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Décisions

TA Paris, sect. 2 1re ch., 23 juin 2022, n° 2108979/2-1

PARIS

PARTIES

Demandeur :

Eurelec Trading (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Présidente :

Mme Evgénas

Rapporteur :

M. Le Bianic

Conseiller :

Mme de Saint-Chamas

Rapporteur public :

M. Blanc

Avocat :

Me Laude

TA Paris n° 2108979/2-1

22 juin 2022

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 26 avril 2021, le 25 octobre 2021 et le 6 décembre 2021, la société Eurelec Trading, représentée par Me Laude, Me Boularbah et Me Derenne, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler la décision du 28 août 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France lui a infligé une sanction administrative d’un montant de 6 340 000 euros, ensemble la décision implicite du ministre de l’économie, des finances et de la relance du 28 décembre 2020 rejetant son recours hiérarchique du 27 octobre 2020 ; subsidiairement, de réduire le montant de cette sanction dans la limite d’un montant maximal de 375 000 euros ;

2°) d’ordonner le retrait immédiat à compter du jugement à intervenir du communiqué publié sur le site de la DGCCRF ;

3°) à titre subsidiaire de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles suivantes :

1. « L’article 34 TFUE (libre circulation des marchandises) doit-il s’interpréter comme s’opposant à l’application extraterritoriale à une entreprise établie dans un Etat membre et ayant pour activité la négociation et l’achat dans cet Etat membre de produits provenant de divers Etats membres et Etats tiers, destinés à être mis en vente dans plusieurs États membres, d’une législation nationale du type de celle en cause dans le litige au principal (article L. 441-7 (ancien) du Code de commerce français, devenu article L. 441-3) dès lors que cette législation : (i) impose un formalisme tenant à la conclusion au 1er mars de chaque année d’une convention écrite entre fournisseurs et distributeurs, lequel formalisme a pour effet d’entraver la commercialisation de produits en France depuis un autre Etat Membre en empêchant la tenue de négociations uniques paneuropéennes à l’achat, (ii) ne s’applique qu’aux fournisseurs et distributeurs ou prestataires de services et (iii) n’affecte pas de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et des produits en provenance d’autres Etats membres ? » ;

2. « L’article 49 TFUE (liberté d’établissement) doit-il s’interpréter comme s’opposant à l’application extraterritoriale d’une législation nationale du type de celle en cause à la question 1 à une entreprise établie dans un Etat membre et ayant pour activité la négociation et l’achat dans cet Etat membre de produits provenant de divers Etats membres et Etats tiers, destinés à être mis en vente dans plusieurs États membres, dès lors que cette législation réduit l’intérêt économique pour l’entreprise d’exercer ses activités en dehors du territoire de l’État membre qui est à l’origine de ladite législation ? » ;

3. « L’article 56 TFUE (libre prestation de services) doit-il s’interpréter comme s’opposant à l’application extraterritoriale à une entreprise établie dans un Etat membre et ayant pour activité la négociation et l’achat dans cet Etat membre de produits provenant de divers Etats membres et Etats tiers, destinés à être mis en vente dans plusieurs États membres, d’une législation nationale du type de celle en cause à la question 1 ? » ;

4. « L’article 16 de la Directive 2006/123/CE (« Directive services ») doit-il s’interpréter comme s’opposant à l’application extraterritoriale à une entreprise établie dans un Etat membre et ayant pour activité la négociation et l’achat dans cet Etat membre de produits provenant de divers Etats membres et Etats tiers, destinés à être mis en vente dans plusieurs États membres, d’une législation nationale du type de celle en cause à la question 1 ? » ;

5. « La notion « d’ordre public », en tant que notion autonome du droit de l’Union ne pouvant être invoquée qu’en cas de « menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société » doit-elle s’interpréter, au regard des articles 56 et 57 du TFUE et de l’article 16 § 1 de la Directive 2006/123/CE, comme justifiant nécessairement l’entrave à la libre prestation de services résultant de l’application extraterritoriale d’une législation nationale du type de celle en cause à la question 1, au seul motif que cette législation est qualifiée, en droit national, de loi de police ? » ;

