Livv
Décisions

ADLC, 11 août 2016, n° 16-DCC-130

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif de Kalidéa par InterfaCE

ADLC n° 16-DCC-130

10 août 2016

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 19 avril 2016 et déclaré complet le 15 juillet 2016, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Kalidéa par la société InterfaCE formalisée par une lettre d’offre en date du 13 avril 2016 complétée le 18 avril 2016 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;

Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. InterfaCE est une filiale de la société Groupe Up, anciennement Groupe Chèque Déjeuner, qui propose des produits et services à vocation sociale, en particulier des titres-restaurant cofinancés par l’employeur et le salarié, dénommé « Chèque Déjeuner ». InterfaCE a pour activité l’édition de logiciels à destination des comités d’entreprise leur permettant de maîtriser leur politique sociale et culturelle (logiciel de comptabilité intégré, application de gestion complète, magazine d’information, etc.). Depuis 2016, InterfaCE propose également à ses clients la mise à disposition d’une plateforme d’e-commerce afin de commander les produits et services proposés par les comités d’entreprise à leurs bénéficiaires.

2. Kalidéa est une société qui propose aux comités d’entreprise une gamme complète de produits et services afin de faciliter leur mission (progiciel dédié, plateforme de billetterie, etc.). L’offre de Kalidéa s’articule autour de deux principaux services : (i) une solution logicielle qui permet aux comités d’entreprise de piloter leurs budgets et d’animer leurs activités (œuvres sociales et culturelles, cadeaux/dotations et actions d’animation pour améliorer les performances des programmes de motivation pour les directions marketing, commerciales et ressources humaines), et (ii) une plateforme d’e-commerce qui permet à leurs bénéficiaires de commander des produits de culture, de loisirs ou de vie quotidienne. En outre, Kalidéa propose aux comitésd’entreprise d’autres services connexes (services logistiques, services de gestion et services juridiques ou de communication).

3. L’opération, formalisée par une lettre d’offre en date du 13 avril 2016 et une lettre d’offre complémentaire en date du 18 avril 2016, consiste en l’acquisition par la société InterfaCE de la totalité du capital de la société Kalidéa. Cette opération, qui se traduit par la prise de contrôle exclusif de Kalidéa par InterfaCE, constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires hors taxes total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Groupe Up : 347 millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2015 ; Kalidéa : 69 millions d’euros pour l’exercice clos le 30 juin 2015). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Groupe Up : 182 millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2015 ; Kalidéa : 69 millions d’euros pour l’exercice clos le 30 juin 2015). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

5. Les parties proposent aux comités d’entreprise différents produits et services qui leur sont directement destinés (solutions logicielles d’aide à la gestion, à la comptabilité et à la communication) ou que ces comités distribuent ensuite auprès de leurs bénéficiaires (comme des titres-cadeaux, par exemple), notamment au moyen de plateformes d’e-commerce gérées par les parties.

6. Ainsi, les parties sont simultanément actives sur le marché de la fourniture de produits et services à destination des comités d’entreprise (A) et les marchés de la fourniture de produits et services à destination des bénéficiaires des comités d’entreprise (B).

A. LE MARCHÉ DE LA FOURNITURE DE PRODUITS ET SERVICES AUX COMITÉS

D’ENTREPRISE

7. Les parties considèrent qu’il existe un marché de la fourniture d’une offre globale de services aux comités d’entreprise incluant l’ensemble des produits et services proposés par Kalidéa et InterfaCE dans la mesure où les comités d’entreprise font généralement appel à un seul prestataire pour la fourniture de ces services. Les entreprises qui fournissent ces services proposent en effet des offres complètes qui comprennent une gamme étendue de produits et services à destination des comités d’entreprises.

8. Les parties estiment que le marché de la fourniture de produits et services aux comités d’entreprise est de dimension nationale.

9. En tout état de cause, la définition exacte du marché peut rester ouverte dans la mesure où, quelle que soit la segmentation retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées.

