Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 5 juin 2013, n° 11/17399

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Solstiss (SAS)

Défendeur :

Promod (SAS), Armand Thierry (SAS), Ephigea (SAS), Midi Pile (SARL), Velysam (SARL), Dandy's (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

Mme Chokron, Mme Gaber

Avocats :

Me Flauraud, Me Chaminade, Me Bouzidi-Fabre, Me Dehors, Me Fromantin, Me Lachacinski, Me Fisselier, Me Deschryver, Me Belfayol Broquet, Me Galichet

TGI Paris, du 20 sept. 2011, n° 08/16094

20 septembre 2011

Vu l'appel interjeté le 27 septembre 2011 par la société SOLSTISS (SAS), du jugement contradictoire rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 20 septembre 2011 dans le litige l'opposant aux sociétés PROMOD (SAS), ARMAND THIERRY (SAS), XMF (SAS), MIDI PILE (SARL), VELYSAM (SARL), DANDY'S (SARL) ;

Vu les dernières conclusions de la société appelante SOLSTISS, signifiées le 5 mars 2013 ;

Vu les dernières conclusions de la société PROMOD (SAS), intimée et incidemment appelante, signifiées le 15 janvier 2013 ;

Vu les dernières conclusions de la société ARMAND THIERRY (SAS), intimée, signifiées le 6 novembre 2012 ;

Vu les dernières conclusions de la société EPHIGEA (SAS), venant aux droits de la société PHILDAR (SA), elle-même venant aux droits de la société XMF (SAS), intimée, signifiées le 25 février 2013 ;

Vu les dernières conclusions des sociétés VELYSAM (SARL) et DANDY'S (SARL), intimées, signifiées le 23 avril 2012 ;

Vu l'acte de signification de déclaration d'appel délivré à la société MIDI PILE conformément aux dispositions de l'article 902 du Code de procédure civile le 7 novembre 2011 et remis à personne habilitée ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 26 mars 2013 ;

Vu le courrier en date du 15 avril 2013 par lequel Me Pascale FLAURAUD, avocat constitué pour la société SOLSTISS, prie la Cour de rouvrir les débats afin de lui permettre de rectifier l'erreur matérielle dont serait affecté le dispositif de ses dernières écritures où il serait indiqué :

- Condamner in solidum la société EPHIGEA aux droits de la société XMF et la société DANDY'S à verser à la société SOLSTISS ...

Au lieu de :

- Condamner in solidum la société ARMAND THIERRY et la société MIDI PILE à verser à la société SOLSTISS ...

SUR CE, LA COUR :

Sur la demande de réouverture des débats,

Considérant que la société SOLSTISS soutient que le dispositif de ses dernières écritures du 5 mars 2013 serait entaché d'une erreur matérielle qu'il conviendrait de rectifier au moyen d'une réouverture des débats ;

Mais considérant que force est de relever que le dispositif des écritures précédemment signifiées, le 27 novembre 2012, dans l'intérêt de la société SOLSTISS est, en tous points, identique au dispositif des écritures signifiées le 5 mars 2013, argué d'erreur matérielle ;

Considérant que la société SOLSTISS, qui n'a pas tiré profit du délai de plus de trois mois écoulés entre ses deux derniers jeux d'écriture pour corriger l'erreur matérielle alléguée, est mal venue à demander qu'il lui soit permis de le faire après que la clôture de l'instruction a été prononcée et l'affaire plaidée ;

Que la demande de réouverture des débats est en conséquence rejetée ;

Considérant qu'il est expressément référé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures, ci-dessus visées, des parties ;

Qu'il suffit de rappeler que la société SOLSTISS, fondée en 1974, spécialisée dans la création, la fabrication et la commercialisation de dentelles haut de gamme, ayant découvert, entre les mois de septembre 2008 et février 2009, l'offre en vente par les sociétés PROMOD, ARMAND THIERRY et XMF, cette dernière exerçant sous l'enseigne XANAKA, de vêtements (tuniques et tee-shirts) confectionnés dans un tissu imprimé reproduisant selon elle, un motif de dentelle référencé dans ses collections 371 121 sur lequel elle revendique des droits d'auteur, a fait procéder à des saisies-contrefaçon au siège social de chacune de ces sociétés puis a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris, le 13 novembre 2008, la société PROMOD et ses fournisseurs, les sociétés VELYSAM et DANDY'S, les 13 et 14 novembre 2008, la société ARMAND THIERRY et son fournisseur, la société MIDI PILE, le 2 avril 2009, la société XMF et son fournisseur, la société DANDY'S, au fondement des dispositions des Livres I et III du Code de la propriété intellectuelle ;

