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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 30 juin 2015, n° 13/02339

REIMS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SOCIETE HIGGINS GROUP

Défendeur :

SOCIETE M. A. ET CIE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur BRESCIANI

Conseillers :

Madame SIMON-ROSSENTHAL, Madame LAUER

Avocats :

Me. Jean-Pierre S., SCP B. H. S.-S. D. R., Me. Dimitri P.

Reims, du 16 juil. 2013

16 juillet 2013

Exposé du litige

Suivant échange de mails et facture pro-forma en date du 21 février 2011, la société M. A. et Cie, société grecque, a commandé à la société HIGGINS GROUP sise au Royaume Uni - avec un établissement secondaire en France à Reims en la société POMMIES LIMITED - une quantité de 24 000 kg de pommes de terre 'BINTJE' à charge pour l'acquéreur d'en effectuer ou faire effectuer le transport contre règlement par anticipation.

Le 21 février 2011, la société POMMIES LIMITED a envoyé la facture correspondante et reçu le règlement de la commande.

La société M. a pris livraison de la marchandise par l'intermédiaire d'un transporteur affrété par ses soins, la livraison s'étant faite quelques jours plus tard le 8 mars 2011.

Le 12 mars 2011, la société M. a porté réclamation concernant un préjudice lié à la non conformité du produit sur le calibre.

Selon accord verbal en date du 14 mars 2011, une remise sur une deuxième commande a été convenue entre les parties, la société HIGGINS GROUP ayant reconnu la non conformité de la première commande.

C'est dans ces conditions qu'une seconde commande a été passée par la société M. A. pour 24 500 kg de pommes de terre.

Le 17 mars 2011, la société POMMIES LIMITED a envoyé sa facture correspondante et a reçu le paiement par la société M. A..

Les pommes de terre ont été livrées le 23 mars 2011.

Par email en date du 31 mars 2011, la société M. A. a fait part à la société POMMES LIMITED d'un problème de qualité.

La société M. A. a ensuite fait procéder à deux expertises et fait parvenir les résultats à la société POMMIES LIMITED, laquelle a contesté toute responsabilité dans la non-conformité.

Par exploit en date du 29 mars 2012, la société M. A. et Cie a assigné la société HIGGINS GROUP en son établissement secondaire POMMIES LIMITED devant le tribunal de commerce de REIMS, lequel a, par jugement en date du 16 juillet 2013 :

- reçu la société M. A. et Cie en ses demandes,

- débouté la société HIGGINS GROUP en son déclinatoire de compétence au bénéfice de la commission d'arbitrage,

- s'est déclarée compétent pour statuer sur le présent litige,

- a condamné la société HIGGINS GROUP à règler à la société M. A. et Cie la somme de 15 356, 75 euros, outre la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté les parties de toutes autres demandes,

- condamné la société HIGGINS GROUP aux dépens.

Interjetant régulièrement appel, la société HIGGINS GROUP demande que la Cour :

- à titre principal décline la compétence du tribunal de commerce et de la Cour au bénéfice de la commission d'arbitrage RUCIP,

- à titre subsidiaire, juge que la marchandise a été acceptée sans réserve au départ du transport,

- à titre encore plus subsidiaire juge que la marchandise a été acceptée sans réserve à l'arrivée du transport,

- rejette les exceptions d'inexécution et l'ensemble des demandes de la société M.,

- en tout état de cause, condamne la société M. A. au paiement de la somme de 5 500 euros au titre des frais irrépétibles en sus des dépens.

S'agissant du déclinatoire de compétence, l'appelante rappelle à titre liminaire que la preuve entre commerçant s'établit par tous moyens et que le commerce international de pommes de terre se règle par mail et télécopie.

Elle se prévaut des conditions générales de vente mentionnées au pied des confirmations de commandes, aux termes desquelles les parties s'en seraient remises aux Règles et Usages Intereuropéens de la Pomme de Terre (RUCIP).

Elle soutient qu'il est impossible que la rencontre des consentements ait pu intervenir sans réception par la société M. A., de cette confirmation de commande type de la société HIGGINS GROUP.

Elle prétend plus précisément que la société M. avait bien connaissance, lors de la seconde passation de contrat, de l'existence des conditions générales de vente et de la soumission de ce second contrat aux règles et conditions RUCIP comprenant la clause compromissoire, la confirmation de commande étant nécessairement antérieure à la facture proforma.

Sur le fond, la société HIGGINS GROUP soutient notamment que la dénonciation n'a pas été faite dans un délai raisonnable et qu'elle était imprécise.

Elle ajoute que l'état de la marchandise n'a été pas constaté contradictoirement et qu'aucune preuve de l'état et de l'origine de la détérioration n'est rapportée.

Elle invoque notamment à l'appui de ses prétentions une jurisprudence allemande ainsi que celle de la cour d'appel de Paris.