6. « La condition de proportionnalité visée à l’article 16 § 1 c) de la Directive 2006/123/CE (« Directive services ») doit-elle s’interpréter comme s’opposant à l’application extraterritoriale à une entreprise établie dans un Etat membre et ayant pour activité la négociation et l’achat dans cet Etat membre de produits provenant de divers Etats membres et Etats tiers, destinés à être mis en vente dans plusieurs États membres, d’une législation nationale du type de celle en cause à la question 1, dès lors que (i) cette législation impose, à peine d’amende, un calendrier pour la conclusion d’accords de distribution, et que (ii) si plusieurs Etats membres venaient à adopter une législation similaire, il serait impossible pour des centrales d’achat européennes de poursuivre leur activité, puisqu’elles ne seraient plus en mesure de conduire des négociations uniques à l’achat à destination de plusieurs Etats membres ? » ;

7. « Les réponses aux questions 5 et 6 s’appliquent-elles, mutatis mutandis, à l’appréciation des justifications des entraves à la libre circulation des marchandises et au libre établissement en cause aux questions 1 et 2 ? » ;

4°) de mettre à la charge de l’État la somme de 25 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision de sanction en litige a été prise par une autorité incompétente ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- la procédure de sanction ne respecte pas les principes d’indépendance et d’impartialité garantis par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le principe de séparation entre les autorités chargées des poursuites et de l’instruction et celles chargées d’appliquer les sanctions n’a pas été respecté ;

- la décision attaquée a été prise en méconnaissance des droits de la défense et du principe du contradictoire, dès lors qu’aucun acte d’enquête n’a été effectué auprès d’Eurelec Trading, alors que tous ses fournisseurs ont été entendus ;

- les dispositions de l’article L. 441-7 du code de commerce ne lui sont pas opposables dès lors qu’elles ne présentent pas le caractère d’une « loi de police » ;

- la sanction prononcée à son encontre méconnaît les articles 34, 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ainsi que l’article 16 de la directive « Services » 2006/123/CE ;

- les éléments constitutifs des manquements reprochés ne sont pas établis ;

- la règle de cumul des sanctions prévue par les dispositions du paragraphe VII de l’article L. 470-2 du code de commerce méconnaît les principes de légalité et de proportionnalité des peines garantis par l’article 8 de la Déclaration de 1789 ;

- la sanction infligée est disproportionnée aux manquements reprochés et méconnaît le principe de personnalité des peines.

Par un mémoire distinct, enregistré le 3 mai 2021, présenté en application de l’article 23-1 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Eurelec Trading a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité, portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du paragraphe VII de l’article L. 470-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige.

Par un mémoire, enregistré le 7 juin 2021, le préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, a présenté des observations sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

Par une ordonnance n° 2108979 du 1er octobre 2021, la présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris a décidé, par application des dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d’État la question ainsi soulevée.

 Par une décision n° 457203 du 29 décembre 2021, la section du contentieux du Conseil d’État a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution du VII de l’article L. 470-2 du code de commerce.

Par une décision n° 2021-984 QPC du 25 mars 2022 le Conseil constitutionnel, statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Eurelec Trading, a déclaré conforme à la Constitution le paragraphe VII de l’article L. 470-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 27 septembre et 15 novembre 2021, le ministre de l’économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Eurelec Trading ne sont pas fondés.

Par une ordonnance 15 novembre 2021, la clôture d’instruction a été fixée en dernier lieu au 6 décembre 2021.

Un mémoire, présenté pour la société Eurelec, a été enregistré le 25 mai 2022, postérieurement à la clôture de l’instruction, et n’a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

- la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 ;

- le code de commerce ;

- le code des relations entre le public et l’administration ;

- la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises ;

- la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation ;

- la décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014 du Conseil constitutionnel ;

- la décision n° 2021-984 QPC du 25 mars 2022 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus, au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Le Bianic,

- les conclusions de M. Blanc, rapporteur public,

- et les observations de Me Laude, pour la société Eurelec Trading.

