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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 2 juillet 2014, n° 12/16908

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Medjdoub

Défendeur :

Sidani (époux)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mme Blum, M. Byk

Avocats :

Me Cheviller, Me Doukhan, Me Peytavi, Me le Goff

TGI Bobigny, du 26 oct. 2011, n° 09/0869…

26 octobre 2011

Par acte des 5 et 29 mai 1992, M. Abdenebi Medjdoub a pris à bail commercial en renouvellement, pour une durée de neuf années à compter du 9 février 1992, des locaux situés [...], à destination de commerce d'alimentation générale, produits étrangers.

Par acte extrajudiciaire du 24 novembre 2004, M. Medjdoub a demandé le renouvellement de son bail à compter du 1er avril 2005 ce à quoi les époux Sidaniont d'abord consenti, le désaccord ne portant que sur le prix du bail renouvelé dont la fixation a été portée devant le juge des loyers commerciaux, avant d'exercer leur droit d'option le 2 janvier 2009 et d'off rir le paiement d'une indemnité d'éviction.

Par jugement en date du 17 mars 2010, le tribunal de grande instance de Bobigny a dit que M. Medjdoub a droit au paiement d'une indemnité d'éviction correspondant à la valeur de remplacement du fonds ainsi qu'au maintien dans les lieux, dit que M. Medjdoub est redevable depuis le 1er avril 2005 d'une indemnité d'occupation de 8.480 € par an, charges et taxes en sus et a désigné M. Cornaton en qualité d'expert avec mission de déterminer le montant de l'indemnité d’éviction dans le cas d'une perte de fonds ;

M. Cornaton a déposé son rapport le 1er janvier 2011 concluant à une indemnité  d'éviction de 164.626 €, indemnités accessoires incluses.

Par jugement rendu le 26 octobre 2011, le tribunal de grande instance de Bobigny a :

- condamné M. et Mme Sidani à payer à M. Medjoub une indemnité d'éviction de 164.526 € avec intérêt au taux légal à compter du prononcé du jugement,

- condamné M. et Mme Sidani aux dépens incluant les frais d'expertise taxés à la somme de 3.001,96 € qui seront augmentés de la somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

M. Abdenebi Medjdoub a relevé appel de cette décision le 18 septembre 2012. Par ses dernières conclusions du 20 mars 2013, il demande à la cour d'infirmer le jugement et de :

- condamner in solidum les époux Sidani à lui payer une indemnité d'éviction de 244.261 € avec intérêt au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir,

- condamner in solidum les époux Sidani aux dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais d'expertise,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné les époux Sidani au paiement d'une somme de2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les condamner in solidum au paiement d'une somme complémentaire de 2.500 € au titre des frais irrépétibles d'appel.

Par leurs dernières conclusions du 7 février 2013, M. Ammar Sidani et Mme Fati ma Meskine, son épouse, demandent à la cour d'infirmer le jugement et de :

- dire que l'indemnité principale, compte tenu de la faculté de réinstallation de M. Medjdoub, se limitera à la valeur du droit au bail de 15.000 €,

- subsidiairement, dire que l'indemnité d'éviction due sera fixée à 108.000 € et les frais accessoires à 2.550 € au titre de l'indemnité de remploi et 3.240 € au titre du trouble commercial, les indemnités de licenciement étant à régler sur justification des sommes effectivement payées,

- condamner M. Medjdoub à leur payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel incluant les frais d’expertise.

SUR CE,

Considérant que formant appel incident, les bailleurs persistent à soutenir que l'indemnité principale d'éviction est une indemnité de transfert et non une indemnité de remplacement ;

Mais considérant qu'il a déjà été statué sur ce point entre les parties par le jugement du 17 mars2010 qui, outre qu'il a fixé l'indemnité d'occupation à la charge de M. Medjdoub, a dit que celui-ci avait droit au paiement d'une indemnité d'éviction correspondant à la valeur de remplacement du fonds ;

Considérant que la valeur du droit au bail étant dérisoire, M. Cornaton a évalué la valeur marchande du fonds à 30 % du chiffre d'affaires moyen des années 2007, 2008 et 2009 (472.000€) soit à 141.600 € ;

Considérant que M. Medjdoub soutient que c'est à tort que l'expert judiciaire a opéré une moyenne entre le taux de 15 % habituellement retenu selon lui pour les ventes en demi-gros et le taux de 45 % retenu pour les ventes au détail ; qu'il fait valoir qu'il n'a aucun acheteur professionnel dans sa clientèle et ne vend qu'au détail, que l'utilisation qu'il fait des termes "demi-gros" n'est qu’une accroche publicitaire visant à attirer la clientèle en arguant de prix bas sans faire usage de l’anglicisme "discount", que la faiblesse de ses marges s'explique par le faible pouvoir d'achat de la population du secteur, que le taux de 45 % du chiffre d'affaires moyen doit en conséquence être retenu pour l'évaluation de la valeur marchande de son fonds de commerce, le taux de 30 % étant celui retenu dans deux décisions judiciaires pour des fonds de commerce situés à Paris qui ne sont en rien comparables au sien ;

Considérant que les époux Sidani répliquent que l'activité de M. Medjdoub couvre également les ventes en demi-gros comme retenu par l'expert au vu tant de l'enseigne du fonds que des déclarations de M. Medjdoub au cours de la procédure en fixation de loyer, que par ailleurs, M. Medjdoub s'abstient, malgré des sommations à cette fin, de produire ses bilans 2011 et 2012, alors que l'indemnité d'éviction doit être évaluée à la date de la décision et qu'en conséquence il doit être débouté de ses prétentions ; qu'ils ajoutent que M. Medjdoub exerçant son activité sur plusieurs lieux, son chiffre d'affaires englobe les recettes réalisées ailleurs que dans les locaux loués, que le taux de 30 % proposé par l'expert n'est pas, ainsi qu'il l'indique à tort, la moyenne entre le taux de 15 % pour la vente de demi-gros et le taux de 30 % qu'il présente pour la vente au détail et qu'en tout état de cause, seul le taux de 15 % du chiffre d'affaires moyen doit être retenu compte tenu de l'activité de demi-gros exercé par M. Medjdoub ce qui établirait la valeur marchande du fonds de commerce à 108.000 € ;

