CA Caen, 2e ch. civ. et com., 12 mai 2022, n° 21/00225
CAEN
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Emily
Conseillers :
Mme Courtade, M. Gouarin
Suivant acte sous seing privé en date du 1er juillet 2015, la Banque Populaire de l'Ouest, devenue la Banque Populaire Grand Ouest a consenti à la SARL ADK, immatriculée au RCS de Cherbourg sous le N° 533 765 459, dont le siège social est situé [...], un prêt professionnel N° 08690996 d'un montant principal de 761 330,00 euros, destiné à financer le rachat de plusieurs prêts bancaires et découvert. Ce prêt professionnel était remboursable au taux fixe de 1,93 % l'an et selon 84 mensualités.
Alain M. et Nathalie D. épouse M. se sont portés cautions solidaires de la SARL ADK suivant acte sous seing privé en date du 1er juillet 2015 pour le montant de ce prêt professionnel, chacun pour la somme limitée totale de 380 665,00 euros.
La SARL ADK n'a pas été en mesure d'honorer le remboursement des échéances, prévues par le contrat de prêt et de faire face à son endettement.
Par jugement du 26 mars 2018, le tribunal de commerce de Cherbourg a placé la société ADK sous sauvegarde judiciaire.
La Banque Populaire Grand Ouest a procédé le 18 avril 2018 à la déclaration de sa créance entre les mains de Maître Bruno C., mandataire judiciaire.
Par ordonnances du juge de l'exécution près le tribunal d'instance de Cherbourg en date du 13 juillet 2018 et 24 août 2018, la Banque Populaire Grand Ouest a été autorisée à pratiquer une inscription d'hypothèque judiciaire conservatoire sur les biens appartenant aux époux M. sis à Flers, Tourlaville, Cherbourg et Les Pieux.
Ces mesures ont été exécutées suivant bordereau déposé au service de la publicité foncière d'Alençon le 16 août 2018 ainsi qu'au service de la publicité foncière de Cherbourg le 6 septembre 2018.
Elles ont ensuite été dénoncées aux époux M. par actes d'huissier des 20 août 2018 et 11 septembre 2018.
La Banque Populaire Grand Ouest a fait assigner Alain M. et Nathalie D. épouse M. devant le tribunal de commerce de Cherbourg aux fins de les voir condamner chacun à lui payer la somme de 243 298,88 euros correspondant à 50% des sommes restant dues à la banque au 28 juin 2018, outre les intérêts au taux contractuel, frais et accessoires à compter du 28 juin 2018 et jusqu'à parfait paiement.
Par jugement du 12 juillet 2019, le tribunal a ordonné le sursis à statuer, dans l'attente du jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation de de la société ADK.
Par jugement du 25 novembre 2019, le plan de sauvegarde de la SARL ADK a été homologué par le tribunal.
La Banque Populaire Grand Ouest a demandé la réinscription de la procédure au rôle du tribunal de commerce.
Par jugement en date du 18 décembre 2020, le tribunal de commerce de Cherbourg a débouté la Banque Populaire Grand Ouest de ses demandes, fins et conclusions et l'a condamnée aux dépens.
La Banque Populaire Grand Ouest a relevé appel de cette décision selon déclaration du 25 janvier 2021.
Dans ses dernières conclusions du 6 avril 2021, la Banque Populaire Grand Ouest demande à la cour d'appel de :
- réformer le jugement du tribunal de commerce de Cherbourg du 18 décembre 2020;
- en conséquence, condamner Alain M. au paiement de la somme de 200 448,90 euros due au 1er avril 2021 outre les intérêts au taux contractuel, frais et accessoires à compter de cette date et jusqu'à parfait paiement ;
- condamner Nathalie D. épouse M. au paiement de la somme de 200 448,90 euros due au 01/04/2021 outre les intérêts au taux contractuel, frais et accessoires à compter de cette date et jusqu'à parfait paiement ;
- condamner solidairement Alain M. et Nathalie D. épouse M. au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens au titre de la première instance ;
- les condamner solidairement au paiement d'une nouvelle indemnité de 2.000 euros et aux dépens pour la procédure d'appel.
Dans leurs dernières conclusions du 1er juillet 2021, M. et Mme M. demandent à la cour d'appel de :
- leur donner acte de ce qu'ils s'en remettent à justice sur la recevabilité et le bien-fondé de l'appel porté par la Banque Populaire Grand Ouest ;
- réformer le jugement en ce qu'il a débouté la Banque Populaire Grand Ouest de ses demandes tendant à obtenir un titre exécutoire ;
- dire et juger qu'en application des dispositions de l'article L.626-11 du code de commerce, l'exécution de ce titre exécutoire sera suspendue pendant la durée du plan ou jusqu'au prononcé de la résolution de celui-ci ;
- débouter la Banque Populaire Grand Ouest des demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire que les dépens de première instance resteront à sa charge, et ceux d'appel à la charge de l'État.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 janvier 2022.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
SUR CE, LA COUR
L'article R. 511-7 du code des procédures civiles d'exécution édicte que si ce n'est dans le cas où la mesure conservatoire a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier, dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, à peine de caducité, introduit une procédure ou accomplit les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire.
