ADLC, 25 novembre 2016, n° 16-DCC-183
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle exclusif de la société Latécoère Services par le groupe ADF
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 20 octobre 2016, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Latécoère Services par le groupe ADF, formalisée par une lettre d’option de vente en date du 30 septembre 2016 et un projet de contrat de cession d’actions ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ; Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération ;
1. La société ADF et ses filiales (ci-après, « ADF ») offrent des services de maintenance industrielle, qui comprennent l’ingénierie, l’entretien, la modernisation et la reconstruction d’équipements industriels, principalement dans les secteurs des centrales nucléaires, des installations de production d’énergie conventionnelle et de la pétrochimie et aéronautique. ADF est également actif dans les domaines du nettoyage industriel, de la collecte de déchets industriels, des services de gestion et de maintenance multi-technique ainsi que la fourniture de générateurs (hydrauliques, électriques, climatisation). ADF est exclusivement contrôlée par[confidentiel], ce dernier ne contrôlant aucun autre activité économique.
2. La société Latécoère Services et ses filiales (ci-après, « Latécoère ») offrent des services d’ingénierie dans le secteur aéronautique, des services d’installation de lignes de production et de chaînes d’assemblage, ainsi que des services de métrologie. Préalablement à l’opération, Latécoère Services est exclusivement contrôlée par la société Latécoère.
3. Aux termes d’un projet de contrat de cessions en date du 30 septembre 2016, ADF acquerra 100 % du capital et des droits de vote de Latécoère Services. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de Latécoère par ADF, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
4. Les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d’affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros au dernier exercice clos (ADF : 269,1 millions d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2015 ; Latécoère Services : […]millions d’euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé, en France, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (ADF : […] millions d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2015 ; Latécoère Services : […]millions d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
5. Les parties sont simultanément présentes sur les marchés de l’ingénierie et des études techniques, ainsi que sur les marchés du génie mécanique.
A. DELIMITATION DES MARCHES DE SERVICES
1. LES MARCHES DE L’INGENIERIE ET DES ETUDES TECHNIQUES
6. Les services en ingénierie et études techniques correspondent à l’ensemble des prestations fournies au cours du cycle de vie d’un produit (R&D, développement, ingénierie et process, réalisation, exploitation et maintenance)1. Ces services concernent de nombreux secteurs économiques tels que l’industrie, l’énergie, le transport, l’environnement, le BTP et les services publics.
7. Les autorités de concurrence, tant française2 qu’européenne3, ont envisagé plusieurs segmentations de ce marché sans trancher définitivement la question.
8. Elles ont ainsi envisagé de définir un marché du conseil en technologies4, un marché de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage, distincts des autres services en ingénierie et études techniques. Elles ont également segmenté le marché des services d’ingénierie en fonction des secteurs d’intervention, en distinguant les secteurs de l’aéronautique, de la défense, des télécommunications, de l’énergie, du ferroviaire, du transport, de l’industrie, de la banque et de l’assurance peuvent être considérés comme autant de marchés pertinents.
5 . Pour certains de ces secteurs, comme l’aérospatial, la Commission européenne6 a envisagé une sous-segmentation entre les études techniques générales et les études techniques spécialisées.
9. En l’espèce, Latécoère et ADF fournissent des services d’ingénierie et d’études techniques essentiellement à destination du secteur aéronautique. Latécoère offre des études techniques spécialisées alors qu’ADF offre des études techniques généralistes.
10. La question de la délimitation exacte des marchés de l’ingénierie et des études techniques peut toutefois être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées quelle que soit l’hypothèse retenue.
2. LES MARCHES DU GENIE ELECTRIQUE, MECANIQUE ET CLIMATIQUE
11. La pratique décisionnelle7 a retenu plusieurs critères de délimitation des marchés pertinents en fonction de la nature du service (génie électrique, génie mécanique ou génie climatique), du type de travaux (installation ou maintenance) et du type de clientèle (résidentiel ou non résidentiel). Au sein du segment non résidentiel, une distinction a été envisagée entre l’industrie, le tertiaire et les infrastructures.
12. En l’espèce, les parties exploitent des agences spécialisées dans les travaux de génie mécanique qui consistent en l’installation et la maintenance de sites industriels.
13. La question de la délimitation exacte des marchés du génie mécanique peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielles demeurant inchangées quelles que soient les délimitations retenues.
B. DELIMITATIONS DES MARCHES GEOGRAPHIQUES
1. LES MARCHES DE L’INGENIERIE ET DES ETUDES TECHNIQUES
14. La pratique décisionnelle a généralement considéré que les marchés de l’ingénierie et des études techniques étaient de dimension nationale8. Elle a néanmoins aussi envisagé que ces marchés puissent être de dimension infranationale9 selon le type de clientèle et les missions concernées.
15. En l’espèce, la dimension géographique précise des marchés de l’ingénierie et des études techniques peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelles que soient les segmentations retenues.
2. LES MARCHES DU GENIE MECANIQUE
16. La pratique décisionnelle examine les effets d’opérations de concentration sur les marchés du génie mécanique aux niveaux national et régional. Elle a en effet relevé que les principaux acteurs en génie mécanique étaient implantés au niveau national, mais qu’un nombre significatifs d’acteurs étaient de taille régionale10.
17. En l’espèce, la dimension géographique précise des marchés du génie mécanique peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées, quelles que soient les segmentations retenues.