Elle affirme que la société M. a effectué une réception sans réserce, en ayant indiqué que les pommes de terre étaient 'bonnes' .

Elle prétend par ailleurs que la marchandise a pu se détériorer après sa livraison au transporteur et par conséquent après le transfert des risques à la société M.

La société M. A. et Cie demande que la Cour :

- confirme le jugement,

- condamne en conséquence la société HIGGINS GROUP à lui régler la somme de 15 356, 75 euros, et ce avec intérêts de droits à compter de la réception de la mise en demeure du 15 décembre 2011 et capitalisation jusqu'à parfait paiement, outre la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles,

Elle fait essentiellement valoir qu'elle n'a jamais accepté la clause compromissoire, et que la société HIGGINS GROUP est entièrement et exclusivement responsable du défaut de la marchandise livrée, dont la qualité défectueuse était antérieure au transport.

MOTIFS

Sur la compétence :

Attendu que l' article 1443 du Code de Procédure Civile dispose qu' ' à peine de nullité, la convention d'arbitrage est écrite. Elle peut résulter d'un échange d'écrits ou d'un document auquel il est fait référence dans la convention principale' ;

Attendu que le litige porte sur la commande du 21 février 2011 suivie de celle du 14 mars 2011 aux fins de régularisation de la défaillance de cette première commande ;

Attendu que l'appelante se prévaut des conditions générales de vente mentionnées au pied des confirmations de commandes, aux termes desquelles les parties s'en seraient remises aux Règles et Usages Intereuropéens de la Pomme de Terre (RUCIP) ; qu'elle prétend le paiement n'a pas pu être envoyé sur simple demande verbale et que la société M. a nécessairement reçu une confirmation de commande pour payer ce qu'elle a commandé ;

Qu'elle soutient plus précisément que nonobstant les dispositions du code civil, la preuve entre commerçant s'établit par tous moyens ; que le commerce international de pommes de terre se règle par mail et télécopie ; qu'en l'espèce, la société M. aurait eu connaissance, lors de la seconde passation de contrat, de l'existence des conditions générales de vente et de la soumission de ce second contrat aux règles et conditions RUCIP comprenant la clause compromissoire, la confirmation de commande devant être antérieure à la facture proforma ;

Attendu que la Cour relève toutefois au vu des pièces produites :

- que le RUCIP ne figure sur aucun document, ayant fait l'objet d'un envoi certain à la société M.,

- qu'aucune référence aux règles du RUCIP n'a été faite lors du remboursement de la marchandise défectueuse de la première commande,

- qu'aucune référence aux règles de RUCIP n'a été faite depuis le mois de mars 2011, lorsque la société M. a réclamé le remboursement de la seconde commande ;

Attendu qu'aucune pièce n'établit que cette dernière ait consenti aux conditions RUCIP dans le cadre du présent litige, peu important par ailleurs l'existence de relations commerciales antérieures ;

Attendu que c'est donc vainement que l'appelante se prévaut des conditions générales de vente mentionnées au pied des confirmations de commandes, au motif que la société M. aurait ' nécessairement' reçu confirmation écrite de ces commandes pour payer ce qu'elle a commandé ;

Attendu qu'il convient en conséquence de rejeter le déclinatoire de compétence;

Attendu que c'est à bon droit que la société M. a assigné la société HIGGINS GROUP devant le tribunal de commerce de Reims, siège de son établissement secondaire ayant réalisé les ventes litigieuses ;

Sur le fond :

Attendu que la société HIGGINS GROUP demande l'application du droit français au motif que la France est le lieu de livraison de la marchandise ;

Attendu que la Cour relève que la France a ratifié la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandise du 11 avril 1980, de sorte que celle-ci constitue le droit substantiel français, les dispositions du code civil et du code du commerce restant applicables à titre complémentaire ;

Attendu que la société HIGGINS GROUP soutient que la dénonciation, imprécise, n'a pas été faite dans un délai raisonnable ; que l'état de la marchandise n'a été pas constaté contradictoirement et qu'aucune preuve de sa détérioration n'est rapportée ;

Qu'elle invoque à l'appui de ses prétentions la jurisprudence allemande ainsi qu'un arrêt de la cour d'appel de Paris antérieur à l'entrée en vigueur de la convention de Vienne ;

Attendu que l'article 38 de ladite convention met à la charge de l'acheteur l'obligation d'examiner les marchandises dans un délai aussi bref que possible eu égard aux circonstances de l'article 39 al 1 qui oblige à dénoncer le défaut dans un délai raisonnable à compter de sa constatation ;

Attendu que l'appréciation du délai raisonnable relève du pouvoir souverain des juridiction de fond ;

