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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 9 juin 2004, n° 2003/07211

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

S.A.R.L. SOCIETE AS A SELECTION GMBH

Défendeur :

Monsieur A, S.A.R.L. SOCIETE AZAG

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Monsieur Alain CARRE-PIERRAT

Conseiller :

Madame Dominique ROSENTHAL-ROLLAND

Avoués :

Maître HUYGHE, SCP HARDOUIN

Avocats :

Me S. Z., Me Y. L.

TGI Bobigny, du 28 janv. 2003

28 janvier 2003

Arrêt,

Contradictoire,

Prononcé publiquement par Monsieur Alain CARRE-PIERRAT, président

- signé par Nous, Alain CARRE-PIERRAT, président et par Nous Jacqueline VIGNAL, greffier présent lors du prononcé.

Vu l'appel interjeté, le 28 mars 2003, par la société ASA SÉLECTION GMBH (ci-après ASA), venant aux droits de la société ASA SÉLECTION FRANCE, d'un jugement rendu le 28 janvier 2003 par le tribunal de grande instance de Bobigny qui, ayant rejeté l'exception de nullité de l'assignation, l'a:

* reçue en son intervention et condamnée à verser à Pierre A la somme de 3.000 euros en réparation de l'atteinte portée, par la contrefaçon, à son droit moral d'auteur,

* condamnée à verser à la société AZAG, la somme de 3.000 euros, en réparation de son préjudice commercial, causé par la concurrence déloyale,

* et, lui a interdit d'exploiter le modèle susvisé, sous astreinte de 160 euros par infraction constatée, à compter de la signification du jugement, en rejetant par ailleurs toutes autres demandes,

* condamnée à verser à Pierre A, la somme de 750 euros et à la société AZAG, la même somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,ainsi qu'aux dépens ;

Vu les dernières conclusions, signifiées le 16 mars 2004, aux termes desquelles la société ASA demande à la Cour, après une énumération, dans le dispositif de ses écritures, de constatations qui ne sauraient constituer des prétentions au sens des dispositions du nouveau Code de procédure civile, de :

* in limine litis, au visa des articles 4 et 56 du nouveau Code de procédure civile, prononcer pour non-respect flagrant des droits de la défense, la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 10 septembre 2001 et par conséquent de l'assignation en date du 24 septembre 2001, et déclarer irrecevable pour défaut de qualité à agir la société AZAG ,

* au principal,

. prononcer la nullité du dépôt de modèle, effectué par Pierre A à l'INPI le 15 mai 1997, sous le Ô972844, et, le 12 février 1998, à l'OMPI, sous le n°DM/042 091,

. ordonner que l'arrêt à intervenir soit inscrit, sur réquisition du greffe du tribunalde grande instance de céans ou à la diligence de l'une des parties, au Registre national des dessins et modèles de l'INPI et sur le Registre international des dessins et modèles tenu à l'OMPI,

. débouter en conséquence Pierre A et la société AZAG de l'ensemble de leurs demandes,

* à titre subsidiaire,

. juger qu'aucun acte de contrefaçon n'a été commis par elle,

. débouter la société AZAG de sa demande de dommages et intérêts sur le fondement de la concurrence déloyale,

* à titre reconventionnel,

. interdire aux intimés la poursuite de la commercialisation de leur modèle de vase, constitutif de contrefaçon du modèle de vase antérieur dont elle est titulaire,

. condamner solidairement Pierre A et la société AZAG à lui payer la somme de 15.000 euros au titre des dommages et intérêts pour contrefaçon,

. ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux de son choix, aux frais exclusifs des intimés, dans la limite de 8.000 euros par parution,

. condamner solidairement Pierre A et la société AZAG à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;

Vu les uniques conclusions, en date du 23 février 2004, par lesquelles Pierre A et la société AZAG, poursuivant la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a jugé la société ASA responsable des faits de contrefaçon et de concurrence déloyale invoqués et en ce qu'il a interdit à l'appelante la diffusion de tout modèle contrefaisant sous astreinte de 160 euros par infraction constatée, demandent à la Cour, au visa des articles L. 511-1 et suivants, L. 112 et suivants du Code de la propriété intellectuelle et des articles 1382 et 1383 du Code civil, de :

