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Décisions

ADLC, 26 septembre 2013, n° 13-DCC-133

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif d’une activité de la société Daher International par le groupe Norbert Dentressangle

ADLC n° 13-DCC-133

25 septembre 2013

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 23 août 2013, relatif à la prise de contrôle exclusif par le groupe Norbert Dentressangle d’actifs appartenant à la société Daher International, formalisée par un contrat de cession signé le 15 juillet 2013 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;

Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. Le groupe Norbert Dentressangle est un groupe français actif dans les secteurs de la logistique, du transport et du commissionnement de transport (« freight forwarding »). La société tête du groupe, Norbert Dentressangle SA, est cotée sur le marché Eurolist d’Euronext Paris. La société Norbert Dentressangle Overseas (ci-après « NDO »), filiale à 100 % de Norbert Dentressangle SA, est la société holding de la division freight forwarding du groupe Norbert Dentressangle. La société Norbert Dentressangle Overseas France (ci-après « NDO France »), filiale à 100 % de la société NDO, gère les activités de freight forwarding du groupe Norbert Dentressangle pour la France.

2. La société Daher International appartient au groupe Daher, qui est un équipementier intervenant essentiellement dans le secteur de l’aéronautique et de la défense, du nucléaire et de l’énergie, ainsi que des biens d’équipement.

3. En vertu du contrat de cession signé le 15 juillet 2013, il est prévu que les sociétés NDO France et NDO acquièrent, auprès de la société Daher International, respectivement un fonds de commerce situé en France, dont l’activité de commissionnement de transport est exercée en France au travers de huit agences située près des principaux ports et aéroports, et une filiale située en Russie, la société Daher CIS (ci-après « Daher CIS »), également active dans le secteur du commissionnement de transport. En ce qu’elle se traduit par l’acquisition du contrôle exclusif d’une activité de la société Daher International par le groupe Norbert Dentressangle, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (groupe Norbert Dentressangle : […] d’euros pour le dernier exercice clos au 31 décembre 2012 ; fonds de commerce cible et Daher CIS : […] d’euros pour le dernier exercice clos au 31 décembre 2012). Deux au moins de ces entreprises réalisent en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (groupe Norbert Dentressangle : […] d’euros pour le dernier exercice clos au 31 décembre 2012 ; fonds de commerce cible et Daher CIS : […] d’euros pour le dernier exercice clos au 31 décembre 2012). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatives à la concentration économique.

 

II. Délimitation des marchés pertinents

5. La présente opération emporte un chevauchement d’activités sur le marché du commissionnement de transport, ou « freight forwarding ».

6. Le groupe Norbert Dentressangle est également présent dans les secteurs du transport de marchandises et de la logistique, qui sont généralement considérés comme étant verticalement liés à l’activité de commissionnement de transport. Ils seront donc analysés au titre des effets verticaux.

 

A. LE COMMISSIONNEMENT DE TRANSPORT

7. Selon les autorités de concurrence française et européenne, l’activité de commissionnement de transport, ou « freight forwarding » se définit comme « l’organisation du transport de marchandises (pouvant inclure, outre le transport lui-même, divers autres services, tels que le dédouanement ou le magasinage) pour le compte de clients en fonction de leurs besoins »1.

8. Au sein du commissionnement de transport, les autorités de concurrence ont considéré2 une segmentation plus fine de ce marché selon (i) le mode de transport utilisé soit par voie aérienne, maritime ou terrestre (incluant le transport ferroviaire et routier) ou selon (ii) le caractère national ou international du transport. S’agissant du commissionnement de transport terrestre, la distinction entre le commissionnement en transport routier et ferroviaire a été envisagée, mais la délimitation exacte de ce marché a été laissée ouverte3. Elle n’a pas d’incidence sur les conclusions de l’analyse concurrentielle au cas d’espèce.

9. La pratique décisionnelle française4 et européenne5 a considéré que le marché du transport routier de marchandises et ses segmentations revêtent généralement une dimension nationale et évoluent vers une dimension européenne. En l’espèce, la question de la délimitation géographique de ce marché peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées quelle que soit l’hypothèse retenue.