Attendu que la convention de Vienne ne pose pas de conditions de réception sous réserve, et n'interdit pas à l'acheteur de signaler le défaut même après avoir confirmé la bonne réception ;

Attendu qu'en matière de produits alimentaires, la dénonciation peut être faite dans un délai raisonnable après avoir fait l'inventaire des défauts invisibles ou cachés ; qu'en l'espèce, le défaut a été signalé par téléphone à la société HIGGINS GROUP et un compte rendu a été envoyé dans un délai tout à fait raisonnable par écrit à un intervalle de 3 à 8 jours à compter de la livraison de la première et de la deuxième commande ;

Attendu que la dénonciation était suffisamment claire puisqu'il était demandé par mail envoyé le 31 mars 2011 le remplacement des pommes de terre ; ce qui impliquait le défaut de conformité de la marchandise ;

Attendu qu'eu égard au caractère fongible de cette marchandise, le lapse de temps intervenu dans les deux cas permettait à la société HIGGINS GROUP d'en vérifier l'état ;

Attendu que la Cour relève :

- que la société HIGGINS GROUP ne s'est pas rendue sur place afin de vérifier la marchandise en dépit de deux réclamations consécutives,

- que l'état de détérioration de la deuxième commande a été constaté aux termes de rapports sérieux et circonstanciés établis par des autorités publiques ;

Attendu qu'il importe par ailleurs peu que la société M. ait indiqué dans un tout premier temps que les pommes de terre étaient 'bonnes', ce qualificatif pouvant viser le calibre demandé et non la qualité défectueuse du produit révélée ultérieurement ;

Attendu que la convention de Vienne prévoit en son article 50 al 1, la possibilité pour l'acheteur de ' réduire le prix, qu'il ait été ou non payé, proportionnellement à la différence entre la valeur que les marchandises effectivement livrées avaient au moment de la livraison et la valeur que les marchandises conformes auraient eue à ce moment' ;

Attendu que la société M. est en droit, en application de ces dispositions, de réclamer le remboursement restant du, correspondant à la différence de la valeur de la marchandise achetée avec celle qui a été reçue ;

Attendu que la société HIGGINS GROUP prétend par ailleurs que la marchandise se serait détériorée après sa livraison au transporteur, et par conséquent après le transfert des risques à la société M. ;

Mais attendu que s'agissant d'une vente départ, le transfert de risques s'effectue au moment de la remise de la marchandise par le vendeur au premier transporteur ( art 67.1) ;

Attendu que l'article 36.1 de la Convention prévoit la responsabilité du vendeur de tout défaut qui existe au moment du transfert de risques ;

Attendu que concernant la première commande, le vendeur a admis sa responsabilité ; que concernant la seconde commande, il ressort du rapport de l'Institut phytosanitaire d'Athènes, parfaitement étayé, que les tâches noires ne se seraient pas développées si les tubercules n'avaient pas été de mauvaise qualité, l'origine du défaut se situant donc à une étape qui précède le transfert des risques et la société HIGGINS GROUP en étant entièrement responsable sans pouvoir valablement opposer un problème au niveau du transport ;

Attendu que l'article 74.1 de la Convention consacre le principe de l'indemnisation intégrale de la perte éprouvée et du gain manqué du cocontractant lésé, de sorte que la société M. est bien fondée à réclamer une indemnisation au titre des frais de transport de la marchandise défectueuse ;

Attendu qu'aux termes de l'article 46.2 de la convention de Vienne, si les marchandises ne sont pas conformes au contrat, l'acheteur peut exiger la livraison de marchandises de remplacement si le défaut est essentiel ;

Attendu que la société M. est par conséquent en droit de réclamer le remboursement de l'ensemble des sommes déboursées par le remplacement de la marchandise défectueuse ;

Attendu qu'au vu de ces éléments, la Cour confirmera le jugement entrepris, précision étant faite que la somme de 15 356, 75 euros portera intérêts de droit à compter de la réception de la mise en demeure le 15 décembre 2011, capitalisés jusqu'à parfait paiement par application des articles 1 153 et 1154 du Code Civil ;

Attendu qu'au titre des frais irrépétibles, la société HIGGINS GROUPE sera condamnée à verser à la société M. A. la somme de 3000 euros en application de l' article 700 du Code de Procédure Civile , en sus des dépens.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement

Confirme le jugement rendu le 16 juillet 2013 par le tribunal de commerce de REIMS :

Y ajoutant :

Dit que la somme de 15 356,75 euros doit porter intérêts à compter de la réception de la mise en demeure le 15 décembre 2011, capitalisés jusqu'à parfait paiement ;

Condamne la société HIGGINS GROUP à verser à la société M. A. et CIE la somme de 3000 euros par application de l' article 700 du Code de Procédure civile ;

Condamne la société HIGGINS GROUP aux dépens avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l' article 699 du Code de Procédure Civile .

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