III. Analyse concurrentielle
1. SUR LES MARCHES D’INGENIERIE ET DES ETUDES TECHNIQUES
18. Comme l’a déjà relevé l’Autorité11, en matière d’ingénierie et des études techniques, l’offre est hétérogène et atomisée. Parmi les opérateurs dont l’ingénierie constitue l’activité principale, les filiales spécialisées de grands groupes industriels ainsi que les bureaux d’études de taille variable doivent être pris en compte.
19. Au niveau national, sur le marché de l’ingénierie et des études techniques, tous domaines d’activité confondus, la partie notifiante a estimé les parts de marché de la nouvelle entité en 2014 à[0-5] % pour ADF et[0-5] % pour Latécoère Services, soit une part de marché cumulée de [0-5] %12.
20. Sur le marché de l’ingénierie et des études techniques à destination du secteur de l’aérospatial, la part de marché de la nouvelle entité serait de [5-10] % ([0-5] % pour ADF et [5-10] % pour Latécoère Services). La nouvelle entité demeurera confrontée à la concurrence d’importantes sociétés telles qu’Altran ([20-30] %), Assystem ([20-30] %), Alten ([10-20] %) et Ortec ([10- 20] %).
21. Au niveau infranational, la part de marché de la nouvelle entité restera inférieure à 2 % dans les régions où les activités des parties se chevauchent13.
22. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés de l’ingénierie et des études techniques.
2. SUR LES MARCHES DU GENIE MECANIQUE
23. Au niveau national, sur le marché du génie mécanique à destination du secteur industriel, la nouvelle entité détiendra une part de marché estimée à [10-20] % ([5-10] % pour ADF et [0- 5] % pour Latécoère). Elle restera confrontée à des opérateurs importants, tels que les sociétés Ponticelli ([20-30] %), Cofely Endel ([10-20] %), CNIM ([10-20] %) et Vinci Energie ([10- 20] %).
24. Sur le marché des travaux d’installation, sa part de marché sera de [5-10] % ([0-5] % pour ADF et [0-5] % pour Latécoère). Sur le marché des travaux de maintenance, où seule ADF est active, sa part de marché sera de [10-20] %.
25. Au niveau infranational, la nouvelle entité détiendra des parts de marchés inférieures à 5 % dans les régions où les activités des parties se chevauchent.
26. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés du génie mécanique à destination du secteur industriel.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 16-202 est autorisée.
NOTES
1 Voir notamment les lettres du ministre de l’économie du 29 avril 2003 au conseil de la société Assystem relative à une concentration dans le secteur de l’ingénierie et du 27 novembre 2003 aux conseils de la société Brime Technologies, relative à une concentration dans le secteur du conseil et de l’ingénierie ainsi que les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-71 du 8 décembre 2009 relative à la fusion du groupe Coteba et du groupe Sogreah, n° 10-DCC-164 du 18 novembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de IOSIS Holding par EGIS SA, n° 11-DCC-20 du 7 février 2011 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe APTUS par le groupe AUSY et n° 15-DCC-100 du 22 juillet 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Matis par la société Akka Technologies.
2 Voir les lettres du ministre de l’économie du 29 avril 2003 et du 27 novembre 2003 précitées ainsi que du 10 septembre 2003 aux conseils de la société Pininfarina, relative à une concentration dans les secteurs du design et de l’ingénierie automobile et du 19 octobre 2007 au conseil de la société Akka Technologies.
3 Décision de la Commission européenne n° M.2645 Saab / WM-Data AB / Saab Caran / JV du 6 décembre 2001.
4 Voir la lettre du ministre de l’économie du 19 octobre 2007 précitée.
5 Voir notamment la lettre du ministre de l’économie du 27 novembre 2003 et les décisions n°11-DCC-131 et n° 14-DCC-08 précitées.
6 Décision de la Commission européenne M.2645 précitée.
7 Voir notamment les décisions du ministre C2008-117, C2007-115, C2008-3 ainsi que les décisions de la Commission européenne N°IV/M.874 – Amec Financière Spie Batignolles /Spie Batignolles du 6 février 1997 ; du 31 août 2012, Vinci / EVT Business, COMP / M.6623 et du 26 mars 2010, Vinci / Cegelec, n° COMP / M.5701 ; les décisions de l’Autorité n° 09-DCC-30 du 29 juillet 2009 relative à l’acquisition des sociétés E.T.C.M. et GER2I Ensemblier par la société EIFFEL Participations (groupe EIFFAGE) ; n° 13-DCC-29 du 5 mars 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Gobé SAS par la société Scopele, n° 15-DCC-09 du 12 février 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de la société JF Cesbron SAS par la société Dalkia SA et n°15-DCC-86 du 8 juillet 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de la société CRAM par la société Dalkia SA.
8 Décision de l’Autorité de la concurrence n° 10-DCC-164 précitée.
9 Décision de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-71 précitée.
10 Voir les décisions précitées.
11 Voir par exemple la décision de l’Autorité de la concurrence n° 11-DCC-20 précitée ainsi que la décision n° 14-DCC-08 du 22 janvier 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe Ortec de la société Financière Sonovision.
12 Les parties ont estimé leurs positions à partir des statistiques publiées par l’INSEE et selon lesquelles le marché français de l’ingénierie a réalisé un chiffre d’affaires de 44,5 milliards d’euros en 2012.
13 Il s’agit des ex-régions administratives Provence-Alpes-Côte-D’azur, Midi-Pyrénées, Languedoc Roussillon, Île-de-France et Pays-de-la-Loire.