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Décisions

ADLC, 18 octobre 2013, n° 13-DCC-143

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe Dejean d’un hypermarché détenu par le groupe Carrefour

ADLC n° 13-DCC-143

17 octobre 2013

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé au service des concentrations le 13 septembre 2013, relatif à la prise de contrôle exclusif par le groupe Dejean d’un fonds de commerce d’hypermarché détenu par le groupe Carrefour, formalisé par une lettre d’intention en date du 22 juillet 2013 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les informations complémentaires transmises par les parties au cours de l’instruction ;

Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. Dejean Holding est la société à la tête d’un groupe de sociétés (le « groupe Dejean ») actif dans la distribution à dominante alimentaire. Le groupe Dejean détient et exploite 7 hypermarchés et supermarchés, actuellement exploités sous enseigne Hyper U et Super U. Le groupe Dejean est intégralement contrôlé par la famille Dejean.

2. Le groupe Carrefour, présent dans le secteur du commerce de détail à dominante alimentaire ainsi que dans la distribution en gros à dominante alimentaire exploite en France des hypermarchés sous enseignes Carrefour et Champion et des supermarchés sous enseignes Champion et Carrefour Market. Il exploite également des magasins de proximité sous enseigne Carrefour City, Carrefour Contact, Shopi, 8 à Huit, Marché plus et Proxi. Carrefour conclut également, avec des sociétés exploitant des magasins de commerce de détail à dominante alimentaire, des contrats d’enseigne et d’approvisionnement qui permettent à ces sociétés d’exploiter leurs points de vente sous l’une des enseignes du groupe Carrefour, de s’approvisionner auprès des centrales d’achat de Carrefour, de bénéficier de conditions d’achat négociées par Carrefour auprès de fournisseurs référencés par Carrefour, et de bénéficier des services offerts par Carrefour. Le groupe Carrefour détient notamment, par le biais de la société LV-DIS, un hypermarché d’une surface de vente de 7 499 m² situé à Issoire (63).

3. Les parties ont signé le 22 juillet 2013 une lettre d’intention aux termes de laquelle la société LV-DIS donnera en location-gérance à une société du groupe Dejean le fonds de commerce de l’hypermarché situé à Issoire (63)1. Ce contrat sera conclu pour une durée de […] et […].

4. S’agissant de prise de contrôle sur une base contractuelle, la Commission européenne a indiqué dans sa communication consolidée2 que « la prise de contrôle peut également être réalisée sur une base contractuelle. Afin de conférer un contrôle, le contrat doit conduire à un contrôle de la gestion et des ressources de l’autre entreprise équivalant à celui obtenu par l’acquisition d’actions ou d’éléments d’actifs. Outre le transfert du contrôle de la direction et des ressources, ces contrats doivent se caractériser par une durée extrêmement longue (habituellement sans possibilité de dénonciation anticipée par la parité octroyant les droits contractuels). Seul ce type de contrat peut induire une modification structurelle du marché. Des exemples de tels contrats sont les contrats organisationnels conclus en vertu du droit national des sociétés ou d’autres types de contrats revêtant par exemple la forme de convention de location-gérance des activités, par lesquels l'acquéreur acquiert le contrôle de la gestion et des ressources en dépit du fait que les droits de propriété ou les actions ne sont pas transférés ». La Commission a, par ailleurs, indiqué qu’ « une durée déterminée n'exclut pas la possibilité d'une modification durable du contrôle lorsque [les] accords sont renouvelables »3.

5. S’agissant des contrats de location-gérance, définis par l’article L. 144-1 du code de commerce comme « tout contrat ou convention par lequel le propriétaire ou l'exploitant d'un fonds de commerce ou d'un établissement artisanal en concède totalement ou partiellement la location à un gérant qui l'exploite à ses risques et périls », le ministre de l’économie a relevé dans une décision antérieure4 que « bien que le loueur puisse imposer au locataire de veiller à empêcher toute dépréciation, diminution de rendement ou cessation d’exploitation du fonds et que le locataire doive, a priori, sauf disposition contraire, respecter la destination du fonds, il peut être admis que, dans le cadre d’un contrat standard et d’une façon générale, le locataire-gérant contrôle bien la conduite de la stratégie de l’entreprise »5.

