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Décisions

ADLC, 11 février 2011, n° 11-DCC-27

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif du groupe AE&E Inova France par le groupe Altawest

ADLC n° 11-DCC-27

10 février 2011

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 10 janvier 2011, relatif à la prise de contrôle exclusif du groupe AE&E Inova France par le groupe Altawest, formalisée par une convention de cession d’actions en date du 21 décembre 2010 entre la société AE&E Inova Holding AG et la société Altawest SAS ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;

Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées

1. Altawest SAS, tête du groupe Altawest, est une société par actions simplifiée de droit français dont le capital est réparti entre BNP-Paribas Développement ([…] %), IPO ([…] %), Philippe Garelli ([…] %) et la société CPG Investissements ([…] %), le capital de cette dernière étant détenu à [>50] % par M. Philippe Garelli. Les actionnaires minoritaires ne disposant d’aucun droit de veto de nature à leur octroyer une influence déterminante sur les décisions stratégiques de la société, Altawest SAS est contrôlée exclusivement par ce dernier. Le groupe Altawest a pour principales activités la construction d’équipements (chaudières industrielles, systèmes de combustion, machines tournantes électriques haute tension, moteurs, alternateurs) et la fourniture de services (maintenance, rénovation, réparation) pour une clientèle constituée d’industriels des secteurs de la production d’électricité, du pétrole et du gaz, de la chimie, de la transformation ou du traitement de l’eau, des déchets et des effluents mais aussi d’autres industries (bois, papier, métallurgie, agro-alimentaire).

2. AE&E Inova France est une société anonyme qui détient 100 % du capital des sociétés AE&E Maintenance France SAS, AE&E Opérations France SAS et Mellergies SAS. AE&E France est contrôlée par AE&E Group GmbH, société de droit autrichien à la tête du groupe AE&E. AE&E Inova France et ses filiales sont principalement actives dans la construction de projets clefs-en-main d’unités de production d’énergie à partir de l’incinération de déchets ménagers ou de biomasse ainsi que la modernisation et la rénovation de ce type d’usines.

3. La présente opération, formalisée par une convention de cession d’actions en date du 21 décembre 2010, porte sur l’acquisition, par la société Altawest SAS, de la totalité des actions de la société AE&E Inova France. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif par le groupe Altawest de la société AE&E Inova France et de ses filiales, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L.430-1 du code de commerce.

4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (groupe Altawest : […] millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2009 ; les quatre sociétés cédées : […] millions d’euros pour la même année). Deux au moins de ces entreprises réalisent en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (groupe Altawest : […] millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2009 ; sociétés cédées : […] millions d’euros pour la même année). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

 

II. Délimitation des marchés pertinents

A. LES MARCHÉS DE PRODUITS ET SERVICES

5. Les parties à l’opération sont simultanément actives dans le seul secteur de la construction, de la maintenance et de l’exploitation d’installations de valorisation thermique, à partir de déchets ou de biomasse, en vue de la production d’électricité et de chaleur.

6. Précisément, une installation de valorisation thermique, c'est-à-dire un centre qui récupère la chaleur provenant de la combustion d’ordures ménagères, de biomasse ou d’autres combustibles, se compose principalement des équipements suivants :

- un système d’alimentation : acheminement et stockage du combustible (par exemple réception, déchargement et préparation des ordures ménagères) ;

- une unité de combustion comprenant une chaudière ainsi qu’une grille de combustion ou un lit fluidisé selon la technologie retenue (dans le cas d’une installation à grille de combustion, les ordures ménagères sont incinérées sur une grille oblique) ;

- une salle des machines destinées notamment à produire de l’électricité (turbines, alternateurs) ;

- un système de traitement des fumées et gaz d’échappement.

7. La pratique décisionnelle européenne considère qu’il est pertinent de segmenter le marché des installations de valorisation thermique en fonction du combustible utilisé, en faisant notamment la distinction entre les ordures ménagères, la biomasse ou le charbon, et en fonction de la technologie de combustion employée, en distinguant les systèmes à grille des systèmes à lit fluidisé. Elle estime ainsi que la fourniture d’installations d’incinération des ordures ménagères utilisant la technologie à grille de combustion constitue un marché distinct. En revanche la pratique a laissé ouverte la question de savoir s’il fallait distinguer entre, d’une part, la fourniture d’installations ou de lignes d’incinération complètes clefs-en-main et, d’autre part, la fourniture de composants individuels, tels que l’unité de combustion. La pratique a également envisagé un marché de produits distinct pour la fabrication des composants sous pression des chaudières1.

