ADLC, 26 août 2016, n° 16-DCC-134
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Norway Seafoods Group AS et Havfisk ASA par la société Lerøy Seafood Group ASA
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 1er août 2016, relatif à la prise de contrôle exclusif des sociétés Norway Seafoods Group AS et Havfisk ASA par la société Lerøy Seafood Group ASA, formalisée par un accord de cession d’actions en date du 2 juin 2016 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Lerøy Seafood Group ASA (ci-après, « Lerøy ») est une société de droit norvégien, cotée à la bourse d’Oslo. Elle est contrôlée par la société Austevoll Seafood ASA (ci-après, « AUSS »), spécialisée dans la pêche et l’industrie alimentaire de poisson, elle-même contrôlée par la société Laco AS (ci-après, « Laco »), société d’investissement contrôlée par la famille Mogster. L’activité française de Laco consiste en la fourniture de poissons et de produits de la pêche par le biais de Lerøy ainsi que de ses deux filiales, les sociétés Austral Group SAA et Foddcorp Chile SA, qui commercialisent du maquereau congelé. Lerøy est spécialisée dans la fourniture et l’exportation de poissons destinés à la consommation humaine depuis la Norvège, notamment de saumons et de truites, de poissons à chair blanche, d’espèces pélagiques et de coquillages. Lerøy est également active dans le secteur de la transformation primaire de saumons et de truites, ainsi que dans le secteur de la transformation secondaire dont un site est situé en France.
2. Norway Seafoods Group AS (ci-après, « Norway Seafoods ») est un groupe norvégien contrôlé par la société Aker ASA qui est également propriétaire de la société Havfisk. Norway Seafoods est actif dans le secteur des fruits de mer et des poissons, son activité consistant principalement en la transformation, la vente et la distribution de poissons à chair blanche. Norway Seafoods commercialise en France du poisson à chair blanche, du poisson pélagique, des crustacés, ainsi que des saumons et des truites.
3. Havfisk ASA (ci-après, « Havfisk ») est une société de droit norvégien, cotée à la bourse d’Oslo, contrôlée par la société Aker ASA. Havfisk détient des chalutiers spécialisés dans la pêche du poisson à chair blanche. Havfisk détient cinq sites de production et deux stations d’achat en Norvège, actuellement loués à Norway Seafoods. Havfisk fournit également à Norway Seafoods de grandes quantités de poissons frais. Havfisk n’exerce toutefois aucune activité directe en France
4. L’opération, formalisée par un contrat de cession d’actions en date du 2 juin 2016, consiste en l’acquisition par Lerøy de 63,21 % des actions de Havfisk et 73,63 % des actions de Norway Seafoods1
5. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de Norway Seafoods et de Havfisk par Lerøy, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
6. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total hors taxes sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Laco : 2,9 milliards d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2015 ; Norway Seafoods : 221 millions d’euros pour le même exercice ; Havfisk : 126,4 millions d’euros pour le même exercice ). Deux de ces entreprises réalisent en France un chiffre d’affaires total hors taxes supérieur à 50 millions d’euros (Laco : [...] millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2015 ; Norway Seafoods : [...] millions d’euros pour le même exercice)2
Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
7. Les activités des parties se chevauchent principalement sur les marchés des poissons à chair blanche. Des chevauchements marginaux existent par ailleurs sur les marchés du saumon, des poissons pélagiques et des crustacés.
A. LES MARCHES DES POISSONS À CHAIR BLANCHE
1. MARCHÉ DE PRODUITS
8. La pratique décisionnelle a considéré que le marché des poissons à chair blanche peut être segmenté entre les poissons frais d’une part et les poissons surgelés d’autre part, notamment en raison des écarts de prix importants entre ces produits et la réglementation qui oblige à porter à la connaissance du consommateur le caractère frais ou congelé du produit mis en vente3
La pratique décisionnelle a également envisagé des segmentations supplémentaires selon (i) la « forme » du poisson (entier ou découpé), (ii) son espèce et (iii) son canal de distribution4
9. Par analogie avec la délimitation du marché du saumon retenue par la pratique décisionnelle5, les parties ont également fait la distinction entre le marché de la transformation primaire (incluant la pêche, l’abatage, l’étêtage, l’éviscération, voire le filetage) et le marché de la transformation secondaire (transformation supplémentaire du produit) du poisson à chair blanche.
10. Au cas d’espèce, la question de la délimitation exacte de ces marchés peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la segmentation retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle restent inchangées.
2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE
11. La pratique décisionnelle a retenu une dimension nationale, voire européenne, pour les marchés des poissons à chair blanche6
12. La question de la délimitation exacte du marché géographique peut être laissée ouverte au cas d’espèce, dans la mesure où, quelle que soit la définition retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées.
