CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 20 octobre 2010, n° 09/06495
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ltd Thornhaven (SA)
Défendeur :
Le Belle Crousteline (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Giroud
Conseillers :
Mme Mouillard, Mme Saint-Schroeder
Avoués :
SCP Roblin - Chaix de Lavarene, SCP Ribaut
Avocats :
Me Davene, Me Lamaze
La société de droit français LA BELLE CROUSTELINE a pour activité la fabrication industrielle de croissants, pains au chocolat et autres viennoiseries. La société de droit irlandais THORNHAVEN a pour activité la vente en gros à des chaînes de supermarchés en Irlande. Ces deux sociétés ont entretenu des relations commerciales à compter de l'année 1999. La société THORNHAVEN ayant refusé de payer plusieurs factures émises en 2004 et 2005 à hauteur de la somme totale de 47.520,49 euros motif pris de l'existence de moisissures sur certaines marchandises et de la présence de pièces métalliques dans deux produits de même que celle d'un insecte dans un croissant, la société LA BELLE CROUSTELINE l'a assignée devant le tribunal de commerce d'AUXERRE en payement de cette somme. Par jugement du 5 janvier 2009, ce tribunal a condamné la société THORNHAVEN à payer à la société LA BELLE CROUSTELINE la somme de 47.520,49 euros ainsi que celle de 3000 euros au titre de ses frais irrépétibles et a débouté la société THORNHAVEN de ses demandes.
Aux termes de ses dernières conclusions du 14 mai 2010, la société THORNHAVEN, appelante, demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de condamner la société LA BELLE CROUSTELINE à lui payer la somme de 83.863,95 euros à titre de dommages-intérêts compte tenu des manquements de celle-ci à ses obligations de conformité des marchandises, d'ordonner le cas échéant la compensation avec les sommes dont la société intimée sollicite le payement et, à titre subsidiaire, de reconnaître que le prix réclamé par cette société est réduit de sorte qu'elle est ainsi libérée de toute dette à son égard. En tout état de cause, elle demande la condamnation de la société LA BELLE CROUSTELINE à lui verser la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société LA BELLE CROUSTELINE conclut dans ses dernières écritures du 2 octobre 2009 à l'irrecevabilité des demandes reconventionnelles formées par la société THORNHAVEN sur le fondement de l'article 39 alinéa 2 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 et à la confirmation de la décision déférée. Elle réclame, en outre, la somme de 5000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Il est renvoyé aux dernières conclusions précitées des parties en date des 2 octobre 2009 et 14 mai 2010 pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions et ce, conformément aux dispositions des articles 455 et 753 du code de procédure civile.
SUR CE
Sur la fin de non-recevoir
Considérant que la société LA BELLE CROUSTELINE soulève l'irrecevabilité des demandes reconventionnelles en dommages-intérêts sur le fondement de l'article 39-2 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 qui dispose que 'dans tous les cas, l'acheteur est déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité s'il ne le dénonce pas au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises, à moins que ce délai ne soit incompatible avec la durée d'une garantie contractuelle' en prétendant que ces demandes seraient prescrites faute pour la société THORNHAVEN d'avoir agi dans ce délai de deux ans;
Mais considérant qu'ainsi que le soutient la société intimée, le délai de deux ans visé par l'article 39 d) précité est un délai de dénonciation du défaut de conformité et non un délai pour agir ; que dès lors la fin de non-recevoir tirée de la prescription sera rejetée;
Au fond
Sur la demande en payement des factures émises par la société LA BELLE CROUSTELINE
Considérant que la société THORNHAVEN ne conteste pas le montant qui lui est réclamé et qui correspond aux quatre factures 75209, 75407, 75816 et 76292 venues à échéance respectivement les 23 et 29 novembre 2004, 17 décembre 2004 et 14 janvier 2005 ; que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société LA BELLE CROUSTELINE la somme de 47.520,49 euros ;
Sur les demandes reconventionnelles
Considérant que la société THORNHAVEN, faisant état d'un défaut de conformité de plusieurs des marchandises lors de leur remise au transporteur par la société appelante, sollicite les sommes suivantes en réparation des préjudices qu'elle affirme avoir subis :
-20.673,88 euros correspondant au dommage subi du fait de l'achat des produits défectueux et non vendus, des frais de retrait des ventes des marchandises non-conformes et du transport y afférent,
-10.000 euros en réparation de l'atteinte à son image de marque et à sa réputation et de la nécessité de réorganiser sa filière de fournisseurs,
-53.190,07 euros représentant le coût total des campagnes promotionnelles sur les produits de la société LA BELLE CROUSTELINE afin de remédier aux nombreux incidents causés par la qualité défectueuse des produits en 2004 et 2005 ;
Que la société LA BELLE CROUSTELINE lui oppose le transfert des risques au moment de la remise des marchandises à la sortie de l'usine de fabrication située dans le département de l'Yonne, l'absence de réclamation de la part du transporteur et l'absence de preuve des préjudices allégués ;
Considérant, ceci exposé, que dès lors que les marchandises étaient livrées à des supermarchés sur le territoire irlandais, le défaut de conformité consistant dans la présence de moisissures, de parties métalliques ou d'un insecte ne pouvait être constaté qu'à l'ouverture des produits par le client final ;
Que la société THORNHAVEN verse aux débats plusieurs courriers électroniques émanant de la société LA BELLE CROUSTELINE aux termes desquels celle-ci indique, pour les moisissures affectant les croissants, que 'les bactéries se sont probablement développées pendant la manutention des produits lors de leur mise en emballage (courrier du 28 septembre 2004), et, dans un courrier du 2 février 2005, que le département qualité de la société a 'trouvé que la fermeture des deux extrémités n'est pas parfaitement étanche. Par conséquent, ces produits ont été moisis très rapidement'; qu'elle ne peut ainsi se prévaloir des dispositions de l'article 35.3 de la Convention de Vienne qui énonce que' le vendeur n'est pas responsable, au regard des alinéas a) et d) du paragraphe précédent, d'un défaut de conformité que l'acheteur connaissait ou ne pouvait ignorer au moment de la conclusion du contrat étant relevé que ce n'est que le 17 février 2005 qu'elle a proposé à la société THORNHAVEN de modifier les emballages des croissants afin d'y remédier ;
Que dans ce même courrier du 2 février 2005, la société appelante faisait état de la 'contamination métallique' en précisant qu'il s'agissait d'une partie de tablette cassée ; que la présence d'un élément en métal a été constaté dans deux produits comme cela ressort des plaintes des 9 et 20 janvier 2005 adressées par la société DUNNES STORES à la société THORNHAVEN qui en a immédiatement informé la société LA BELLE CROUSTELINE;
Que celle-ci reconnaissait également dans un courrier du 19 novembre 2004 la présence d'un insecte dans un croissant en indiquant que cet insecte avait 'certainement été coincé pendant le moulage du croissant' et que 'les portes avaient été laissées ouvertes pendant la réception ce qui a encouragé l'intrusion des insectes’ ;
Qu'il résulte de ces différents courriers que la société LA BELLE CROUSTELINE, qui a été informée rapidement après chaque incident, n'a pas contesté sa responsabilité dans la survenance des dommages susvisés ; qu'elle doit donc réparation à la société THORNHAVEN;
Considérant que pour justifier de l'étendue de son préjudice qu'elle évalue aux sommes ci-dessus énumérées, la société intimée produit deux plaintes émanant de la société DUNNES STORES portant sur deux produits ayant contenu un morceau de métal; qu'aucune pièce visant la remise d'avoirs à ses clients ou la perte de ventes n'est produite; que la teneur des trois courriers de la société DUNNES STORES des 1er mars, 13 avril et 26 octobre 2005 se référant à des promotions ne permet pas d'affirmer comme le fait la société THORNHAVEN que ces promotions avaient pour but de remédier aux incidents provenant de la qualité défectueuse des produits de la société LA BELLE CROUSTELINE;
Qu'il suit de ces développements la société THORNHAVEN ne démontre qu'un préjudice constitué par une atteinte à son image auprès de ses clients ; que ce préjudice sera réparé par l'allocation de la somme de 1000 euros qui se compensera avec la somme dont l'intimée est redevable envers la société LA BELLE CROUSTELINE ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société LA BELLE CROUSTELINE la somme de 3000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel ;
PAR CES MOTIFS
Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société LA BELLE CROUSTELINE,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la société THORNHAVEN de l'ensemble de ses demandes,
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,
Condamne la société LA BELLE CROUSTELINE à verser à la société THORNHAVEN la somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts,
Dit que les dettes des parties se compenseront à due concurrence,
Condamne la société THORNHAVEN à verser à la société LA BELLE CROUSTELINE la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.