CA Montpellier, 20 février 2019, n° 19/00045
MONTPELLIER
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
New EAS (SAS)
La société New EAS est spécialisée dans la maintenance, la réparation et l'entretien d'avions moyens à gros-porteurs d'une capacité supérieure à 150 passagers.
Elle a été constituée en 2014, à la suite d'une cession intervenue dans le cadre d'une procédure collective.
En juillet 2017, la société ENHANCE AERO GROUP, également spécialisée dans la maintenance aéronautique, fondée par Monsieur L. qui en est le principal actionnaire, a acquis l'intégralité du capital de la société New EAS.
La situation dégradée de la trésorerie de la société New EAS a conduit Monsieur L. à solliciter l'ouverture d'une procédure de sauvegarde et, par jugement du 22 décembre 2017, le tribunal de commerce de Perpignan a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de la société New EAS, a désigné la Selarl Esaj, prise en la personne de Me Éric S., et la Scp T. Partners, prise en la personne de Me Jonathan El B., en qualité d'administrateurs judiciaires avec mission d'assistance, a désigné Me Hélène G. et Me Jean-François P. en qualité de mandataires judiciaires et a fixé à six mois la durée de la période d'observation expirant le 22 juin 2018.
Par ordonnance du 22 janvier 2018, le président du tribunal de commerce a désigné Me Vanessa A. en qualité de mandataire judiciaire en remplacement de Me Hélène G..
Par jugement du 6 juin 2018, le tribunal de commerce de Perpignan a ordonné le renouvellement de la période d'observation jusqu'au 22 décembre 2018 et a renvoyé l'affaire à l'audience du 18 juillet 2018 à 8h30 pour qu'il soit statué sur la poursuite de la période d'observation ou sur la liquidation judiciaire.
À l'audience du 18 juillet 2018, en l'état de la régularisation du passif social de la période d'observation, le tribunal de commerce a autorisé la poursuite de la période d'observation jusqu'au 22 décembre 2018.
Le 3 octobre 2018, Me El B. et Me S. ont déposé une requête aux fins de conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire.
Par jugement du 31 octobre 2018, le tribunal de commerce de Perpignan a constaté l'état de cessation des paiements de la société New EAS, a converti la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire, fixant provisoirement la date de cessation des paiements au 31 août 2018, a maintenu les organes de la procédure, a maintenu la fin de la période d'observation au 22 décembre 2018 et a renvoyé l'affaire à l'audience du 19 décembre 2018 afin qu'il soit statué sur un projet de plan de redressement, le renouvellement de la période d'observation ou la conversion en liquidation judiciaire si le redressement est impossible.
Par jugement du 20 décembre 2018, le tribunal de commerce de Perpignan a prolongé, à titre exceptionnel, la période d'observation jusqu'au 22 juin 2019 et a renvoyé l'affaire au 17 janvier 2019 à 10 heures pour qu'il soit statué sur le projet de plan de redressement de l'entreprise.
Par jugement du 17 janvier 2019, le tribunal de commerce de Perpignan a débouté la société New EAS de sa demande de renvoi et a rejeté le plan de redressement par voie de continuation proposé par la société New EAS.
La société New EAS a interjeté appel de ce jugement.
Par actes des 5, 6 et 8 février 2019, la société New EAS a fait assigner la Selarl Esaj, prise en la personne de Me Éric S., et la Scp T. Partners, prise en la personne de Me Jonathan El B., tous deux ès qualités d'administrateurs judiciaires, Me Jean-François P. et Me Vanessa A., tous deux ès qualités de mandataires judiciaires de la société New EAS, Me Hélène G. ès qualités de liquidateur de la société EAS DEVELOPPEMENT et le CGEA de Toulouse devant la juridiction des référés du premier président aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement rendu par le tribunal de commerce de Perpignan le 17 janvier 2019 portant le numéro RG 2018F2009 rejetant le plan de redressement par voie de continuation présenté par la société New EAS.
Par ces assignations et par conclusions déposées à l'audience et développées oralement, la société New EAS soutient que l'exécution provisoire peut être arrêtée en présence de moyens sérieux ou si l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.
S'agissant des moyens sérieux, la société New EAS fait valoir qu'en l'absence du rapport du juge-commissaire, le jugement devra être annulé pour violation des dispositions de l'article R662-12 du code de commerce, qu'en raison d'un principe de primauté du plan de redressement sur le plan de cession il n'y a pas lieu de prendre en compte l'analyse de toute offre de reprise, qu'à la date à laquelle la cour statuera il ne subsistera aucun état de cessation des paiements, de sorte qu'elle pourra étudier le plan de redressement présenté par elle, et qu'elle justifie de possibilités sérieuses de redressement.
