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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 30 juin 2022, n° 21/01510

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Caisse de Credit Mutuel Grenoble Rivet (Sté.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

Mme Blanchard, M. Bruno

Avocat :

Me Bobant

T. com. Grenoble, du 5 mars 2021, n° 202…

5 mars 2021

Faits et procédure :

1.La société Vélocité Services exerce une activité de livraison, transport de marchandises en vélo, vente de vélos et de matériels, à Grenoble. Elle a souscrit auprès de la Caisse du Crédit Mutuel Grenoble Rivet (ci-après le Crédit Mutuel) un prêt professionnel n°00020216404 de 26.536 euros afin de financer l'achat de matériels et d'assurer un fonds de roulement, amortissable en 48 échéances, au taux fixe de 3,80'%, à compter du 5 janvier 2021. Ce prêt a été garanti par la caution solidaire de [I] [U], cogérant, à hauteur de 15.920 euros, pour une durée de 72 mois. Ces deux actes n'ont comporté aucune mention concernant la date de leur conclusion.

2.Un second prêt professionnel n°00020216405 a été souscrit par cette société pour 21.061 euros, destiné à financer l'achat de «'cyclocargos'», amortissable sur 48 mois à compter du 5 octobre 2012. Il a également été solidairement cautionné par [I] [U], dans la limite de 12.636 euros pour une durée de 72 mois, ainsi que par [O] [D]. L'acte de prêt comporte la date de signature du 4 septembre 2012. L'acte de cautionnement de monsieur [U] ne comporte aucune date.

3.Le 14 avril 2015, le tribunal de commerce de Grenoble a ouvert une procédure de sauvegarde concernant la société Vélocité Services, et le Crédit Mutuel a déclaré deux créances de 4.029,62 euros et de 7.744,40 euros, au titre de chacun de ces prêts. Ces créances ont été admises.

4.Le 12 avril 2016, le tribunal a adopté un plan de sauvegarde, prévoyant le règlement des créances sur huit ans. Les trois premières annuités de ce plan ont été réglées par le commissaire chargé de son exécution.

5.Le 17 mars 2020, le Crédit Mutuel a assigné [I] [U] devant le tribunal de commerce afin d'obtenir sa condamnation à lui payer notamment 3.223,70 euros et 6.195,22 euros, outre intérêts, au titre du solde de ces prêts.

6.Par jugement réputé contradictoire du 5 mars 2021, le tribunal de commerce a':

- débouté le Crédit Mutuel de ses demandes’ ;

- condamné le Crédit Mutuel aux dépens.

7.Le Crédit Mutuel a interjeté appel de cette décision le 31 mars 2021. L'instruction de cette procédure a été clôturée le 10 mars 2022.

Prétentions et moyens du Crédit Mutuel’ :

8.Selon ses conclusions d'appelant, il demande à la cour, au visa des articles 1134 et suivants du code civil, 626-11 du code de commerce’ :

- de déclarer son appel recevable et bienfondé' ;

- de dire que ses créances sont exigibles selon les modalités du plan de sauvegarde’ ;

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions’ ;

- statuant à nouveau, de condamner l'intimé à lui payer, en sa qualité de caution solidaire de la société Vélocité Services, les sommes de 1.835,70 euros au titre du solde du prêt professionnel n°00020216404 et de 4.104,53 euros au titre du solde du prêt professionnel n°00020216405, outre intérêts de droit à compter de la notification de ses conclusions, jusqu'à parfait paiement, et selon les modalités du plan de sauvegarde si l'intimé le souhaite’ ;

- à tout le moins, de condamner l'intimé au paiement de ces sommes et de dire que cette condamnation ne pourra pas être mise en oeuvre tant que le plan de sauvegarde est respecté';

- de condamner l'intimé à lui payer 1.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de la Selarl LGB-Bobant, avocats associés, représentée par maître Bobant.

L'appelant soutient’ :

9.- que les cinq premières annuités du plan de sauvegarde ont été réglées par le commissaire à l'exécution du plan, de sorte qu'il reste désormais dû 1.835,70 euros et 4.104,53 euros au titre du solde des deux prêts'; que le tribunal de commerce n'a pu retenir que l'action d'une banque contre une caution solidaire n'est pas fondée dès lors que le débiteur principal bénéficie d'un plan de sauvegarde, ce qui rendrait la créance inexigible, le tribunal ayant soulevé d'office ce moyen sans rouvrir les débats';

10.- qu'en effet, selon l'article L626-11 du code de commerce, le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions opposables à tous'; qu'à l'exception des personnes morales, les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent s'en prévaloir'; qu'ainsi, si une caution solidaire peut invoquer le plan de sauvegarde, il faut encore qu'elle s'en prévale, la juridiction saisie ne pouvant le faire à sa place, alors que du fait de la solidarité, la caution est tenue comme le débiteur des échéances du plan';

11.- qu'ainsi, la créance de la concluante est exigible selon les modalités du plan, de sorte qu'elle peut solliciter la condamnation de la caution, dans le respect des modalités de ce plan, ainsi que statué le 10 janvier 2012 par la Cour de Cassation.