Mais considérant que l'expert judiciaire a pu constater sur place, au cours de ses opérations contradictoirement menées, que les denrées alimentaires de première nécessité proposées à la clientèle par M. Medjdoub dans son magasin à l'enseigne "Épices- Fruits secs- Légumes secs- Riz-Demi-gros- Détail" étaient conditionnées soit en paquets vendus à l'unité soit en vrac dans des sacs de grande contenance ; qu'il n'a cependant pas relevé que M. Medjdoub s'adressait, même partiellement, à une clientèle de professionnels, la qualification de vente au détail ou en demi-gros donné à son activité tenant à la seule différence de conditionnement des produits ; qu'il demeure que M. Medjdoub a reconnu dans le mémoire qu'il a notifié le 14 novembre 2007 dans le cadre de la procédure en fixation de loyer, qu'il vendait à des parti culiers désireux de faire des économies, des sacs de dix à quinze kilos de riz ou de farine ; que son activité ne se réduit donc pas à la vente au détail au sens commun du terme mais comprend aussi la vente de ce qu'il convient d'appeler «demi-gros » ;

Considérant que M. et Mme Sidani ne font pas la preuve qui leur incombe de ce que M. Medjdoub exerce son activité dans plusieurs magasins ; qu'au vu de l'extrait Kbis qu'ils produisent, la SARL Medjdoub Épices dont M. Medjdoub est le gérant et qui a son siège social dans les locaux concernés, est sans activité depuis son immatriculation et la sommation interpellative du 23 juillet2010 dont ils se prévalent, ne révèle aucun fait qui viendrait au soutien de leur argumentation ;

Que par ailleurs, M. Medjdoub verse aux débats son bilan et ses comptes de résultats de l'année2011 mentionnant ses chiffres pour l'année 2010 ce qui permet à la cour de dégager, selon la méthode non critiquée sur ce point de l'expert, le chiffre d'affaires moyen des trois derniers exercices :

année 2009 : 444.332 € x 1 = 444.332 €

année 2010 : 522.665 € x 2 = 1.045.330 €

année 2011 : 469.688 € x 3 = 1.409.064 €

total 2.898.716 € / 6

soit un chiffre d'affaires moyen de l'ordre de 483.120 € qui doit servir de base au calcul de l’indemnité d'éviction ;

Considérant que le pourcentage de 30 % du chiffre d'affaires retenu par l'expert judiciaire prend l’exacte mesure du caractère mixte de l'activité exercée par M. Medjdoub dans des locaux, certes vétustes et situés dans une zone piétonne, mais en face du principal marché couvert de la ville de Saint-Denis, dans un secteur central, animé et de bonne valeur commerciale, l'expert estimant, sans être utilement démenti , que le pourcentage de 15 % du chiffre d'affaires est habituellement retenu pour l'activité de vente en demi-gros et celui de 45 % pour l'activité de vente au détail ;

Considérant que la valeur du fonds de commerce sera en conséquence évaluée à la somme de144.936 € (483.120 € x 30 %) qui constitue l'indemnité principale d'éviction ;

Considérant que s'agissant des indemnités accessoires, si les parties s'accordent sur l'indemnité de3.240 € pour trouble commercial, elles s'opposent sur les frais de remploi que M. Medjdoub demande à voir fixer à 20.798 € au total tandis que les époux Sidani proposent 2.550 € et sur les frais de déménagement que les époux Sidani demandent à voir écarter comme les frais de licenciement ;

Considérant que les frais de remploi seront valablement indemnisés par l'allocation de la somme de14.493,60 € arrondie à 14.494 € correspondant au pourcentage de 10 % d'usage de l'indemnité principale ; que les frais de déménagement sont justifiés par le devis vérifié par l'expert, ce d'autant qu’il n'est pas prouvé que M. Medjdoub dispose d'un entrepôt ; que les frais de licenciement seront payés seulement sur justificatif ;

Considérant que l'indemnité d'éviction due par M. et Mme Sidani à leur locataire évincé s'élève en conséquence à la somme de 167.570 € (144.936 € + 14.494 € + 3.240 € + 4.900 €), au paiement de laquelle ils seront condamnés, outre les frais de licenciement sur justificatifs ;

Considérant que les parti es qui succombent chacune partiellement à ce stade, supporteront par moitié les dépens d'appel ; que M. et Mme Sidani, à l'initiative de l'éviction, conserveront à leur charge les dépens de première instance incluant les frais d'expertise ; que vu l'article 700 du code de procédure civile, les dispositions du jugement à ce titre seront confirmées et les demandes formées sur ce fondement en appel seront rejetées ;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement sauf sur la condamnation de M. et Mme Sidani aux dépens de première instance incluant les frais d'expertise ainsi qu'aux frais irrépétibles de première instance ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

Condamne M. et Mme Sidani à payer à M. Medjdoub la somme de 167.570 € à titre d'indemnité d’éviction, outre les frais de licenciement qui seront payés sur justificatifs, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Déboute les parties de toutes autres demandes ;

Condamne conjointement par moiti é M. Medjdoub d'une part, M. et Mme Sidani d'autre part, aux dépens d'appel.