6. Au cas d’espèce, [confidentiel]. Cette durée paraît suffisante pour considérer que le contrat de location-gérance, qui confère au groupe Dejean le contrôle de la direction et des ressources de l’hypermarché détenu par le groupe Carrefour, peut induire une modification structurelle des marchés de la distribution à dominante alimentaire6. Par conséquent la présente opération peut être considérée comme conduisant à une concentration au sens de l’article L. 430-1-I du code de commerce

7. Les entreprises concernées exploitent des magasins de commerce de détail et réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 75 millions d’euros (groupe Dejean : 162 millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2012 ; fonds de commerce cible : 71 millions d’euros pour le même exercice). Chacune réalise, en France, dans le secteur du commerce de détail, un chiffre d’affaires supérieur à 15 millions d’euros (groupe Dejean : 162 millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2012 ; fonds de commerce cible : 71 millions d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au point II de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

 

II. Délimitation des marchés pertinents

8. Selon la pratique constante des autorités nationale et communautaire de la concurrence7, deux catégories de marché peuvent être délimitées dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire8. Il s’agit, d’une part, des marchés « aval », de dimension locale, qui mettent en présence les entreprises de commerce de détail et les consommateurs pour la vente de biens de consommation et, d’autre part, des marchés « amont » de l’approvisionnement des entreprises de commerce de détail en biens de consommation courante, de dimension nationale.

 

A. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION

1. LES MARCHÉS DE SERVICE

9. En ce qui concerne la vente au détail des biens de consommation courante, les autorités de concurrence, tant communautaires que nationales9, ont distingué six catégories de commerce en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l’ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés, (ii) les supermarchés, (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail, (v) les maxi discompteurs, (vi) la vente par correspondance.

10. Les hypermarchés sont usuellement définis comme des magasins à dominante alimentaire d’une surface légale de vente égale ou supérieure à 2 500 m². Les supermarchés sont, pour leur part, usuellement considérés comme des magasins à dominante alimentaire d’une surface de vente inférieure à 2 500 m² et supérieure à 400 m². Ces seuils doivent néanmoins être utilisés avec précaution et peuvent être adaptés au cas d’espèce, lorsque des magasins ont une surface située à proximité d’un seuil, soit en dessous, soit au dessus, et peuvent se trouver en concurrence directe dans les faits10.

11. En l’espèce, le magasin concerné par l’opération occupe aujourd’hui une surface de vente de 7 499 m², il rentre donc dans la catégorie des hypermarchés.

 

2. DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE

12. Dans ses décisions récentes relatives à des opérations concernant des hypermarchés ou des supermarchés11, l’Autorité de la concurrence a rappelé qu’en fonction de la taille des magasins concernés, les conditions de la concurrence devaient s’apprécier sur deux zones différentes :

- un premier marché où se rencontrent d’une part la demande des consommateurs d’une zone et d’autre part l’offre des hypermarchés auxquels ils ont accès en moins de 30 minutes de déplacement en voiture et qui sont, de leur point de vue, substituables entre eux ;

- un second marché où se rencontrent d’une part la demande de consommateurs et d’autre part l’offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture. Ces dernières formes de commerce peuvent comprendre, outre les supermarchés, les hypermarchés situés à proximité des consommateurs et les magasins discompteurs.

13. D’autres critères peuvent néanmoins être pris en compte pour évaluer l’impact d’une concentration sur la situation de la concurrence sur les marchés de la distribution de détail, ce qui peut conduire à affiner les délimitations usuelles.

14. En l’espèce, le magasin concerné entrant dans la catégorie des hypermarchés, l’analyse concurrentielle sera menée sur les deux marchés, celui incluant les hypermarchés situés dans un rayon de 30 minutes autour d’Issoire (63) et celui incluant l’ensemble des hypermarchés, supermarchés et maxi-discompteurs localisés dans une zone de chalandise de 15 minutes autour d’Issoire (63).

B. MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT

15. En ce qui concerne les marchés de l’approvisionnement, la Commission européenne12 a retenu l’existence de marchés de dimension nationale par grands groupes de produits, délimitation suivie par les autorités nationales13.

16. Il n’y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l’occasion de la présente opération.

 

III. Analyse concurrentielle

A. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION

17. Sur le marché comprenant les hypermarchés situés dans une zone de chalandise de 30 minutes en voiture autour d’Issoire (63), l’hypermarché cible représente 11 % des surfaces de vente. Un hypermarché sous enseigne Carrefour Market, situé à Brioude, est également présent dans cette zone. Au total, les enseignes du groupe Carrefour représentent 17 % des surfaces de vente de la zone. Ces magasins font face à la concurrence des hypermarchés exploités sous les enseignes Leclerc (19 % des surfaces de vente dans la zone concernée), Cora/Match/Francap (18 %), Auchan (18 %), Casino (17 %) et Intermarché (12 %).