B. LES MARCHÉS DU SAUMON
1. MARCHÉ DE PRODUITS
13. La pratique décisionnelle nationale a retenu l’existence d’un marché du saumon distinct de celui des autres poissons, tant du point de vue des acheteurs que de celui des consommateurs, compte tenu de son goût, de son image, des volumes disponibles, de la régularité de l’approvisionnement, de son rendement et de sa part de marché7
La pratique décisionnelle a également fait une distinction entre (i) le saumon sauvage et le saumon d’élevage et (ii) le saumon d’Atlantique et le saumon du Pacifique compte tenu des caractéristiques de ces produits et de la demande8
14. En outre, des segmentations supplémentaires ont été envisagées (i) entre le saumon frais et le saumon surgelé et (ii) en fonction de l’origine du saumon (Norvège, Ecosse, Irlande, Chili, autres).
15. Par ailleurs, la pratique décisionnelle a envisagé de distinguer un segment du marché bio9
16. La question de la délimitation exacte de ces marchés peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la segmentation retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle restent inchangées.
2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE
17. S’agissant de la dimension géographique, la pratique décisionnelle a considéré que le marché de la fourniture de saumon est de dimension européenne, en l’absence d’obstacle réglementaire restreignant les échanges, ainsi qu’en raison de coûts de transport peu élevés et de prix de ventes similaires d’un Etat membre à l’autre10.
18. Il n’y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l’occasion de l’examen de la présente opération.
C. MARCHÉ DES POISSONS PÉLAGIQUES
1. MARCHÉ DE PRODUITS
19. L’adjectif « pélagique » renvoie aux zones des océans, se situant entre 0 et 200 mètres en dessous du niveau des océans. Les principales espèces de poissons pélagiques sont le hareng, le maquereau et la sardine.
20. Conformément à la pratique décisionnelle de la Commission européenne11, le marché des poissons pélagiques peut être segmenté entre le marché amont de la transformation primaire et le marché aval de la transformation secondaire. La Commission européenne a en outre considéré d'éventuelles segmentations additionnelles en fonction de l'espèce du poisson, de son caractère frais ou congelé ainsi que de sa découpe s'agissant du marché de la transformation primaire de poissons pélagiques. Toutefois, la définition de ce marché est restée ouverte.
21. S'agissant du marché de la transformation secondaire de poissons pélagiques, la Commission européenne n'a pas envisagé de segmentations additionnelles. Les parties considèrent que ce marché n'est pas susceptible d'être segmenté en fonction des espèces, dans la mesure où une grande partie de la demande pour les poissons pélagiques découle de son prix peu élevé. Ainsi, l'achat de poissons pélagiques serait plutôt dicté par ce prix peu élevé, et donc indifférent à l'espèce en question.
22. La question de la délimitation exacte de ces marchés peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la segmentation retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle restent inchangées.
2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE
23. La pratique décisionnelle de la Commission européenne12 a considéré que le marché géographique de la transformation primaire de poissons pélagiques est au moins de dimension européenne. Les parties font valoir qu'il en va de même s'agissant du marché de la transformation secondaire de poissons pélagiques, dans la mesure où une part très importante de cette production est exportée à travers tout l'EEE.
24. En l'espèce, les parts de marché des parties ont été fournies au niveau de l'EEE et au niveau national.
25. En tout état de cause, la question de la délimitation exacte de ces marchés, peut rester ouverte dans la mesure où, quelle que soit la définition retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle restent inchangées.
D. MARCHÉ DES CRUSTACÉS
1. MARCHÉ DE PRODUITS
26. L'Autorité13 a envisagé, sans toutefois trancher la question, l'existence d'un marché de la distribution en gros de produits de la mer frais (ou « produits aquatiques »), c'est-à-dire de poissons, coquilles et crustacés et d'un marché de la pêche et de la commercialisation des crevettes.
27. En matière de crustacés, la Commission européenne a également envisagé l’existence d’un marché des crustacés, global ou segmenté par espèce14.
28. En tout état de cause, la définition de ce marché peut rester ouverte dans la mesure où, quelle que soit la définition retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle restent inchangées.
2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE
29. Les parties considèrent que le marché géographique des crustacés a une dimension européenne. Toutefois, à l'instar de la pratique décisionnelle européenne, l'Autorité a laissé ouverte la question de la délimitation géographique du marché géographique15.
30. La question de la définition exacte de ces marchés, peut rester ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle restent inchangées.
III. Analyse concurrentielle
31. Les activités des parties se chevauchent sur les marchés des poissons à chair blanche, du saumon, des poissons pélagiques et des crustacés.
A. MARCHÉ DES POISSONS À CHAIR BLANCHE
32. S’agissant du poisson à chair blanche, les activités des parties se chevauchent à la fois sur les marchés de la transformation primaire (cabillaud, églefin, lieu noir, merlu et, au seul niveau de l’EEE, lieu d’Alaska) et ceux de la transformation secondaire (cabillaud et, au seul niveau de l’EEE, églefin, lieu noir et lieu d’Alaska).
33. Sur chacun de ces segments, la part de marché cumulée des parties est inférieure à [0-5] % à l’échelle européenne et à [10-20] % au niveau national. La nouvelle entité fera face à la concurrence d’importants transformateurs tels que Samehj, Findus/Iglo et Ocean Trawlers.
34. En conséquence, compte tenu de ces parts de marché limitées et de la présence de concurrents importants, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché des poissons à chair blanche.
