ADLC, 29 juin 2012, n° 12-DCC-93
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la fusion du Groupe Mornay, du Groupe D&O et de la Fédération Mutualiste Interdépartementale de la Région Parisienne
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 24 mai 2012, relatif au rapprochement entre le groupe Mornay, le groupe D&O et la Fédération Mutualiste Interdépartementale de la Région Parisienne formalisé par des conseils d’administration des 4 et 5 octobre 2011 approuvant le rapprochement de Mornay et D&O, ainsi qu’un protocole d’intension d’adhésion de la FMP au groupe issu du rapprochement des groupes Mornay et D&O entré en vigueur le 30 janvier 2012 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Le groupe Mornay (ci-après « Mornay ») est un groupe paritaire de protection sociale1 doté d’une association sommitale regroupant deux institutions de retraite complémentaire (CGIS (ARRCO) et ACGME (AGIRC)), une institution de prévoyance interprofessionnelle (IPGM), une Association de souscription et de gestion de la prévoyance (APGME), une mutuelle (Mornay Mutuelle). Le groupe a également développé une activité à caractère commercial via ses filiales (gestion immobilière, gestion financière, courtage d’assurances). Mornay intervient dans les secteurs de la retraire complémentaire, l’assurance de personnes (prévoyance, santé,…), la réassurance, la distribution d’assurance pour le compte de tiers, la gestion d’actifs et l’action sociale.
2. D&O est un groupe paritaire de protection sociale organisé autour d’une association sommitale et d’une association de moyens qui regroupe trois institutions de retraite complémentaire (CRIS, CARCEPT (ARRCO) et CRC (AGIRC)), une institution de prévoyance interprofessionnelle (OREPA), deux institutions de prévoyance professionnelle (CARCEPT Prévoyance et IPRIAC), une mutuelle (Mutuelle D&O), une société anonyme d’assurances (Domissimo Assurances), une institution de gestion de retraite supplémentaire (CRPB-AFB), deux associations de gestion de congé de fin d’activité (AGECFA-Voyageurs et FONGECFA-Transport) et une enseigne nationale de services à la personne (Domissimo Services). D&O est actif dans les secteurs de la retraite complémentaire, l’assurance de personnes, la retraite supplémentaire, la réassurance, l’action sociale et le congé de fin d’activité
3. La Fédération Mutualiste Interdépartementale de la Région Parisienne (ci-après « FMP ») est une Union de mutuelles soumise aux dispositions du livre II du code de la mutualité. La FMP a été mise sous administration provisoire de l’autorité de contrôle prudentiel (ACP) en décembre 2008 du fait d’une insuffisance de marge de solvabilité. Ce processus a donné lieu à un plan de redressement d’où il en est résulté une sortie d’un grand nombre d’activités auparavant exercées par la FMP. De ce fait, la FMP est principalement active dans les secteurs de l’assurance complémentaire santé et la réassurance. Très accessoirement, elle réalise des activités hors champ assurantiel pour ses mutuelles partenaires qui compte tenu de leur caractère marginal ne seront pas abordées plus avant.