18. Sur le marché comprenant l’ensemble des hypermarchés, supermarchés et maxi-discompteurs situés dans un rayon de 15 minutes autour d’Issoire (63), le magasin cible représente 52,8 % de l’ensemble des surfaces de vente à dominante alimentaire. Toutefois, aucun autre magasin sous enseigne Carrefour ne figure dans cette zone, l’opération n’y entraînant aucune modification de la structure de la concurrence.

19. En conséquence, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés aval.

 

B. MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT

20. En ce qui concerne les marchés amont de l’approvisionnement, l’opération, qui ne concerne qu’un seul magasin déjà exploité sous l’enseigne Carrefour, n’est pas susceptible de renforcer la puissance d’achat du groupe, tous produits confondus comme par grands groupes de produits.

21. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence tant sur le marché aval que sur le marché amont de l’approvisionnement.

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 13-157 est autorisée.

 

NOTES :

1 [Confidentiel].

2 Paragraphe 18 de la communication consolidée sur la compétence de la commission en vertu du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, publiée dans le Journal officiel de l’Union européenne du 16 avril 2008, rectifiée le 21 février 2009.

3 Paragraphe 22 de la communication précitée.

4 Lettre du 20 mars 2003 du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, au conseil de la société Feu Vert, relative à une concentration dans le secteur de la réparation, de l’entretien et de la vente de pièces détachées et accessoires automobiles.

5 Voir également la décision de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-46 du 28 septembre 2009 relative à la prise en location-gérance par la société Distribution Casino France d’un hypermarché détenu par la société Doremi.

6 A titre de comparaison, il peut être relevé que la Commission, pour l’opération Deutsche Bahn/ECT International/United Depots/JV intervenant dans un secteur différent de celui de la présente opération, a considéré qu’une durée de contrat de 8 ans étant suffisante pour induire une modification structurelle du marché.

7 Voir notamment les décisions de la Commission M.946 Intermarché/Spar du 30 juin 1997, M.991 Promodès/Casino du 30 octobre 1997 et M.1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000. Voir également les avis du Conseil de la concurrence n° 97-A-14 du 1er juillet 1997 relatif à la prise de participation de la société Carrefour dans le capital de la société Grands Magasins B (GMB), n° 98-A-06 du 5 mai 1998 relatif à l’acquisition par la société Casino-Guichard-Perrachon de la société TLC Béatrice Holdings France SA et n° 00-A-06 du 3 mai 2000 relatif à l’acquisition par la société Carrefour de la société Promodès.

8 Décisions de la Commission M.1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000 et M.2115 Carrefour/GB du 28 septembre 2000. Voir également la lettre du Ministre C2005-98 du 10 novembre 2005 aux conseils du groupe Carrefour, relative à une concentration dans le secteur de la grande distribution alimentaire.

9 Lettres du Ministre C2005-98 du 10 novembre 2005 aux conseils du groupe Carrefour, relative à une concentration dans le secteur de la grande distribution alimentaire ; C2006-15 du 14 avril 2006, relative à une concentration dans le secteur de la grande distribution alimentaire ; C2007-154 du 3 décembre 2007, au conseil de la société Système U Centrale Régionale Sud, relative à une concentration dans le secteur de la grande distribution alimentaire ; C2007-172 du 13 février 2008 à Monsieur le Président du groupe Carrefour, relative à une concentration dans le secteur de la grande distribution alimentaire ;C2008-32 du 9 juillet 2008 au Président de la société Amidis & Compagnie, relative à une concentration dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire.

10 Voir notamment les décisions n° 09-DCC-04 du 29 avril 2009 relative à la prise de contrôle de la société Noukat par la société d’Exploitation Amidis & Cie SAS, filiale du groupe Carrefour ; n° 09-DCC-27 du 24 juillet 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société FRG par le groupe Carrefour, et l’avis du Conseil de la concurrence n° 00-A-06 du 3 mai 2005 relatif à l’acquisition par la société Carrefour de la société Promodès.

11 Voir notamment les décisions n° 09-DCC-04 du 29 avril 2009 relative à la prise de contrôle de la société Noukat par la société d’Exploitation Amidis & Cie SAS, filiale du groupe Carrefour ; n° 09-DCC-06 du 20 mai 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Evolis SAS par la société ITM Entreprises ; n° 09-DCC-10 du 28 mai 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Frandis par la société Financière Perdis ; n° 09-DCC-24 du 23 juillet 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Floritine par la société CSF, filiale du groupe Carrefour.

12 Voir les décisions de la Commission M.1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000 et M.2115 Carrefour/GB du 28 septembre 2000.

13 Voir notamment les décisions C2007-172 Carrefour Plane/Plamidis du 13 févier 2008, C2006-15 Amidis/Hamon du 14 avril 2006, 2005-98 Carrefour/Penny market du 19 novembre 2005.