Considérant ce qui suit :

1. La société Eurelec Trading, société coopérative de droit belge créée en 2016 entre l’enseigne de grande distribution Leclerc, coopérative de commerçants d'origine française, et le groupe Rewe, coopérative de commerçants d'origine allemande, exerce une activité de centrale d’achats de produits de grande distribution à destination des marchés français et européen. Elle a fait l’objet, entre 2016 et 2019, d’un contrôle de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) d’Ile-de-France, portant sur le respect par la société des dispositions alors en vigueur de l’article L. 441-7 du code de commerce, relatives à la formalisation de la relation contractuelle entre les distributeurs et les fournisseurs. Par un courrier du 19 décembre 2019, la DIRECCTE a indiqué son intention de prononcer à l’encontre de la société, sur la base des manquements constatés lors du contrôle, une amende administrative d’un montant total de 6 134 000 euros et de publier cette sanction pendant douze mois. La société Eurelec Trading ayant présenté ses observations dans un courrier du 21 février 2020, la DIRECCTE a prononcé, par une décision du 28 août 2020, une sanction d’un montant total de 6 134 000 euros à raison de 21 manquements à l’obligation de la société de conclure avec ses fournisseurs des conventions au plus tard à la date du 1er mars de l’année de leur application. Cette amende a été assortie d’une mesure de publication de cette sanction, sous forme de communiqué, sur le site internet de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), pour une durée de douze mois. La société Eurelec Trading demande l’annulation de cette décision ainsi que de la décision implicite de rejet née le 28 décembre 2020 par laquelle le ministre de l’économie, des finances et de la relance a rejeté son recours hiérarchique.

Sur la régularité de la procédure de sanction :

2. En premier lieu, aux termes de l’article L. 470-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige : « I. – L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements mentionnés au titre IV du présent livre ainsi que l'inexécution des mesures d'injonction prévues à l'article L. 470-1. (...) ».

3. Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi d’Ile-de-France a, par une décision n° 2020-31 du 2 juin 2020, régulièrement publiée le même jour au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de région d’Île-de-France n° IDF-0041-2020-06, donné délégation à M. Dominique Bonnafous, directeur régional adjoint, responsable du pôle « C », concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie, pour signer les décisions infligeant les sanctions administratives notamment prévues par les dispositions de l’article L. 470-2 du code de commerce. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence du signataire de la décision attaquée manque en fait et doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 2° Infligent une sanction ». Le IV de l’article L. 470-2 du code de commerce dispose que : « (...) l'autorité administrative peut, par décision motivée, prononcer l'amende. ».

5. La décision contestée du 28 août 2020, qui vise les articles L. 470-2 et L. 441-7 du code de commerce dont elle fait application, expose avec suffisamment de précision les motifs de droit et de fait ayant conduit à prononcer l’amende en litige. Elle détaille les manquements qui ont été constatés durant la période de contrôle du 10 octobre 2016 au 10 juillet 2019 et mentionne, pour chacune des conventions conclues par la société avec ses fournisseurs, la date de communication des conditions générales de vente par le fournisseur, la date de signature de la convention, le chiffre d’affaires prévisionnel résultant de l’application de la convention et le montant de l’amende prononcée. Elle répond, de façon circonstanciée et détaillée, aux observations formulées par la société le 21 février 2020. La circonstance que l’administration n’a pas répondu à tous les arguments présentés par la société, notamment ceux tirés de la méconnaissance des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, n’est pas de nature à faire regarder cette motivation comme insuffisante. Enfin, le caractère suffisant de la motivation s’appréciant indépendamment du bien-fondé des motifs, la circonstance, à la supposer établie, que la DIRECCTE aurait entaché sa décision d’erreurs matérielles quant aux dates de conclusion de certaines conventions et dans son analyse de la stratégie poursuivie par le groupe Leclerc à travers la création de la société Eurelec Trading et l’implantation de cette société en Belgique, n’est pas de nature à affecter le caractère régulier de cette motivation. Ainsi, la sanction en litige, qui comporte l’énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est suffisamment motivée. Il suit de là que le moyen tiré de l’insuffisance de motivation de cette sanction manque en fait et doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes du premier paragraphe de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...) par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ».