B. LES MARCHÉS DE LA FOURNITURE DE PRODUITS ET SERVICES À DESTINATION DES

BÉNÉFICIAIRES DES COMITÉS D’ENTREPRISE

10. Les grandes catégories de produits et services proposées par les parties aux comités d’entreprises à destination de leurs bénéficiaires sont les suivantes : titres cadeaux, billetterie (spectacles, cinéma, musées etc.), abonnements à des clubs de sport ou à la presse et plus marginalement, des produits high-tech et des produits blancs.

11. Seul le marché des titres cadeaux a déjà donné lieu à une pratique décisionnelle des autorités de concurrence1

a) Les marchés amont

12. S’agissant des titres cadeaux, la pratique décisionnelle2 a identifié un marché de la fourniturede titres cadeaux sur lequel se rencontrent les émetteurs de titres cadeaux qui proposent des services de référencement d’une enseigne sur un titre cadeau et les enseignes de distribution de biens et services pouvant être offerts comme cadeaux par l’intermédiaire du titre cadeau. Ce marché a été considéré comme étant de dimension nationale. Groupe Up est la seule partie présente sur ce marché, en qualité d’émetteur de titres cadeaux.

13. À l’exception de Groupe Up pour les titres cadeaux, les parties ne conçoivent pas elles-mêmes les produits et services accessibles aux salariés via leur plateforme d’e-commerce, mais s’approvisionnent auprès de fournisseurs tiers.

14. Par conséquent, les parties estiment qu’il existe autant de marchés amont de l’achat de produits

et services qu’il existe de familles de produits (titres cadeaux, billetterie, abonnements sportifs, abonnements presse, bien-être et produits blancs et high-tech). Elles considèrent en outre que ce marché est de dimension nationale.

15. En tout état de cause, la définition exacte du marché peut rester ouverte dans la mesure où, quelle que soit la segmentation retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées.

b) Les marchés aval

16. Selon les parties, il n’y a pas lieu de segmenter ce marché selon les types de produits et services concernés (principalement, titres cadeaux, billetterie, et abonnements à des clubs de sport ou à la presse) dans la mesure où toutes les entreprises prestataires de services des comités d’entreprise proposent un catalogue varié de produits et services à destination des bénéficiaires.

17. Toutefois, s’agissant des titres cadeaux, la pratique décisionnelle a considéré qu’ils formaient un marché distinct, segmenté entre d’une part les cartes, les chèques et les coffrets cadeaux, et d’autre part, selon le destinataire : consommateur (BtoC) ou organisme intermédiaire, tels que les entreprises, les collectivités ou les comités d’entreprise (BtoB).

18. Les parties considèrent que les entreprises spécialisées dans la fourniture de services auprès des comités d’entreprise, à l’instar d’InterfaCE et Kalidéa, se trouvent en concurrence avec desacteurs de la distribution ou des producteurs qui proposent directement aux comités d’entreprise une offre de produits et services aux salariés tels que (i) les revendeurs spécialisés, (ii) les grandes enseignes qui ont des offres dédiées aux entreprises et comités d’entreprise et (iii) les sites d’e-commerce (Amazon, Ventes Privées) qui ont également des offres dédiées.

19. Elles estiment enfin que la délimitation géographique du marché est de dimension nationale dans la mesure où les réseaux de distribution des enseignes, des sites de e-commerce et des revendeurs spécialisés couvrent l’ensemble du territoire.

20. En tout état de cause, la définition exacte du marché peut rester ouverte dans la mesure où, quelle que soit l’hypothèse retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeureront inchangées.

III. Analyse concurrentielle

A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX

1. SUR LE MARCHÉ DE LA FOURNITURE DE PRODUITS ET SERVICES À DESTINATION DES COMITÉS

D’ENTREPRISE

21. Sur le marché de l’offre d’une solution globale à destination des comités d’entreprise, la part de marché de la nouvelle entité à l’issue de l’opération atteindra [20-30] % ([20-30] % pour Kalidéa et [0-5] % pour le Groupe Up).

