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Décisions

CA Aix-en-Provence, Pôle 3 ch. 2, 18 février 2021, n° 20/02888

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Pharmacie Du Beal (Selarl), Selarl BGA (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Me Magnan, Me Cohen, Me Suid Vanhemelryck

TGI Grasse, du 14 avr. 2015

14 avril 2015

Faits et procédure:

Par jugement du 14 avril 2015, le tribunal de grande instance de Grasse a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la selarl Pharmacie du Beal.

Par jugement du 9 mai 2016, le tribunal a adopté le plan de sauvegarde prévoyant notamment un paiement sur dix ans de 100 % du passif définitivement admis. Le tribunal a prononcé en outre l'inaliénabilité du fonds de commerce pendant la durée du plan afin de garantir les créanciers.

Maître C a été désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Par ordonnance du 6 mai 2019, la selarl BGA prise en la personne de X a été désignée en qualité de commissaire à l'exécution du plan en remplacement de Maître C.

Sur requête de Y, gérant, et du commissaire à l'exécution du plan, le tribunal, par jugement du 17 février 2020, a autorisé la cession du fonds de commerce de pharmacie au profit de Z au prix de 2.700.000 euros et dit que le prix de cession sera remis au à Maître A, séquestre conventionnellement désigné, à charge pour lui de remettre entre les mains du commissaire à l'exécution du plan le montant du passif résiduel restant à acquitter au titre du plan de sauvegarde.

W a interjeté appel de ce jugement par déclaration au greffe du 25 février 2020.

Par voie de conclusions d'incident déposées et signifiées par Rpva le 24 juillet 2020, les intimés ont soulevé l'irrecevabilité de l'appel au motif que W, associé de la Société Pharmacie du Béal et créancier au titre d'un compte courant d'associé n'avait pas qualité pour agir, la voie de l'appel du jugement critiqué n'étant ouverte qu'à des personnes limitativement énumérées par l'article L. 661-7° du code de commerce.

Aux termes de ses dernières conclusions d'incident déposées et signifiées le 7 janvier 2021, W sollicite le rejet de la demande. Il soutient en effet avoir double qualité pour relever appel du jugement modifiant le plan de sauvegarde, la première comme représentant légal de la société t la seconde comme créancier ayant formé une contestation.

Par avis du greffe signifié aux parties par Rpva le 27 juillet 2020, l'incident a été fixé à l'audience du 14 janvier 2021.

Motifs:

En application de l'article 2 de l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, modifié par ordonnance 2020-560 du 13 mai 2020, les conclusions d'incident des intimées notifiées le 24 juillet 2020 sont recevables, le délai de trois mois qui leur était imparti par l'article 909 du code de procédure civile pour conclure ayant commencé à courir le 18 mars 2020, date de la signification des conclusions de l'appelant, et ayant été prorogé de deux mois à compter du 23 juin 2020, date de la cessation de l'état d'urgence sanitaire.

L'article L. 661-1 7° dispose que les décisions statuant sur la modification du plan de sauvegarde sont susceptibles d'appel de la part du débiteur, du commissaire à l'exécution du plan, du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et du ministère public ainsi que de la part du créancier ayant formé une contestation en application de l'article L 626-34-1.

A la suite d'une grave mésentente opposant W et Y lesquels exerçaient leur activité de pharmacien au sein de la selarl Pharmacie du Béal dont ils étaient co-gérants et associés à parts égales, W a informé la selarl Pharmacie du Béal par lettre recommandée du 16 avril 2009 qu'il entendait cesser son activité professionnelle au sein de la société et céder ses parts sociales.

W soutient qu'à la date de la déclaration d'appel, il était toujours co-gérant de la selarl Pharmacie du Béal et qu'en cette qualité, il pouvait interjeter appel en son nom le 25 février 2020.

Pour preuve de sa qualité de représentant légal de la société à la date de déclaration d'appel, il produit un extrait Kbis de la société de la même date précisant que la société est dirigée par deux gérants, W et Y. Il conteste avoir démissionné de ses fonctions de co-gérant et fait observer qu'aucune assemblée générale n'a pris acte de sa démission et qu'aucune formalité de publication n'a été entreprise auprès du Registre du commerce et des sociétés de sorte qu'onze ans après la lettre de démission du 16 avril 2009, il y était toujours inscrit comme co-gérant.

