Cass. crim., 17 novembre 2021, n° 20-82.448
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. Wyon
Avocat général :
M. Bougy
Avocats :
SCP Spinosi, SCP Waquet, Farge et Hazan
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [T] [G] exerçait le mandat de président de la société [1], spécialisée dans la commercialisation de chaînes à neige, devenue par la suite la société [3]. Il était également salarié de cette entreprise en qualité de directeur commercial. En 2011, il a été mis fin aux fonctions sociales de M. [G], qui a ensuite fait l'objet d'un licenciement pour faute grave.
3. La société [3] a déposé une plainte avec constitution de partie civile, reprochant à M. [G] divers agissements qui selon elle étaient constitutifs d'abus de biens sociaux. Une information judiciaire a été ouverte le 27 février 2014.
4. Par jugement du 11 décembre 2018, le tribunal correctionnel de Grenoble a déclaré M. [G] coupable du délit reproché, et l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d'amende et sept ans d'interdiction de gérer une entreprise commerciale. Le tribunal a prononcé sur l'action civile.
5. Le prévenu et le ministère public ont fait appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, et le deuxième moyen
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Énoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [G] coupable d'abus de biens sociaux à raison d'augmentations de salaires non autorisées et a prononcé sur la peine et sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ que l'abus de biens sociaux suppose que l'acte d'usage reproché ait été accompli dans un intérêt contraire à la société ; que l'absence d'autorisation d'une dépense par l'assemblée générale ne suffit pas à établir sa contrariété à l'intérêt social ; qu'en condamnant M. [G], gérant-salarié de la société [1], au seul constat que ses augmentations de salaire, bien que non dissimulées, n'auraient pas été régularisées par elle ni approuvées par son assemblée générale et son associé unique, mais sans autrement s'expliquer, comme elle y était invitée, sur le caractère excessif de ces augmentations eu égard tant à la situation financière et économique de cette société que de l'activité qu'il lui a consacrée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 242-6, 3°, et L. 244-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
8. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour déclarer le prévenu coupable d'abus de biens sociaux à raison d'augmentations de salaires non autorisées, l'arrêt attaqué énonce que le contrat de travail de M. [G] au sein de la société [1], signé le 17 janvier 2001, prévoyait une rémunération mensuelle brute de 40 000 francs sur douze mois, et qu'un avenant au contrat de travail, signé des parties, prévoyait que sa rémunération de directeur commercial serait composée d'une partie fixe de 80 829 euros par an, soit 6 735,75 euros sur douze mois, qui pourra suivre l'évolution générale des autres salaires de l'entreprise, et d'un intéressement, en pourcentage du chiffre d'affaires.
10. Les juges relèvent qu'il résulte par ailleurs de l'examen des fiches de paie de M. [G] que ce dernier a été payé jusqu'en mai 2003 sur la base d'un salaire mensuel brut de 6 735,75 euros, conforme à l'avenant du contrat de travail signé, puis qu'il a bénéficié ensuite d'une augmentation de son salaire brut, qui est passé à 7 085,30 euros en juin 2004, puis à 7 750,37 euros en juillet 2006 et enfin à 8 000 euros à compter de septembre 2008.
11. Ils ajoutent que M. [G], qui a successivement affirmé que ces hausses étaient licites et avaient été autorisées par l'assemblée générale n'a pas été en mesure de produire les pièces écrites justifiant cette affirmation, a également prétendu qu'elles résultaient d'un rattrapage d'ancienneté, puis qu'elles étaient connues de tous, ce qui était de nature à les rendre licites, mais n'a pas plus produit d'avenant de son contrat de travail ou de pièces étayant ses affirmations, qui sont d'ailleurs contredites par les déclarations crédibles du comptable de la société [1], selon lesquelles M. [G] avait décidé de s'octroyer une augmentation de salaire en septembre 2008, en lui demandant de lui mettre environ 1 000 euros de plus sur sa fiche de paye.
12. Ils retiennent que M. [G] ne démontre pas que le représentant de l'actionnaire unique pouvait avoir connaissance du détail de sa rémunération, ni que celle-ci ait figuré précisément sur les reportings mensuels transmis à la société [3].
13. La cour d'appel conclut qu'en s'attribuant de sa propre initiative, même sans dissimulation, une augmentation de la part fixe de sa rémunération et en percevant des salaires supérieurs à ceux prévus par son contrat de travail, M. [G] a fait, à des fins personnelles et de mauvaise foi, des biens de la société [1], un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci.
14. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, en quoi cette hausse de rémunération était contraire aux intérêts de la société [1], la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Sur le troisième moyen
Énoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [G] coupable d'abus de biens sociaux à raison de contrats passés avec la société [1] pour la société [G], et a prononcé sur la peine et sur les intérêts civils, alors « que l'abus de biens sociaux suppose que l'acte d'usage reproché ait été accompli dans un intérêt contraire à la société ; que l'absence d'autorisation par l'assemblée générale d'une dépense ne suffit pas à établir sa contrariété à l'intérêt social ; qu'en se bornant à relever que la location, par la société [1], d'un parking appartenant à la société civile immobilière [G] dont M. [G] était porteur de parts, n'avait pas été autorisée par la société [3], pour en déduire l'existence d'un abus de bien social, mais sans rechercher si cette location présentait une utilité pour la société et si elle avait été conclue à des conditions normales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 242-6, 3°, et L. 244-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
17. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
18. Pour déclarer le prévenu coupable d'abus de biens sociaux en raison de contrats passés par la société [1] avec la société [G], l'arrêt attaqué énonce que le prévenu ne conteste pas avoir, en qualité de dirigeant de la société [1], loué à la société civile immobilière [G], dans laquelle il était intéressé comme porteur de parts, un parking et une boule publicitaire de 2007 à 2009 pour un montant total de 5 436 euros, sans que cette convention ait été portée à la connaissance de la société [3], ce qui lui aurait permis, le cas échéant, de contrôler effectivement les engagements de la société [1] et de prévenir tout conflit d'intérêt.
19. En prononçant par ces seuls motifs, la cour d'appel, qui n'a pas recherché en quoi la convention en question était contraire aux intérêts de la société [1], n'a pas justifié sa décision.
20. La cassation est par conséquent encore encourue.
Sur le quatrième moyen
Énoncé du moyen
21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [G] coupable d'abus de biens sociaux à raison du contrat de sponsoring passé avec un club hippique, et a prononcé sur la peine et sur les intérêts, alors :
« 1°/ que la conformité à l'intérêt social d'une opération de parrainage s'apprécie d'après l'importance des dépenses de sponsoring et à la lumière de la contrepartie et des retombées escomptées pour le parrain en termes d'image ; qu'en relevant, pour condamner M. [G] pour abus de biens sociaux, que le club hippique qu'il avait fait sponsoriser par la société [1] n'avait aucun lien avec son activité de vente de chaînes et de crampons de montagnes et qu'il ne se situait pas en zone de montagne et de ski, mais sans rechercher si ce parrainage d'un montant modique, dont la réalité n'était pas contestée, ne présentait pas pour elle un intérêt en termes d'image compte tenu du public visé par cette activité sportive, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 242-6, 3°, et L. 244-1 du code de commerce ;
2°/ qu'en ne précisant pas quel intérêt personnel aurait poursuivi M. [G] en parrainant l'évènement hippique d'un club dont son neveu était membre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 242-6, 3°, et L. 244-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
22. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
23. Pour déclarer le prévenu coupable d'abus de biens sociaux en raison d'un contrat de sponsoring conclu avec un club hippique, l'arrêt attaqué, après avoir relevé que la société [3] et la société [1] développaient une activité de sponsor auprès de divers partenaires proches du milieu de la neige et de la montagne, énonce qu'aucun lien ne peut être caractérisé entre l'objet de la société [1], qui est la commercialisation de chaînes et de crampons, et le club hippique de [Localité 2], ni par sa localisation à toute proximité de l'agglomération toulousaine, donc éloignée des zones de montagne et de ski, ni quant à la nature de l'activité sponsorisée.
24. Les juges ajoutent qu'il n'est produit aucun élément démontrant l'effectivité de ce partenariat qui est intervenu à hauteur de 2 392 euros.
25. La cour d'appel conclut qu'en l'absence d'intérêt et de contrepartie pour la société [1], il convient de retenir le prévenu, qui ne conteste pas que son neveu ait été membre de ce club, dans les liens de la prévention.
26. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à établir que le contrat de sponsoring était nécessairement dépourvu de retombées positives pour la société [1], l'absence de lien entre le produit fabriqué par l'entreprise et l'activité sportive en question, ou l'éloignement géographique supposé du club avec la montagne, n'excluant pas des bénéfices en termes d'image, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
27. La cassation est par conséquent encore encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
28. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux déclarations de culpabilité de M. [G] du chef d'abus de biens sociaux en raison des augmentations de salaires non autorisées, des contrats conclus par la société [1] avec la société [G] et le club hippique de [Localité 2], ainsi qu'aux peines et à l'action civile. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Grenoble, en date du 24 février 2020, mais en ses seules dispositions relatives aux déclarations de culpabilité de M. [G] du chef d'abus de biens sociaux en raison des augmentations de salaires non autorisées, des contrats conclus par la société [1] avec la société [G] et le club hippique de [Localité 2], ainsi qu'aux peines et à l'action civile, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Chambéry, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.