S'agissant des conséquences manifestement excessives sur la continuation de l'activité, la société New EAS soutient que le maintien de l'exécution provisoire entraînera des conséquences irréversibles alors qu'en l'attente de l'audience d'appel fixée au mois d'avril 2019 elle sera sans activité, consommant ainsi l'ensemble de sa trésorerie disponible, qu'elle ne pourra pas recouvrer les sommes dues par ses clients, alors même que la société S. Technics, bénéficiaire de la cession, a procédé à la remise d'avions à des clients restant devoir des sommes très importantes et enfin que le contexte social est extrêmement tendu.
Par conclusions notifiées par la voie électronique le 12 février 2019 et développées oralement à l'audience, la Selarl Esaj, prise en la personne de Me Éric S., la Scp T. Partners, prise en la personne de Me Jonathan El B., tous deux ès qualités d'administrateurs judiciaires et Me Vanessa A., ès qualités de mandataire judiciaire de la société New EAS, concluent au débouté de toutes les demandes, fins et conclusions de la société New EAS et sollicitent la condamnation de celle-ci au paiement de la somme de 8000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La Selarl Esaj, la Scp T. Partners et Me Vanessa A. soutiennent à cette fin que le tribunal de commerce a rendu le jugement dans le respect des dispositions de l'article R662-12 du code de commerce, que la société New EAS demeure en état de cessation des paiements et qu'elle ne fait valoir aucun moyen sérieux au soutien de son appel en l'absence d'éléments nouveaux au soutien de ses perspectives de redressement et enfin que les "conséquences manifestement excessives" évoquées à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article R. 661-1 du code de commerce ne peuvent fonder l'arrêt de l'exécution provisoire que des décisions rendues en application de l'article L. 663-1-1 du même code.
Le CGEA de Toulouse, contrôleur, a notifié par voie électronique des conclusions le 12 décembre 2019, développées oralement à l'audience, par lesquelles il conclut au débouté de l'intégralité des demandes de la société New EAS en l'absence de sérieux du moyen tenant à l'absence de rapport du juge-commissaire, en l'absence de certitude d'un redressement par voie de continuation et en l'absence de conséquences manifestement excessives.
Maître Jean-François P., mandataire judiciaire de la société New EAS, et Me Hélène G., mandataire judiciaire de la société EAS DEVELOPPEMENT, contrôleur, n'ont pas comparu.
Le ministère public a conclu à l'arrêt de l'exécution provisoire.
MOTIFS
Il convient en liminaire de rappeler qu'en vertu des dispositions de l'article R.661-1 du code de commerce le jugement en cause est exécutoire de plein droit à titre provisoire et qu'aux termes de ces mêmes dispositions "par dérogation aux dispositions de l'article 524 du code de procédure civile, le premier président de la cour d'appel, statuant en référé, ne peut arrêter l'exécution provisoire (') que lorsque les moyens à l'appui de l'appel paraissent sérieux", sans qu'il y ait lieu d'examiner, comme soutenu par la société New EAS, les conséquences susceptibles d'être entraînées par l'exécution provisoire alors que cet examen n'est requis que pour les mesures conservatoires ordonnées en application des articles L. 621-2, L. 631-10-1 et L. 651-4 du code de commerce.
La société New EAS soutient en premier lieu que le jugement en cause serait nul pour avoir été rendu en violation des dispositions de l'article R. 662-12 du code de commerce aux termes desquelles "le tribunal statue sur rapport du juge-commissaire sur tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaire".
Il apparaît cependant que Monsieur B., juge-commissaire titulaire, a déposé, le 17 janvier 2019, sous le numéro RAP2019/00616, son rapport, daté du 16 janvier 2019, "concernant l'audience du 17/01/2019 à 10h00, numéro de rôle 2018F2009", selon certificat de dépôt du greffier du tribunal de commerce de Perpignan du 5 février 2019.
Par ailleurs, le jugement rendu vise expressément "les rapports du juge-commissaire et des administrateurs judiciaires", sans qu'il puisse être affirmé, comme le soutient la société New EAS, que cette mention serait "nécessairement erronée".
Il importe peu, comme attesté par deux témoins, que l'avis n'ait pas été présenté oralement, ce qui ressort également du plumitif d'audience, ce qui n'est imposé par aucun texte, dès lors que la juridiction a bien statué en référence au rapport du juge-commissaire.
La société New EAS affirme ensuite l'absence d'état de cessation des paiements en considération d'un accord de partenariat, rédigé en langue anglaise, signé le 16 janvier 2018 avec les sociétés FAMMA AG, TEAM'R et DART AVIATION TECHNICS, d'une convention de séquestre visant à "garantir l'exécution des engagements souscrits dans le cadre (de ce) plan de continuation qui serait éventuellement adopté par le tribunal de commerce de Perpignan "par lequel la société FAMMA déclare déposer, à titre de séquestre, entre les mains de la société F. P., inscrite au barreau de Brest, la somme de 2.000.000 €, et d'un ordre de virement de la même somme, daté du 17 janvier 2019, rédigé en langues anglaise et chinoise.