7. Il résulte des termes des points 67 à 69 de la décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014 du Conseil constitutionnel que l’attribution à la DIRECCTE, autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, de la compétence, d’une part, pour constater les infractions et manquements aux obligations posées par les diverses dispositions du code de commerce, enjoindre aux professionnels de se conformer à celles-ci, de cesser tout agissement illicite ou de supprimer toute clause illicite et, d’autre part, pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements relevés ne méconnaît pas le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu’aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle. Par ailleurs, si les poursuites engagées par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, en vue d’infliger des sanctions financières sur le fondement de l’article L. 441-7 du code de commerce, constituent des accusations en matière pénale, au sens de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il n’en résulte pas que la procédure administrative doive respecter les stipulations de cet article, dès lors, d’une part, que ni la DIRECCTE ni son directeur, compétents pour prendre les mesures de sanction, ne peuvent être regardés comme un tribunal au sens des stipulations de cet article et, d’autre part, que la décision de sanction peut faire l’objet d’un recours de plein contentieux devant la juridiction administrative, conformément aux exigences de l’article 6. Dès lors, la société Eurelec Trading n’est pas fondée à soutenir que le cumul des pouvoirs de constatation et de répression des infractions par la DIRECCTE méconnaîtrait le principe d’impartialité ou tout autre principe, stipulation ou disposition imposant la séparation des autorités administratives responsables du déclenchement des poursuites et de leur sanction. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

8. Aux termes de l’article L. 470-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la date du procès-verbal de sanction : « (...) III. – Les manquements passibles d'une amende administrative sont constatés par procès-verbal, selon les modalités prévues à l'article L. 450-2. / IV. – Avant toute décision, l'administration informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée à son encontre, en lui indiquant qu'elle peut prendre connaissance des pièces du dossier et se faire assister par le conseil de son choix et en l'invitant à présenter, dans le délai de soixante jours, ses observations écrites et, le cas échéant, ses observations orales. (...) ».

9. La société requérante soutient que la sanction litigieuse a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire et des droits de la défense. Toutefois, il résulte de l’instruction que l’administration a établi un procès-verbal de constat des manquements le 19 décembre 2019, faisant état de 21 conventions signées par la société avec ses fournisseurs postérieurement à la date du 1er mars 2019. Il est constant que ce procès-verbal a été régulièrement notifié à la société, conformément aux dispositions de l’article L. 470-2 du code de commerce précitées et que l’ensemble des pièces du dossier à l’appui de la procédure était joint à ce courrier, permettant à la société d’avoir pleinement connaissance des faits reprochés. Dans le cadre de la procédure contradictoire préalable, la société Eurelec Trading a été invitée à présenter ses observations, ce qu’elle a fait par courrier du 21 février 2020. Si la société requérante fait valoir qu’aucun acte d’enquête n’a été diligenté à son égard, alors que ses fournisseurs ont tous été entendus au cours de l’enquête, les dispositions précitées de l’article L. 470-2 n'imposent pas la mise en œuvre d’une procédure contradictoire pendant la phase d’enquête, laquelle a pour seul objet d’établir la matérialité des faits dans le cadre des pouvoirs d’enquête dont disposent les agents habilités par le ministre chargé de l’économie, conformément aux articles L. 450-1 et suivants du code de commerce. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire doit être écarté.

10. Il résulte de ce qui précède que la société requérante n’est pas fondée à soutenir que la sanction litigieuse lui a été infligée au terme d’une procédure irrégulière.

Sur le bien-fondé de la sanction :

En ce qui concerne l’opposabilité à la société des dispositions de l’article L. 441-3 du code de commerce :

11. En premier lieu, aux termes de l’article L. 441-3 du code de commerce, précédemment codifié à l’article L. 441-7 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de la sanction : « I. - Une convention écrite conclue entre le fournisseur (...) et le distributeur ou le prestataire de services mentionne les obligations réciproques auxquelles se sont engagées les parties à l'issue de la négociation commerciale, dans le respect des articles L. 442-1 à L. 442-3. Cette convention est établie soit dans un document unique, soit dans un ensemble formé par un contrat-cadre et des contrats d'application. (...) IV. - La convention mentionnée au I est conclue pour une durée d'un an, de deux ans ou de trois ans, au plus tard le 1er mars de l'année pendant laquelle elle prend effet ou dans les deux mois suivant le point de départ de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier. Lorsqu'elle est conclue pour une durée de deux ou de trois ans, elle fixe les modalités selon lesquelles le prix convenu est révisé. Ces modalités peuvent prévoir la prise en compte d'un ou de plusieurs indicateurs disponibles reflétant l'évolution du prix des facteurs de production. / V. - Le fournisseur communique ses conditions générales de vente au distributeur dans un délai raisonnable avant le 1er mars ou, pour les produits ou services soumis à un cycle de commercialisation particulier, avant le point de départ de la période de commercialisation. ». L’article L. 441-6 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de la sanction, dispose que : « Tout manquement aux dispositions des articles L. 441-3 à L. 441-5 est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. (...) ».

