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Décisions

Cass. com., 29 mars 2011, n° 10-12.272

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Cass. com. n° 10-12.272

28 mars 2011

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Maceo ayant fait constater que des annonces reproduisant ses marques française et communautaire " APRIL 77 " apparaissaient, sans son autorisation, sur les sites Ebay. com et Ebay. fr, a assigné la société de droit américain Ebay Inc, la société de droit luxembourgeois Ebay Europe et la société Ebay France (les sociétés Ebay) devant le tribunal de grande instance de Paris afin d'obtenir la cessation des actes de contrefaçon de ses marques et l'indemnisation de son préjudice ; que les sociétés Ebay ont soulevé l'incompétence de la juridiction française à l'égard de la société Ebay Inc. au profit des juridictions américaines ;

Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense :

Attendu que la société Maceo, Mme X... et M. Y... respectivement mandataire judiciaire et administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Maceo opposent l'irrecevabilité du pourvoi formé par les sociétés Ebay à l'encontre d'un arrêt qui, statuant sur appel d'une ordonnance du juge de la mise en état, a débouté les sociétés Ebay de leur exception d'incompétence territoriale de la juridiction française pour connaître du litige ;

Mais attendu qu'en matière internationale, la contestation élevée sur la compétence du juge français saisi ne concerne pas une répartition de compétence entre les tribunaux nationaux mais tend à lui retirer le pouvoir de trancher le litige au profit d'une juridiction d'un Etat étranger ; que dès lors, le pourvoi en cassation contre l'arrêt ayant statué sur cette exception de procédure a pour fin de prévenir un excès de pouvoir ; qu'il est immédiatement recevable, même s'il n'est pas mis fin à l'instance ;

Et sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 46 du code de procédure civile ;

Attendu que pour débouter les sociétés Ebay de leur exception d'incompétence à l'égard de la société de droit américain Ebay Inc. l'arrêt retient qu'il est établi que le site exploité aux Etats-Unis d'Amérique est accessible sur le territoire français et que le préjudice allégué, ni virtuel, ni éventuel, subi sur ce territoire, peut être donc être apprécié par le juge français, sans qu'il soit utile de rechercher s'il existe ou non un lien suffisant, substantiel ou significatif entre les faits allégués et le territoire français ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi alors que la seule accessibilité d'un site Internet sur le territoire français n'est pas suffisante pour retenir la compétence des juridictions françaises, prises comme celles du lieu du dommage allégué et sans rechercher si les annonces litigieuses étaient destinées au public de France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 décembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Maceo, Mme X... et M. Y... respectivement mandataire judiciaire et administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Maceo, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mars deux mille onze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils pour les sociétés EbayEurope, Ebay France et Ebay Inc.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les sociétés eBay France, eBay Europe SARL et eBay Inc. de leur exception d'incompétence ;

Aux motifs propres qu'« il résulte de l'article 46 du Code de procédure civile, lorsqu'il s'applique en matière internationale, qu'en matière délictuelle le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur pour obtenir la réparation de l'intégralité de son préjudice, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi pour obtenir réparation du dommage subi dans l'Etat où demeure le demandeur ; qu'il convient de faire une distinction entre les critères permettant de déterminer l'éventuelle compétence du juge français, qui, ne préjugeant bien évidemment pas de la décision au fond, ne doivent pas, par une excessive complexité, interdire 1'accès à un juge dans un délai raisonnable, et ceux permettant à ce juge d'apprécier concrètement si les faits allégués constituent ou non une contrefaçon ; qu'il est établi que le site exploité aux Etats-Unis d'Amérique est accessible sur le territoire français ; que le préjudice allégué, ni virtuel, ni éventuel, subi sur ce territoire, peut donc être apprécié par le juge français, sans qu'il soit utile de rechercher s'il existe ou non un lien suffisant, substantiel ou significatif entre les faits allégués et le territoire français ; qu'il importe donc peu que les annonces du site litigieux soient rédigées en anglais, la compréhension de quelques mots basiques en cette langue étant aisée pour quiconque ; que la vente en France de produits prétendus contrefaisant est établie ; ou, et que l'appellation ". com " n'emporte aucun rattachement à un public d'un pays déterminé » (arrêt, p. 3 et 4) ;