Que les premiers juges ont, pour l'essentiel, refusé au dessin de dentelle revendiqué le statut d'oeuvre de l'esprit éligible à la protection par le droit d'auteur, débouté en conséquence la société SOLSTISS de ses demandes en contrefaçon, constaté que les appels en garantie dirigés contre les fournisseurs sont sans objet, rejeté les demandes reconventionnelles en dommages-intérêts respectivement formées par les sociétés PROMOD et XMF pour procédure abusive, condamné la société SOLSTISS aux dépens et à verser une indemnité au titre des frais irrépétibles à chacune des sociétés défenderesses ;

Considérant que la société appelante maintient devant la Cour ses prétentions telles que soutenues devant le tribunal tandis que les sociétés intimées persistent à combattre le grief de contrefaçon en faisant valoir que la société SOLSTISS ne justifierait pas être titulaire de droits sur le dessin invoqué et que le dessin opposé serait dénué d'originalité ;

Sur la titularité des droits,

Considérant que la société SOLSTISS prétend commercialiser le dessin de dentelle référencé dans ses collections 371 121 depuis le seconde semestre 1977 et entend bénéficier de la présomption au titre de laquelle, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, la personne physique ou morale qui exploite l'oeuvre sous son nom est considérée, en l'absence de revendication de quiconque se prétendrait auteur, comme titulaire, sur l'oeuvre, des droits de propriété incorporelle de l'auteur ;

Considérant que les pièces versées à la procédure montrent la présence de la dentelle revendiquée, parfaitement identifiable, et assortie de l'indication ' dentelle SOLSTISS', sur des robes de haute couture exposées dans la revue COLLEZIONI de l'automne-hiver 1991-1992, de mars-avril 1994, de mars-avril 1996, de février-mars 1998, d'août-septembre 1998, automne-hiver 1997-1998, automne-hiver 1998-1999, printemps-été 2000, automne-hiver 2002-2003 ;

Considérant que la dentelle en cause se rencontre également sur les robes de créateurs figurant sur les catalogues SOLSTISS automne-hiver 2005-2006, printemps-été 2006, automne-hiver 2006-2007, printemps-été 2007, printemps-été 2008, automne-hiver 2008-2009 ;

Considérant que le magazine ULTIMA du mois de mai 2006 divulgue la dentelle revendiquée sous le nom de la société SOLSTISS et avec l'indication de la référence 371 121 ;

Considérant enfin que les nombreuses factures émises à compter du 10 mai 1991 justifient enfin d'une commercialisation continue de la dentelle référencée 371 121 par la société SOLSTISS ;

Considérant qu'il s'infère de l'ensemble de ces éléments, auxquels n'est opposée aucune preuve contraire, que la société SOLSTISS exploite sous son nom la dentelle référencée dans ses collections 371 121 non pas depuis le mois de mai 2006, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, mais à tout le moins depuis 1991 et qu'elle est fondée à se prévaloir, à compter de cette date, de la présomption de titularité des droits d'auteur attachés à cette dentelle ;

Considérant que la société SOLSTISS ne saurait prétendre en revanche, à l'appui de l'attestation de Mme FOURISCOT, auteur de l'ouvrage LA FRANCE EN DENTELLES publié en 1979, qu'elle serait titulaire des droits sur la dentelle en cause depuis 1977 ;

Que force est de relever en effet, que si l'ouvrage en question est illustré en quatrième page de couverture d'un motif de dentelle, il ne contient la moindre information susceptible de l'identifier, n'indiquant aucune référence et ne faisant aucunement mention de la société SOLSTISS ;

Qu'en conséquence, faute d'être corroborée par la justification d'un quelconque acte d'exploitation pour les années 1970 ou 1980, l'attestation ne saurait être retenue pour attribuer à la société SOLSTISS le bénéfice de la présomption de titularité des droits à compter du deuxième semestre 1977 ;

Sur l'originalité,

Considérant que pour dénier au motif de dentelle revendiqué le caractère original ouvrant droit à la protection instituée au titre du droit d'auteur, les sociétés intimées prétendent qu'il relèverait du genre de dentelle 'Chantilly', appartenant au domaine public ;

