CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 6 février 2013, n° 10/22061
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Transfert Performance Sportive (SAS)
Défendeur :
Siic de Paris (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bartholin
Conseillers :
Mme Blum, Mme Reghi
Avocats :
Me Fromantin, Me Monin, Me Osseland
Par acte extrajudiciaire du 27 septembre 2006, la société Siic de Paris a donné congé à la société Transfert Performance Sportive dite Tps Conseil, pour le 31 mars 2007, avec refus de renouvellement et off re d'une indemnité d'éviction, des locaux situés [...] qu'elle lui avait donnés à bail commercial à compter du 1er décembre 1997 moyennant un loyer indexé de 4.400 francs par mois (8.049,31 €/an), hors taxes, charges comprises.
Une expertise a été ordonnée en référé le 16 mars 2007 sur l'indemnité d'éviction et l'indemnité d’occupation.
Par jugement rendu le 21 septembre 2010, le tribunal de grande instance de Paris a :
- dit que la société "Tps conseil" a droit au bénéfice du statut des baux commerciaux,
- fixé à la somme de 6.000 € l'indemnité d'éviction due par la société Siic de Paris,
- fixé à la somme annuelle de 9.504 € en principal, charges et taxes en sus, l'indemnité d’occupation due par la société "Tps Conseil" à compter du 1er avril 2007,
- condamné la société Siic de Paris aux dépens,
- rejeté le surplus des demandes.
La société Transfert Performance Sportive a relevé appel de cette décision le 15 novembre 2010. Par ses dernières conclusions du 12 novembre 2012, elle demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a fixé l'indemnité d'éviction à la somme de 6.000 €, fixé l'indemnité d'occupation et l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et de :
- fixer à la somme de 20.156,02 € l'indemnité d'éviction qui lui est due et condamner la société Siic de Paris au paiement de cette somme,
- déclarer prescrite la demande d'indemnité d'occupation formée par la société Siic de Paris et subsidiairement, fixer cette indemnité à la somme mensuelle de 707,25 €,
- condamner la société Siic de Paris à lui payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance,
- confirmer le jugement pour le surplus,
- condamner la société Siic de Paris à lui payer la somme de 2.582,38 € au titre du remboursement du dépôt de garantie,
- déclarer la société Siic de Paris mal fondée en toutes ses demandes,
- condamner la société Siic de Paris à lui payer la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux dépens dont distraction.
La société Siic de Paris, par ses dernières conclusions du 14 novembre 2012, demande à la cour d’infirmer le jugement et de :
- dire que la société Transfert Performance Sportive ne peut demander une valeur de droit au bail et subsidiairement, que cette valeur du droit au bail est nulle,
- dire que la société Transfert Performance Sportive ne peut pas non plus demander une indemnité de remploi, calculée sur la valeur nulle du droit au bail,
- fixer à 1.578,69 € le montant des indemnités accessoires dues à la société Tps,
- dire qu'elle pourra conserver le dépôt de garanti e au titre de la remise en état des locaux suite au départ de la société Transfert Performance Sportive,
- prenant acte de l'accord des parties, déclarer prescrite l'action en fixation de l'indemnité d’occupation statutaire,
- condamner la société Transfert Performance Sportive à lui payer la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction.
