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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. com. B, 16 octobre 2014, n° 13/05146

NÎMES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

S.A.S A.NEMERY ET CALMEJANE

Défendeur :

SA SOCIÉTÉ VALERO FRANCE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jean-Gabriel FILHOUSE

Conseillers :

M. Jean-Noël GAGNAUX, Mme Viviane HAIRON

Avocats :

SCP MARION GUIZARD PATRICIA SERVAIS, Me GREFFE, SCP MONCEAUX FAVRE DE THIERRENS BARNOUIN THEVENOT VRIG NAUD, SCP MAGNA-BORIES-CAUSSE-CHABBERT

CA Nîmes n° 13/05146

15 octobre 2014

Vu le jugement rendu le 31/10/2013 par le tribunal de commerce de Nîmes,

Vu la déclaration d'appel de la S.A.S NEMERY et CALMEJANE en date du 14/11/2013 intimant la S.A.S VALERO FRANCE,

Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la mise en état le 21/02/2014 par la S.A.S NEMERY et CALMEJANE 21/02/2014, et le bordereau de pièces qui y est annexé,

Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la mise en état le 17/06/2014 par la S.A.S VALERO FRANCE, et le bordereau de pièces qui y est annexé,

Vu l'ordonnance de clôture de la procédure en date du 19/06/2014,

FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

Il convient de se reporter aux écrits des parties et à la procédure antérieure, notamment l'arrêt déjà rendu par la Cour en cette même affaire, pour plus ample exposé des faits de la cause, des moyens de droit et de fait des parties au soutien de leurs prétentions, et il convient et suffit d'exposer ici pour la compréhension autonome du présent arrêt :

Le 5 mars 2003, la S.A.S NEMERY et CALMEJANE a demandé l'enregistrement à l'Institut National de la Propriété Industrielle, de 93 modèles, parmi lesquels figuraient des articles d'art ménager comportant un décor constitué de brins de lavande stylisés noués de rubans jaunes et d'une cigale stylisée.

Reprochant à la S.A.R.L « Couleurs et Saveurs du Sud » de commercialiser des modèles de corbeille reproduisant ce décor, la S.A.S NEMERY et CALMEJANE a fait procéder, au siège de celle ci le 5 mai 2008, à la saisie descriptive pour contrefaçon de modèles, ainsi qu 'à la saisie réelle de modèles de corbeille argués de contrefaçon et du catalogue de leur vente.

Le 3 juin 2008, la S.A.S NEMERY et CALMEJANE a assigné devant le Tribunal de commerce de Nîmes la S.A.R.L « Couleurs et Saveurs du Sud » (vendeur ) , la s.a.r.l. « Européenne de Distribution » (distributeur grossiste ) et la S.A.S VALERO France (importateur international des produits contestés depuis la Chine ) , essentiellement pour demander la cessation sous astreinte de la contrefaçon et la réparation de son préjudice.

Le Tribunal de Commerce de Nîmes , par premier jugement du 15 mai 2009, a essentiellement

- fait interdiction aux sociétés ainsi assignées de fabriquer, faire fabriquer, importer ou commercialiser des modèles du type litigieux

- ordonné diverses astreintes

- ordonné une expertise, confiée à Guy SUEUR [ remplacé par jugement en date du 17/01/2012 par Jean ISNARD] , avant dire droit sur le préjudice de la S.A.S NEMERY et CALMEJANE .

La Cour d'appel par premier arrêt en date du 17/03/2011 a essentiellement jugé:

'

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, à l'exception de celles relatives à la durée et au point de départ des astreintes, et statuant à nouveau sur ces points,

[ suivent diverses dispositions relatives aux astreintes ]

Et ajoutant au jugement déféré,

Ordonne la publication par extraits du présent arrêt, aux frais de la s.a.s. « VALERO France » et de la s.a.r.l. « Couleurs et Saveurs du Sud », dans deux journaux ou revues au choix de la s.a.s. « NEMERY et CALMEJANE», sans que le coût de chacune de ces publications puisse excéder la somme de 3.000 euros hors taxes.

Déboute la s.a.r.l. « Couleurs et Saveurs du Sud» de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts .

Dit que la s.a.s. « VALERO France » et la s.a.r.l. « Couleurs et Saveurs du Sud » supporteront solidairement les dépens d'appel et payeront à la s.a.s. « NEMERY et CALMEJANE » une somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile. (...) '

L'expertise ainsi confirmée et confiée à l'expert judiciaire Jean ISNARD a été menée à son terme et déposée le 31/10/2012 (coût de l'expertise taxée à 3582 € avancé par la S.A.S NEMERY et CALMEJANE ).