22. La nouvelle entité fera face à la concurrence d’opérateurs tels qu’Edenred (ProwebCE), dont la part de marché s’élève à [40-50] %, Comitéo ([5-10] %), Officiel CE et Couleur CE.

23. Compte tenu du faible incrément de parts de marché engendré par l’opération et de la présence de plusieurs opérateurs concurrents, parmi lesquels figure le leader du marché, l’opération n’est pas de nature à soulever des problèmes de concurrence par le biais d’effets horizontaux sur le marché de la fourniture de produits et services à destination des comités d’entreprise.

2. SUR LES MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION DE PRODUITS ET SERVICES À DESTINATION DES

SALARIÉS BÉNÉFICIAIRES DES COMITÉS D’ENTREPRISES

a) Les titres cadeaux

24. S’agissant des marchés de la distribution de titres cadeaux, les activités des parties se chevauchent exclusivement sur le marché de la distribution de chèques cadeaux multi-enseignes aux organismes intermédiaires BtoB d’une part3, et sur le marché de la distribution de coffrets cadeaux aux organismes intermédiaires BtoB, d’autre part.

25. Sur les marchés de la distribution de titres cadeaux et de chèques cadeaux multi-enseignes aux organismes intermédiaires BtoB, Groupe Up détient une part de marché de [30-40] % et Kalidéa [0-5] %.

26. Sur ces marchés, la nouvelle entité fera face à la concurrence d’Edenred (environ [30-40] % de parts de marché), Sodexo (20-30 % de parts de marché) et Titres Cadeaux (5-10 % de parts de marché).

27. Sur le marché de la distribution de coffrets cadeaux aux organismes intermédiaires BtoB, la part de marché de la nouvelle entité ne dépassera pas [0-5] % ([0-5] % pour Kalidéa et [0-5] % pour le groupe Up). La nouvelle entité fera face à la concurrence des principaux opérateurs du marché (Smartbox et Wonderbox).

28. Eu égard au faible incrément de parts de marché occasionné par l’opération et à la présence de plusieurs opérateurs concurrents importants, l’opération n’est pas de nature à soulever des problèmes de concurrence par le biais d’effets horizontaux sur les marchés des titres cadeauxen France.

b) Les autres produits et services

29. Sur le marché global de la distribution de produits et services destinés aux comités d’entreprise, la part de marché de la nouvelle entité s’élèvera à 5-10 %, avec un incrément inférieur à [0-5] point (Groupe Up), si l’on tient compte de la concurrence (i) des revendeurs spécialisés, (ii) des grandes enseignes qui ont des offres dédiées aux entreprises et comités d’entreprise et (iii) des sites d’e-commerce (Amazon, Ventes Privées) qui ont également des offres dédiées

30. Sur un segment sur lequel seraient uniquement actives les entités spécialisées dans la fourniture de services auprès des comités d’entreprise, comme le sont les parties, la part de marché de la nouvelle entité sera de [30-40] % ([20-30] % pour Kalidéa et [0-5] % pour InterfaCE).

31. Sur ce segment, la nouvelle entité demeurera toutefois confrontée à la concurrence de nombreux opérateurs tels que ProwebCE (environ [40-50] %*), Couleur CE (< [5-10] %), Comitéo (< [5-10] %*) et Officiel CE (< [5-10] %).

32. Au regard de la position limitée des parties sur le marché global, d’une part, du faible incrément de parts de marché résultant de l’opération et de la présence de nombreux concurrents sur le segment le plus restreint, d’autre part, l’opération n’est pas de nature à produire des effets horizontaux sur le marché de l’offre de produits et services aux salariés bénéficiaires de comités d’entreprise en France.

