ADLC, 28 novembre 2011, n° 11-DCC-173
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la cession du fonds de commerce de la SED de Saint-François aux sociétés Carcom et Etablissements Jacques Nouy
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 11 octobre 2011 et déclaré complet le 25 octobre 2011, relatif à la cession du fonds de commerce de la société d’exploitation et de distribution de Saint-François (ci-après « SED Saint-François ») aux sociétés Carcom et Etablissements Jacques Nouy, formalisée par une offre de reprise d’éléments d’actifs remise le 30 septembre 2011 à l’administrateur judiciaire de la SED Saint-François et réalisée en exécution d’un jugement du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre (97) du 20 octobre 2011 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-10 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. La société SED Saint-François est active dans le secteur du commerce de détail à dominante alimentaire. Elle a pour activité exclusive l’exploitation d’un supermarché de 1 050 m², sous enseigne « U », situé à Saint François, en Guadeloupe (97). Elle est actuellement contrôlée par Monsieur Hervé Honoré.
2. La société Carcom, contrôlée exclusivement par Monsieur Philippe Nouy, est active en Guadeloupe dans le secteur de la distribution alimentaire de gros et du libre service de gros (activités de « cash & carry »), à travers ses filiales Établissements Auguste Nouy et Sodial Nouy SARL, ainsi que dans le secteur du commerce de détail, par le biais de la société Sodex Desmarais1 qui exploite un hypermarché situé sur la commune de Basse-Terre (97).
3. La société Établissements Jacques Nouy, contrôlée par Monsieur Christian Clayssen, est la société de tête du groupe Établissements Jacques Nouy, actif en Guadeloupe dans le secteur de la distribution alimentaire de gros et de libre service de gros (« cash and carry »). Le groupe est également actif dans l’import/export de boissons (boissons alcoolisées, vins et spiritueux ainsi que de sous-vêtements) et intervient comme distributeur exclusif en Guadeloupe de diverses marques d’alcool.
4. La société SED Saint-François a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre en date du 8 septembre 2011. Au terme de l’offre de reprise du 30 septembre 2011, l’opération consiste en la prise de contrôle conjoint du fonds de commerce de la SED Saint-François par les sociétés Carcom et Etablissements Jacques Nouy via leur filiale commune Sodex Saint-François. Cette opération, pour laquelle les parties ont bénéficié d’une dérogation du président de l’Autorité de la concurrence en date du 19 octobre 2011, a été réalisée en exécution d’un jugement du 20 octobre 2011 du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre, et constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
5. Les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d’affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 75 millions d’euros au dernier exercice clos (Carcom et ses filiales : 53,3 millions d’euros pour l’exercice 2010 ; Etablissements Jacques Nouy et ses filiales : 48,5 millions d’euros pour le même exercice ; SED Saint-François : 8,4 millions d’euros pour le même exercice). Deux au moins de ces entreprises ont réalisé, en Guadeloupe, un chiffre d’affaires supérieur à 7,5 millions d’euros (Carcom et ses filiales : 53,3 millions d’euros pour l’exercice 2010 ; Etablissements Jacques Nouy et ses filiales : 44,3 millions d’euros pour le même exercice ; SED Saint-François : 8,4 millions d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au III de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
6. Selon la pratique constante des autorités nationale et communautaire de la concurrence2, deux catégories de marchés peuvent être délimitées3 dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire. Il s’agit, d’une part, des marchés « aval », de dimension locale, qui mettent en présence les entreprises de commerce de détail et les consommateurs pour la vente de biens de consommation et, d’autre part, des marchés « amont » de l’approvisionnement des entreprises de commerce de détail et commerce de gros en biens de consommation courante, de dimension nationale.
A. MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT
7. En ce qui concerne les marchés de l’approvisionnement, la pratique décisionnelle communautaire et nationale4 a retenu l’existence de marchés de dimension nationale, segmentés par grands groupes de produits.
8. Toutefois, en ce qui concerne les départements d’outre-mer, l’avis 09-A-45 de l’Autorité de la concurrence du 8 septembre 2009, relatif aux mécanismes d’importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d’outre-mer, a souligné le caractère très spécifique des circuits d’approvisionnement en produits de grande consommation et ses effets sur l’équilibre concurrentiel des marchés concernés. De plus, une partie de l’approvisionnement des enseignes de distribution de détail à dominante alimentaire provient de producteurs locaux, afin notamment de satisfaire aux goûts et habitudes alimentaires locales mais aussi de limiter les coûts d’importation dont celui du fret maritime et de l’octroi de mer. Les marchés géographiques en matière d’approvisionnement pourraient donc être limités soit à chaque DOM soit à la zone Antilles-Guyane, concernée en l’espèce.