L'expert a relevé que la S.A.R.L Européenne de distribution avait fait l'objet d'une liquidation judiciaire immédiate le 1/10/2008 et que la s.a.r.l. « Couleurs et Saveurs du Sud » avait fait l'objet d'une cessation d'activité le 8/11/2010.

Après expertise la S.A.S NEMERY et CALMEJANE ne concluait plus désormais qu'à l'encontre de la seule S.A.S VALERO FRANCE .

Le Tribunal de commerce de Nîmes, statuant par second jugement en date du 31/10/2013, dont présent appel, a retenu essentiellement que la S.A.S NEMERY et CALMEJANE ne justifiait contre la S.A.S VALERO FRANCE ' d'aucun préjudice personnel, direct et certain ', et en conséquence jugé :

'Vu les dispositions des articles L.335-2 et L.335-3 du Code de la Propriété Intellectuelle,

Vu le rapport d'expertise de Monsieur ISNARD, (...)

Déboute la SAS A.NEMERY ET CALMEJANE de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

REJETTE toutes autres demandes, fins et conclusions contraires;

CONDAMNE SAS A.NEMERY ET CALMEJANE aux dépens de l'instance (...) ainsi que tous autres frais et accessoires.'

* * *

La S.A.S NEMERY et CALMEJANE - appelante - fait essentiellement valoir que la contrefaçon représentait 13 600 pièces , qu'elle a subi un préjudice incontestable ( des ' conséquences économiques négatives' selon l'expert judiciaire ) qui s'analysent en manque à gagner et perte d'image pour elle même , et en bénéfices pour la S.A.S VALERO FRANCE ; que cela permet mathématiquement de calculer un préjudice commercial minimum ( 38 427 € ) , des bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits ( 7236 € ) et son préjudice moral résultant de cette concurrence par des produits médiocres et contrefaisants en violation de ses droits protégés .

Elle demande à la Cour au dispositif de ses dernières écritures :

(...)

INFIRMER en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal.

Vu l'article L. 331-1-3 du Code de la Propriété Intellectuelle

Vu le rapport d'expertise déposé le 31 octobre 2012 par Monsieur Jean ISNARD,

DIRE ET JUGER que le préjudice subi par la société NEMERY & CALMEJANE du fait des actes de contrefaçon artistique dont s'est rendue coupable la société VALERO FRANCE en important d'Asie des produits contrefaisants s'élève au minimum à la somme de 65.663 € se décomposant comme suit :

38.427 € au titre du préjudice commercial ;

-7.236 € au titre des bénéfices réalisés par la société VALERO FRANCE;

-20.000 € au titre du préjudice moral.

Condamner en conséquence la société VALERO FRANCE à verser à la société NEMERY & CALMEJANE la somme de 65.663 € à titre de dommages et intérêts.

Condamner la société VALERO FRANCE au paiement d'une somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du CPC ce compris les frais d'expertise qu'elle a réglés

Condamner la société VALERO France en tous les [ avec distraction ] '

* * *

La S.A.S VALERO FRANCE- intimée- fait essentiellement valoir qu'un préjudice n'est pas qu'un problème mathématique et qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'un problème de protection de marque ; que l'opération litigieuse concerne moins de 0.15 % du chiffre d'affaires de la S.A.S NEMERY et CALMEJANE qui doit démontrer son préjudice avec un lien de causalité avec la faute qui lui est reprochée; que ses bénéfices personnels sont inexistants sur cette affaire , dés lors que son client direct - le distributeur grossiste en procédure collective peu après - ne l'a jamais payé ; que le préjudice moral n'est pas démontré en son principe ni en son quantum ;

Elle demande à la Cour au dispositif de ses dernières écritures :

'Statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel interjeté par la société NEMERY ET CALMEJANE à l'encontre du Tribunal de Commerce de NIMES du 31 octobre 2013.

Débouter la société NEMERY ET CALMEJANE de l'ensemble de ses prétentions comme étant injustes et infondées.

Confirmer le jugement de première instance.

Condamner la société NEMERY ET CALMEJANE à payer à la SA VALERO la somme de 8.000 euros sur la base des dispositions de l'article 700 du CPC.

Condamner la société NEMERY ET CALMEJANE aux entiers dépens.'