Sous réserve de stipulation contraire des statuts, la démission du gérant est un acte juridique unilatéral à effet immédiat qui ne nécessite aucune acceptation de la part de la société: le gérant démissionnaire perd son pouvoir de représenter la société dès que sa démission a été portée à la connaissance de cette dernière et le défaut de publicité de la cessation de ses fonctions est sans effet sur la perte de son pouvoir de représentation ( Chambre Commerciale de la cour de cassation du 15 mai 2015 n° 14-12.783).

La qualité de représentant légal d'W à la date de l'appel ne peut donc se déduire de l'extrait Kbis produit par l'appelant et de l'absence de décision de l'assemblée générale des associés entérinant la démission de ses fonctions de co-gérant.

Pour trancher la question de la qualité de représentant légal d'W, il convient de déterminer s'il a démissionné de ses fonctions de co-gérant le 16 avril 2009, date de la lettre recommandée adressée à la société.

W exerçait deux fonctions au sein de la société Pharmacie du Béal, celle d'associé exploitant et celle de co-gérant. Les termes très généraux utilisés dans la lettre de démission, laquelle évoque la cessation de toute activité professionnelle au sein de la pharmacie et la vente de toutes ses parts ' laissent penser que l'intention exprimée par W dans cette lettre était de se retirer totalement de la société et de mettre fin à toutes les fonctions qu'il y exerçait en son sein, aussi bien celle d'associé exploitant que celle de co-gérant.

L'étendue de la démission donnée le 16 avril 2009 doit s'analyser dans le contexte juridique spécifique de la société d'exercice libéral de pharmacien d'officine, lequel suppose que les associés titulaires de la moitié du capital social exercent leur activité professionnelle de pharmacien au sein de l'officine.

Le Conseil Régional de l'Ordre des pharmaciens a par ailleurs radié W du tableau de l'ordre le 15 juin 2011 après avoir constaté sa démission de ses fonctions de gérant et d'associé exploitant. Cette décision, portée à la connaissance d'W, n'a pas été contestée par ce dernier.

Enfin, dans un courrier adressé aux premiers juges le 10 février 2020 et communiqué par le commissaire à l'exécution du plan, l'appelant précise qu'il intervient à la procédure en qualité de créancier de la société et d'associé propriétaire de la moitié des parts sociales. Il n'indique à aucun moment qu'il intervient en qualité de co-gérant représentant légal de la société.

Il n'est donc pas sérieusement contestable qu'X B n'est plus co-gérant de la société débitrice pour avoir démissionné de ces fonctions en 2009 et ne pouvait donc plus interjeter appel du jugement de modification du plan de sauvegarde le 25 février 2020 au nom de la selarl Pharmacie du Béal.

Il ne pouvait pas davantage interjeter appel du jugement en qualité de créancier de la selarl Pharmacie du Béal au titre de son compte courant d'associé.

En effet, la seule voie de recours ouverte au créancier contre un jugement modifiant le plan de sauvegarde est la tierce opposition sous réserve qu'il justifie d'un intérêt propre distinct de l'intérêt collectif des créanciers représenté par le commissaire à l'exécution du plan, lequel, habilité à engager des actions dans l'intérêt collectif de tous les créanciers, bénéficie à ce titre du droit d'interjeter appel du jugement modifiant le plan de sauvegarde.

Par exception, l'article L 661-1 7° du code de commerce ouvre la voie de l'appel aux seuls créanciers qui ont formé une contestation en application de l'article L 626-34-1, c'est-à- dire aux créanciers faisant partie d'un comité de créanciers instauré pour les ébiteurs qui justifient d'un chiffre d'affaires de 20 millions d'euros et de l'emploi de plus de 150 salariés conformément aux dispositions des articles L 626-29 et R 626-52 du code de commerce.

L'appel interjeté par W est donc irrecevable pour défaut de qualité à agir.

Il est équitable de condamner W à payer à la société Pharmacie du Béal la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

Nous, magistrate de la mise en état, statuant publiquement, après débats publics et par ordonnance mise à disposition au greffe et susceptible de déféré,

Déclarons recevables les conclusions d'incident signifiées par Rpva le 24 juillet 2020 par les intimées,

Déclarons l'appel d'W irrecevable,

Le condamnons à payer à la société Pharmacie du Béal la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Le condamnons aux dépens.