12. La société requérante soutient que les dispositions précitées de l’article L. 441-3 du code de commerce ne lui sont pas opposables, dès lors que les contrats de vente conclus avec ses fournisseurs sous soumis à la législation belge. Toutefois, ces dispositions s’appliquent en tant que loi de police à toute convention conclue entre un fournisseur et un distributeur ayant pour objet la distribution de produits sur le marché français, sans qu’y fassent obstacle les circonstances que la convention est régie par une autre loi choisie par les parties, a été conclue dans un autre pays ou prévoit également la distribution de produits en dehors du marché français. Contrairement à ce que soutient la société requérante, il ressort des débats et rapports parlementaires ayant précédé l’adoption de la loi n°2005-882 qui a introduit l’article L. 441-7 du code de commerce, désormais codifié à l’article L. 441-3 du même code, et de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 qui a modifié la rédaction de cet article, que l’exigence de conclure en début d’année une convention unique formalisant le résultat de la négociation commerciale entre les parties n’a pas pour objet principal de faciliter les contrôles administratifs, afin de veiller au respect des autres dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce, mais vise à assurer une plus grande transparence de la relation commerciale entre fournisseurs et distributeurs et à prévenir les déséquilibres dans leurs relations contractuelles. Ces dispositions poursuivent ainsi un objectif de défense de l’ordre public économique et permettent, par leur effet dissuasif, un fonctionnement équilibré du marché dans son ensemble. Dans ces conditions, et dès lors qu’il est constant, en l’espèce, que les produits visés par les conventions litigieuses, toutes conclues avec des fournisseurs français, sont destinés au marché français, c’est à bon droit que le DIRECCTE d’Ile-de-France a opposé à la société requérante les dispositions de l’article L. 441-3 du code de commerce.

En ce qui concerne la matérialité des manquements constatés :

13. Il résulte du procès-verbal dressé le 26 août 2019 par l’administration et de la décision de sanction contestée que, sur la période du 1er janvier 2019 au 10 juillet 2019, qui a fait l’objet du contrôle, six conventions ont été conclues par la société Eurelec Trading avec des fournisseurs français postérieurement à la date du 1er mars 2019 et qu’aucune convention n’a été conclue avec quinze de ses fournisseurs français. L’inspecteur a ainsi constaté que la société avait commis vingt-et-un manquements à l’obligation prévue par les dispositions précitées de l’article L. 441-3 du code de commerce de conclure une convention unique avec ses fournisseurs avant le 1er mars et lui a infligé en conséquence une amende d’un montant de 6 340 000 euros.