Or considérant que la société SOLSTISS ne revendique pas un genre de dentelle mais un motif particulier de dentelle caractérisé par la combinaison de différents éléments énoncés en page 18 et 19 de ses écritures et notamment les suivants :

- un bouquet de 3 fleurs principales qui se répète à l'infini, chaque bouquet étant disposé suivant les quatre extrémités d'un losange imaginaire,

- les 3 principales fleurs sont librement inspirées de la pivoine et sont dessinées de telle manière que la fleur du haut est relativement fermée et orientée vers le haut, la fleur du milieu, la plus grosse du bouquet, est moyennement ouverte et se présente légèrement plus de face, la fleur du bas est nettement plus ouverte que les autres mais a été néanmoins dessinée de manière à ce que le coeur soit peu visible ;

- le bouquet est agrémenté de 3 feuilles trilobées et nervurées, disposées de façon particulière, et d'une 4ème feuille beaucoup plus petite,

- le bouquet principal est encore agrémenté de 2 petits bouquets de 3 fleurettes inspirées des renoncules sauvages, disposées en triangle,

- les motifs végétaux sont agrémentés de motifs architecturaux : 3 rinceaux dont 2 viennent se poser comme des ailes sur le grand bouquet tandis qu'un unique rinceau vient agrémenter le petit bouquet de renoncules ;

Et considérant que force est de constater que la prétendue banalité du motif de dentelle opposé n'est aucunement avérée au vu des pièces de comparaison versées aux débats qui montrent des motifs de dentelle différents quoique relevant d'un même genre, et en particulier du genre 'Chantilly', mais ne révèlent aucun motif réunissant l'ensemble des caractéristiques invoquées par la société SOLSTISS et tenant notamment à la forme, à l'orientation et à l'agencement des bouquets floraux, des feuilles trilobées et nervurées et des rinceaux ;

Considérant que la Cour observe en définitive, au terme d'une appréciation globale, que la combinaison telle que revendiquée des différents éléments composant le motif de la dentelle 371 121, confère à ce motif une physionomie singulière, qui le distingue des autres motifs du même genre et exprime les partis-pris esthétiques et les choix personnels de son auteur ;

Considérant que le dessin de dentelle revendiqué présente dès lors le caractère original qui lui permet d'accéder à la protection par le droit d'auteur et que le jugement déféré sera infirmé sur ce point ;

Sur la contrefaçon,

Considérant que les sociétés intimées ne contestent pas sérieusement que le dessin imprimé sur les vêtements litigieux reproduit servilement le dessin de dentelle 371 121 de la société SOLSTISS ;

Considérant qu'il ressort en toute hypothèse de l'examen comparatif auquel la Cour a procédé entre d'une part, le tee-shirt référencé 1525014350101151 et la tunique référencée 1525012550103171 commercialisés par la société PROMOD, le tee-shirt référencé 671200651303 commercialisé par la société ARMAND THIERRY, la tunique référencée 44404207202 commercialisée par la société XMF, et, d'autre part, le dessin de dentelle 371 121 de la société SOLSTISS, que le motif imprimé sur le tissu des vêtements argués de contrefaçon reprend à l'identique et dans la même combinaison tous les éléments (bouquets floraux, feuilles trilobées et nervurées, rinceaux) du dessin de dentelle original et produit, au regard de ce modèle, une impression d'ensemble très semblable ;

Qu'il s'ensuit que la contrefaçon, caractérisée selon les dispositions de l'article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, par toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est en l'espèce établie ;

Sur les mesures réparatrices,

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, la juridiction prend en compte, pour fixer les dommages-intérêts, les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte ;

Considérant qu'il résulte des éléments de la procédure, que lors des opérations de saisie-contrefaçon la société PROMOD avait vendu 5220 pièces de contrefaçon et en détenait 16 150 en stock, la société ARMAND THIERRY en avait vendu 910 et en disposait de 1338 en stock, la société XMF en avait vendu 12 167 et en conservait 115 en stock ;

Considérant que c'est avec pertinence que la société SOLSTISS fait valoir qu'elle ne fabrique ni ne vend des vêtements mais de la dentelle au mètre carré et qu'en conséquence, la masse contrefaisante doit être estimée en l'espèce au regard du métrage de tissu nécessaire à la confection des vêtements de contrefaçon ;

Considérant que le calcul proposé par la société SOLSTISS à partir des dimensions des pièces contrefaisantes est raisonnable et abouti à un métrage de 23.929 m2 pour la société PROMOD, de 3215 m2 pour la société ARMAND THIERRY et de 8290 mètres carrés pour la société XMF ;