 

B. LE TRANSPORT DE MARCHANDISES

10. Comme l’indique la Commission européenne, « le marché du transport ferroviaire de marchandises est bien un marché en amont du "freight forwarding" terrestre, puisque ce dernier repose sur l'utilisation de divers moyens de transports terrestres tels que la route, le rail, ou les voies de navigations intérieures qui peuvent en général être utilisés indifféremment par les opérateurs. »6

11. La pratique décisionnelle française et européenne a opéré7 une distinction entre (i) le transport aérien, (ii) le transport maritime et (iii) le transport terrestre de marchandises et a retenu une segmentation plus fine du marché du transport terrestre de marchandises selon que le transport s’opère par train, par route, par voie navigable ou par pipeline8.

12. Au sein du transport routier de marchandises, plusieurs segmentations ont été envisagées par la pratique décisionnelle selon (i) le caractère domestique ou transfrontalier du transport9, (ii) le type de produits transportés10 (le marché du transport de matières dangereuses11 ou de marchandises sous température dirigée12 ont été considérés comme des marchés spécifiques) (iii) le type d’offres proposées (transport dédié, transport par camions complets, transport par lot ou groupes de lots, et transport par messagerie)13, et (iv) le mode de conditionnement (transport de marchandises conditionnées, transport de marchandises en vrac)14.

13. En tout état de cause, la question de la segmentation des marchés peut être laissée ouverte, dans la mesure où, quelle que soit l’hypothèse retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeureront inchangées.

14. La pratique décisionnelle française15 et européenne16 a considéré que le marché du transport routier de marchandises et ses segmentations revêtent généralement une dimension nationale et évoluent vers une dimension européenne17. La délimitation exacte de ces marchés a toutefois été laissée ouverte18. Elle ne modifie pas les conclusions de l’analyse concurrentielle au cas d’espèce.

 

C. LES SERVICES LOGISTIQUES

15. La Commission européenne estime que le commissionnement de transport peut être considéré comme situé en amont du marché des services de logistique, dans la mesure où les sociétés qui fournissent des prestations logistiques sont susceptibles de proposer à leurs clients des prestations de commissionnement de transport19.

16. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence a défini les services de logistique comme associant « les différents maillons d’une chaîne d’approvisionnement de marchandises entre un point d’origine et un point d’arrivée, et ce afin de gérer de manière optimale le flux et le stockage desdites marchandises. Cette activité peut s’assimiler à une offre globale, dans la mesure où elle combine un ensemble de services tels que, notamment, le stockage, l’inventaire des stocks, la prise de commande et le transport de marchandises en un temps et un lieu définis par le client »20.

17. Des segmentations plus étroites des services logistiques ont été par ailleurs envisagées par les autorités de concurrence nationales, s’agissant notamment des produits « grand froid », transportés sous température négative21. Les autorités de concurrence22 ont également envisagé plusieurs segmentations possibles du marché des prestations logistiques, en fonction notamment de son caractère domestique ou transfrontalier, du type de produits transportés ou des clients servis (IAA, GMS, RHF)23. La question de la définition exacte du marché est toutefois restée ouverte. La Commission européenne a cependant généralement considéré, tout en laissant la question ouverte, que les services de logistique constituaient un marché, quelle que soit, notamment, la nature de la marchandise (denrées périssables, produits toxiques, produits inflammables, etc…), compte tenu du fait, par exemple, que la majorité des opérateurs de logistique peuvent s’adapter facilement aux exigences de l’offre et de la demande.

18. En tout état de cause, la question de la segmentation des marchés peut être laissée ouverte, dans la mesure où, quelle que soit l’hypothèse retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeureront inchangées.

19. Selon la pratique des autorités nationale et communautaire de concurrence24, les marchés des services logistiques sont de dimension nationale. Il n’y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l’occasion de la présente décision.

