Cass. com., 19 février 2013, n° 11-28.256
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Avocats :
Me Copper-Royer, SCP Gadiou et Chevallier
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 octobre 2011), que la SCI Joyo (la SCI) a été mise en redressement judiciaire, par jugement du 18 mai 2009 ; qu'après une période d'observation de douze mois, le tribunal a, par jugement du 14 juin 2010, rejeté le plan d'apurement du passif proposé par la SCI et a prononcé la liquidation judiciaire de celle-ci ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté les exceptions de nullité qu'elle a soulevées, alors, selon le moyen :
1°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ; que le fait qu'un juge ayant déjà rendu une décision portant une appréciation négative de la cause, participe, voire a fortiori, préside la juridiction appelée à statuer ultérieurement sur ladite cause est de nature à faire peser un soupçon légitime de partialité sur la juridiction ; qu'il ressortait des propres constatations de la cour d'appel que le tribunal ayant prononcé la liquidation judiciaire de la SCI Joyo avait été présidé par le juge-commissaire ayant, non seulement émis un avis "réservé" "annonçant clairement le peu de crédit apporté par le juge-commissaire aux solutions d'apurement" proposées par l'exposante, mais ayant également "refusé l'autorisation à la SCI à consentir un bail commercial au profit d'un locataire n'ayant pas fourni les éléments sollicités sur ses capacités financières et sa solvabilité", plan sur lequel la SCI Joyo fondait notamment son plan de redressement ; qu'en rejetant dès lors l'exception de nullité soulevée par la SCI Joyo tirée de la partialité du tribunal appelé à se prononcer sur l'adoption de son plan de redressement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et de celles de l'article L. 626-1 et suivants du code de commerce ;
2°/ que le mandataire judiciaire doit recueillir, individuellement ou collectivement, l'accord de chaque créancier qui a déclaré sa créance sur les délais et remises proposés dans le cadre du plan de redressement ; qu'il ressortait des propres constatations de la cour d'appel que la Caisse d'épargne (appelée à tort caisse de Crédit agricole), un des principaux créanciers de la SCI Joyo n'avait pas répondu pendant le cours du délibéré sur les propositions d'apurement ; que la cour d'appel a cependant rejeté l'exception de nullité soulevée par la SCI Joyo tirée de l'absence de consultation dudit créancier sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si la Caisse d'épargne avait été mise à même de faire valoir ses observations à quelques jours du prononcé du jugement ; que ce faisant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article L. 626-5 du code de commerce ;
3°/ qu'en vertu du principe du contradictoire, le juge a l'obligation de ne fonder sa décision que sur des pièces et des moyens dont les parties ont été mises à même de débattre contradictoirement ; qu'il ressortait des propres constatations de la cour d'appel que "le jugement (de liquidation judiciaire du 14 juin 2010) invoque une décision dudit juge-commissaire ayant refusé (ordonnance du 14 juin 2010) l'autorisation à la SCI à consentir un bail commercial au profit d'un locataire n'ayant pas fourni les éléments sollicités sur ses capacités financières et sa solvabilité…" ; qu'en rejetant l'exception de nullité soulevée par la SCI Joyo tirée de la violation du principe du contradictoire sans avoir recherché si elle avait été mise à même de prendre position sur le refus du juge-commissaire d'accorder l'autorisation de bail commercial, connu ainsi le jour même du prononcé de la liquidation judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 16 du code procédure civile et de celles de l'article L. 626-1et suivant du code de commerce ;
Mais attendu, d'une part, que dès lors que le tribunal n'était pas saisi d'un recours contre l'ordonnance du juge-commissaire ayant refusé d'autoriser la SCI à consentir un bail commercial, la seule présence de ce magistrat parmi les membres du tribunal appelé à statuer sur le plan d'apurement du passif n'est pas de nature à faire naître un doute raisonnable sur l'impartialité de la juridiction et, partant, n'est pas contraire aux dispositions de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu, d'autre part, qu'en relevant que le tribunal a demandé au mandataire judiciaire, lors de l'audience du 10 mai 2010, de consulter en cours de délibéré les créanciers sur les propositions d'apurement du passif établies par la SCI, et que par la suite ce dernier a communiqué au tribunal les réponses obtenues des créanciers et la copie du courrier qu'il a adressé au conseil de la SCI, lequel était ainsi mis en mesure de faire connaître au tribunal ses éventuelles observations, la cour d'appel a exactement retenu que l'absence de réponse de la Caisse ne faisait pas obstacle à ce que le tribunal statuât sur le plan de redressement qui lui était soumis dès lors que le délai de trente jours prévu à l'article L. 625-6 du code de commerce était respecté ;