*****

12.Monsieur [U] ne s'est pas constitué devant la cour, bien que la déclaration d'appel et les conclusions de l'appelant lui aient été signifiées le 6 mai 2021, en application de l'article 659 du code de procédure civile.

Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS DE LA DECISION :

13.Il résulte du jugement déféré que le tribunal de commerce a débouté le Crédit Mutuel de ses demandes aux motifs que selon un arrêt de la cour d'appel de Rennes du 2 mars 2010, les créances découlant d'un cautionnement ne sont ni certaines ni exigibles tant que la défaillance du débiteur principal n'a pas été constatée, et qu'il revient ainsi au créancier d'agir lorsque sa créance est devenue certaine et exigible, et non de solliciter une condamnation anticipée. Il a précisé que si le plan de sauvegarde en vigueur est respecté, la créance n'est pas ainsi exigible à l'égard de la caution, de sorte que la banque ne peut solliciter une condamnation visant la confirmation judiciaire d'un contrat de cautionnement dont la continuation est incontestable dans les conditions prévues par la loi.

14.La présente cour constate que selon l'article L626-11 du code de commerce, le jugement qui arrête le plan de sauvegarde en rend les dispositions opposables à tous. A l'exception des personnes morales, les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent s'en prévaloir. Cette disposition est à rapprocher de l'article R622-26 du même code, selon lequel les instances et les procédures civiles d'exécution suspendues en application du deuxième alinéa de l'article L622-28 sont poursuivies à l'initiative des créanciers bénéficiaires de garanties mentionnés au dernier alinéa de cet article sur justification du jugement arrêtant le plan, selon les dispositions applicables à l'opposabilité de ce plan à l'égard des garants. En application du troisième alinéa de l'article L. 622-28, ces créanciers peuvent pratiquer des mesures conservatoires dans les conditions prévues aux articles R511-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution.

15.En application de ces textes, la chambre commerciale de la Cour de Cassation, dans son arrêt du 10 janvier 2012, a énoncé que les demandes d'une banque dirigée contre une caution sont recevables, même s'il n'est pas contesté que le plan de sauvegarde dont bénéficie le débiteur principal est respecté. Dans le même sens, l'arrêt du 27 mai 2014 a autorisé le créancier ayant pratiqué une mesure conservatoire contre la caution, à introduire la procédure nécessaire à l'obtention du titre exécutoire, afin d'éviter la caducité de la mesure provisoire.

16.Il résulte de l'articulation de ces textes et décisions que le créancier est ainsi fondé à recourir contre la caution pendant l'exécution du plan de sauvegarde, même si ce dernier est exécuté par le débiteur principal. La caution peut cependant opposer au créancier les modalités de ce plan, et ainsi ne pas devoir l'intégralité du solde de la créance tant que ce plan est respecté.

17.En conséquence, le tribunal de commerce ne pouvait, d'office et sans avoir sollicité les observations de l'appelant, le débouter de ses demandes en raison d'un plan de sauvegarde dont il n'est pas contesté qu'il est toujours respecté par le débiteur principal. Le jugement déféré sera ainsi infirmé en toutes ses dispositions, et l'intimé condamné au paiement des sommes non encore réglées par la société Vélocité Services, les créances du Crédit Mutuel étant fondées dans leur principe et leur montant selon les décomptes produits.

18.L'intimé succombant devant cet appel sera condamné à payer au Crédit Mutuel la somme complémentaire de 1.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, par décision rendue par défaut, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les articles L626-11 et R622-26 du code de commerce’ ;

Déclare l'appel de la Caisse de Crédit Mutuel Grenoble Rivet recevable et bien fondé ;

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions’ ;

statuant à nouveau';

Dit que les créances de la Caisse de Crédit Mutuel Grenoble Rivet sont exigibles selon les modalités du plan de sauvegarde dont bénéficie la société Vélocité Services ;

Condamne [I] [U] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel Grenoble Rivet, en sa qualité de caution solidaire de la société Vélocité Services, les sommes de 1.835,70 euros au titre du solde du prêt professionnel n° 00020216404 et de 4.104,53 euros au titre du solde du prêt professionnel n°00020216405, outre intérêts de droit à compter du 6 mai 2021, et selon les modalités du plan de sauvegarde si [I] [U] le souhaite';

Condamne [I] [U] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel Grenoble Rivet la somme de 1.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile';

Condamne [I] [U] aux dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de la Selarl LGB-Bobant, avocats associés, représentée par maître Bobant.