SUR CE

Attendu qu'il ne ressort pas des pièces de la procédure d'irrecevabilité de l'appel que la Cour devrait relever d'office, et les parties n'élèvent aucune discussion sur ce point ;

Attendu que l'article L 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle , dont la S.A.S NEMERY et CALMEJANE demande application , dispose en sa version alors applicable - Loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007 - art. 32 JORF 30 octobre 2007 - ;

'Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte.':

Attendu que la loi demande en conséquence de prendre 'en considération' 'les conséquences économiques négatives' et ne dit pas que les dommages et intérêts sont de même montant que toutes les conséquences négatives , ni qu'ils doivent prendre en compte - et en totalité- les différents critères d'évaluation qu'il énonce à titre indicatif , et de plus non limitatif ( ' dont' ), et sans pondération particulière ;

Attendu que la Cour rappelle sur l'indemnisation du préjudice moral ou d'image qu'elle a par un précédent arrêt ordonné la publication ' par extraits du présent arrêt, aux frais de la s.a.s. « VALERO France » et de la s.a.r.l. « Couleurs et Saveurs du Sud », dans deux journaux ou revues au choix de la s.a.s. « NEMERY et CALMEJANE », sans que le coût de chacune de ces publications puisse excéder la somme de 3.000 euros hors taxes.';

Attendu qu'au regard du préjudice moral et en l'état de la nature de la contrefaçon invoquée, cette publication intervenue en 2011 pour des faits de 2008 est suffisante ; que la S.A.S NEMERY et CALMEJANE invoque des agissements de la S.A.S VALERO FRANCE ' ayant eu pour conséquence d'avilir et de banaliser [c'est elle qui souligne] considérablement les modèles de la société MÊME revêtus du décor contrefait' mais ne justifie au-delà de cette formulation au trait aggravé d'aucune réalité indemnisable ;

Attendu qu'au regard des éléments produits aux débats, il convient de souligner encore que la S.A.S VALERO FRANCE a vendu les produits litigieux avec une marge brute de 7236 € H.T selon l'expert ; que l'expert judiciaire a par ailleurs fait le calcul de la marge, qu'aurait faite la S.A.S NEMERY et CALMEJANE si elle avait vendu elle-même la totalité des produits contrefaits, ce qui est une approche théorique hasardeuse pour évaluer un préjudice réel, d'autant que l'on ne sait pas le nombre réellement vendu, en l'état de la procédure, des saisies et des astreintes ;

Attendu que la S.A.S VALERO FRANCE est malvenue de prétendre tirer partie du fait que la S.A.R.L ne l'aurait pas payée de sa créance, circonstance qui ne minore pas sa faute ni le préjudice qu'elle a pu causer ; qu'il a été dit supra en droit que cela n'était pas déterminant et pouvait même être indifférent pour le Code de la propriété intellectuelle ; que par ailleurs en fait cette allégation n'est pas démontrée , aucune déclaration de sa créance n'étant justifiée en la procédure collective du distributeur grossiste;

Attendu qu'en l'état des seuls justificatifs résultant des documents produits par la S.A.S NEMERY et CALMEJANE - qui a la charge de la preuve du préjudice qu'elle impute à la S.A.S VALERO FRANCE - , des condamnations notamment à publicité déjà intervenues et de l'interruption par la présente procédure des atteintes à ses droits , la Cour est en mesure d'évaluer à 9000 € l'ensemble des préjudices résultant des conséquences économiques négatives causés par la faute imputable à la S.A.S VALERO FRANCE ;

Attendu que le jugement sera en conséquence réformé en ce sens , la S.A.S VALERO FRANCE étant de plus condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel , outre les frais d'expertise , et à payer une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La Cour

Statuant publiquement et contradictoirement , en dernier ressort,

Dit recevable l'appel de la S.A.S NEMERY et CALMEJANE,

Réformant partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau,

Condamne la S.A.S VALERO FRANCE à payer à la S.A.S NEMERY et CALMEJANE la somme de 9000 € en indemnisation de son préjudice pour contrefaçon de modèle,

Déboute les parties de leurs autres ou plus amples demandes,

Condamne la S.A.S VALERO FRANCE à payer à la S.A.S NEMERY et CALMEJANE la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la S.A.S VALERO FRANCE aux dépens de première instance et aux dépens d'appel , en ce compris les frais d'expertise judiciaire de Jean ISNARD,

Dit que la SCP GUIZARD SERVAIS Avocats pourra recouvrer contre la partie ci dessus condamnée ceux des dépens dont il aura été fait l'avance sans en recevoir provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.