9. Au cas d’espèce, les parties notifiantes sont présentes à l’amont sur les marchés de l’approvisionnement en tant qu’acheteurs en raison de leurs activités de grossistes à la fois traditionnel et de libre-service5.
B. MARCHÉS DE LA DISTRIBUTION EN GROS DE PRODUITS ALIMENTAIRES
10. S’agissant de la distribution en gros de produits alimentaires, la pratique décisionnelle6 a effectué une distinction en fonction des clients auxquels ces produits sont distribués : en premier lieu, la grande distribution et les commerces à dominante alimentaire (« GMS »), en deuxième lieu la restauration hors foyer (« RHF »), et enfin l’industrie agro-alimentaire. La distinction a également été faite par types de produits (boissons, produits frais, produits secs, etc.) et en fonction du mode de distribution. La pratique décisionnelle considère ainsi que les ventes réalisées en libre-service de gros cash & carry constituent un marché de produits distinct des autres activités du commerce de gros7.
11. En ce qui concerne la délimitation géographique des marchés de gros, s’agissant des DOM, la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence8 a envisagé l’existence d’un marché de la distribution de gros à la GMS à l’échelle de chaque DOM et/ou de la zone Antilles-Guyane, correspondant à l’activité des grossistes-importateurs. Il apparaît également pertinent d’apprécier les effets de l’opération sur le libre-service de gros au sein de la Guadeloupe. En tout état de cause, la délimitation précise des marchés de gros peut être laissée ouverte, l’analyse demeurant inchangée à l’occasion de la présente opération.
12. Au titre des activités de grossiste de l’acquéreur et de sa présence sur le marché aval, les effets verticaux de l’opération seront donc examinés au niveau de la Guadeloupe.
C. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION DE DÉTAIL À DOMINANTE ALIMENTAIRE
1. LES MARCHÉS DE SERVICES
13. En ce qui concerne la vente au détail des biens de consommation courante, les autorités de concurrence, tant communautaire que nationale, ont distingué six catégories de commerce en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l’ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés, (ii) les supermarchés, (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail, (v) les maxi discompteurs, (vi) la vente par correspondance.
14. Les supermarchés sont usuellement définis comme des magasins à dominante alimentaire d’une surface légale de vente comprise entre 400 et 2 500 m². Ces seuils doivent cependant être utilisés avec précaution, et peuvent être adaptés au cas d’espèce, des magasins dont la surface est située près de ces seuils, soit au-dessus, soit au-dessous, pouvant se trouver, dans les faits, en concurrence directe.
15. Au cas d’espèce, l’opération concerne le rachat d’un fonds de commerce exploité sous l’enseigne « U » par la société SED Saint-François, qui occupe aujourd’hui une surface de vente de 1 050 m². Ce magasin rentre donc dans la catégorie des supermarchés.
2. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE
16. La pratique décisionnelle9 considère qu’en matière de commerce de détail à dominante alimentaire, en ce qui concerne les supermarchés, les conditions de la concurrence doivent en principe s’apprécier sur un marché où se rencontrent la demande de consommateurs et l’offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture. Ces dernières formes de commerce peuvent comprendre, outre les supermarchés, les hypermarchés situés à proximité des consommateurs et les magasins discompteurs.
17. D’autres critères peuvent néanmoins être pris en compte pour évaluer l’impact d’une concentration sur la situation de la concurrence sur les marchés de la distribution de détail, ce qui peut conduire à affiner les délimitations usuelles présentées ci-dessus.
18. En l’espèce, l’analyse concurrentielle sera conduite sur le marché correspondant à un temps de trajet maximum de 15 minutes en voiture autour du supermarché exploité par la SED Saint-François.
III. Analyse concurrentielle
A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX
1. MARCHÉS DE L’APPROVISIONNEMENT
19. Sur le marché global de l’approvisionnement, toutes catégories de produits confondues, les parties détiennent une part de marché inférieure à 2 % au niveau régional (Antilles et Guyane), inférieure à 6 % au niveau de la Guadeloupe, et inférieure à 0,5 % au niveau national. En tout état de cause, quelle que soit la catégorie de produits concernés, la part de marché de la nouvelle entité, tant au niveau régional qu’au niveau national, restera très significativement inférieure au seuil de 20 à 22 % de parts de marché retenu par la pratique décisionnelle pour envisager l’existence d’un risque d’entrave à la concurrence.
20. En conséquence, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés de l’approvisionnement.
2. MARCHÉ AVAL DE LA DISTRIBUTION DE DÉTAIL À DOMINANTE ALIMENTAIRE
21. Carcom et les Etablissements Jacques Nouy n’exercent aucune activité de commerce de détail à dominante alimentaire sur le marché correspondant à un trajet en voiture de 15 minutes maximum autour du supermarché exploité par la SED Saint-François. L’opération ne donnera donc lieu à aucun chevauchement d’activité sur ce marché.