14. La société Eurelec Trading conteste la matérialité des manquements reprochés au motif, d’une part, que les dispositions précitées de l’article L. 441-3 du code de commerce ne prévoient pas une obligation de signature au plus tard le 1er mars de chaque année, mais seulement l’obligation de conclure un accord avec les fournisseurs. Toutefois, les dispositions en cause prévoient que la convention conclue entre le fournisseur et le distributeur doit être écrite et que cette convention doit être établie soit dans un document unique, soit dans un ensemble formé par un contrat-cadre et des contrats d'application. Il résulte de ces dispositions, contrairement à ce que soutient la société requérante, que seule la signature du document unique ou du contrat-cadre et des contrats d’application est de nature à apporter la preuve de la conclusion d’un accord. Par suite, la société ne peut utilement se prévaloir des « échanges de consentement » et des « accords de principe » matérialisés par l’envoi de courriers électroniques ses fournisseurs. D’autre part, la société requérante soutient qu’elle a conclu, avec quinze de ses fournisseurs, au cours des années 2017 à 2019, des « conventions-cadres », qui ont été complétées par des « accords de révision des prix » intervenus avant le 1er mars 2019. Toutefois, d’une part, la société requérante ne conteste pas qu’aucune convention unique ni accord cadre n’avait été conclu sous une forme écrite avec six de ses fournisseurs avant le 1er mars 2019. D’autre part, à supposer même que les quinze conventions-cadres dont fait état la société requérante puissent être regardées comme conformes aux dispositions de l’article L. 441-3 du code de commerce, qui prévoient notamment que de tels accords sont conclus pour une durée maximale de deux ou trois ans et qu’ils fixent les modalités annuelles de révision des prix, ce qui n’est pas établi ni allégué en l’espèce, l’existence d’accords de révision des prix conclus avant le 1er mars 2019 ne saurait résulter des simples échanges de courriers électroniques dont se prévaut la société Eurelec Trading. La société ne peut davantage se prévaloir, à cet égard, de ce que la passation de commandes de produits auprès de ses fournisseurs postérieurement au 1er mars 2019 révélerait nécessairement l’existence d’un accord intervenu antérieurement avec ces derniers. Dans ces conditions, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que l’administration a fait une application inexacte des dispositions précitées de l’article L. 441-3 du code de commerce.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe de personnalité des peines :

15. Les dispositions de l’article L. 441-3 du code de commerce précitées subordonnent le prononcé de l’amende au seul fait pour la société requérante de ne pas respecter l’obligation de conclure une convention unique avec ses fournisseurs avant la date du 1er mars. Dès lors, la société Eurelec Trading ne saurait utilement soutenir que les manquements retenus à son encontre sont en réalité imputables à des causes extérieures, tenant principalement au refus de certains de ses fournisseurs, notamment les sociétés Red Bull, Fromageries Bel, Froneri, Continental Foods, Bacardi Martini, Beiersdorf, Moët Hennessy, de conclure avec elle une convention-cadre dans les délais légaux. En tout état de cause, la société requérante n’apporte aucun élément de nature à étayer ses allégations, ni la preuve qu’elle aurait sollicité en vain auprès de ces fournisseurs la signature d’une convention unique dans les délais, comme lui en font obligation les dispositions de l’article L. 441-3 du code de commerce, alors qu’il résulte de l’instruction, notamment du procès-verbal du 26 août 2019, que la quasi-totalité des fournisseurs de la société Eurelec Trading lui ont adressé leurs conditions générales de vente avant la fin de l’année 2018, soit dans le délai prévu par le code de commerce, qu’ils ont participé aux rendez- vous de négociation et que plusieurs d’entre eux ont manifesté leur volonté de conclure un accord commercial dans les conditions prévues par les dispositions de l’article L. 441-7 du code de commerce, sans que la société requérante ne donne une suite favorable à cette demande. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de personnalité des peines doit être écarté.

En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction :

16. Il résulte de l’instruction que onze des manquements constatés ont donné lieu au prononcé d’une amende de 375 000 euros, soit le montant maximal prévu par les dispositions de l’article L. 441-6 du code de la consommation et que les dix autres manquements ont été sanctionnés par des amendes d’un montant inférieur, variant de 35 000 euros à 295 000 euros. D’une part, contrairement à ce que soutient la société requérante, l’administration n’était pas tenue de démontrer l’existence des dommages causés par le comportement de la société pour justifier le montant de l’amende, dès lors que ces montants résultent de la seule application des dispositions de l’article L. 441-6 du code de commerce. D’autre part, c’est sans erreur de droit que l’administration a tenu compte du montant du chiffre d’affaires prévisionnel prévu par chaque convention pour fixer le quantum de la sanction prononcée. Enfin, au regard notamment du nombre de manquements constatés et du caractère délibéré de ces manquements, qui résultent de la volonté de la société de se soustraire à l’application de la législation française, la société requérante, qui ne peut utilement se prévaloir du montant des sanctions prononcées à l’égard d’autres sociétés, n’est pas fondée à soutenir que l’amende administrative qui lui a été infligée serait disproportionnée. Il suit également de là que les conclusions subsidiaires de la société requérante tendant à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée ne peuvent, en tout état de cause, qu’être rejetées.