4. L’opération consiste en la création d’une nouvelle structure composée d’une association sommitale créée à périmètre quasi identique entre les membres des deux associations sommitales existantes. Les conseils d’administration des associations sommitales de Mornay et D&O se sont réunis respectivement les 4 et 5 octobre 2011 pour valider le rapprochement des deux groupes et les 24 et 26 janvier 2012 afin de valider l’adhésion de la FMP au nouvel ensemble. L’association sommitale nouvelle absorbera par la suite par voie de fusion les deux associations sommitales préexistantes avec transmission de l’intégralité de leur patrimoine. Les 30 membres du Conseil d’administration, en charge de définir les orientations stratégiques du groupe, seront désignés par les organisations syndicales et patronales tandis que la présidence sera organisée selon un mode d’alternance, en application des statuts de référence émanant de l’AGIRC-ARRCO. La mutualisation des moyens de fonctionnement de la nouvelle entité sera organisée autour d’une association de moyens, créée par voie de fusion et de transfert de l’ensemble du patrimoine des deux associations de moyens préexistantes. Ses 30 administrateurs ont vocation à représenter les 10 entités et institutions issues du processus de fusion. L’association de moyens nouvelle a vocation à être l’employeur unique de l’ensemble des salariés du nouveau groupe. Le nouvel ensemble comprendra également une société de groupe d’assurance (ci-après « SGA »), régie par les dispositions des articles L 322-1-2 et suivant du code des assurances, et liée à l’association sommitale nouvelle par une convention de fonctionnement. La société de gestion d’assurances aura pour vocation (i) d’arrêter les comptes combinés du groupe ; (ii) de veiller à la solvabilité de ses membres dans le cadre de la solidarité financière et sous l’autorité directe de l’Association sommitale nouvelle, (iii) s’assurer de la mise en oeuvre des objectifs de ses membres dans le cadre de la stratégie globale définie par l’association sommitale. Une fois le processus achevé, la FMP, liée à l’association sommitale par une convention de fonctionnement, sera en charge de fédérer en tant qu’union le futur pôle mutualiste du nouvel ensemble. La FMP sera également liée à la SGA par une convention d’affiliation. Enfin, les parties ont prévu, en 2012 et 2013, la fusion entre certaines institutions de prévoyance interprofessionnelles des deux groupes.
5. La création du nouvel ensemble s’apparente ainsi à la création d’une unité économique commune, au sens du paragraphe 23 des lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations qui précisent que « les fusions de fait sont soumises au contrôle des concentrations comme les fusions de droit, dès l’instant où elles conduisent à la réunion d’activités d’entreprises antérieurement indépendantes au sein d’un seul et même ensemble économique. L’existence d’une gestion économique unique et durable est une condition nécessaire pour déterminer si l’on est en présence d’une telle concentration. Pour le déterminer, l’Autorité prend en considération toutes les circonstances de droit et de fait permettant de qualifier l’opération ».
6. Eu égard à ces éléments, et conformément à la pratique décisionnelle antérieure2, le rapprochement des groupes Mornay et D&O ainsi que l’adhésion de la FMP s’analyse comme une fusion d’entités antérieurement indépendantes. En conséquence, la présente opération constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
7. Les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d’affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros en 2010 (groupe Mornay : 468 millions d’euros ; groupe D&O : 267 millions d’euros, FMP : 98,1 millions d’euros). Chacune de ces entreprises a réalisé, en France, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (groupe Mornay : 468 millions d’euros ; groupe D&O : 267 millions d’euros, FMP : 98,1 millions d’euros). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
8. Les parties à l’opération sont simultanément actives dans le secteur de l’assurance et la réassurance.
9. Les parties sont également actives dans le secteur de la retraite complémentaire obligatoire des salariés en tant que gestionnaires d’un régime de répartition et dans le secteur de l’action sociale. En effet, chacun des deux groupes dispose d’une ou plusieurs institutions ARRCO3 et AGIRC4 dans le secteur de la retraite complémentaire obligatoire des salariés Cependant, conformément à la pratique décisionnelle antérieure5, ces activités ne constituent pas des activités économiques et donc des « marchés » au sens du droit de la concurrence.
A. DÉLIMITATION DES MARCHÉS DE PRODUITS OU DE SERVICES
10. La pratique décisionnelle nationale et communautaire distingue de manière constante les activités de réassurance des activités d’assurance6.
11. S’agissant de la réassurance, les autorités nationale et communautaire de concurrence la considèrent comme un marché distinct en raison de la spécificité de l’objet (la répartition des risques entre assureurs) et des contraintes réglementaires moins fortes pesant sur cette activité. Des subdivisions de ce marché ont été envisagées. Cependant, il n’est pas nécessaire de définir exactement les marchés de la réassurance en l’espèce dans la mesure où chacun des deux groupes n’effectue des opérations de réassurance que de manière marginale.
12. S’agissant des activités d’assurance, une distinction a été opérée entre les assurances de personnes et les assurances de dommages (biens et responsabilités), chacune pouvant à son tour être segmentée en autant de marchés qu’il existe d’assurances couvrant les différents types de risques7. Enfin, des segmentations supplémentaires ont été envisagées au sein des assurances de personnes entre les contrats d’assurance collective et les contrats d’assurance individuelle et au sein des assurances de dommages entre les assurances à destination des particuliers et les assurances à destination des professionnels.
13. Au cas d’espèce, les parties à l’opération sont simultanément actives en matière d’assurance de personnes, sur les segments suivants :
- marchés de la prévoyance collective et individuelle qui regroupent les produits d’assurance destinés à couvrir les bénéficiaires contre une perte de revenus imprévisible (en cas de décès, d’invalidité ou d’incapacité) au moyen d’un versement sous la forme d’un capital ou d’une rente8 ;
- marchés de l’assurance santé complémentaire collective et individuelle qui ont pour objet de compléter les prestations offertes par les régimes obligatoires d’assurance maladie. Le risque couvert correspond aux frais, non pris en charge par la sécurité sociale, à engager pour se soigner. Les remboursements complémentaires sont fonction des prestations du régime légal de la sécurité sociale9.
B. DÉLIMITATION DES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
14. Il ressort de la pratique décisionnelle10 que le marché de la réassurance est de dimension mondiale compte tenu notamment de la nécessité d’équilibrer les risques au niveau international.
15. De plus, la pratique décisionnelle nationale et communautaire a considéré que les marchés de l’assurance, à l’exception de certaines assurances couvrant des risques de grande ampleur, étaient de dimension nationale compte tenu des préférences des consommateurs, de l’existence de législations et de contraintes fiscales nationales, de la structure actuelle de ces marchés ou encore des systèmes de régulation.
16. Il n’y a pas lieu de remettre en cause ces délimitations pour analyser les effets de la présente opération.
III. Analyse concurrentielle
17. A l’issue de l’opération, la part de marché combinée des parties sera inférieure à 5 % sur chacun des marchés sur lesquels les activités des parties se chevauchent à savoir les marchés de l’assurance santé complémentaire individuelle et collective ainsi que de la prévoyance individuelle et collective. Il en est de même pour la réassurance dans la mesure où chacun des deux groupes n’effectue des opérations de réassurance que de manière marginale.
18. Par ailleurs, sur chacun de ces marchés, l’entité issue de l’opération notifiée continuera à faire face à la concurrence de nombreux acteurs dont les parts de marchés sont plus importantes que celles de la nouvelle entité. Ainsi, les principaux concurrents des parties incluent notamment, Crédit Agricole, Axa, MGEN, Generali, Crédit Mutuel, Société Générale, Allianz, AG2R-La Mondiale.
19. Compte tenu de ce qui précède, l’opération notifiée n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 12-017 est autorisée.
NOTES :
1 Les groupes paritaires de protection sociale (GPS) sont des ensembles structurés de personnes morales ayant entre elles des liens étroits et durables, créés, pilotés et contrôlés par les organisations patronales et les syndicats (les « partenaires sociaux »). Le GPS comporte au moins une institution de retraite AGIRC, une institution de retraire ARRCO et une institution de prévoyance, dans l’intérêt des entreprises et des salariés (formule du « guichet unique »). Il est constitué d’une association sommitale « loi 1901 » qui est gérée paritairement et conduit la stratégie d’ensemble du GPS. Un Directeur général et une association de moyens complètent le dispositif.
2 Voir notamment Lettre n°09-DCC-15 du 30 juin 2009 au conseil des institutions AG2R Prévoyance et Isica Prévoyance (groupe AG2R) et de l’institution de prévoyance Prémalliance Prévoyance (groupe Prémalliance, et les décisions n° 10-DCC-11 du 27 janvier 2011 relative au rapprochement du Groupe Aprionis et du Groupe Vauban Humanis et n° 11-DCC-215 du 16 janvier 2012 relative au rapprochement du groupe Humanis et du groupe Novalis Taitbout.
3 CGIS pour Mornay, CRIS et CARCEPT pour D&O
4 ACGME pour Mornay, CRC pour D&O L’Arrco (Association des régimes de retraite complémentaire) et l’Agirc (Association générale des institutions de retraite des cadres) sont deux régimes obligatoires de retraite complémentaire par répartition. L'article L. 921-4 du code la Sécurité sociale précise que « les régimes de retraite complémentaire des salariés (…) sont mis en oeuvre par des institutions de retraite complémentaire et des Fédérations regroupant ces institutions », lesquelles disposent d’une situation de monopole dans le domaine de la retraite complémentaire par répartition. Les institutions de retraite complémentaire, membres de l'Agirc et de l'Arrco, assurent donc la gestion du régime auquel elles adhèrent, vis-à-vis des entreprises adhérentes et des participants. Pour réaliser cette gestion dans les conditions définies par les Fédérations, sous leur contrôle, et avec les dotations mises à leur disposition, les institutions Agirc et Arrco fonctionnent actuellement dans le cadre de groupes de protection sociale. Dès lors que le groupe intègre des entités juridiques autres que des organismes à gestion paritaire, une architecture juridique de groupe complexe doit être mise en place. Dans ce cas, les groupes se dotent de structures de gestion (association ou GIE) intégrant l'ensemble des membres du groupe pour partager des moyens humains et informatiques, aux côtés de l'instance sommitale qui définit les orientations stratégiques du groupe, et au sein de laquelle ne siègent que les membres à gestion paritaire.
5 Voir notamment, s’agissant de la retraite complémentaire obligatoire des salariés, les lettres du ministre de l’économie du 21 août 2007, aux conseils de l’Institut de prévoyance AG2R Prévoyance et la société La Monsiale et du 27 décembre 2007, au conseil des société Groupama SA et Réunica Prévoyance et, s’agissant de l’action sociale, les lettres du ministre de l’économie, du 28 octobre 2008 aux conseils de la société Mutuelle Harmonie Mutualité et du 5 août 2008, aux conseils de la Mutuelle Générale des Préfectures et de l’Administration Territoriale ainsi que la décision n° 11-DCC-215 précitée.
6 Voir par exemple les décisions de la Commission européenne COMP/M.3556 - Fortis / BCP du 19 janvier 2005, COMP/M.2676 - SAMPO / VARMA SAMPO / IF HOLDING / JV du 18 décembre 2001, IV/M.862 - AXA / UAP du 20 décembre 1996 ainsi que les décisions n°09-DCC-16 du 22 juin 2009 relative à a fusion entre les groupes Caisse d’Epargne et Banque Populaire et n°10-DCC-52 du 2 juin 2010 relative à la création d’une SGAM par la MACIF, la MAIF et la MATMUT.
7 Voir par exemple les décisions de la Commission européenne COMP/M.5083 - GROUPAMA / OTP GARANCIA du 15 avril 2008, COMP/M.3556 - FORTIS / BCP du 19 janvier 2005, IV/M.862 -AXA / UAP du 20 décembre , la décision n°09-DCC-16 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d’Epargne et Banque Populaire et les lettres du ministre de l’économie du 1er octobre 2007, au conseil de la société Suisse de Participations d’Assurance et du 10 septembre 2008, au conseil de la société Esca.
8 Lettre du ministre de l’économie du 28 octobre 2008 aux conseils de la société Mutuelle Harmonie Mutualité.
9 Lettres du ministre de l’économie du 28 octobre 2008 aux conseils de la société Mutuelle Harmonie Mutualité et du 21 août 2007, aux conseils de l’Institut de prévoyance AG2R Prévoyance et la société La Mondiale.
10 Voir les décisions précitées.