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Décisions

ADLC, 14 novembre 2012, n° 12-DCC-160

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à l’acquisition de 45 stations-service du réseau Esso par la société Delek France

ADLC n° 12-DCC-160

13 novembre 2012

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 9 octobre 2012, relatif à l’acquisition de 45 stations service du réseau Esso par la société Delek France, formalisée par une lettre d’offre ferme transmise par Delek à Esso le 12 janvier 2012 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par la partie notifiante au cours de l’instruction ;

Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. Delek France est une filiale à 100 % de Delek France Finance, elle même contrôlée par Delek Group Ltd., la société mère du groupe Delek. Le groupe Delek est présent sur l’ensemble de la chaîne de valeur des industries pétrolières. Ses activités recouvrent la vente de carburant au détail et la vente de carburant en gros à des revendeurs indépendants, des consommateurs industriels et commerciaux et des distributeurs sous marques qui exploitent leurs propres stations-service. Le groupe Delek est également présent sur le marché du raffinage de carburants ainsi que sur le marché amont de l’exploration et la production pétrolière et gazière en Israël et dans d’autres pays hors France.

2. Delek France (ci-après « Delek ») est active dans le stockage de carburant à travers sa participation de 50 % dans la société Dépôt Pétrolier de Lyon SAS, sa participation de 21,5 % dans la société Dépôts Pétroliers de la Corse SAS ainsi que son contrôle à 100 % d’une installation de stockage à Vitry. Depuis l’acquisition en 2010 de 395 stations-service auprès de BP France1, Delek est également actif en France sur le marché de la vente au détail de carburant. Enfin, Delek intervient en France dans la vente en gros de carburant sur lequel elle vend du fioul domestique, du gazole, du gazole non routier ainsi que du gazole pêche.

3. Aux termes de la lettre d’offre ferme du 12 janvier 2012, il est prévu que Delek acquiert les actifs et les activités annexes de la société Esso Société Anonyme Française (ci-après, « Esso SAF »), filiale de la société Exxon Mobil Corporation. Ces actifs correspondent à 45 stations-service hors autoroutes de vente de carburant au détail de marque « Esso Express » dans la région française de l’atlantique ouest et aux bâtiments et terrains appartenant à Esso SAF ainsi qu’aux droits d’occupation dont bénéficie Esso SAF pour ces 45 stations-service (ci-après, les « stations-service cibles »). A l’issue de l’opération, Delek continuera à exploiter les stations-service cibles sous l’enseigne « Esso Express ». En ce qu’elle se traduit pas la prise de contrôle exclusif des stations-services cibles par Delek, l’opération notifiée est donc une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

4. Les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d’affaire hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Delek : 11,9 milliards d’euros pour l’exercice 2011 ; stations-service cibles : […] d’euros pour l’exercice 2011). Chacune d’entre elles a réalisé en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Delek : 995 millions d’euros pour l’exercice 2011 ; stations-service cibles : […] d’euros pour l’exercice 2011). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatives à la concentration économique.

 

II. Délimitation des marchés pertinents

5. Au sein de l’industrie pétrolière, les autorités française et européenne de concurrence différencient généralement les activités « amont » et les activités « aval »2. En amont, trois types d’activités sont distinguées : la recherche de nouvelles réserves (prospection), le développement (mise en place des infrastructures nécessaires à la production : plates-formes pétrolières, pipelines, terminaux, etc.) et l’exploitation commerciale de ces réserves (production). Les activités en aval comprennent le raffinage du pétrole brut, ainsi que la commercialisation des produits raffinés et leur distribution aux utilisateurs finals.

6. En l’espèce, l’opération concerne les activités pétrolières aval puisque les activités des parties ne se chevauchent qu’en matière de vente au détail. Le marché de la vente en gros de carburant sera également pris en compte au titre de l’analyse des effets verticaux de l’opération.