Et aux motifs, à les supposer adoptés, que « le fait dommageable est caractérisé dès lors qu'il existe un lien suffisant, substantiel ou significatif entre les faits délictueux, en l'occurrence la contrefaçon, et le dommage allégué sur le territoire français ; qu'en l'espèce, il ressort des procès-verbaux de constat d'huissiers des 28 novembre 2007, 12 mars, 15 avril et 11 octobre 2008 que les faits reprochés ont été constatés sur le site internet www. ebay. com ; que le terme " com " est un code rattachant le site concerné au marché du pays, ce code constituant une indication descriptive comprise par tout internaute. Ce site est rédigé en langue anglaise et la monnaie de paiement est le dollar ; qu'il convient cependant de relever que l'huissier a accédé à ce site www. ebay. com en France soit directement depuis la barre d'adresse soit par le biais du site internet www. ebay. fr, rédigé en français, en cliquant sur le lien " Etats-Unis " ; que sur le site www. ebay. com, l'huissier a acheté le 28 novembre 2007 un pantalon en jean, la langue anglaise et la monnaie utilisée n'apparaissant pas être un obstacle à la réalisation de l'achat, d'autant que les offres de vente litigieuses sont accompagnées de photographies, que certaines indiquent le montant des frais d'envoi vers l'Europe et que suite à l'acquisition, l'huissier a reçu un courrier électronique rédigé en grande partie en français confirmant l'objet et le prix, et lui permettant de vérifier dans sa langue le contenu de son achat. Le fait de savoir par quelle société ce courrier électronique est envoyé, à savoir la société eBay Europe SARL ou eBay France, est indifférent à ce stade de la procédure et devant le juge de la mise en état saisi uniquement d'une exception d'incompétence ; qu'il apparaît ainsi que le site www. ebay. com est susceptible d'avoir un impact économique sur le public français et d'engendrer de ce fait un préjudice à l'égard de la société Maceo sur le territoire national ; qu'il existe dès lors un lien suffisant, substantiel ou significatif entre les faits délictueux invoqués, en l'occurrence la contrefaçon, et le dommage allégué sur le territoire français justifiant la compétence du Tribunal de Grande Instance de Paris à l'encontre de la société eBay Inc. qui indique exploiter le site ebay. com. Il convient donc de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés défenderesses » (ord., p. 3 et 4) ;

Alors, d'une part, que, sauf à leur donner une compétence universelle, les juridictions françaises prises comme celles du lieu du fait dommageable ou de réalisation du dommage lui-même ne sont compétentes en application de l'article 46 du Code de procédure civile pour connaître de faits de contrefaçon réalisés sur un site internet que si les faits et actes dommageables allégués présentent avec la France un lien suffisant, substantiel ou significatif et sont susceptibles d'avoir en France un impact économique ; que ces conditions ne sont pas réalisées lorsque le site exploité par le défendeur, bien qu'accessible depuis la France, n'est pas orienté vers un public français, auquel cas le demandeur n'est pas susceptible de subir un dommage en France du fait de ce site ; que dès lors, en rejetant l'exception d'incompétence soulevée par les sociétés eBay sur la seule constatation que le site est accessible sur le territoire français et en estimant inutile de rechercher s'il existait ou non un lien suffisant, substantiel ou significatif entre les faits et actes dommageables allégués et le territoire français, la Cour d'appel a violé l'article 46 du Code de procédure civile ;

Alors, d'autre part et subsidiairement, qu'en supposant adoptés les motifs du premier juge, qui avait admis l'existence d'un lien suffisant, substantiel ou significatif entre la contrefaçon alléguée et le territoire français, celui-ci s'était borné à constater que l'huissier avait pu accéder au site «. com. » rédigé en langue anglaise et indiquant le dollar comme monnaie de paiement, avait ainsi acheté un pantalon en jean, puis avait reçu confirmation par un courrier électronique rédigé en grande partie en français ; qu'en l'état de tels motifs qui ne caractérisent que l'accessibilité du site par un internaute en France, mais non son orientation vers un public français, ni un lien suffisant, substantiel ou significatif de sorte que le site en cause serait susceptible d'avoir un impact économique sur un tel public, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 46 du Code de procédure civile.