Cass. soc., 8 avril 1992, n° 89-43.288
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cochard
Rapporteur :
M. Waquet
Avocat général :
M. Chauvy
Avocats :
SCP Lesourd et Baudin, M. de Nervo
Sur le second moyen :
Attendu que, par jugement du 19 janvier 1987, le tribunal de commerce de Besançon a arrêté le plan de cession de la société Roide et Doubs à la société Hermann Vogt et autorisé le licenciement pour motif économique de onze salariés ; que suite à cette décision, Mme Z..., employée de la société Roide et Doubs depuis le 2 octobre 1961, a été licenciée le 22 janvier 1987 ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à payer des dommages-intérêts alors que, selon le moyen, d'une part, Mme Z... se bornait à soutenir, dans ses conclusions d'appel, que son licenciement n'avait pas de caractère économique puisque, selon elle, deux personnes avaient été embauchées postérieurement à des postes similaires au sien, et que son licenciement n'était pas conforme aux critères retenus pour l'ordre des licenciements par l'employeur, en application de l'article L. 321-1 du Code du travail, mais ne contestait pas la régularité de la procédure ayant abouti à la définition des critères adoptés par Roide et Doubs en application de ce texte ; qu'en déclarant le congédiement de Mme Z... illégitime au motif qu'aucune définition des critères de l'ordre des licenciements n'avait été arrêtée, conformément à la procédure prescrite par l'article L. 321-1 du Code du travail, avant le licenciement collectif dans lequel était comprise la salariée, l'arrêt attaqué a soulevé d'office un moyen non invoqué par les parties, sans les inviter à présenter leurs observations, en violation de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ; alors que, d'autre part, il résulte des dispositions combinées des articles 63 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, L. 321-9, L. 322-1, 6e alinéa, et L. 321-1 du Code du travail que, dans le cadre de la procédure de consultation des représentants du personnel, organisée en cas de licenciement collectif prévu par un plan de redressement d'entreprise, les organes consultés sont notamment appelés à se prononcer sur le respect des critères relatifs à l'ordre des licenciements ; que le tribunal de commerce ne peut arrêter le plan de redressement prévoyant des licenciements que si les représentants du personnel ont été consultés, notamment sur cette question ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement arrêtant le plan de cession du 19 janvier 1987, opposable à tous en application de l'article 64 de la loi de 1985, que le licenciement des onze salariés, parmi lesquels Mme Z..., a été définitivement ordonné sans qu'ait jamais été contestée la régularité au fond du licenciement prévu par le plan au regard des critères relatifs à l'ordre des licenciements, notamment pas par le comité d'entreprise lui-même, entendu en chambre du conseil ; que, non frappé de recours, ce jugement définitif interdisait au juge prud'homal, non seulement de remettre en cause le caractère économique du licenciement, mais aussi la conformité du licenciement collectif aux critères relatifs à l'ordre des licenciements adoptés par l'employeur après consultation du comité d'entreprise ; qu'en se prononçant sur cette question, l'arrêt attaqué a violé par refus d'application les dispositions combinées des articles 63 et 64 de la loi du 25 janvier 1985 ; alors que, enfin, aux termes de
l'article L. 321-1 du Code du travail " en cas de licenciement collectif pour motif économique, à défaut de convention ou accord collectif applicable, l'employeur définit, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements " ; que ce texte n'exige pas qu'en l'absence de convention ou d'accord collectif fixant une fois pour toutes les critères relatifs à l'ordre des licenciements, l'employeur définisse ces critères à l'occasion de chaque licenciement collectif ; qu'en écartant comme non régulière au regard de ce texte, la liste des critères figurant à la délibération du comité d'entreprise du 14 janvier 1985, versée à titre de document de preuve des critères relatifs à l'ordre des licenciements adopté dans l'entreprise Roide et Doubs, valable seulement, selon la cour d'appel, dans le cadre du licenciement collectif antérieur, l'arrêt attaqué a ajouté à l'article L. 321-1 du Code du travail une condition qu'il ne pose pas et l'a violé par refus d'application ;
Mais attendu, en premier lieu, que la salariée ayant demandé, dans ses conclusions, de constater que son licenciement ne répondait pas aux exigences de l'article L. 321-1 du Code du travail et l'employeur ayant, pour sa part, soutenu que les critères de l'ordre des licenciements avaient été régulièrement définis, le moyen était dans la cause ;
Attendu, en deuxième lieu, que si, en application de l'article 63 de la loi du 25 janvier 1985, le plan de cession peut prévoir des licenciements économiques, sans liste nominative de salariés, la juridiction prud'homale est seule compétente pour vérifier le respect par l'employeur des critères qui doivent être définis pour fixer l'ordre des licenciements ;
Attendu, en troisième lieu, qu'à défaut de convention ou d'accord collectif applicable sur ce point, l'employeur doit définir, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, pour chaque licenciement collectif, les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a écarté le document invoqué par l'employeur, qui définissait à l'occasion d'un précédent licenciement économique collectif, les critères de choix des salariés licenciés ;
D'où il suit qu'aucun des griefs du moyen n'est fondé ;
Mais sur le premier moyen :
Vu les articles 46, 63 alinéa 2, 66, 67 et 147 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Attendu qu'en vertu de ces textes, le représentant des créanciers, qui demeure en fonction pendant le temps nécessaire à la vérification des créances, agit au nom et dans l'intérêt des créanciers ; que le commissaire à l'exécution du plan est chargé de veiller à l'exécution de celui-ci tandis que les pouvoirs nécessaires à la mise en oeuvre du plan, spécialement en ce qui concerne les licenciements prévus, sont attribués à l'administrateur ; qu'en cas d'ouverture d'une procédure simplifiée de redressement judiciaire sans administrateur, le commissaire à l'exécution du plan assiste le débiteur dans l'accomplissement des actes nécessaires à la mise en oeuvre du plan ;
Attendu que l'arrêt a condamné in solidum M. Y... en qualité de commissaire à l'exécution du plan, M. X..., en qualité de représentant des créanciers et la société Roide et Doubs, à payer à Mme Z... des dommages-intérêts ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle ne pouvait condamner que l'administrateur ès qualités et le débiteur, la société Roide et Doubs, ou, en cas de procédure simplifiée et en l'absence de désignation d'un administrateur, que le débiteur assisté du commissaire à l'exécution du plan, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en celles de ses dispositions condamnant MM. Y... et X... à payer des dommages-intérêts à Mme Z..., l'arrêt rendu le 16 mai 1989, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.