22. En conséquence, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur ce marché aval de distribution de détail à dominante alimentaire.
B. ANALYSE DES EFFETS VERTICAUX
23. Les acquéreurs intervenant tant sur les marchés amont de l’approvisionnement que sur les marchés de la distribution en gros de produits alimentaires, il convient d’examiner les éventuels effets verticaux qu’entraînera le renforcement de leur position sur le marché de la distribution en aval. A cet égard, il convient de rappeler que l’Autorité de la concurrence considère qu’il est peu probable qu’une entreprise ayant une part de marché inférieure à 30 % sur un marché donné puisse verrouiller un marché en aval ou en amont de celui-ci10.
24. Or la position des parties, à l’issue de l’opération, sur le marché aval de la distribution à dominante alimentaire sur l’ensemble de la Guadeloupe se limitera à 7,4 % des surfaces de vente du département (dont 1,9 % pour le magasin cible).
25. De même, les activités de Carcom, des Etablissements Jacques Nouy et de leurs filiales, tant sur les marchés de la distribution en gros de produits alimentaires que sur les marchés amont de l’approvisionnement sont trop modestes pour soulever un risque d’effet vertical. En effet, les parts de marché des parties notifiantes sur les marchés de l’approvisionnement, même limités à la Guadeloupe, restent inférieures à 6 %. Par ailleurs, même si les parties n’ont pas produit de parts de marché correspondant à leurs activités au stade de la distribution en gros de produits alimentaires, elles précisent que celles-ci sont très limitées et représentent moins de 10 % du marché guadeloupéen, tant en ce qui concerne le commerce de gros traditionnel que le cash & carry.
26. En conséquence, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 11-0180 est autorisée.
NOTES :
1 Sodex Desmarais est contrôlée conjointement par les sociétés Carcom et Etablissements Jacques Nouy.
2 Voir notamment les décisions de la commission M.946 Intermarché/Spar du 30 juin 1997, M.991 Promodès/Casino du 30 octobre 1997 et M.1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000. Voir également l’arrêté ministériel du 5 juillet 2000 dans l’opération Carrefour/Promodès et les avis du Conseil de la concurrence n° 97-A-14 du 1er juillet 1997, dans l’affaire Carrefour/Cora, n° 98-A-06 du 5 mai 1998, dans l’affaire Casino Franprix/Leader Price, et n° 00-A-06 du 3 mai 2000, dans l’affaire Carrefour/Promodès.
3 Décisions de la Commission dans les affaires M.1221 Rewe/Meinl du 3 février 1999 ; M.1684, Carrefour/Promodès, du 25 janvier 2000 et M.2115, Carrefour/GB, du 28 septembre 2000. Voir également la décision C.2005-98 Carrefour/Penny Market du 10 novembre 2005.
4 Voir les décisions de la Commission européenne M. 1221, M.1684 et M. 2115 précitées ; voir également décisions du ministre C2005-98 précitée ; C2006-15, Carrefour/Groupe Hamon, du 14 avril 2006 ; C2007-172, relatif à la création de l’entreprise commune Plamidis, du 13 février 2008 ; et C2008-32 Carrefour/SAGC du 9 juillet 2008.
5 La société Sodial Nouy, filiale de CARCOM, exploite un commerce de gros cash & carry de 1 690 m² à Jarry. La société Etablissement Auguste Nouy, filiale de CARCOM, exploite un commerce de détail de gros cash & carry de 1 095 m² à Baillif. La société Etablissements Jacques Nouy exploite un commerce de gros cash & carry de 1 200 m² à Jarry.
6 Cf. les décisions de la Commission européenne du 08 mars 2000 dans l’affaire COMP/M.1802 – Unilever/Amora Maille et du 28 septembre 2000 dans l’affaire COMP/M.1990 Unilever/Bestfoods.
7 Voir notamment la décision de la Commission européenne Promodes / BRMC, du 13 juillet 1992, IV/M.242 ; la décision de la Commission européenne du 20 novembre 1996, Kesko / Tuko, n° M.784 ; la décision de la Commission européenne Metro / Makro du 22 décembre 1997, M. 1063 ; ainsi que la décision de l’Autorité de la concurrence 10-DCC-158 du 22 novembre 2010, relative à la prise de contrôle exclusif de neuf sociétés du groupe Van der Woestyne par le groupe Les Maîtres laitiers du Cotentin.
8 Voir décision 10-DCC-25 précitée.
9 Voir notamment la décision 11-DCC-45 du 18 mars 2011 relative à l’acquisition du contrôle exclusif du fonds de commerce de l’hypermarché Cora Desmarais par la société Sodex Desmarais.
10 Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, §400.