CA Paris, 4e ch., 7 juin 1995, n° D19950065
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cottonade (SARL)
Défendeur :
Sylviane Clair (Sté.)
FAITS ET PROCEDURE
Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il convient de rappeler les éléments essentiels suivants :
Se prévalant de leurs droits sur un modèle le chemisier référencé : "chemise nouée popeline JG 261" et estimant que la société COTTONADE commercialisait à un prix inférieur un chemisier en reproduisant toutes les caractéristiques, Madame V et la société SYLVIANE CLAIR l'ont par exploit en date du 5 Mai 1992 assignée devant le TGI de Paris en contrefaçon sur le fondement de la loi du 11 Mars 1957 et en concurrence déloyale.
Elles sollicitaient outre les mesures habituelles d'interdiction sous astreinte et de publication le paiement de diverses sommes à titre de dommages et intérêts outre le bénéfice de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
La société COTTONADE estimant que le modèle opposé n'était pas protégeable et que les demanderesses ne justifiaient d'aucun fait distinct de concurrence déloyale concluait au rejet de leurs prétentions et formait une demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi qu'une demande du chef de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Le Tribunal par le jugement entrepris après avoir retenu que le modèle opposé était protégeable sur le fondement de la loi du 11 Mars 1957, a dit que la société COTTONADE avait commis des actes de contrefaçon dudit modèle.
En conséquence il l'a condamné à payer respectivement, à titre de dommages et intérêts, à Madame V la somme de 20.000 frs et à la société SYLVIANE CLAIR la somme de 150.000 frs.
En outre il a prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte avec exécution provisoire et autorisé diverses mesures de publication.
En revanche il a débouté la société SYLVIANE CLAIR de sa demande du chef de la concurrence déloyale et la société COTTONADE de sa demande en paiement de dommages intérêts pour procédure abusive.
Il a condamné la société COTTONADE à payer à la société SYLVIANE CLAIR la somme de 5.000 frs en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
La société COTTONADE a interjeté appel le 28 avril 1993.
Elle demande à la Cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a reconnue coupable de contrefaçon et de débouter Madame V et la société SYLVIANE CLAIR de leurs demandes de ce chef.
En revanche elle poursuit sa confirmation en ce qu'il a constaté l'inexistence d'actes de concurrence déloyale.
Par ailleurs elle sollicite la condamnation des intimées à lui payer la somme de 50.000 frs à titre de dommages et intérêts outre une somme de 20.000 frs en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Madame V et la société SYLVIANE CLAIR poursuivent la confirmation du jugement entrepris sauf des chefs de la concurrence déloyale et des dommages intérêts.
Formant appel incident de ces chefs, elles demandent à la Cour de déclarer COTTONADE coupable de concurrence déloyale au détriment de SYLVIANE C et de la condamner à verser à :
- Madame V la somme de 200.000 frs à titre de dommages et intérêts pour contrefaçon et atteinte à son droit moral outre 30.000 frs au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
- SYLVIANE C la somme de 500.000 frs à titre de dommages et intérêts pour contrefaçon et concurrence déloyale outre 30.000 frs en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
DECISION
I - SUR LA VALIDITE DU MODELE
Considérant que COTTONADE critique le jugement en ce qu'il a retenu que le modèle opposé avait été créé en avril 1991 et qu'il n'existait aucune antériorité de toutes pièces.
Que selon elle, il est permis de douter de la date de création avancée par Madame V dans la mesure où le procès-verbal d'huissier constatant son existence ne date lui que du 1er octobre 1991.
Que par ailleurs elle soutient que les chemisiers à manches longues, noués à la taille avec col requin étaient connus bien avant les prétendues dates de création et de commercialisation par Madame V et la société SYLVIANE CLAIR de leur modèle et invoque à l'appui de son argumentation un grand nombre d'antériorités ainsi que l'expertise qu'elle a fait établir par Monsieur C
Qu'elle en conclue que le modèle VAUCLAIRE n'est ni nouveau ni original.
Considérant que les intimées répliquent que le modèle a été créé en avril 1991 par Madame V.
Qu'il se caractérise par la combinaison :
- d'un col requin fermant par un bouton sur la poitrine,
- d'un noeud situé à hauteur de l'estomac formé par les deux grands pans en pointe terminant les côtés du devant,
- de manches longues se terminant par des poignets fermés de deux boutons.
Qu'elles prétendent que la combinaison de ces éléments caractéristiques reflète la personnalité de son auteur et qu'elle n'est pas antériorisée.
Considérant que l'attestation de Madame V tendant à voir fixer l'époque de création du modèle d'avril 1991 n'est confortée par aucune pièce ayant date certaine.
Qu'en revanche il est établi par les bons de commande mis aux débats que ce chemisier référencé JG 261 était créé et commercialisé dès le début du mois de septembre 1991 ce que confirme le constat dressé le 1er octobre 1991 par Me G, huissier.
Considérant que parmi les antériorités incontestables régulièrement versées aux débats on remarque :
- dans BIBA mai 1990 page 139 un chemisier noué à hauteur de l'estomac par deux pans terminant les côtés du devant, à manches longues volantées et resserrées au poignet par un lien, avec un col en pointe,
- dans DEPECHE MODE février 1990 page 70 une blouse CHLOE à manches longues, se nouant sur le devant par deux pans en pointe et présentant un col requin, dont toutefois le mode de fermeture des poignets et du col n'est pas visible,
- dans MADAME F du 25 Mai 1991 un chemisier MICHEL K à manches longues avec des poignets "mousquetaire" se fermant par un gros bouton, noué sur le devant par deux pans en pointe et présentant un col requin qui apparaît dépourvu de bouton,
- dans DEPECHE MODE de mai 1989 une blouse en organza GENNY avec un col requin à manches courtes et nouée sur le ventre par deux pans de forme pointue,
- dans le magazine STAR SYSTEM du 3ème trimestre 1981 consacré à RAQUEL W l'article photographiée en dernière page de couverture revêtue d'un chemisier à pans noués sur le devant, avec un col en pointe et des manches qui ont été retournées,
- dans le film de Sydney POLLACK "Havana" de 1990 l'article Lena O portant un chemisier dont les manches longues sont retournées jusqu'au-dessus du coude, nouée par deux pans sur le devant et doté d'un col fendu en pointe.