 

III. Analyse concurrentielle

A. EFFETS HORIZONTAUX

20. Les parties ne sont simultanément présentes que sur le marché du « freight forwarding » transfrontalier, par voie terrestre (transport routier), aérienne et maritime. En France, la présence du groupe Norbert Dentressangle sur ces segmentations de marché est marginale (inférieure ou égale à [0-5] % pour chacun des segments) et n’est donc pas de nature à augmenter sensiblement le poids de la cible à l’issue de l’opération. La part de marché cumulée des parties sur chacune de ces segmentations de marché est par conséquent très faible et n’excède pas [0-5] % en France, et [0-5] % en Europe.

21. En outre, ce marché est particulièrement atomisé avec un nombre important d’entreprises. Ainsi, les parts de marché de chacun des principaux opérateurs du marché, à savoir Bolloré, Gefco, DHL, Kuehne+Nagel et Geodis n’excèdent pas [10-20] % sur le marché français. En Europe, aucun des concurrents du secteur ne totalise plus de [5-10] % de part de marché.

22. L’opération n’est donc pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur le marché des services de commissionnement de transport.

 

B. EFFETS VERTICAUX

23. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l’accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l’entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval ou les marchés amont lorsque la branche aval de l’entreprise intégrée refuse d’acheter les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux. Cependant, la pratique décisionnelle des autorités de concurrence écarte en principe les risques de verrouillage lorsque la part de l’entreprise issue de l’opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %.

24. En l’espèce, quelle que soit la délimitation de marché retenue, les parts de marché du groupe Norbert Dentressangle sur le marché du transport de marchandises et sur celui de la logistique sont très faibles et n’excèdent pas [5-10] % :

- s’agissant du marché du transport de marchandises, le groupe Norbert Dentressangle offre uniquement des prestations de transport routier de marchandises. Ses parts de marché sur ce secteur n’excèdent pas [5-10] %, quelle que soit la définition de marché retenue. Ses principaux concurrents français, SNCF Geodis, SDV, et Gefco ne totalisent pas plus de [10-20] % de part de marché chacun. En Europe, les parts de marché de DB Schenker, SNCF et DHL Freight n’excèdent pas [5-10] % ;

- s’agissant du marché de la logistique, la part de marché du groupe Norbert Dentressangle n’excède pas [5-10] %, quelle que soit la définition du marché concerné. Les principaux concurrents du groupe en France, à savoir Geodis, Kuehene+Nagel et DHL ne détiennent pas plus de [10-20] % de part de marché.

25. Il résulte de ce qui précède que l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux.

 

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 13-120 est autorisée.

 

NOTES :

1 Voir notamment les décisions de la Commission européenne COMP/M.4045 Deutsche Bahn/Bax Golbal du 22 décembre 2005, COMP/M.5480 Deutsche Bahn/PCC Logistics du 12 juin 2009, et COMP/M.5877 Géodis/Giraud du 14 juillet 2010, ainsi que les décisions de l’Autorité de la concurrence 09-DCC-40 du 4 septembre 2009 relative à l’acquisition par Géodis d’agences commerciales de Cool Jet et 13-DCC-02 du 7 janvier 2013 relative à la création d’une entreprise commune par les sociétés Routière de l’Est Parisien et Compagnie Maritime Marfret.

2 Voir notamment les décisions de la Commission COMP/M.5096 RCA/MAV Cargo du 28 novembre 2008, les décisions COMP/M.5480 et COMP/M.5877 précitées, et la décision de l’Autorité 09-DCC-40 précitée.

3 Voir la décision de la Commission COMP/M.5096 précitée et la décision COMP/M.4786 Deutsche Bahn/Transfesa du 18 mars 2008.

4 Voir notamment la décision de l’Autorité 09-DCC-40 précitée et la décision 10-DCC-26 du 26 mars 2010 relative à l'acquisition par Geodis de Ciblex

5 Voir notamment les décisions de la Commission COMP/M.4045, COMP/M.5480 et COMP/M.5877 précitées et les décisions de l’Autorité 09-DCC-40 et13-DCC-02 précitées.