Attendu, enfin, que loin de fonder sa décision sur le refus du juge-commissaire d'autoriser la conclusion d'un bail commercial, l'arrêt, après avoir pris en considération le passif déclaré, retient que le seul actif dont la société est propriétaire ne génère aucun revenu et que la lettre d'intention émanant de M. X... en vue d'acquérir les parts sociales de Mme Y... et d'apporter 300 000 euros en compte courant ne peut être considérée comme une perspective sérieuse d'apurement du passif ;
D'où il suit que le moyen, inopérant dans sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le second moyen :
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, alors, selon le moyen :
1°/ que le plan de redressement est adopté quand il existe une possibilité sérieuse pour l'entreprise d'être sauvegardée, la voie de la liquidation judiciaire n'étant ouverte qu'en cas de redressement manifestement impossible ; que s'agissant de son passif, la SCI Joyo faisait valoir, dans ses conclusions récapitulatives d'appel, que la créance de la Caisse d'épargne en garantie de laquelle avait été affectées des valeurs mobilières, n'était plus exigible dès lors qu'elle avait été "réglée dans le cadre des dettes de la succession de Mme Y... et que la gérante, Mme Z..., a pris l'engagement de ne pas la réclamer durant le plan" ; que pour prononcer la liquidation judiciaire de la SCI Joyo, la cour d'appel s'est cependant bornée à affirmer qu' "il n'est pas justifié par la SCI du désintéressement allégué de la Caisse d'épargne" ; qu'en statuant ainsi sans avoir nul égard aux conclusions de l'exposante faisant valoir l'extinction de la créance de la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 626-1 et suivant et L. 640-1 et suivants du code de commerce ;
2°/ que le plan de redressement est adopté quand il existe une possibilité sérieuse pour l'entreprise d'être sauvegardée, la voie de la liquidation judiciaire n'étant ouverte qu'en cas de redressement manifestement impossible ; que la SCI Joyo se prévalait, dans ses conclusions récapitulatives d'appel, d'un avenant du 1er octobre 2010 entraînant la transformation en bail d'habitation du bail commercial lequel avait initialement fait l'objet, le 10 juin 2010, d'un défaut d'autorisation du juge-commissaire ; qu'après avoir retenu l'existence dudit avenant susceptible de procurer un revenu substantiel à la SCI Joyo, la cour d'appel a pourtant considéré qu'il ne pouvait constituer une perspective sérieuse de redressement au motif totalement inopérant de ce que le prononcé de la liquidation judiciaire emportait dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens au profit du liquidateur ; que, ce faisant, la cour d'appel a méconnu les dispositions des articles L. 626-1 et suivants et L. 640-1 et suivants du code de commerce ;
3°/ que le plan de redressement est adopté quand il existe une possibilité sérieuse pour l'entreprise d'être sauvegardée, la voie de la liquidation judiciaire n'étant ouverte qu'en cas de redressement manifestement impossible ; que la SCI Joyo se prévalait également, dans ses conclusions récapitulatives d'appel, de l'engagement de M. X... du 13 janvier 2011 d'acquérir les parts sociales de feu Mme Y... et d'apporter en compte courant l'importante somme de 300 000 euros en cas d'obtention d'un plan de redressement étant précisé que "M. X... justifie par une attestation bancaire et également par un mandat de vente pour un bien estimé à 1 650 000 euros qu'il a donné de sa capacité à tenir son engagement financier" ; qu'en considérant dès lors que ledit engagement ne pouvait être retenu comme une perspective sérieuse d'apurement du passif sans avoir nul égard aux éléments établissant ainsi la capacité financière de M. X... et le sérieux de son engagement, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 626-1 et suivants et L. 640-1 et suivants du code de commerce ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que le bien immobilier, constituant le seul actif de la SCI, ne générait aucun revenu depuis l'ouverture de la procédure, que le passif déclaré s'élevait à 424 861 euros, que l'avenant au bail commercial avait été conclu à une date où le débiteur était dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens et que les pièces produites par M. X..., à l'appui de sa lettre d'intention d'acquérir les parts sociales de Mme Y... et d'apporter 300 000 euros en compte courant, ne contenaient pas de précisions suffisantes sur ses facultés financières garantissant le paiement immédiat de cette somme, la cour d'appel a souverainement retenu que l'existence de possibilités sérieuses de redressement et de règlement du passif n'était pas établie ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.