SUR CE,
Considérant qu'en premier lieu, la société Transfert Performance Sportive critique le jugement en ce qu'il a retenu une valeur de droit au bail de 4.000 € et fixé l'indemnité globale d'éviction à 6.000€, indemnités accessoires comprises ; qu'elle soutient que le différentiel de loyer retenu est trop faible puisque si le bail avait été renouvelé, le loyer aurait été plafonné tant au regard de la durée du bail expiré inférieure à 12 années que de la destination commerciale du bail qui contredit, selon elle, l'usage exclusif de bureau ; qu'elle ajoute qu'en toute hypothèse, il existe un différentiel de loyer entre la valeur locative de marché et le loyer de renouvellement, les locaux dont elle est évincée, occupés depuis plusieurs années, ne présentant pas les mêmes caractéristiques que des locaux nouvellement loués et le plus souvent rénovés ; qu'elle demande à ce que le rapport d’expertise soit entériné en ce qu'il a fixé la valeur du droit au bail à 15.000 € ; qu'elle demande par ailleurs la somme de 5.156,02 € au total au titre des indemnités accessoires dont elle dit justifier ;
Considérant que la société Siic de Paris réplique que, par application de l'article L 145-14 du code de commerce, l'indemnité d'éviction doit être égale au préjudice causé, qu'en l'espèce, dans le contexte d'un marché des bureaux en baisse, la société Transfert Performance Sportive a retrouvé de nouveaux locaux comparables aux anciens au prix de 10.000 € par an soit 357 € /m², que la valeur du droit au bail est nulle au regard du loyer du bail s'il avait été renouvelé, les locaux devant être maintenus et restitués par le locataire en parfait état ; qu'elle soutient à titre subsidiaire que le coefficient de capitalisation de 7 retenu par l'expert est surévalué s'agissant de locaux en étage et qu’il doit être fixé à 5 ; qu'elle accepte une somme de 2.040,35 € au titre des indemnités accessoires dont il conviendrait, selon elle, de déduire la franchise de loyer de 15 jours dont a bénéficié la société Transfert Performance Sportive pour son nouveau bail ;
Considérant que les locaux dont la société Transfert Performance Sportive a été évincée et qu'elle a quittés en mars 2012, sont situés [...] à proximité de la Bourse ; qu'ils se composent de deux bureaux, avec wc privatif sur le palier, que les parties se sont accordées devant l'expert judiciaire à voir retenus pour une surface de 29 m², plus 1 m² de wc, soit pour 30 m² au total ;
Considérant que ces locaux ont été donnés à bail à "destination exclusive de bureau à caractère commercial correspondante aux activités du preneur" ; que la société Transfert Performance Sportive a pour activité principale, selon les termes mêmes du contrat de bail, la "gestion en ressources humaines, prestations de services, conseil aux entreprises" ;
Considérant que la destination contractuelle est donc à usage exclusif de bureaux, la précision apportée du "caractère commercial", qui concerne la nature du bail, étant sans incidence au regard de la nature de l'activité du preneur qui est purement intellectuelle ; que de fait, l'expert judiciaire note, en page 7 de son rapport, les déclarations du dirigeant de la société Transfert Performance Sportive selon lesquelles l'activité de la société est "libérale et non commerciale, avec un usage exclusif de bureaux dans les lieux loués n'employant pas de personnel" ;
Considérant qu'aux termes de l'article L 145-14 du code de commerce, l'indemnité dite d'éviction est égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement ; que cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ;
Considérant qu'il est acquis en l'espèce que l'éviction n'a pas entraîné la perte du fonds, la société Transfert Performance Sportive ayant pu transférer ses bureaux à quelques centaines de mètres, [...], sans perte de clientèle ni de chiffre d'affaires ; que l'indemnité principale d'éviction doit donc s’apprécier comme une indemnité de transfert calculée en tenant compte de la valeur du droit au bail ;
Considérant que la valeur du droit au bail se calcule par l'application d'un coefficient dit de situation au différentiel annuel entre le montant du loyer du bail s'il avait été renouvelé et la valeur locative de marché ;
Considérant que contrairement à ce que soutient la société Transfert Performance Sportive, le prix du bail des locaux dont elle a été évincé n'aurait pas été plafonné si le bail avait été renouvelé, peu important que le bail expiré n'ait pas duré plus de 12 années, dès lors qu'en vertu de l'article R 145-11 du code de commerce, le prix du bail de locaux à usage exclusif de bureaux est fixé par référence aux prix pratiqués pour des locaux équivalents sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de références ;
Considérant qu'au vu des termes de comparaison dans le quartier, l'expert a retenu une valeur locative de 352 € le m² hors taxes et hors charges ce qui établit le prix du bail, s'il avait été renouvelé, à 10.560 € hors taxes et hors charges ; que ce prix est sensiblement celui du marché ;qu'il en est pour preuve que le locataire évincé a trouvé à se réinstaller à proximité immédiate dans des locaux de 28 m² outre l'usage d'un sanitaire commun, au 5ème étage d'un immeuble, dont rien ne dit qu'il est mansardé, pour un prix annuel de 10.000 € hors taxes et hors charges ; que la valeur du droit au bail est en l'espèce nulle ;