Considérant qu'il résulte de l'attestation de son commissaire aux comptes que la société SOLSTISS vend le mètre carré de dentelle 371 121 au prix de 54,42 euros HT et dégage une marge de 29,43 euros par mètre carré vendu ;

Considérant que les sociétés PROMOD, ARMAND THIERRY et XMF ont acheté les vêtements contrefaisants pour un prix unitaire de l'ordre de 10 euros auprès de leurs fournisseurs ;

Considérant qu'il doit être retenu enfin, au titre des conséquences économiques négatives, de la dépréciation que subit inéluctablement un modèle de dentelle délicat, appelé à agrémenter des robes de haute couture, des suites de sa reproduction sur un tissu de qualité médiocre utilisé pour des tee-shirts et des tuniques offerts à la vente massivement ;

Considérant que compte tenu de l'ensemble de ces éléments d'appréciation, la société PROMOD sera condamnée à verser à la société SOLSTISS, au titre du préjudice de contrefaçon, des dommages-intérêts d'un montant de 50.000 euros et à la société XMF, des dommages-intérêts d'un montant de 20.000 euros ;

Considérant qu'il est constant que les produits contrefaisants ont été fournis à la société PROMOD par les sociétés VELYSAM et DANDY'S et à la société XMF par la société DANDY'S ;

Considérant que les fournisseurs seront condamnés in solidum au paiement des dommages-intérêts mis à la charge des sociétés PROMOD et XMF ;

Considérant que force est de constater qu'il n'est formé, aux termes du dispositif des écritures de la société SOLSTISS, aucune demande de dommages-intérêts à l'encontre de la société ARMAND THIERRY ;

Considérant que cette dernière, ainsi que son fournisseur la société MIDI PILE, sont visées en revanche par la demande d'interdiction à laquelle il sera fait droit dans les termes du dispositif de l'arrêt ;

Sur les appels en garantie,

Considérant que les appels en garantie sont formés au fondement des dispositions 1147 et 1626 du Code civil ;

Mais considérant que pour justifier de l'engagement contractuel des fournisseurs à les garantir des dommages-intérêts susceptibles d'être prononcés à leur encontre pour contrefaçon, les sociétés PROMOD et XMF produisent des documents en langue anglaise qui ne font pas l'objet d'une traduction jurée et dont la valeur probante ne saurait dès lors être retenue ;

Considérant que les sociétés PROMOD et XMF, professionnelles averties de la vente de produits d'habillement auxquels sont attachés des droits de propriété intellectuelle, ne sauraient par ailleurs se prévaloir de la garantie d'éviction posée à l'article 1626 du Code civil pour s'exonérer de l'obligation qui leur est faite de s'assurer que les produits qu'elles commercialisent sont libres de droits ;

Considérant que ces sociétés ne justifient pas avoir entrepris en l'espèce la moindre vérification en ce sens ;

Qu'elles seront en conséquence déboutées de leur demande de garantie ;

Sur les autres demandes,

Considérant qu'il s'infère du sens de l'arrêt que la demande de dommages-intérêts formée par la société PROMOD à l'égard de la société SOLSTISS pour procédure abusive est dénuée de fondement ;

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau dans les limites de l'appel,

Dit que la société SOLSTISS est fondée à se prévaloir de la présomption de titularité des droits sur le dessin de dentelle 371 121 à compter de 1991,

Dit que ce dessin de dentelle est éligible à la protection par le droit d'auteur,

Condamne in solidum les sociétés PROMOD, DANDY'S et VELYSAM à payer à la société SOLSTISS la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts pour contrefaçon,

Condamne in solidum les sociétés EPHIGEA venant aux droits de la société XMF et DANDY'S à payer à la société SOLSTISS la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour contrefaçon,

Interdit aux sociétés PROMOD, ARMAND THIERRY, EPHIGEA venant aux droits de la société XMF, DANDY'S et VELYSAM de détenir et d'offrir en vente les produits illicites sous astreinte provisoire de 300 euros par infraction constatée ;

Déboute des appels en garantie,

Rejette les demandes contraires aux motifs de l'arrêt,

Condamne in solidum les sociétés PROMOD, ARMAND THIERRY, EPHIGEA venant aux droits de la société XMF, DANDY'S, VELYSAM et MIDI PILE aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et à verser à la société SOLSTISS une indemnité de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles.