CA Rouen, ch. civ. et com., 28 novembre 2019, n° 18/01963
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Ecuries de la Coudrelle (EARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brylinski
Conseillers :
Mme Mantion, Mme Labaye
Avocat :
Selarl Lexavoue Normandie
FAITS ET PROCEDURE
La société Les Ecuries de la Coudrelle est une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) située dans la commune de La Madeleine de Nonancourt et dont Mme Audrey D.'h. est la gérante. Cette entreprise a pour activité la pension pour chevaux, le dressage de ceux-ci et l'accompagnement en compétition
M. et Mme B., qui sont propriétaires d'un cheval, Titan de la Butte, l'ont mis en pension au sein de l'établissement équestre Les Ecuries de la Coudrelle selon contrats en date du 11 mai 2013 puis du 30 mars 2015, en souscrivant l'offre de prestation pension travail. L'établissement s'occupait également de leur jument Loren de Condé.
Par courrier du 1er août 2016, Mme B. a signifié à l'EARL Les Ecuries de la Coudrelle qu'elle entendait rompre la convention de pension.
Par lettre envoyée avec accusé de réception en date du 09 septembre 2016, Mme B. a sollicité auprès de l`EARL Les Ecuries de la Coudrelle un accord amiable afin de quitter l'établissement sans effectuer la fin du préavis contractuel de 60 jours en leur reprochant d'avoir utilisé son cheval en le faisant longer et monter par des clients de I'étabIissement équestre. Mme Audrey L. D.'h. a accepté au nom de l'EARL Les Ecuries de la Coudrelle ce départ sans préavis par lettre en date du 08 septembre 2016. Un document écrit et une facture auraient été établis en ce sens et les chevaux Titan de la Butte et Loren de Condé quittaient les Ecuries de la Coudrelle le même jour.
Reprochant aux Ecuries de la Coudrelle d'avoir fait un usage répété de l'animal et de l'avoir détérioré, M. et Mme B. ont assigné l'EARL Les Ecuries de la Coudrelle devant le tribunal d'instance d'Evreux, au visa des articles 1231-1 et 1927 et suivants du code civil et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, afin d'obtenir, en principal, sa condamnation au paiement des sommes de 7.500 € à titre de dommages et intérêts.
Ils invoquaient la responsabilité contractuelle de la société qui aurait fait longer et monter le cheval par des cavaliers amateurs et non professionnels, simples clients de la structure équestre alors que le contrat ne prévoyait pas que le cheval soit monté par quelqu'un d'autre que la responsable des écuries ou que quelqu'un d'autre s'en occupe.
L'Earl s'opposait aux demandes estimant l'action irrecevable, au surplus non fondée, du fait de l'absence de preuve d'un traumatisme subi par le cheval et I ‘absence de démonstration des préjudices moraux et financiers invoqués, reconventionnellement, elle sollicitait la somme de 366€ au titre du préavis contractuel impayé, 2.500 €, pour procédure abusive et une indemnité de procédure de 3.500 €.
Par jugement du 16 avril 2018, le tribunal d'instance d'Evreux a :
- déclaré recevable M. Vincent B. en son action
- déclaré recevable Mme Vanessa B. en son action
- débouté Mme Vanessa B. et M. Vincent B. de leur demande de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle
- débouté I'EARL Les Ecuries de la Coudrelle de sa demande en paiement relative à l'inexécution de la période de préavis
- débouté I'EARL Les Ecuries de la Coudrelle de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
- condamné solidairement Mme Vanessa B. et M. Vincent B. à payer 800 € à I'EARL Les Ecuries de la Coudrelle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné in solidum Mme Vanessa B. et M. Vincent B. aux entiers dépens.
***
Mme Vanessa B. née H. et M. Vincent B. ont interjeté appel du jugement par déclaration au greffe en date du 04 mai 2018.
Dans leurs dernières conclusions du 30 octobre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, ils demandent à la cour, sous le visa des articles 1231-1, 2048, 2051,1927 et suivants du code civil, de
- les recevoir en leurs demandes, fins et conclusions, les en déclarant bien fondés.
- infirmer le jugement du tribunal d'instance d'Evreux en date du 16 avril 2018 seulement en ce qu'il les a déclarés recevables en leurs actions,
- infirmer le jugement du tribunal d'instance d'Evreux en date du 16 avril 2018 en ce qu'il :
* les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts à l'encontre de l'E.A.R.L Les Ecuries de la Coudrelle et leur demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* les a condamnés solidairement à payer à l'E.A.R.L Les Ecuries de la Coudrelle la somme de 800,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* les a condamnés in solidum aux entiers dépens ;
En conséquence :
- condamner l'E.A.R.L Les Ecuries de la Coudrelle à leur verser la somme de 7.500 € à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis ;
- débouter l'E.A.R.L Les Ecuries de la Coudrelle de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner l'E.A.R.L Les Ecuries de la Coudrelle à verser à Mme Vanessa B. la somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de la procédure d'appel ;
- condamner l'E.A.R.L Les Ecuries de la Coudrelle aux entiers dépens dont distraction aux offres de droit de Maître Céline B., avocat au barreau de Rouen.
M. et Mme B. arguent de leur qualité et intérêt à agir, étant tous deux propriétaires du cheval et ayant signé chacun un contrat avec l'Earl, et de ce que les courriers échangés ne valent nullement transaction ainsi que l'a reconnu le tribunal, faute de concessions réciproques.
Ils rappellent que plusieurs types de contrat existent en matière équestre et précisent avoir conclu un contrat de pension (dépôt) avec contrat d'entreprise pour quatre jours de travail spécifiques excluant purement et simplement que des tiers montent ou longent le cheval. Or, selon eux, l'Earl a utilisé le cheval pour son activité d'enseignement et l'a fait monter et longer par des cavaliers amateurs clients du centre équestre. Ils affirment que, le 07 novembre 2015, Titan de la Butte a été blessé en longe et s'est déplacé deux vertèbres cervicales. Ainsi, aux mépris de toutes les obligations contractuelles et légales lui incombant, l'Earl les Ecuries de la Coudrelle a, selon eux, utilisé de façon répétée et détérioré le cheval. L'Earl leur doit réparation.
Dans ses dernières écritures du 14 août 2018, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, l'Earl les Ecuries de la Coudrelle demande à la cour, sous le visa des articles 1134, 1147 et 1382 du code civil dans leur version antérieure à l'ordonnance n° 2016- 131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, et des articles 1927, 1928, 2044 et 2052 du code civil, de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal d'instance d'Evreux le 16 avril 2018 seulement en ce qu'il a débouté Mme Vanessa B. et M. Vincent B. de leur demande de dommages et intérêts et les a condamnés au paiement de la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
Statuant à nouveau, y ajoutant :
- dire et juger M. et Mme B. irrecevables en leur action ;
- condamner in solidum M. et Mme B. à lui payer la somme de 366€ au titre du préavis contractuel impayé ;
- condamner in solidum M. et Mme B. à lui payer la somme de 2.000 € en réparation du préjudice généré par la procédure abusive ;
- condamner in solidum M. et Mme B. à lui payer la somme de 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'Earl conclut à l'irrecevabilité des demandes de M. B., tant le contrat que les courriers ayant été signés par Mme B. seule, à l'irrecevabilité de l'action de Mme B., du fait que, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, les courriers échangés valaient transaction, l'Earl acceptait le départ du cheval sans respect du préavis et Mme Vanessa B. renonçait à agir en justice contre les Ecuries de la Coudrelle.
Sur la responsabilité, l'Earl prétend que le seul contrat en cours à la date des faits est celui signé en mars 2015, les appelants ne sauraient donc invoquer le moindre manquement tiré du contrat antérieur de 2013, résilié d'un commun accord entre les parties lors du départ du cheval objet du contrat dans une autre écurie. Au surplus, aucun manquement contractuel n'est démontré, les appelants n'indiquent d'ailleurs pas quelles dispositions du contrat en cours auraient été violées, le cheval ayant au contraire été sorti et amélioré conformément aux souhaits de sa cavalière, en outre, le préjudice invoqué, qui serait lié à un traumatisme subi par le cheval est totalement hypothétique et les préjudices moraux et financiers ne sont aucunement prouvés.
L'Earl estime que, si la cour considère qu'il n'existe pas de transaction, alors, les appelants restent redevables du préavis non respecté, pour 366 €, elle demande également une indemnisation pour la procédure qu'elle estime abusive.