 

 

A. LA VENTE EN GROS DE CARBURANT

7. Selon la pratique décisionnelle, chaque produit raffiné constitue, dans le canal de la vente en gros, un marché de produit en cause compte tenu des différents usages, clients et canaux de distribution concernés par chacun de ces produits3. La pratique décisionnelle distingue donc des marchés distincts pour la vente d’essence, de diesel, de mazout de chauffage, de mazout et de GPL.

8. S’agissant de la délimitation géographique du marché, la Commission européenne a eu l’occasion de relever que des facteurs tenant aux coûts de transport et aux zones de desserte des points d’approvisionnement tendent à justifier une dimension locale des marchés de la vente en gros de produits raffinés. La Commission précise néanmoins que l’existence d’un certain chevauchement entre les zones de chalandise des diverses sources d’approvisionnement pourrait élargir la zone géographique à retenir pour l’analyse concurrentielle.

9. La délimitation précise du marché pertinent peut toutefois rester ouverte dans la mesure où, quelle que soit la définition retenue, l’analyse concurrentielle ne s’en trouvera pas modifiée.

 

B. LA VENTE AU DÉTAIL DE CARBURANT HORS AUTOROUTE

10. Les autorités de concurrence ont considéré qu’il existait un marché de la vente au détail de carburants par réseau de stations-service, tous types de carburants confondus4. De plus, la distribution sur autoroutes est distinguée de la distribution hors autoroute, dans la mesure où les autorités de concurrence ont considéré que la demande était plus captive sur autoroute.

11. Les stations-service cibles étant toutes situées en agglomération, centre ville, ou sur route franche, l’analyse concurrentielle portera, conformément à la pratique décisionnelle, sur le marché de la vente au détail de carburants hors autoroutes.

12. S’agissant de la dimension géographique de la vente de carburants en stations-service hors autoroutes, les autorités de concurrence nationales ont considéré dans plusieurs décisions, tout en laissant ouverte la délimitation exacte, que le marché de la vente au détail de carburants hors autoroutes était de dimension locale5. L’analyse est ainsi effectuée au niveau des zones de chalandise de chaque agglomération ou bassin urbain, regroupant les stations-service situées à l’intérieur ou à proximité des villes et villages concernés.

13. La Commission européenne a également indiqué dans sa décision M. 1464, Total/PetroFina, du 26 mars 1999 que le marché revêtait un caractère local : « le marché géographique pour la vente de carburants doit être défini par référence à la demande, constituée par les automobilistes qui s’approvisionnent en carburants dans les stations à proximité de leurs centres d’activités, sans parcourir des grandes distances. Par conséquent, la substituabilité entre stations d’approvisionnement s’avère, du côté de la demande, géographiquement limitée ». Cependant, dans d’autres décisions, elle a déduit du chevauchement entre les zones de chalandise des stations-service que le marché géographique était de dimension nationale6.

14. En l’espèce, la partie notifiante considère que le marché est de dimension nationale. Elle identifie toutefois neuf zones (zones de Bordeaux, Orléans, La Rochelle, Tours, Angers, Montargis, Centre de la France, Vierzon et Bourges) sur lesquelles Delek dispose déjà d’une station-service de marque BP et où plusieurs stations-service cibles sont également présentes. Elle propose de retenir pour l’agglomération de Bordeaux une zone de chalandise d’un rayon de 4 km et pour les autres agglomérations un rayon de 6 km.

15. En tout état de cause, la question de la définition géographique exacte des marchés locaux en question peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle resteront inchangées, quelle que soit la délimitation retenue.

16. Enfin, pour ce qui concerne d’éventuelles activités annexes à la vente de carburants7, comme le gonflage de pneumatique ou la vente de lubrifiants, compte-tenu du caractère marginal des volumes concernés et de la présence de nombreux détaillants, autres que les stations-service, susceptibles de vendre les produits et services considérés, elles ne feront pas l’objet d’une analyse concurrentielle.

 

III. Analyse concurrentielle

17. L’activité principale de Delek est la vente de carburants au détail. Le groupe exerçant également, en amont, des activités de vente en gros et de stockage, il convient donc d’examiner les effets horizontaux de l’opération liés aux chevauchements d’activités sur le marché aval de la vente de carburant au détail, ainsi que les possibles effets verticaux sur les marchés de la vente de carburant en gros et de la vente de carburant au détail.

