, principalement ceux du commerce de détail d’horlogerie bijouterie, des cartonnages et du conseil de gestion.

3. Groupe TWC SAS (ci-après TWC ») est une société par actions simplifiée, actuellement contrôlée à 78,89 % par la Financière Molière. Elle est active dans les secteurs de l’offre en gros d’accessoires de mode de moyenne gamme (lunettes, maroquinerie, bijoux, et horlogerie).

4. L’opération notifiée consiste en l’acquisition par L Capital, via L Capital 3, de 35 % du capital et des droits de vote de Financière TWLC qui détient elle-même 100 % de TWC SAS. Financière Molière restera actionnaire de Financière TWLC à hauteur de 64,66 %. Il résulte du pacte d’actionnaires qui organise la gouvernance conjointe de Financière TWLC par Financière Molière et L Capital qu’elle sera dirigée par un président, nommé par Financière Molière, sous le contrôle d’un comité stratégique. Ce dernier comprend six membres dont trois désignés par Financière Molière et trois désignés par L Capital. Les décisions suivantes sont notamment de la compétence exclusive du comité Stratégique statuant à la majorité simple de ses membres : le budget annuel, le business plan, le management package ou tout autre plan d’incitation managérial.

5. En ce qu’elle se traduit, au vu des développements qui précèdent, par la prise de contrôle conjoint de TWC par Financière Molière et L Capital, l’opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

6. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (groupe Arnault : […] milliards d’euros en 2009 ; Financière Molière : […] millions d’euros en 2010). Le groupe Arnault et Financière Molière réalisent chacun, en France, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (groupe Arnault : […] milliards d’euros en 2010 ; Financière Molière : […] millions d’euros en 2010). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

 

II. Délimitation des marchés pertinents

7. LVMH, Christian Dior et L Capital sont actifs principalement dans le secteur du luxe, ainsi que dans le secteur de l’approvisionnement en vêtements et la distribution au détail de vêtements, de chaussures et d’accessoires de mode de moyenne gamme, à travers la société Dondup2 et le groupe Sandro/Maje/Claudie Pierlot3. La société cible est active dans le secteur de l’offre en gros d’accessoires de mode de moyenne gamme (hors articles de luxe).

 

1. LES MARCHÉS DES PRODUITS DE LUXE

8. La Commission européenne4 et l’Autorité de la concurrence5 ont défini les produits de luxe (produits cosmétiques, vêtements de haute-couture ou de créateurs, prêt à porter de luxe pour homme et femme, produits en cuirs) comme des articles de haute qualité, de prix relativement élevé et commercialisés sous une marque de prestige. Du point de vue de la demande, les produits de luxe sont très peu substituables avec d’autres produits.

9. La distribution des produits de luxe doit être distinguée de la distribution d’autres produits en ce qu’elle se caractérise par un réseau de points de vente agréés par les fabricants selon des critères qualitatifs tenant notamment à leur localisation, leur environnement géographique et leur aménagement intérieur, permettant une présentation appropriée des produits ainsi que la présence d'un conseil professionnel spécialisé. Ces critères visent essentiellement à protéger l'image des marques. A l'inverse, la vente de produits ordinaires ne nécessite pas un tel environnement, et ces produits sont disponibles dans un réseau beaucoup plus diversifié de points de vente6. La pratique communautaire a donc envisagé de retenir un marché de la distribution des produits de luxe7.

10. En tout état de cause, pour les besoins de la présente opération, la question de la définition exacte du marché peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l’analyse demeureront inchangées.

11. La Commission européenne a établi que le marché du luxe est un marché de dimension au moins communautaire8.

 

2. LES MARCHÉS DE LA DISTRIBUTION DACCESSOIRES DE MODE

12. Il convient de distinguer les marchés amont des marchés avals.

13. En ce qui concerne les produits de bijouterie et d’horlogerie la pratique décisionnelle9 a retenu l’existence d’un marché de l’horlogerie, bijouterie, joaillerie et orfèvrerie (« HBJO ») distinct du marché des bijoux fantaisie et des produits de haute joaillerie, ces derniers étant inclus dans les produits de luxe.

14. Au sein du marché HBJO, l’autorité de la concurrence avait distingué trois types de produits :

- l’horlogerie de petit volume qui comprend les montres, les bracelets et les mouvements de montres ;

- la bijouterie précieuse (bijoux en métaux précieux, empierrés ou non) ;

- la bijouterie non précieuse (bijoux plaqués de métal précieux ou composé d’un alliage incorporant des métaux précieux ainsi que les produits d’orfèvrerie en étain, en argent ou alliage).

15. Par ailleurs, si les autorités de concurrence ont eu l’occasion de se prononcer sur la segmentation du marché de la distribution au détail de l’horlogerie de petit volume10, elles n’ont pas retenu de sous-segmentation en matière de produits sur le marché amont de l’offre en gros.

16. En ce qui concerne les lunettes, la pratique décisionnelle11 distingue deux marchés :

- les articles à usage médical (verres de lunettes, verres de contact) ;

- les articles non médicaux (montures, lunettes solaires et lunettes pour le sport).

17. En ce qui concerne les articles de maroquineries, les autorités de concurrence12 ont considéré que la maroquinerie, au même titre que les autres accessoires de mode, constituait un segment du marché des vêtements et du prêt-à-porter. Dans le cadre de la présente décision, la question de l’appartenance des articles de maroquinerie à un marché distinct peut être laissée ouverte, l’analyse concurrentielle en étant inchangée.