SUR CE
Les parties ont été liées par deux contrats, un contrat du 11 mai 2013 'convention de mise en pension' d'un cheval, entre l'Earl Les Ecuries de la Coudrelle représentée par sa gérante, Mme L. D.'h., M. et
Mme B., signé de Mme B., de son nom de jeune fille H., et un second contrat du 30 mars 2015 'convention de mise en pension', entre l'Earl représentée par son directeur d'établissement et M. B. mais n'est signé que de Mme L. D.'h..
La carte d'immatriculation du cheval Titan de la Butte de février indique que le propriétaire est Melle Vanessa H. et le co-propriétaire M. Vincent B., chacun à 50 %.
M. B. a intérêt à agir en qualité de co-propriétaire du cheval.
Après avoir rappelé les articles 2044 et 2052 du code civil, le tribunal a justement estimé que les parties n'avaient pas signé de transaction : par courrier du 07 septembre 2016, intitulé 'demande d'arrangement amiable', Mme B. reprochait divers agissements à l'Earl contraires selon elle aux obligations du contrat les liant et demandait, de ce fait, à pouvoir obtenir un accord à l'amiable et à pouvoir quitter l'établissement sans effectuer la fin du préavis (prévu au 1er octobre 2016) concernant les deux chevaux, Titan de la Butte et Loren de Condé 'afin de définitivement mettre un terme à notre collaboration'.
Le 08 septembre 2016, l'Earl signait un document selon lequel elle acceptait que Titan de la Butte parte sans préavis 'dû au mécontentement de sa propriétaire (8j=128 €) ' la pension de Loren de Condé étant payée, était joint une facture datée du 1er septembre : 435 € pour la 'pension Loren' et 128 € (au lieu de 494 €) pour la 'pension Titan'.
Il s'agit donc d'un accord limité à la fin anticipée du contrat par réduction de la durée du préavis, mais Mme B. signataire n'y renonce pas à toute indemnisation, son action est recevable.
Selon l'article 1231-1 du code civil (ancien article 1147), le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
M. et Mme B. se prévalent des obligations des deux contrats avec les Ecuries de la Coudrelle, celui de 2013 étant plus précis quant aux obligations de l'Earl notamment en ce qu'il indique pour les prix de la pension : ' 430€ base + travail (4j/semaine), la 'base' correspond à la fourniture du box, de la paille, du foin et des granulés pour l'animal. Le contrat de 2015 indique le prix de la pension : 494€ sans plus de précision mais selon le règlement intérieur de l'EARL ce prix correspond à : 'pension travail'.
Il n'est pas contesté que l'EARL des Ecuries de la Coudrelle avait une mission de soins et d'hébergement du cheval, mais aussi la mission de faire 'travailler' ce dernier. Un tel contrat s'analyse pour partie en un contrat de dépôt et pour partie en un contrat d'entreprise.
Les époux B. reprochent à l'EARL d'avoir utilisé le cheval Titan de la Butte pour son activité d'enseignement, de l'avoir fait monter et longer à des cavaliers amateurs clients du centre équestre ce dont ils justifient en produisant des attestations de clients du centre équestre. Le cheval a été monté et longé non par des professionnels mais par des personnes n'ayant aucune qualité afin de procéder à des longes et qui n'ont pas le niveau équestre pour le monter. Mme B. fait valoir qu'elle a un diplôme fédéral de galop n°7 obtenu en 2008 et les personnes qui se sont occupées du cheval ont, selon elle, entre le galop 5 et 6 fraîchement obtenu. Ils remarquent que le 07 novembre 2015, Titan de la Butte a été blessé en longe et s'est déplacé deux vertèbres cervicales, ce qui aurait pu être un accident fatal. Ils ignorent qui tenait la longe ce jour-là mais ils avancent que cet accident survenu démontre l'impérieuse nécessité que le travail du cheval soit réalisé strictement et uniquement par un professionnel, qui plus est assuré en responsabilité civile professionnelle.
Le contrat mentionne 'travail' sans préciser les conditions de ce travail ou indiquer entraînement pour la compétition, les concours ou pour une discipline donnée, sans imposer que le cheval travaille uniquement avec la responsable de l'EARL ou des professionnels salariés de l'EARL. Le contrat n'exclut pas que d'autres personnes que les professionnels du centre utilisent le cheval.