6 Décision de la Commission COMP/M.5877 précitée.

7 Voir notamment la décision de l’Autorité 09-DCC-13 du 16 juin 2009 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Giraud CEE et Giraud Sidérurgie par la société Geodis et les décisions de la Commission COMP/M.5480 et COMP/M.5877 précitées.

8 Voir notamment la décision de la Commission européenne COMP/M.4746 Deutsche Bahn/EWS du 6 novembre 2007

9 Voir la décision 09-DCC-13 précitée.

10 Voir les lettres du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie C 2004-85 du 2 septembre 2004 relative à une concentration dans le secteur des transports routiers de produits pétroliers, C 2005-116 du 9 décembre 2005 relative à une concentration dans le secteur du transport routier de marchandises sous température dirigée et C 2005-36 du 6 janvier 2006 au conseil de la société STEF-TFE, relative à une concentration dans le secteur de l’entreposage frigorifique et la décision de l’Autorité de la concurrence 11-DCC-33 du 24 février 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société SAS Transports Roger et Cie et du fonds de commerce de la société Renaud Distribution par la société Transport G Gautier.

11 Voir la lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie C 2004-85 précitée et la décision de la Commission COMP / M.6059 Norbert Dentressangle/Laxey Logistics du 23 avril 2011.

12 Voir les lettres du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie C 2005-36 et C 2005-116 précitées.

13 Voir notamment les lettres du ministre de l’économie C 2007-70 du 4 juillet 2007 au Président Directeur Général de la société Transalliance SA, relative à une concentration dans le secteur des transports routiers de marchandises, C 2006-130 du 7 décembre 2006 Butler Capital Partners / Sernam , et les décisions de l’Autorité 09-DCC-13 précitée, 09-DCC-74 du 14 décembre 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Lovefrance SAS par la société Groupe Berto et 11-DCC-206 du 27 décembre 2011 relative à la prise de contrôle exclusif d’actifs du groupe Mory par la société Caravelle.

14 Voir la décision 09-DCC-13 précitée et la lettre C 2005-110 en date du 29 novembre 2005 relative à une concentration dans les secteurs du transport routier de marchandises et de la logistique.

15 Voir les décisions de l’Autorité 09-DCC-40 10-DCC-26 précitées.

16 Voir la décision de la Commission COMP/M.5096 précitée et la décision de la Commission COMP/M.4746 Deutsche Bahn/EWS du 6 novembre 2007.

17 Voir la décision de l’Autorité 09-DCC-13 précitée, la décision 09-DCC-74 du 14 décembre 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Lovefrance SAS par la société Groupe Berto, et la décision de la Commission COMP/M.5877 précitée.

18 Voir la décision de l’Autorité 13-DCC-02 précitée.

19 Voir les décisions de la Commission COMP/M.3492 Exel.Tibbet & Britten du 3 août 2004 ; COMP/M.3496 TNT Forwarding Holding/Wilson Logistics du 2 août 2004 et COMP/M.3971Deutsche Post/Exel du 24 novembre 2005.

20 Voir notamment les décisions de l’Autorité 10-DCC-48 du 2 juin 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Amonite SAS par la société Manuloc SA et 11-DCC-79 du 16 mai 2011 relative à la prise de contrôle conjoint de Transcosatal Finances par les sociétés Satar, Chabas et STEF-TFE Transport.

21 Voir notamment la décision de l’Autorité11-DCC-79 précitée.

22 Voir notamment la décision de la Commission COMP/M.6059 précitéeet la décision 12-DCC-137 du 21 septembre 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société KL Services par le groupe STEF.

23 Voir notamment la décision de la Commission COMP/M.6059 précitée.

24 Voir par exemple la décision de l’Autorité 09-DCC-13 précitée ainsi que la décision 13-DCC-08 du 16 janvier 2013 relative à la prise de contrôle exclusif d’Alpha Direct Services par Rakuten Europe.