ADLC, 11 mars 2011, n° 11-DCC-41
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à l’acquisition du contrôle exclusif par la société NeoElectra Group de certains actifs de la société SEEM
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 11 janvier 2011, déclaré complet le 16 février 2011, relatif à l’acquisition du contrôle exclusif par la société NeoElectra Group de certains actifs de la société SEEM, formalisée par deux protocoles de cession en date du 24 décembre 2010 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. NeoElectra Group (ci-après « NeoElectra ») est une société de droit français dont l’activité consiste à gérer des usines de production d’électricité de pointe et de cogénération ainsi que des chauffages et des systèmes de refroidissement. NeoElectra est intégralement détenue par Cube Energy SCA (ci-après « Cube Energy »), société de droit luxembourgeois, elle-même détenue à hauteur de [>50] % par Cube Infrastructure Fund (ci-après « Cube Infrastructure »), fonds d’investissement géré par Natixis Environnement & Infrastructure Luxembourg (ci-après « NEIL »). NEIL est indirectement contrôlé par la société BPCE, holding du groupe BPCE. Le groupe BPCE détient, par l’intermédiaire de Cube Energy et de trois autres sociétés de portefeuille détenues par Cube Infrastructure, des participations contrôlantes dans des sociétés actives dans les secteurs de l’énergie et notamment dans les domaines de la gestion de parcs d’énergie solaire et éolienne, la construction et l’exploitation de câbles sous-marins en fibre optique, la gestion d’installations de valorisation énergétique des déchets, la distribution et l’assainissement de l’eau et la conception et la construction d’usines de traitement de l’eau.
2. Les actifs acquis par NeoElectra à l’issue de la présente opération sont cédés par la société SEEM. Ces actifs correspondent à : (i) l’intégralité du capital des sociétés SEEM Île de France, Enerchauf, Cimeth, Sogesth et Sani Nancy, actives sur les marchés de la production et fourniture de chaleur, des travaux de génie climatique et de la gestion et de l’exploitation d’installations techniques des bâtiments ; (ii) [>50] % du capital de la société Enerlor, active principalement sur le marché des travaux de génie climatique ; et (iii) [>50] % de la société Enerpart, holding de Enertherm qui a pour objet l’étude, la réalisation et l’exploitation des installations de production et distribution de chaleur, de froid et d’électricité dans le quartier de la Défense, dans le cadre d’une délégation de service public1, dont NeoElectra détient actuellement [<50] %.
3. Aux termes de deux protocoles de cession en date du 24 décembre 2010, il est prévu que NeoElectra prenne le contrôle exclusif de l’ensemble de ces sociétés. La présente opération constitue donc une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
4. Les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d’affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros au dernier exercice clos (le groupe BPCE : 21,2 milliards d’euros au dernier exercice clos en 2009 ; l’ensemble des actifs cédés par SEEM : […] millions d’euros au dernier exercice clos en 2010). Chacune de ces entreprises a réalisé, en France, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (le groupe BPCE : 19,3 milliards d’euros au dernier exercice clos en 2009 ; l’ensemble des actifs cédés par SEEM : […] millions d’euros au dernier exercice clos en 2010). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
5. Eu égard aux différentes activités exercées par les parties, la présente opération emporte des chevauchements sur les marchés de la gestion déléguée des réseaux de chaleur, de la production et de la vente en gros d’électricité et de la production et fourniture de chaleur.
6. Certaines sociétés dont NeoElectra prendra le contrôle exclusif à l’issue de l’opération sont par ailleurs actives sur les marchés des travaux de génie climatique et de la gestion et de l’exploitation d’installations techniques des bâtiments. Cependant, compte tenu du niveau extrêmement faible de la position détenue par l’ensemble de ces sociétés sur les marchés précités (inférieure à [0-5] %), tout risque d’atteinte à la concurrence par le biais d’effets non horizontaux peut d’ores et déjà être écarté.
A. LE MARCHÉ DE LA GESTION DÉLÉGUÉE DES RÉSEAUX DE CHALEUR
1. MARCHÉ DE SERVICES
7. Les réseaux de chaleur sont des équipements collectifs de distribution de chaleur, produite sous forme de vapeur ou d’eau chaude par des unités centralisées de production permettant d’alimenter des établissements publics et privés en chauffage et en eau chaude sanitaire. Un réseau de chaleur comprend (i) une ou plusieurs sources de chaleur, constituées par une ou plusieurs unités de production de chaleur (chaufferies) fonctionnant à l'aide d'une ou plusieurs sources d'énergies qui peuvent être un combustible (solide, liquide ou gazeux), de l'électricité ou des unités de récupération de chaleur (incinération d'ordures ménagères, chaleur industrielle), de la géothermie, un autre réseau de chaleur ou une installation de cogénération, et (ii) un réseau de canalisations (dit « réseau primaire ») empruntant la voirie publique ou privée, aboutissant à des postes de livraison de la chaleur aux utilisateurs (sous-stations). Les réseaux secondaires de canalisations, distribuant la chaleur aux usagers en aval de ces postes de livraison, ne font en effet pas partie du « réseau » proprement dit2.
8. Les autorités de concurrence nationale et communautaire3 ont considéré que les réseaux de chaleur devaient être distingués des réseaux de froid bien qu’ils fonctionnent selon les mêmes principes.
9. La distribution publique de chaleur relève de la compétence des collectivités territoriales qui peuvent, soit en assurer elles-mêmes, avec leurs propres services, la gestion complète (en général en régie), soit déléguer cette gestion à un opérateur public ou privé dans le cadre d'une délégation de service public (ci-après « DSP »). Les autorités de concurrence nationale et communautaire4 ont considéré que les réseaux gérés en régie ne pouvaient être intégrés au marché de la gestion des réseaux de chaleur sur lequel interviennent les opérateurs spécialisés dans le cadre de DSP.
10. Le marché de services en cause en donc celui de la gestion déléguée des réseaux de chaleur.
2. MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE
11. La pratique décisionnelle nationale et communautaire antérieure5 a considéré que le marché des réseaux de chaleur revêtait une dimension nationale. Il n’y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l’occasion de l’examen de la présente opération.
B. LE MARCHÉ DE LA PRODUCTION ET LA VENTE EN GROS D’ÉLECTRICITÉ
12. S’agissant du secteur de l’électricité, les autorités de concurrence nationales et communautaire6 distinguent généralement les marchés de produits suivants de l’amont à l’aval : (i) la production et la vente en gros, (ii) le négoce, (iii) le transport, (iv) la distribution, (v) la fourniture au détail d’électricité. Compte tenu des activités des parties à l’opération, est uniquement concerné en l’espèce le marché de la production et la vente en gros d’électricité.
13. Le marché de la production et de la vente en gros d’électricité7 comprend, du côté de l’offre, non seulement l’électricité produite par les centrales, mais également les importations d’électricité vers la France via les interconnexions8. Producteurs et importateurs vendent l’électricité en gros aux opérateurs fournissant les consommateurs finaux, à des négociants ou encore à de gros clients industriels.
14. Les autorités de concurrence nationale et communautaire considèrent que les marchés de l’électricité sont de dimension nationale, notamment en raison de la diversité des systèmes réglementaires en vigueur9.
15. Il n’y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l’occasion de la présente opération.
C. LE MARCHÉ DE LA PRODUCTION ET DE LA FOURNITURE DE CHALEUR
16. Selon la pratique décisionnelle des autorités de concurrence aussi bien nationales que communautaire, l’exploitation de systèmes de production et la livraison de chaleur constitue un marché distinct10. La Commission a par ailleurs précisé que pour produire de la chaleur, les installations employées peuvent utiliser différents types de carburants y compris la houille, la cendre noire, le gaz naturel, le gaz de cokerie, de la biomasse et du fioul.
17. Les autorités de concurrence11 ont considéré que le marché de la production et de la fourniture de chaleur est de dimension locale en raison de la perte d’efficacité engendrée par le transport de chaleur sur de longues distances. Il n’y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l’occasion de l’examen de la présente opération.
18. En l’espèce, NeoElectra est présente sur le marché de la production et de la fourniture de chaleur en Normandie (par l’intermédiaire des sociétés NeoElectra du Rouvray et NeoElectra du Rouvray II) ainsi qu’en Ile de France (par l’intermédiaire de la société Vigneaux). Les actifs repris à l’occasion de la présente opération correspondent quant à eux à des activités de production et fourniture de chaleur situées en région Ile de France (sociétés SEEM Ile de France et Enerchauf), Rhône Alpes (société Sogesth) et Lorraine (société Enerlor).
19. Par conséquent, l’opération n'entraîne qu’un chevauchement d'activités sur le marché de la production et de la fourniture de chaleur en Ile de France.
III. Analyse concurrentielle
A. LE MARCHÉ DE LA GESTION DÉLÉGUÉE DE RÉSEAUX DE CHALEUR
20. Enerpart, via sa filiale Enertherme, exploite le réseau urbain de chaleur du quartier de la Défense. NeoElectra, pour sa part, a conclu trois contrats de délégation de service public avec des collectivités locales : réseau de la ville de Clichy-sous-Bois ; réseau de la ville de Bondy ; réseau de la ville de Saint-Jean-en Royans.
21. S’agissant de l’indicateur idoine pour l’évaluation des parts de marché en matière de gestion déléguée de réseaux de chaleur, l’Autorité a récemment relevé, à l’instar de la Commission européenne, que l’appréciation de la position des opérateurs en nombre de réseaux reflétait leur succès passé et surestimait l’importance de petits réseaux. L’Autorité a donc considéré que le volume (en GWh) et le chiffre d’affaires (en millions d’euros) des réseaux gérés constituaient également des indicateurs pertinents pour calculer les parts de marché12.
22. A l’issue de l’opération, sur le marché français de la gestion délégué de réseaux de chaleur, la position de NeoElectra sera, selon les estimations des parties, de [0-5] % (dont [0-5] % pour Enerpart) calculée en volume (GWh) et de [0-5] % en valeur (dont [0-5] % pour Enerpart). Par ailleurs, sur ce marché, la nouvelle entité restera soumise à la concurrence de grands groupes tels que GDF Suez et Dalkia.
23. Au vu de ce qui précède la présente opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché français de la gestion déléguée de réseaux de chaleur.
B. LE MARCHÉ DE LA PRODUCTION ET DE LA VENTE EN GROS D’ÉLECTRICITÉ
24. Enerpart intervient sur ce marché par l’intermédiaire de Enertherme dans le cadre du contrat de délégation de service public de la Défense, en produisant de l’éléctricité par cogénération grâce à une centrale située à Nanterre. NeoElectra produit quant à elle de l’électricité par cogénération indépendante à partir d’énergie fossile. Une fois l’opération réalisée, la nouvelle entité détiendra une position inférieure à [0-5] % sur le marché français de la production et de la vente en gros d’électricité.
25. La présente opération n’est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché national de la production et de la vente en gros d’électricité.
C. LE MARCHÉ DE LA PRODUCTION ET DE LA FOURNITURE DE CHALEUR
26. Sur le marché local de la production et de la fourniture de chaleur, la présente opération emporte un unique chevauchement d’activités en Ile de France. Dans cette région, NeoElectra est présente par l’intermédiaire de sa filiale la société Vigneaux dont la part de marché, selon les estimations des parties, n’excède pas [0-5] %. Pour sa part, SEEM est active en Ile de France via ses filiales SEEM Ile de France et Enerchauf qui détiennent ensemble une part de marché de [0-5] %. Ainsi, à l’issue de l’opération, la position de NeoElectra s’élèvera à [0-5] %. Cette dernière demeurera par ailleurs confrontée à la concurrence exercée par des groupes puissants tels que GDF-Suez ou Dalkia.
27. Au vu de ce qui précède la présente opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché de la production et de la fourniture de chaleur en Ile de France.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 11-0006 est autorisée.
NOTES :
1 Cette concession à pris effet le 1er septembre 2002 pour une durée de 25 ans.
2 Décision n°11-DCC-34 du 25 février 2011 relative à l'acquisition du contrôle exclusif de Ne Varietur par GDF Suez.
3 Voir la décision de la Commission européenne du 17 novembre 2006 n°COMP/M.4180, Gaz de France/Suez, ainsi que la décision de l’Autorité de la concurrence n°11-DCC-34 précitée.
4 Ibid.
5 Voir notamment la décisions de la Commission européenne du 17 novembre 2006 n°COMP/M.4180, Gaz de France/Suez précitée, les lettres du ministre de l’économie du 20 février 2008, aux conseils de la société IDEX Energies, relative à une concentration dans le secteur de la gestion et de l’exploitation d'installations techniques des bâtiments et du génie climatique précitée et du 2 juillet 2008, aux conseils de la société A2A, relative à une concentration dans les secteurs de la production d’électricité, des réseaux urbains de chaleur et de froid, et de la production et fourniture de chaleur, ainsi que la décision de l’Autorité de la concurrence n°11-DCC-34 précitée.
6 Décisions de la Commission COMP/M.5224 – EDF/British Energy du 22 décembre 2008 ; COMP/M.5170 – E.On/Endesa Europa/Viesgo du 19 juin 2008 , lettre du ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi du 2 juillet 2008, aux conseils de la société A2A, relative à une concentration dans les secteurs de la production d’électricité, des réseaux urbains de chaleur et de froid, et de la production et fourniture de chaleur, décision de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-028 relative à la prise de contrôle exclusif de la société POWEO par la société Österreichische Elektrizitätswirtschafts-Aktiengesellschaft.
7 Décisions de la Commission n°COMP/M.4180 – Gaz de France/Suez du 14 novembre 2006 , n°COMP/M4994 Electrabel/Compagnie du Rhône du 29 avril 200, lettre du ministre de l’économie n° C2008-42 - A2A / Cofatech Coriance et décision de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-028.
8 Décision de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-028 précitée.
9 Voir notamment décisions de la Commission COMP/M.4180 – Gaz de France/Suez du 14 novembre 2006 ; COMP/M.4994 – Electrabel/Compagnie Nationale du Rhône du 29 avril 2008, § 26 ainsi que la décision de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-028.
10 Décisions de la Commission européenne n°COMP/M.1803 – Electrabel/Epon du 07 février 2000, n°COMP/M.5365 – Ipo/ENBW/Praha/PT du 06 octobre 2009, n°5793 – Dalkia CZ/NWR Energy du 12 mai 2010 et lettres du ministre de l’économie n°C2008-03 du 20 février 2008 et n°C2008-42 du 02 juillet 2008.
11 Ibid.
12 Décision n°11-DCC-34 précitée.