En ce qui concerne l’exception d’inconstitutionnalité de l’article L. 470-2 du code de commerce :

17. Aux termes du VII de l'article L. 470-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable au litige : « Lorsque, à l'occasion d'une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l'encontre d'un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s'exécutent cumulativement ».

18. La société requérante soutient que ces dispositions méconnaissent le principe de proportionnalité des peines, dès lors qu'elles ne prévoient aucun plafond au cumul des sanctions administratives prononcées pour des manquements en concours. Elle soutient également que ces dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines, faute de définir la notion de « manquements en concours ». Elle dénonce enfin, comme contraire au principe non bis in idem, le cumul de sanctions administratives permis par ces dispositions.

19. Toutefois, par sa décision n° 2021-984 QPC du 25 mars 2022, le Conseil constitutionnel a jugé, d’une part, qu’aucune exigence constitutionnelle n'impose que des sanctions administratives prononcées pour des manquements distincts soient soumises à une règle de non-cumul, d’autre part, que les dispositions de l’article L. 470-2 du code de commerce sont conformes au principe de proportionnalité des peines. Par suite, la société requérante n’est pas fondée à se prévaloir de l’inconstitutionnalité des dispositions en cause à l’appui de ses conclusions à fin d’annulation de la décision du 28 août 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France lui a infligé une sanction administrative d’un montant de 6 340 000 euros.

En ce qui concerne l’exception d’inconventionnalité :

20. En premier lieu, l’article 34 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdit les restrictions quantitatives à l’importation entre les États membres ainsi que toute mesure d’effet équivalent. Cette interdiction vise toute réglementation des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce au sein de l’Union européenne. Les dispositions contestées de l’article L. 441-3 du code de commerce, qui, ainsi qu’il a été dit au point 12, régissent les relations contractuelles entre fournisseurs et distributeurs et non les caractéristiques des produits vendus, s’appliquent à tous les opérateurs exerçant leur activité sur le territoire français et affectent de la même manière, en droit et en fait, la commercialisation des produits nationaux et celle des produits en provenance d’autres États membres. Par suite, le moyen tiré de ce que la sanction litigieuse serait fondée sur des dispositions contraires au principe de libre circulation des marchandises garanti par l’article 34 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne doit être écarté.

21. En deuxième lieu, aux termes de l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « (...) les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un Etat membre établis sur le territoire d’un État membre. La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux ».

22. A l’appui de son moyen tiré de ce que les dispositions nationales mentionnées au point 11 ci-dessus méconnaîtraient le principe de liberté d’établissement énoncé à l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la société requérante fait valoir que l’exigence qui pèse sur les distributeurs de conclure une convention unique avec leurs fournisseurs dans un délai déterminé est susceptible de dissuader les distributeurs souhaitant accéder au marché français de s’établir hors de France. Toutefois, les dispositions de l’article L. 441-3 du code de commerce n’ont ni pour objet, ni pour effet, de limiter la faculté des opérateurs économiques de s’établir sur le territoire d’un autre État membre, mais seulement de régir les relations contractuelles entre fournisseurs et distributeurs, l’activité de ces derniers à destination du marché français pouvant être exercée aussi bien en France que depuis autre État membre.

23. En troisième lieu, aux termes de l’article 2 de la directive 2006/123 du 12 décembre 2006 : « 1. La présente directive s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre (...) ». L’article 4 de cette directive dispose que : « Aux fins de la présente directive, on entend par : 1) "service", toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération, visée à l’article 50 du traité ; 2) "prestataire", toute personne physique ressortissante d’un État membre, ou toute personne morale visée à l’article 48 du traité et établie dans un État membre, qui offre ou fournit un service ». Enfin, aux termes de l’article 6 de ladite directive : « 1. Les États membres respectent le droit des prestataires de fournir des services dans un État membre autre que celui dans lequel ils sont établis. L’État membre dans lequel le service est fourni garantit le libre accès à l’activité de service ainsi que son libre exercice sur son territoire. Les États membres ne peuvent pas subordonner l’accès à une activité de service ou son exercice sur leur territoire à des exigences qui ne satisfont pas aux principes suivants : a) la non-discrimination : l’exigence ne peut être directement ou indirectement discriminatoire en raison de la nationalité ou, dans le cas de personnes morales, en raison de l’État membre dans lequel elles sont établies ; b) la nécessité : l’exigence doit être justifiée par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement ; c) la proportionnalité : l’exigence doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. / 2. Les États membres ne peuvent pas restreindre la libre prestation de services par un prestataire établi dans un autre État membre en imposant l’une des exigences suivantes : (...) d) l’application d’un régime contractuel particulier entre le prestataire et le destinataire qui empêche ou limite la prestation de service à titre indépendant (...) 3. Les présentes dispositions n’empêchent pas l’État membre dans lequel le prestataire se déplace pour fournir son service d’imposer des exigences concernant la prestation de l’activité de service lorsque ces exigences sont justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement et conformément au paragraphe 1. Elles n’empêchent pas non plus cet État membre d’appliquer, conformément au droit communautaire, ses règles en matière de conditions d’emploi, y compris celles énoncées dans des conventions collectives. »