 

A. EFFETS HORIZONTAUX

18. En ce qui concerne l’activité de vente au détail de carburant, la partie notifiante souligne que les stations-service qu’elle contrôle préalablement à l’opération dans la région de l’atlantique ouest sont toutes situées sur autoroutes alors que les stations cibles sont, au contraire, toutes localisées hors autoroutes. La vente de carburant au détail hors autoroutes constituant un marché distinct, il convient donc de conclure à l’absence de chevauchement entre les stations-service cibles de l’acquisition et celles déjà possédées par Delek.

19. Au plan national, la part de marché cumulée des stations déjà détenues par Delek et des stations-service cibles représentera [0-5] % du marché de la vente de carburants au détail. Sont également présents sur ce marché Total Raffinage Marketing SA, Shell, Agip/ENI, Dyneff/Rompetro ou encore les acteurs de la grande distribution dont la part du marché hors autoroute en France est estimée par la partie notifiante à plus de 60 %.

20. A la lumière des éléments qui précèdent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur le marché de la vente au détail de carburant hors autoroute.

 

B. EFFETS VERTICAUX

21. Les lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relative au contrôle des concentrations considèrent qu’il est peu probable qu’une entreprise ayant une part de marché inférieure à 30 % sur un marché donné puisse verrouiller un marché en aval ou en amont de celui-ci. En l’espèce, la part de Delek sur le marché français de la vente de carburant au détail sera limitée, au terme de l’opération, à [0-5] %.

22. Par ailleurs, la partie notifiante souligne que les installations de stockage détenues par Delek ne sont pas situées dans la même région que celles des stations-service cibles et que ces dernières seront donc fournies par le biais d’installations de stockage autres que celles dans lesquelles Delek détient des parts.

23. Compte-tenu des éléments qui précédent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence au titre d’effets verticaux.

 

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 12-160 est autorisée.

 

NOTES :

1 Décision n°COMP/M.5888-Delek Europe / BP France Retail.

2 Voir notamment la lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie C2006-37 du 19 avril 2006, Vermillon / Esso, la décision de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-59 du 26 octobre 2009 relative à l’acquisition de 37 stations-service du réseau Shell par la société Total Raffinage Marketing SA et les décisions de la Commission dans les affaires n° COMP/M.1383 – Exxon / Mobil ; n° COMP/ 1628 – TotalFina / Elf ; n° COMP / M.1628, TotalFina / Elf, du 9 février 2000, paragraphe 188 ; n° IV/M.1383, Exxon /Mobil, du 24 septembre 1999, paragraphe 441. 3

3 Voir notamment les décisions de la Commission COMP/M.1383 et COMP/M.1464.

4 Voir notamment les décisions de l’Autorité de la concurrence 09-DCC-57 du 15 octobre 2009 et 09-DCC-60 du 28 octobre 2009 relatives à l’acquisition de stations-service du réseau Shell par Picoty Réseau SAS et Thevenin & Ducrot Distribution et les décisions de la Commission COMP/M.1383 et COMP/M.1464 précitées.

5 Voir notamment les décisions de l’Autorité 09-DCC-57, 09-DCC-60 précitées ; 09-DCC-94 du 31 décembre 2009 relative à l’acquisition d’actifs de la Société des Pétroles Shell et du groupe Total par le groupe Rubis dans le secteur de la vente au détail de carburants et 11-DCC-102 du 30 juin 2011 relative à l’acquisition de la Société Antillaise des Pétroles Chevron par le groupe Rubis.

6 Voir notamment les décisions de la Commission n° COMP/M.4919 – StatoilHydro /Conocophillips, du 21 octobre 2008.

7 Voir en ce sens la décision de l’Autorité de la concurrence 09-DCC-59 du 26 octobre 2009 – relative à l’acquisition de 37 stations-service du réseau Shell par la société Total Raffinage Marketing SA.