B. ANALYSE DES EFFETS VERTICAUX

33. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l’accès aux

marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. On parle alors de « verrouillage » ou de « forclusion » des marchés. Une telle situation accroît le pouvoir de marché de la nouvelle entité et lui permet d’augmenter ses prix ou de réduire les quantités offertes. Deux types de verrouillages sont distingués. Dans le premier cas, l’entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval, ou fournit cet intrant à un prix élevé, dans des conditions défavorables ou à un niveau de qualité dégradé (« verrouillage des intrants »).

Cette forclusion peut être totale, lorsque les concurrents ne sont plus du tout approvisionnés, ou partielle, lorsque le durcissement des conditions tarifaires entraîne une augmentation des coûts des concurrents. Dans le second cas, la branche aval de l’entreprise intégrée refuse d’acheter ou de distribuer les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux (« verrouillage de l’accès à la clientèle »). La pratique décisionnelle des autorités de la concurrence écarte en principe ces risques de verrouillage lorsque la part de l’entreprise issue de l’opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %.

34. Groupe Up émet des titres cadeaux multi-enseignes BtoB « Cadhoc » qu’il commercialise directement auprès des comités d’entreprises qui les distribuent à leurs bénéficiaires, mais également auprès de distributeurs comme Kalidéa qui se chargent de les commercialiser eux[1]mêmes auprès des comités d’entreprise. L’opération est donc susceptible de conduire à uneintégration verticale entre l’émetteur des titres cadeaux et l’un de ses distributeurs.

35. Sur les marchés de l’émission de titres cadeaux (et de chèques cadeaux), la part de marché de Groupe Up s’élève à environ [30-40] %.

36. Pour autant, l’opération n’est pas de nature à entraîner un risque de verrouillage de l’accès au marché au détriment des émetteurs des titres / chèques cadeaux concurrents de Groupe Up ou des distributeurs de titres / chèques cadeaux concurrents de Kalidéa.

37. En effet, même si, à l’issue de l’opération, Kalidéa décidait de s’approvisionner exclusivement auprès de Groupe Up pour l’ensemble de ses besoins en titres / chèques cadeaux, ses concurrents émetteurs disposeraient de débouchés alternatifs conséquents, compte tenu de la position limitée de Kalidéa sur le marché de la distribution de titres / chèques cadeaux multi enseignes aux organismes BtoB (moins de 10 %). En outre, les émetteurs de titres / chèques cadeaux gardent la possibilité de distribuer leurs titres / chèques cadeaux directement aux comités d’entreprise et à d’autres entités.

38. En outre, si à l’issue de l’opération, Groupe Up décidait de fournir ses titres / chèques cadeaux exclusivement à Kalidéa, les concurrents de cette dernière auraient la possibilité de s’approvisionner auprès d’opérateurs concurrents de Groupe Up tels qu’Edenred (« Kadéos », groupe Accor) qui détient environ [30-40] % de part de marché, Sodexo (« TirGroupé ») qui détient entre 20-30 % de part de marché et Titres Cadeaux (groupe Natixis – Banque Postale) qui dispose d’une part de marché de 5-10 % du marché de l’émission de titres / chèques cadeaux.

39. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à soulever des problèmes de concurrence par le biais d’effets verticaux sur les différents marchés des titres cadeaux.

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 16-064 est autorisée.

1 Voir par exemple, la décision de l’Autorité n° 15-DCC-58 du 26 mai 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de ProwebCE par Edenred France SAS.

2 Lettre du Ministre chargé de l’économie du 17 février 2006 relative à une concentration dans le secteur des chèques cadeaux ; décisions de l’Autorité n° 11-D-08 du 27 avril 2011 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Accentiv’Kadeos et n° 15-DCC-58 du 26 mai 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de ProwebCE par Edenred France SAS.

3 La partie notifiante considère que les chèques cadeaux représentent la quasi-totalité des titres cadeaux émis en France. Ainsi, elle estime que les parts de marché calculés sur le marché des titres cadeaux constituent des indications fiables sur un segment de marché limité aux chèques et inversement.

* Rectification d’erreur matérielle.