* l'infirmer pour le surplus, en les recevant en leur appel incident, condamner la société ASA à payer à Pierre A la somme de 20.000 euros en réparation du préjudice par lui subi en raison des actes de contrefaçon, et, à la société AZAG la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice par elle subi en raison des actes de concurrence déloyale,

* ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans quatre journaux de leur choix et aux frais de l'appelante, sans que le coût de chaque insertion puisse excéder 4.000 euros,

* condamner la société AS A à leur payer la somme de 6.000 euros au titre des frais irrépétibles,

* débouter la société ASA de l'ensemble de ses demandes, et la condamner aux dépens de première instance et d'appel ;

SUR CE, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il suffit de rappeler que :

* Pierre A a déposé, le 15 mai 1997, sous le n°972844, auprès de l'INPI, et, le 12 février 1998, sous len°DM/042091, auprès de FOMPI, un modèle de vase,

* autorisé par ordonnance présidentielle en date du 10 septembre 2001, Pierre A a, le même jour, fait procéder par Me N, huissier de justice à Bobigny, à une saisie-contrefaçon sur le stand de la société ASA au salon MAISON ET OBJET se tenant au parc des expositions de Villepinte ;

* sur les demandes en nullité de la saisie-contrefaçon et del'assignation introductive d'instance :

Considérant que la société ASA fait valoir, au soutien de ses demandes en nullité, que ni la forme du vase, ni les caractéristiques essentielles susceptibles d'avoir été reprises par le modèle argué de contrefaçon ne sont décrites tant dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon que dans l'assignation introductive d'instance ;

Mais considérant qu'il résulte de l'examen des pièces contestées que, contrairement aux prétentions de la société appelante, il n'a été porté atteinte à aucun des principes fondamentaux des droits de la défense ;

Qu'en effet, les premiers juges ont, par une motivation pertinente que la Cour adopte expressément, justement retenu que, d'une part, le modèle de vase litigieux est très précisément décrit et identifié dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon et, d'autre part, que l'assignation en reprend les éléments descriptifs essentiels, de sorte que la société ASA ne pouvait se méprendre sur l'objet de la procédure introduite à son encontre ;

Qu'il s'ensuit que le jugement déféré sera confirmé ;

sur la validité du modèle :

Considérant que, pour contester la validité du modèle de vase déposé par Pierre A tant auprès de l'INPI que de l'OMPI, la société ASA fait valoir, en premier lieu, que le modèle de vase, tel que reproduit dans le dépôt français du 15 mai 1997, laisserait apparaître un modèle de vase, vu de face de manière bi-dimensionnel, et dont la seule caractéristiques apparente semblerait être celle d'une face avant fortement incurvée du vase, de sorte qu'il ne serait pas permis, au vu de la reproduction photographique du dépôt, de déterminer la forme tridimensionnelle du vase, et en particulier sa face arrière et son volume ;

Mais considérant qu'il résulte de l'examen de la photographie annexée au dépôt que le modèle litigieux présente les caractéristiques suivantes :

* un vase allongé, de forme ondulée en vague ou en S,

* une ouverture étroite et constante, sur toute sa longueur ;

Qu'il s'ensuit que ce modèle est parfaitement identifiable ; Considérant que, en second lieu, la société appelante entend, en revendiquant la création d'un modèle antérieur qu'elle aurait, le 26 juin 1995, déposé en Allemagne, combattre la présomption de titularité de Pierre A, instaurée par les dispositions de l'article L. 511-2 du Code de la propriété intellectuelle, sur le modèle litigieux qui n'en serait qu'une simple adaptation ;