Au-delà de l'absence de traduction de deux des pièces produites, étant relevé qu'il ne s'agit pas de pièces de procédure et, qu'elles ont été manifestement comprises et analysées par l'ensemble des parties, à l'exception des mentions rédigées en langue chinoise, il ne peut qu'être constaté que la convention de séquestre prévoit que "le retrait du séquestre ne peut être effectué qu'au vu d'une instruction du déposant, et à sa seule discrétion, aux termes de laquelle il demandera au séquestre soit de les lui restituer, soit de les verser à un tiers, au titre des sommes dues en exécution du plan de redressement ordonné par le tribunal de commerce de Perpignan", qu'au surplus, "il est expressément convenu que la durée du séquestre ne pourra excéder un mois et qu'un mois après la date de réception des fonds sur le compte CARPA du séquestre, et sans instruction du déposant visant à les verser un tiers, le séquestre les lui restituera".
Il en résulte que la somme déposée, à supposer qu'elle le soit alors qu'aucune pièce ne justifie du dépôt effectif de la somme en cause, ne peut être débloquée que sur instruction de la société FAMMA AG et à sa seule discrétion, que la société New EAS n'est à aucun moment identifiée comme destinataire des sommes séquestrées et enfin, toujours sous la même réserve du dépôt effectif de la somme en cause, que le séquestre est tenu, un mois après le dépôt, de la restituer au déposant.
Au demeurant, ces pièces et les engagements pris n'ont plus de portée alors que la société New EAS affirme avoir renégocié les termes de l'accord et de la convention de séquestre et qu'elle indique que désormais l'investisseur "accepterait" de détenir 49'% du capital de New EAS moyennant l'apport de 500'000 € en capital et que le prêt visé par l'accord, désormais non porteur d'intérêts, ne serait remboursé qu'à l'issue du complet remboursement par New EAS de son plan de redressement, ces affirmations n'étant soutenues par aucune pièce marquant l'accord de cet investisseur, dont les capacités financières ne sont demeurant pas précisées.
La société New EAS ne peut davantage soutenir au regard de sa situation comptable qu'existe, conformément aux dispositions de l'article L.626-1 du code de commerce, une possibilité sérieuse d'être sauvegardée, ce qui ne peut être retenu en l'état d'un prévisionnel intégrant au poste clients à recouvrer une créance importante, pour près de la moitié du poste client, qui ne fait l'objet d'aucune dépréciation alors que le client en cause, la société IAI, en refuse le règlement et que les perspectives de recouvrement, s'agissant d'une entreprise étrangère sans actifs situés sur le territoire français, sont des plus limitées, et en l'état d'un état de cessation de paiement continu depuis le mois d'août 2018, dont notamment 2'057'980 € d'arriéré URSSAF pour la période d'août 2018 à janvier 2019, y compris le précompte salarial d'un montant de 490'000 €, ce qui relève d'une qualification pénale, et 567'479 € au titre de la caisse de retraite AG2R dont 389'000 €pour la période d'observation.
Contrairement à ce que peut affirmer la société New EAS, la mise en place d'un échéancier, s'agissant de la dette URSSAF, est illusoire au regard du courrier du 10 janvier 2019 en réponse à une demande d'échéancier par lequel cet organisme s'est borné, en l'état d'un délai renégocié à trois reprises mais non tenu et de l'obligation du paiement des cotisations courantes et des parts salariales, condition de recevabilité de la mise en place d'un échéancier, à préciser qu'il sera attentif à la fourniture de "solides garanties", dont l'absence ne peut cependant qu'être constatée.
Ces différents éléments révèlent l'absence de moyens sérieux à l'appui de l'appel interjeté à l'encontre du jugement par lequel le tribunal de commerce de Perpignan a rejeté le plan de redressement par voie de continuation proposé par la société New EAS, et il convient par voie de conséquence de rejeter la demande d'arrêt de l'exécution provisoire.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la Selarl Esaj, prise en la personne de Me Éric S., la Scp T. Partners, prise en la personne de Me Jonathan El B., tous deux ès qualités d'administrateurs judiciaires et Me Vanessa A., ès qualités de mandataire judiciaire de la société New EAS, partie des frais irrépétibles qu'elles ont pu exposer et il convient de leur allouer à ce titre la somme de 4000 €.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par décision réputée contradictoire,
Rejette la demande d'arrêt de l'exécution provisoire,
Condamne la société New EAS à payer à la Selarl Esaj, prise en la personne de Me Éric S., la Scp T. Partners, prise en la personne de Me Jonathan E., tous deux ès-qualités d'administrateurs judiciaires et Me Vanessa A., ès-qualités de mandataire judiciaire de la société New EAS la somme de 4000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société New EAS aux dépens.