24. Si la société Eurelec Trading, dont il est constant qu’elle exerce une activité de distributeur, est soumise aux prescriptions de l’article L. 441-3 du code de commerce, qui imposent aux distributeurs de signer chaque année une convention unique avec leurs fournisseurs avant le 1er mars, elle n’a toutefois pas la qualité de prestataire de service dans le cadre de ses relations avec ses fournisseurs, dès lors qu’elle ne leur fournit aucun service au sens des dispositions précitées de l’article 4 de la directive 2006/123 du 12 décembre 2006. Dans ces conditions, ses activités de centrale d’achat exercées en Belgique, qui se limitent à négocier des prix et quantités d’achat, n’entrent pas dans le champ d’application de cette directive. La société requérante n’est donc pas fondée à soutenir que l’obligation posée à l’article L. 441-3 du code de commerce constitue une entrave injustifiée à la libre circulation des services, en méconnaissance des dispositions de l’article 16 de la directive 2006/123 du 12 décembre 2006.

25. En quatrième lieu, aux termes de l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. ». Aux termes de l’article 57 de ce traité : « Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes ».

26. D’une part, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne que l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’oppose à toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayant l’exercice, par les ressortissants de l’Union européenne, de la libre prestation des services garantie par ladite disposition du traité. De telles restrictions peuvent toutefois être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, à condition qu’elles soient propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif, c’est-à-dire qu’il n’existe pas de mesures moins restrictives qui permettraient de l’atteindre de manière aussi efficace.

27. D’autre part, il résulte de l’interprétation de ces mêmes stipulations par la Cour de justice de l’Union européenne, notamment dans ses arrêts du 2 mars 1982, Industrie Group (C- 6/81), du 13 mars 1984, Karl Prantl (C-16/83) et du 12 octobre 2004, Wolff et Muller (C-60/03) que la protection de la loyauté des transactions commerciales et la lutte contre la concurrence déloyale sont au nombre des raisons qui permettent de justifier des restrictions à la libre prestation de services, à conditions d’être nécessaires et proportionnées.

28. Or, d’une part, à supposer que la société requérante puisse utilement invoquer, en sa qualité de destinataire des services rendus par ses fournisseurs, les stipulations de l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui sont d’une portée plus large que celles de l’article 16 de la directive 2006/123 du 12 décembre 2006, les objectifs poursuivis par le législateur national sont justifiés par des raisons impérieuses d’intérêt général, dès lors qu’ils tendent à assurer une transparence des relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs et à parvenir à un rééquilibrage de cette relation. D’autre part, il ne résulte pas de l’instruction que la législation en cause, qui se borne à imposer un formalisme dans les relations contractuelles entre fournisseurs distributeurs en prévoyant la signature d’une convention écrite dans un délai déterminé, ne serait pas nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi ni conforme au principe de proportionnalité. Dans ces conditions, la société requérante n’est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que les dispositions de l’article L. 441-3 du code de commerce sur le fondement desquelles elle a été sanctionnée sont contraires à la liberté de prestation de services garantie par l’article 56 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

29. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles, que la requête de la société Eurelec Trading doit être rejetée. Ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu’être également rejetées, l’État n’étant pas la partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Eurelec Trading est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société Eurelec Trading et au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.