Mais considérant que, force est de constater, qu'aucune reproduction du modèle invoqué par la société appelante n'est annexée à l'acte de dépôt qui mentionne exclusivement Désignation : Article de céramique. Type de modèle : 27 ; que la photographie de ce modèle versée aux débats n'a pas date certaine puisque si elle est annexée à une photocopie de la couverture d'un catalogue de vente ASASELECTION 1994, aucun élément n'établit que la reproduction du vase en page intérieure, également communiquée en photocopie, ait été publiée dans ce catalogue ;

Considérant que, en troisième lieu, pour contester la nouveauté et l'originalité du modèle de vase déposé par Pierre A, la société ASA prétend que depuis longue date des vases ou autres récipients présenteraient une forme ondulée ainsi que le démontrerait la création par Angelo M, en 1964, d'un modèle de vase en 5 ;

Mais considérant que si la pièce versée aux débats par l'appelante, reproduisant la création de Angelo M, est, contrairement aux prétentions des intimés, effectivement datée puisqu'il est mentionné sur la reproduction objectAngelo M 1964, les caractéristiques du modèle représenté ne sauraient constituer une antériorité dès lors que ce modèle présente une conception fort éloignée de celle du modèle litigieux puisque, notamment, composé par la juxtaposition de trois éléments qui peuvent être dissociés dans leur utilisation, il s'en dégage une impression visuelle d'ensemble différente du modèle contesté ;

Considérant qu'il s'ensuit que les premiers juges ont exactement retenu que par le volume, les proportions (hauteur, longueur, largeur), la forme qui présente une seule et longue courbe et contre-courbe, donnent au modèle créé par Pierre A une fluidité, une simplicité et une élégance qui caractérisent une oeuvre de l'esprit originale et nouvelle portant la marque de la personnalité de son créateur ;

Que ce modèle est donc protégéable tant au titre du livre I que du livre V du Code de la propriété intellectuelle, de sorte que le jugement déféré sera, en ce qui concerne la validité du modèle, confirmé et que seront rejetées les demandes en nullité formées par la société appelante ;

* sur la contrefaçon :

Considérant que la société ASA conteste vainement les actes de contrefaçon qui lui sont imputés par les intimés ;

Qu'en effet il résulte de la comparaison des modèles en cause, à laquelle la Cour s'est livrée, que les vases exposés par la société appelante, au salon MAISON ET OBJET, reproduisent à l'identique les caractéristiques du modèle créé par Pierre A ;

Qu'il convient en conséquence, s'agissant de la contrefaçon, de confirmer le jugement déféré ;

* sur la concurrence déloyale :

Considérant que la société ASA fait justement valoir que, n'apportant aucune justification de la commercialisation, dont elle se prévaut, du modèle de vase créé par Pierre A, ni de l'existence d'un contrat de licence, la société AZAG est irrecevable à former une demande au titre de la concurrence déloyale ;

Qu'il y a donc lieu, de ce chef, d'infirmer le jugement déféré ;

* sur les mesures réparatrices :

Considérant que, compte tenu de la masse contrefaisante relevée, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Pierre A, du fait des actes de contrefaçon retenus, en lui octroyant une indemnité de 3.000 euros ;

Considérant qu'il convient, par ailleurs, de confirmer, pour mettre fin aux actes délictueux, la mesure d'interdiction prononcée par les premiers juges et, infirmant le jugement déféré, de faire droit à la demande de publication dans les termes précisés au dispositif ;

* sur les autres demandes :

Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que la société ASA ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; que, en revanche, l'équité commande, sur le même fondement, de la condamner à verser à Pierre A une indemnité complémentaire de 3.000 euros :

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qui concerne la demande relative à la concurrence déloyale, à la mesure de publication et à la condamnation prononcée au bénéfice de la société AZAG au titre des frais irrépétibles ;

Et, statuant à nouveau ;

Déclare la société AZAG irrecevable en sa demande relative à la concurrence déloyale ;

Autorise Pierre A à publier le présent arrêt, en entier ou par extraits, dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de la société ASA SELECTION GMBH, sans que le coût de chaque insertion puisse excéder la somme de 3.500 euros HT,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société ASA SELECTION GMBH à verser à Pierre A une indemnité complémentaire de 3.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

La condamne en outre aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.