Considérant qu'à juste titre les intimées remarquent qu'aucune de ces antériorités ne reproduit intégralement les caractéristiques de forme du modèle VAUCLAIRE.
Mais considérant que si le mérite de la création n'est pas un critère de la protection, la loi ne protège un modèle qu'autant que son auteur a marqué ce modèle de l'empreinte de sa personnalité, a fait oeuvre originale.
Considérant qu'en l'espèce seule la combinaison du col requin et des pans noués sur le devant porte la marque d'un effort de création et distingue ce chemisier d'autres modèles.
Considérant que de l'examen des antériorités nombreuses décrites ci-dessus, et dont les différences avec le modèle opposé sont minimes, il résulte que son auteur en allongeant les manches du chemisier GENNY pour les fermer par un poignet des plus classiques ou en remplaçant le gros bouton fermant les poignets du chemisier Michel K par deux petits boutons et en ajoutant un bouton sous le col du chemisier n'a pas marqué son modèle de l'empreinte de sa personnalité.
Qu'au surplus il convient d'observer que le bouton fermant le col ne constitue manifestement pas un élément caractéristique du modèle dans la mesure où celui-ci est toujours représenté grand ouvert le bouton n'étant ni fermé ni même visible.
Que le jugement doit donc être réformé en ce qu'il a dit que le chemisier référencé "chemise nouée popeline JG 261" bénéficie de la protection de la loi du 11 Mars 1957 actuellement codifiée sous les articles L.111-1 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle.
Qu'il s'en suit que les intimées doivent également être déboutées de leurs demandes en contrefaçon dudit modèle.
II - SUR LA CONCURRENCE DELOYALE
Considérant qu'il est constant que le chemisier référencé JG 261 a été commercialisé dès septembre 1991 soit antérieurement à la mise en vente du chemisier COTTONADE.
Considérant que la société COTTONADE fait valoir qu'à juste titre le Tribunal a débouté la Société Sylviane CLAIR de sa demande de ce chef dès lors qu'en l'absence de contrefaçon, une simple différence de prix ne constitue pas un acte de concurrence déloyale mais relève du jeu de la liberté du commerce et des prix.
Mais considérant que la production en original devant la Cour des deux chemisiers en cause révèle, ainsi que l'expose la Société Sylviane CLAIR, que le modèle commercialisé par COTTONADE constitue une copie servile de celui vendu par la société intimée, les deux articles ayant exactement les mêmes proportions et découpes.
Que par ailleurs la société appelante n'a pas hésité à faire fabriquer ce chemisier dans le même tissu en coton blanc.
Considérant enfin que le procès-verbal de saisie contrefaçon établit que la société COTTONADE vend cet article au détail 330 frs alors que DIAPOSITIVE le commercialise 440 frs.
Considérant qu'en proposant à la clientèle un chemisier en tous points identiques à celui diffusé depuis plusieurs mois par un concurrent et de même qualité à un prix inférieur de 25%, COTTONADE a commis des actes contraires aux usages loyaux du commerce.
Que sa responsabilité se trouve donc engagée sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
Considérant qu'eu égard au nombre de chemisiers vendus par la société COTTONADE, environ 200, la Cour possède les éléments d'appréciation suffisants pour fixer le préjudice subi par la société Sylviane CLAIR de ce chef à la somme de 100.000 frs.
Que par ailleurs il convient de confirmer les mesures d'interdiction telles qu'ordonnées par les premiers juges pour prévenir la poursuite des actes de concurrence déloyale.
III - SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE
Considérant que la société COTTONADE qui succombe pour partie ne saurait qualifier d'abusive la procédure formée à son encontre.
Qu'en conséquence elle sera déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts.
IV - SUR L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCEDURE CIVILE
Considérant que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile à la société COTTONADE et à Madame Sylviane V.
Qu'en revanche il convient d'allouer à la société Sylviane CLAIR une somme supplémentaire de 10.000 frs, les premiers juges ayant fait une exacte appréciation de ses frais de première instance.
PAR CES MOTIFS :
Réforme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte et débouté la société COTTONADE de sa demande en paiement de dommages et intérêts et l'a condamnée à payer la somme de 5.000 frs à la société SYLVIANE CLAIR du chef de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,
Le confirmant de ces seuls chefs, statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit que le modèle référencé "chemise nouée popeline JG 261" n'est pas protégeante sur le fondement de l'article L 111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle,
Déboute Madame V et la société SYLVIANE CLAIR de leurs demandes en contrefaçon,
Dit que la société COTTONADE a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société SYLVIANE CLAIR,
La condamne à lui payer la somme de CENT MILLE FRANCS (100.000 frs) à titre de dommages et intérêts,
Déboute la société COTTONADE et Madame Sylviane V de leur demande du chef de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,
Condamne la société COTTONADE à payer à la société SYLVIANE CLAIR une somme supplémentaire de DIX MILLE FRANCS (10.000 frs) en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile,
Condamne la société COTTONADE aux dépens d'instance et d'appel,
Admet la SCP BOLLET BASKAL Avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.