18. S’agissant de la dimension géographie des marchés amont, les autorités de concurrence n’ont été amenées à se prononcer que sur les marchés des vêtements qui sont de taille mondiale13. Les parties notifiantes considèrent, pour les autres produits concernés, que les marchés géographiques sont également de dimension mondiale car les principaux acteurs des marchés sont internationaux. Cependant, la question peut être laissée ouverte pour l’examen de la présente opération, l’analyse concurrentielle en étant inchangée.

19. S’agissant de la dimension géographie des marchés avals de la vente au détail, les autorités de concurrence considèrent que ces marchés sont locaux.

 

I. Analyse concurrentielle

20. Il n’existe aucun chevauchement horizontal des activités des parties à la présente opération, celles-ci n’étant pas présente sur les mêmes marchés.

21. S’agissant des effets verticaux, ils sont étudiés lorsque l’opération réunit des acteurs présents à différents niveaux de la chaine de valeur. Or en l’espèce L Capital et ses mères sont actifs en France principalement dans le secteur du luxe, ainsi que dans le secteur de la distribution au détail de vêtements et de produits de maroquinerie de moyenne gamme, à travers le groupe Sandro/Maje/Claudie Pierlot14. La société cible est quant à elle active dans le secteur de l’offre en gros de produits de bijouterie et d’horlogerie, de lunette et d’articles de maroquineries de moyenne gamme (hors articles de luxe).

22. Cependant, la faisabilité et l’intérêt de pratiques de forclusion dépendent, en premier lieu, du pouvoir de marché de l’entreprise intégrée. En l’espèce, la position de TWC sur chacun des marchés de produits amont est peu significative, même à les considérer comme de dimension nationale. Ses parts de marché sont en effet limitées à [0-5] % pour le HBJO, [5-10] % pour les montres, [0-5] % pour les articles de bijouterie, [0-5] % pour les lunettes non médicales et [0-5] % pour les articles de maroquinerie.

23. Il en est de même à l’aval où le groupe Sandro/Maje/Claudie Pierlot ne distribue pas de lunettes ou d’articles d’horlogerie et n’est que très marginalement présent dans la vente de produits de maroquinerie de moyenne gamme. En effet, dans le secteur très atomisé de la vente de vêtements et accessoires de mode de moyenne gamme, son offre en accessoires représente uniquement […] % de son chiffre d’affaires en 2010 en ce qui concerne la vente de bijoux (représentant un chiffre d’affaires 2010 d’environ […] millions d’euros) et de maroquinerie (représentant un chiffre d’affaires 2010 d’environ […] millions d’euro).

24. Au vu des éléments du dossier, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés.

 

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 11-0103 est autorisée.

 

NOTES :

1 Au 30 juin 2010, LVMH est détenu directement ou indirectement par le Groupe Arnault à hauteur de 47,42 % du capital et de 63,45 % des droits de vote.

2 Dondup est une société italienne contrôlée conjointement par L Capital et le management italien.

3 Contrôle conjoint de Sandro, Maje, Storenext et HF Biousse par L Capital et Florac.

4 Voir COMP/M.1780 LVHM / Prada / Fendi du 25 mai 2000 ; IV/M.1534, Pinault-Printemps-Redoute / Gucci du 22 juillet 1999 ; Décision n°05-D-06 du 23 février 2005 relative à une saisine de la société Studio 26 à l’encontre des sociétés Rossimoda, Marc Jacob’s International, LVHM Fashion Group et LVMH Fashion Group France.

5 Décision n° 10-DCC-139 du 27 octobre 2010 relative à la prise de contrôle conjoint de Maje, Sandro, Claudie Pierlot et HF Biousse par L Capital et Florac.

6 Voir dans le secteur de la parfumerie la lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie au conseil du Groupe Dougals, C 2006-65 du 22 aout 2005

7 Voir IV/M.1534, Pinault-Printemps-Redoute / Gucci du 22 juillet 1999.

8 Voir COMP/M.1780 LVHM / Prada / Fendi du 25 mai 2000 ; IV/M.1534, Pinault-Printemps-Redoute / Gucci du 22 juillet 1999.

9 Notamment décision n°10-DCC-140 du 13 octobre 2010 relative à la prise de contrôle des sociétés Histoire d’Or SAS et Financière MO Holding SAS par Bridgepoint Capital Group Limited.

10 Conseil de la concurrence, Décision n°03-D-60 du 17 décembre 2003 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de l’horlogerie de luxe ; Conseil de la concurrence, Décision n°06-D-24 du 24 juillet 2006, relative à la distribution des montres commercialisées par Festina France.

11 Décision n°01-D-45 du 19 juillet 2001 relative à une saisine présenté par la société Casino France ; Conseil de la concurrence, Décision n°02-D-36 du 14 juin 2002, relative à des pratiques relevées dans le secteur de la distribution de lunettes d’optique sur le marché de l’agglomération lyonnaise.

12 Voir notamment Décision n° 11-DCC-49 du 24 mars 2011 relative à l’acquisition des actifs du groupe La City par le groupe Beaumanoir ; la lettre du Ministre C-2008-16 du 30 avril 2008, aff. Vivarte / Super Sport ; la lettre du Ministre C2008-04 du 4 avril 2008, aff. Défi Mode / Vivarte ; la lettre du Ministre C2007-138 du 12 octobre 2007, aff. Central Partners III / La City ; la lettre du Ministre C2007-28 du 20 avril 2007, aff. Vivarte / Naf-Naf, BOCCRF n°6 bis du 28 juin 2007.

13 Voir par exemple la décision n° 10-DCC-139 du 27 octobre 2010 relative à la prise de contrôle conjoint de Maje, Sandro, Claudie Pierlot et HF Biousse par L Capital et Florac.

14 Contrôle conjoint de Sandro, Maje, Storenext et HF Biousse par L Capital et Florac.