Considérant que s'agissant des indemnités accessoires, la société Siic de Paris relève à juste titre que les sommes déboursées par la société Transfert Performance Sportive doivent être considérées hors taxes puisqu'elle récupère la Tva et la déduit en toute neutralité ; que la société Siic de Paris s’oppose également à juste titre à la demande formée par la société Transfert Performance Sportive pour "des frais à venir de documents d'impression à en-tête" d'un montant de 937 € dont la locataire n'établit pas la réalité ni le lien avec l'éviction dès lors qu'il n'est produit qu'un simple devis daté du 9 novembre 2012, étant rappelé que la société Transfert Performance Sportive s'est réinstallée au mois de mars précédent ;
Considérant en revanche, que la société Siic de Paris n'est pas fondée à voir écarter des frais d’agence que la société Transfert Performance Sportive justifie avoir exposés à hauteur de1.499,40 € hors taxes pour la recherche de ses nouveaux locaux ni les frais de réexpédition du courrier facturé par La Poste le 28 février 2012 à hauteur de 88 € hors taxes, la facture produite en pièce 27 étant, contrairement à ce que soutient la société Siic de Paris, claire et "compréhensible" ni même le coût nécessairement engagé des nouvelles cartes de visites de la locataire ; que la société Siic de Paris n'est pas non plus fondée à voir déduire du montant du préjudice dont elle doit réparation la franchise de 15 jours de loyer que la société Transfert Performance Sportive a négocié avec son nouveau bailleur ;
Considérant que la société Siic de Paris sera en conséquence condamnée à payer à la société Transfert Performance Sportive la somme de 2.033,40 € hors taxes au titre des frais de remploi(1.499,40 + 534), celle de 460 € au titre des frais de déménagement et celle de 1.129,05 € hors-taxes (88 + 550 +166,20 + 41,80 + 32,20 +149,67 + 50,68 + 50,50) au titre des frais divers administratifs soit au total la somme de 3.622,45 € ; que la société Transfert Performance Sportive sera déboutée du surplus de ses demandes ;
Considérant que la société Siic de Paris ne conteste pas la prescription, en vertu de l'article L 145-60 du code de commerce, de son action en fixation de l'indemnité d'occupation statutaire ; que le jugement sera en conséquence infirmé sur ce chef ;
Considérant qu'invoquant la disposition du bail selon laquelle le preneur s'engage à rendre les lieux et les installations loués "en parfait état de propreté, d'entretien, de réparation, de fonctionnement et d'exploitation" et se prévalant des indications de l'état des lieux de sorti e réalisé entre les parties, la société Siic de Paris prétend qu'elle est en droit de garder le dépôt de garanti e au titre des remises en état des locaux ;
Mais considérant que le bailleur ne verse aux débats aucun devis, aucune facture de travaux de remise en état susceptibles de justifier une quelconque créance qu'elle pourrait avoir à ce titre et compenser avec le dépôt de garanti e ; qu'elle sera condamnée à restituer à la société Transfert Performance Sportive la somme de 2.582,38 € qu'il n'est pas contesté que la société Transfert Performance Sportive a versée au titre du dépôt de garanti e ;
Considérant que la société Siic de Paris qui succombe partiellement en ses demandes, conservera à sa charge les dépens de première instance et d'appel d'un procès né de sa décision de refuser à la société Transfert Performance Sportive le renouvellement de son bail, étant en outre relevé que la société Siic de Paris ne justifie pas de l'abus de droit ou du "comportement dilatoire" qu'elle impute à celle-ci, investi e du droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction ;
Considérant qu'au vu de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 5.000 € sera allouée à la société Transfert Performance Sportive pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, la demande de la société Siic de Paris à ce titre étant rejetée ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a dit que la société Transfert Performance Sportive a droit au bénéfice du statut des baux commerciaux ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
Fixe à la somme de 3.622,45 € l'indemnité d'éviction due par la société Siic de Paris à la société Transfert Performance Sportive et la condamne à lui payer cette somme ;
Déboute la société Transfert Performance Sportive du surplus de sa demande à ce titre ;
Déclare prescrite l'action en fixation de l'indemnité d'occupation ;
Condamne la société Siic de Paris à payer à la société Transfert Performance Sportive la somme de2.582,38 € au titre du remboursement du dépôt de garantie ;
Déboute la société Siic de Paris de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne à payer à la société Transfert Performance Sportive la somme de 5.000 € pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société Siic de Paris aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés, s'agissant des dépens d'appel, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.