L'article L. 622-28 du code de commerce énonce que le jugement d'ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu'il ne s'agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus.
Les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent se prévaloir des dispositions du présent alinéa. Nonobstant les dispositions de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts échus de ces créances ne peuvent produire des intérêts.
Le jugement d'ouverture suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie. Le tribunal peut ensuite leur accorder des délais ou un différé de paiement dans la limite de deux ans. Les créanciers bénéficiaires de ces garanties peuvent prendre des mesures conservatoires.
L'article L. 626-11 du code de commerce énonce que le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions opposables à tous.
A l'exception des personnes morales, les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent s'en prévaloir.
Il en résulte qu'en application des dispositions de l'article R. 511-7 du code des procédures d'exécution, sauf dans le cas où la mesure est pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier qui a été autorisé à pratiquer une mesure conservatoire contre une caution personnelle, personne physique, doit dans le mois qui suit l'exécution de la mesure, à peine de caducité, introduire une procédure ou accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire, même si le débiteur principal bénéficie d'un plan de sauvegarde.
Dans ce cas, l'exécution du titre exécutoire ainsi obtenu est suspendue pendant la durée du plan ou jusqu'à sa résolution. (Cass. com., 27 mai 2014 n° 13-18.018)
En l'espèce, la Banque Populaire Grand Ouest a pratiqué une inscription d'hypothèque judiciaire conservatoire sur les biens appartenant aux époux M. à la suite des ordonnances rendues par le juge de l'exécution du tribunal d'instance de Cherbourg des 13 juillet 2018 et 24 août 2018.
Ces mesures ont été publiées les 16 août 2018 et 6 septembre 2018.
La banque a assigné les époux M. en paiement par acte d'huissier du 11 septembre 2018.
La Banque Populaire Grand Ouest est donc bien fondée à demander la condamnation de M. et Mme M. en leur qualité de cautions afin d'obtenir un titre exécutoire.
L'exécution de ce titre exécutoire sera suspendue pendant la durée du plan de sauvegarde adopté à l'égard de la SARL ADK ou jusqu'à sa résolution.
Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a débouté la Banque Populaire Grand Ouest de sa demande en paiement.
Les sommes réclamées par la banque suivant un décompte actualisé au 1er avril 2021 ne sont pas contestées par M. et Mme M..
Dès lors, Alain M. sera condamné au paiement de la somme de 200 448,90 euros due au 1er avril 2021 outre les intérêts au taux contractuel, frais et accessoires à compter de cette date et jusqu'à parfait paiement.
Nathalie D. épouse M. sera condamnée au paiement de la somme de 200 448,90 euros due au 1er avril 2021 outre les intérêts au taux contractuel, frais et accessoires à compter de cette date et jusqu'à parfait paiement.
Il sera précisé que l'exécution du présent titre exécutoire est suspendue pendant la durée du plan de sauvegarde adopté à l'égard de la SARL ADK ou jusqu'à sa résolution.
Il n'apparaît pas inéquitable que chaque partie supporte ses frais irrépétibles.
La Banque Populaire Grand Ouest sera déboutée de ses demandes formulées à ce titre.
Le jugement déféré sera infirmé sur la condamnation aux dépens.
Les époux M., qui sont condamnés à paiement, seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition du greffe ;
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
CONDAMNE Alain M. à payer à la SA Banque Populaire Grand Ouest, venant aux droits de la Banque Populaire de l'Ouest, la somme de 200 448,90 euros due au 1er avril 2021 outre les intérêts au taux contractuel, frais et accessoires à compter de cette date et jusqu'à parfait paiement ;
CONDAMNE Nathalie D. épouse M. à payer à la SA Banque Populaire Grand Ouest, venant aux droits de la Banque Populaire de l'Ouest, la somme de 200 448,90 euros due au 1er avril 2021 outre les intérêts au taux contractuel, frais et accessoires à compter de cette date et jusqu'à parfait paiement ;
DIT que l'exécution du présent titre exécutoire est suspendue pendant la durée du plan de sauvegarde adopté à l'égard de la SARL ADK ou jusqu'à sa résolution ;
CONDAMNE in solidum Alain M. et Nathalie D. épouse M. aux dépens de première instance et d'appel ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.