B. MARCHÉ DU SAUMON
35. La vente de salmonidés (saumons et truites) constitue 85 % du montant des ventes de Lerøy.
A contrario, la vente de saumons ne représente qu’une très faible part de l’activité de Norway Seafoods (environ [5-10] % de montant total de ses ventes), et elle ne commercialise pas de truites.
36. Sur ce marché, le seul chevauchement entre les parties concerne la fourniture de saumon atlantique d’élevage de Norvège.
37. Quelle que soit la segmentation envisagée, la part de marché cumulée des parties est inférieure à [20-30] % avec incrément inférieur à [0-5] point.
38. La nouvelle entité fera face à la concurrence de concurrents importants tels que Marine Harvest Group (20-30 %) et Salmar (10-20 %).
39. En conséquence, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché du saumon.
C. MARCHÉ DES POISSONS PÉLAGIQUES
40. L’intégralité des ventes de Norway Seafoods concernent des poissons pélagiques primaires frais entiers. Les activités des parties ne se chevauchent donc pas s’agissant des poissons pélagiques congelés ou découpés ni sur un éventuel marché de la transformation secondaire du poisson pélagique. Il n’existe pas non plus de chevauchement sur le marché français des poissons pélagiques segmenté espèce par espèce dans la mesure où Norway Seafoods y commercialise du flétan et du hareng tandis que le groupe acquéreur n’en commercialise pas.
41. En tout état de cause, la part de marché cumulée des parties est inférieure à [5-10] % sur ce marché, quelles que soient les segments examinés.
42. En conséquence, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché des poissons pélagiques.
D. MARCHÉ DES CRUSTACÉS
43. Les activités des parties se chevauchent sur le marché de la commercialisation des crustacés au niveau européen et français. Lorsqu’une segmentation est opérée espèce par espèce, les seuls chevauchements concernent le homard norvégien (au niveau européen) et le crabe royal (au niveau de l’EEE et de la France).
44. Quelle que soit la segmentation envisagée, la part de marché cumulée des parties est inférieure à [10-20] %.
45. En conséquence, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché des crustacés.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 16-129 est autorisée.
NOTES
1 Concomitamment à cet accord, un accord de cessions d’actions entre la société Fausken Invest AS et Lerøy a été conclu, aux termes duquel la société Fausken Invest AS s’engage à céder à Lerøy sa participation de 1,21 % dans Havfisk.
2 Havfisk ne réalise aucun chiffre d’affaires en France.
3 Voir notamment la décision de la Commission européenne COMP/M.3722 du 12 avril 2005 – Nutreco/Stolt-Nielsen/Marine Harvest JV, la lettre du ministre de l’économie C2008-7 du 13 mars 2008 relative à une concentration dans les secteurs du négoce en poissons et de la commercialisation de plats préparés à partir de produits de la mer et la décision de l’Autorité n° 13-DCC-157 du 31 octobre 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de certains actifs des sociétés Norway Seafoods SAS et Norway Seafoods Boulogne SAS par la société Maïsadour.
4 Id.
5 Voir notamment l’avis du Conseil de la concurrence n° 06-A-20 du 20 octobre 2006 relatif à l’acquisition de la société Marine Harvest NV par la société Pan Fish ASA et la décision de l’Autorité de la concurrence n°16-DCC-55 du 22 avril 2016 relative à la prise de contrôle conjoint de la société Groupe Aqualande par la société Labeyrie Fine Foods et la coopérative agricole Les aquaculteurs Landais.
6 Voir notamment la décision de la Commission européenne COMP/M.7035 du 19 décembre 2013 Austevoll Seafood/kvefi et la décision de l’Autorité de la concurrence n°13-DCC-157 précitée.
7 Voir notamment l’avis du Conseil de la concurrence n° 06-A-20 du 20 octobre 2006 relatif à l’acquisition de la société Marine Harvest NV par la société Pan Fish ASA et la décision de l’Autorité de la concurrence n°16-DCC-55 du 22 avril 2016 relative à la prise de contrôle conjoint de la société Groupe Aqualande par la société Labeyrie Fine Foods et la coopérative agricole Les aquaculteurs Landais.
8 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n°14-DCC-153 du 22 octobre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de Cermaq ASA par Mitsubishi Corporation.
9 Voir la décision de la Commission européenne n° COMP/M.6850 du 30 septembre 2013 – Marine Harvest/Morpol.
10 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n°13-DCC-157 précitée.
11 Voir la décision de la Commission européenne COMP/ M.7035 précitée.
12 Id.
13 Voir les décisions de l’Autorité n° 13-DCC-169 du 20 novembre 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de certains actifs de la société Ledun Pêcheurs d'Islande par la société Maïsadour et n°15-DCC-134 du 5 octobre 2015 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Océalliance par la société Perceva.
14 Voir la décision de la Commission européenne n°COMP/M.2078 du 21 août 2008- UBS Capital/Heiploeg Shellfish International.
15 Voir les décisions de l’Autorité n°13-DCC-149 et 15-DCC-134 précitées et la décision de la Commission européenne COMP/M.2078 précitée.