Mme B. qui fréquentait régulièrement le centre ne pouvait ignorer son fonctionnement et le fait que des non professionnels s'occupaient des chevaux, elle aurait dû, au moins dans le second contrat, et si c'était un élément essentiel pour elle, faire inclure une clause relative aux personnes autorisées à monter ou loger l'animal.
Au surplus, les époux B. ne s'expliquent pas sur les préjudices qu'ils disent avoir subi. Selon les attestations produites par l'EARL, le cheval a été sorti, s'est assagi et a progressé, conformément aux souhaits de Mme B. qui grâce à ce travail du centre à pu monter elle-même son cheval en compétition, ce qu'elle ne pouvait faire antérieurement compte tenu du comportement du cheval lorsqu'elle l'avait confié aux Ecuries de la Coudrelle, et Mme B. ne peut soutenir qu'en réalité si elle ne montait pas le cheval lorsqu'elle l'a confié à l'EARL c'est uniquement parce qu'elle était enceinte. Comme relevé par le tribunal il n'existe aucune preuve de l'existence d'une obligation contractuelle pour l'EARL les Ecuries de la Coudrelle ne pas utiliser le cheval de Mme B. en le faisant monter et longer par ses clients. S'agissant de l'accident du 07 novembre, démontré par les mails échangés entre Mme B. et Mme L. D.'h., selon attestation produite par l'EARL c'est Mme L. D.'h. elle-même qui le longeait lorsque le cheval a trébuché et est tombé ; en tout état de cause, cet accident n'a pas eu de suites pour l'animal, aucun préjudice n'est démontré ni financier, ni même moral.
Le jugement sera confirmé en qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts.
L'EARL Les Ecuries de la Coudrelle s'estime en droit de réclamer le préavis convenu et non exécuté. Elle rappelle que selon le contrat de mai 2013 : le propriétaire désirant mettre fin à la pension de son cheval est tenu
de donner un préavis d'un mois par lettre recommandée avec accusé de réception et prendra effet à réception de ce courrier par l'exploitant. Elle affirme qu'elle n'a pas facturé la somme de 366 € uniquement parce qu'un accord avait été trouvé avec Mme Vanessa B. qui s'était engagée à ne pas engager d'action en justice. Si la cour considère qu'il n'y avait pas transaction et que l'action de
Mme B. est recevable, la concession qu'elle a accordée tenant à l'acceptation de non-exécution du préavis contractuel doit être annulée.
Toutefois, il existe un accord des parties sur la non-exécution du préavis dans sa totalité, l'EARL ne pouvant soutenir, au vu des termes des courriers échangés que l'acceptation de non-exécution de la totalité du préavis contractuel était motivée uniquement par le fait que Mme B. n'engagerait aucune action contre elle, le courrier de Mme B. est une demande 'd'arrangement amiable' portant uniquement sur le prix de la pension pendant le préavis et sa volonté d'engager une action en cas de refus ne porte que les conditions de résiliation du contrat et d'exécution du préavis. La demande en paiement de 366 € relative à l'inexécution du préavis a été justement rejetée.
En application des articles 1240 et 1241 (anciens articles 1382 et 1383) du code civil, le droit fondamental d'agir en justice ne peut dégénérer en abus de droit engageant la responsabilité de son auteur qu'en cas de volonté manifeste de nuire, de méconnaissance grossière de normes évidentes ou d'intention maligne, aucune de ces circonstances n'étant caractérisée, l'EARL Les Ecuries de la Coudrelle, qui ne démontre pas de dommage autre que celui constitué par la nécessité d'exposer des frais pour assurer la défense de ses intérêts, doit être déboutée de sa demandes de dommages et intérêts.
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions relatives aux indemnités de procédure et dépens de première instance, en cause d'appel M. et Mme B. supporteront les dépens et devront verser à l'intimée une indemnité de procédure que l'équité commande de fixer à la somme de 1.500 €.
PAR CES MOTIFS
La cour
Statuant publiquement, contradictoirement
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions
Y ajoutant
Condamne Mme Vanessa B. née H. et M. Vincent B. à payer à l'EARL Les Ecuries de la Coudrelle la somme de 1.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Déboute les parties de leurs autres demandes ;
Condamne Mme Vanessa B. née H. et M. Vincent B. aux dépens de la procédure d'appel.