8. Au cas d’espèce, les parties sont simultanément présentes sur le seul marché des installations d’incinération d’ordures ménagères basées sur la technologie à grille. Toutefois, sur ce marché, le groupe Altawest propose seulement des chaudières (sans les grilles de combustion) alors qu’AE&E Inova France ne commercialise que des installations complètes clefs-en-main.

9. La partie notifiante précise que les offres respectives des groupes AE&E Inova France et Altawest s’adressent à une demande différente. En ce qui concerne la fourniture d’installations complètes par AE&E Inova France, la demande se compose essentiellement de collectivités locales ou d’opérateurs privés agissant en tant que maîtres d’ouvrage pour le compte de ces dernières (par exemple Véolia Propreté, Suez Environnement, E.ON Energy from Waste et Séché Environnement) tandis que l’offre concurrente est assurée par d’autres fournisseurs d’installations complètes tels que CNIM-Martin, Fisia-Babcock, Vinci Environnement, Keppel Seghers, Babcock&WilcoxVolund et Standardkessel. En ce qui concerne la fourniture de chaudières par le groupe Altawest, la demande se compose principalement des fournisseurs d’installations complètes et l’offre concurrente provient de chaudiéristes, tels que Stein Energie, Duro Dakovic2 et Sefako. Dès lors, il peut être envisagé l’existence de deux marchés de produits distincts : un premier situé en amont sur lequel Altawest intervient comme fournisseur de chaudières et un second situé en aval correspondant à la fourniture d’installations complètes par AE&E Inova France.

10. Par ailleurs, les parties proposent de définir un marché distinct de la maintenance, réparation et rénovation des installations thermiques, qui regrouperait à la fois des contrats de courte durée pour des réparations ponctuelles et des contrats de long terme pour des rénovations complètes. Toutefois, la pertinence de la distinction entre la fourniture d’installations neuves d’une part, et les services de maintenance, réparation et rénovation d’autre part ne s’impose pas compte tenu de la maturité du marché français de la construction d’installations de valorisation thermique neuves et du fait que la demande du secteur est surtout stimulée par des rénovations d’installations.

11. Enfin, les parties ont envisagé un dernier marché de produits en cause distinct correspondant à l’exploitation d’installations d’incinération d’ordures ménagères, sur lequel seul le groupe AE&E Inova France est présent.

12. En tout état de cause, la délimitation exacte des marchés concernés peut être laissée ouverte, dans la mesure où, quelles que soient les hypothèses retenues, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeureront inchangées.

 

B. LES MARCHES GEOGRAPHIQUES

13. La pratique décisionnelle européenne considère que les marchés des installations complètes ou de composants essentiels d’installations de valorisation thermique sont de dimension européenne dans la mesure où les appels d’offres auxquels sont soumis ces marchés ont une dimension internationale, indépendamment du fait que les clients appartiennent au secteur public ou privé, et où les plus gros fournisseurs sont actifs quasiment dans tout l’espace économique européen3.

14. Les parties acquiesçant à une telle définition, il n’y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation. Celle-ci peut être également étendue au marché de la fourniture de chaudières destinées aux installations de valorisation thermique, pour les mêmes raisons.

15. S’agissant des marchés de services de maintenance/réparation/rénovation et de l’exploitation d’installations de valorisation thermique, les parties considèrent qu’ils sont de dimension au moins nationale. La délimitation exacte des marchés peut néanmoins être laissée ouverte, dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeureront inchangées quelles que soient les hypothèses retenues.

 

III. L’analyse concurrentielle

16. Les activités des parties ne se chevauchent quasiment sur aucun des marchés, à l’exception du marché éventuel des services de maintenance/réparation/rénovation des installations de valorisation thermique. Il convient également d’examiner les effets de l’intégration verticale de la nouvelle entité, puisque l’opération intégrera les activités d’Altawest sur le marché amont de la fourniture de chaudières et les activités d’AE&E Inova France sur le marché aval de la fourniture d’installations complètes.

 

A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX

17. Altawest et AE&E Inova France représentent respectivement [5-10] % et [5-10] % du marché des services de maintenance/réparation/rénovation des équipements d’installations thermiques en France, soit une part de marché cumulée de [10-20] %. A la suite de l’opération, les parties demeureront confrontées à la concurrence de plusieurs groupes, notamment CNIM, un des leaders mondiaux sur les marchés des installations de valorisation thermique (plus de [20-30] % du marché français), Alstom ([10-20] % du marché), Stein Energie ([5-10] % du marché).

18. L’opération n’est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur ce marché.

B. ANALYSE DES EFFETS VERTICAUX

19. En prenant le contrôle de la société AE&E Inova France, le groupe Altawest sera présent à la fois en amont, en matière de fourniture de chaudières, et en aval, en matière de fourniture d’installations complètes de centres d’incinération d’ordures ménagères par utilisation du système de combustion à grille, marché sur lequel il était jusqu’alors absent.

20. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l’accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Deux types de verrouillages sont clairement distingués. Dans le premier cas, l’entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval ou alors le leur fournit à un prix élevé, dans des conditions défavorables ou à un niveau de qualité dégradé (verrouillage du marché des intrants). Dans le second cas, la branche aval de l’entreprise intégrée refuse d’acheter ou de distribuer les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux (verrouillage de l’accès à la clientèle). La pratique décisionnelle des autorités de concurrence écarte en principe ces risques de verrouillage lorsque la part de l’entreprise issue de l’opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %.

21. Sur le marché aval de la fourniture d’installations complètes de centres d’incinération d’ordures ménagères, la Commission européenne a estimé, en examinant l’acquisition du groupe Lentjes par le groupe AE&E en 2007, que ce dernier représentait 50 à 70 % du marché européen. CNIM-Martin, avec une part de marché de 20 à 30 % était alors le principal concurrent des parties4.

22. Cependant, depuis l’autorisation de cette opération, le groupe AE&E a connu d’importantes difficultés financières qui l’ont conduit à solliciter, le 24 novembre 2010, l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire en vertu du droit autrichien5. L’impact de ces difficultés sur la position concurrentielle du groupe AE&E et de ses filiales a été étayé par le test de marché, plusieurs réponses confirmant que sa part de marché était désormais significativement inférieure à celle observée en 2007, du fait, en particulier, de la perte d’un grand nombre d’appels d’offres au cours de ces deux dernières années.

23. Dans ces conditions, la société AE&E Inova France et ses trois filiales, qui n’assurait qu’une part modeste du chiffre d’affaires total du groupe international AE&E, a estimé ne réaliser aujourd’hui qu’environ [5-10] % du marché européen de la fourniture des installations complètes de centres d’incinération d’ordures ménagères. La nouvelle entité demeurera confrontée à la concurrence du groupe CNIM (plus de [20-30] % du marché européen), du groupe suisse Von Roll Inova Holding AG6 ([5-10] % du marché), Fisia-Babcock ([10-20] %), Babcock&Wilcox Volund ([5-10] %), Vinci Environnement ([0-5] %), Keppel-Seghers ([0-5] %).

24. Sur le marché amont de la fourniture de chaudières destinées aux installations d’incinération d’ordures ménagères par système de combustion à grille, Altawest réalisera moins de [10-20] % de l’activité en Europe et est confronté à plusieurs concurrents importants, tels que Duro-Dakovic (plus de [20-30] % du marché), Sefako (plus de [10-20] %), Stein Energie (moins de [10-20] %).

25. Compte tenu des faibles parts de marché réalisées respectivement par les deux parties à l’opération, les risques de verrouillage des marchés peuvent être écartés.

 

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 11-0002 est autorisée.

 

NOTES :

1 Décision de la Commission européenne n°COMP/M.4647 AEE/Lentjes du 05 décembre 2007.

2 Cette société est également filiale du groupe AE&E.

3 Décision n°COMP/M.4647, précitée.

4 Décision n°COMP/M.4647, précitée.

5 De même, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte le 1er décembre 2010 en vertu du droit suisse à l’égard de la société AE&E Von Roll Inova Holding AG.

6 Cette société ferait actuellement l’objet d’une acquisition par le groupe japonais Hitachi Zosen.