Livv
Décisions

ADLC, 14 janvier 2014, n° 14-DCC-04

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif de la société Les Crudettes par la société Financière SDH

ADLC n° 14-DCC-04

13 janvier 2014

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 6 décembre 2013, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Les Crudettes par la société Financière SDH, formalisée par un protocole d’accord en date du 27 novembre 2013 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. Financière SDH est la société holding du groupe Financière SDH (ci-après « FSDH ») actif sur le marché de la production et l’embouteillage de boissons sans alcool, de produits laitiers liquides et de soupes. Le capital de Financière SDH est détenu par les membres de la famille Vasseneix, ces derniers ne disposant par ailleurs d’aucune autre participation dans des entreprises relevant du même secteur d’activité ou de secteurs connexes. Le groupe FSDH exploite, à travers ses différentes filiales, des actifs de production et de conditionnement de produits laitiers liquides, de jus de fruits, de boissons végétales, de produits infantiles, de soupes, de lait, de crèmes, de boissons gazeuses, sirops et boissons fonctionnelles.

2. Les Crudettes est une société par actions simplifiée principalement active sur le marché de la transformation et le conditionnement de salades et légumes prêts à l’emploi. Elle intervient également sur le marché de la distribution de soupes prêtes à l’emploi et développe des produits de snacking végétaux (salades-repas et sandwichs) qui sont pour l’essentiel commercialisés en GMS au rayon des salades traiteurs. Elle est détenue à 100 % par le groupe Pomona actif sur le marché de la distribution livrée de produits alimentaires à destination de la restauration et du commerce alimentaire.

3. L’opération notifiée, formalisée par un projet de protocole d’accord en date du 27 novembre 2013 consiste en l’acquisition par Financière SDH d’au moins 95 % du capital de la société Les Crudettes.

4. En ce qu’elle se traduit par la prise du contrôle exclusif de la société Les Crudettes par FSDH, l’opération notifiée constitue une opération de concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

5. Les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d’affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros en 2012 (FSDH : […] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2012 ; Les Crudettes : […] d’euros pour le même exercice). Chacune réalise en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (FSDH : […] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2012, Les Crudettes : […] d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension communautaire. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés par l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

 

II. Marchés pertinents

6. L’activité principale de la cible porte sur la commercialisation de salades, de légumes prêts à l’emploi et de snacks végétaux. De plus, parmi les diverses boissons et produits alimentaires liquides fabriqués et conditionnés par FSDH figure, de façon marginale, de la soupe prête à l’emploi destinée à être vendue au rayon frais, tandis que Les Crudettes a une activité, annexe à son activité principale, de négociant/grossiste auprès de la GMS et de la RHF portant entre autres sur ce type de produit.

 

A. LES MARCHÉS DE PRODUITS

1. MARCHÉS DE LA COMMERCIALISATION DE SALADES ET LÉGUMES PRÊTS À LEMPLOI

7. Plusieurs distinctions ont été envisagées par les autorités de concurrence s’agissant des différents canaux de distribution, du type de technologie utilisée pour le traitement de ces produits, des différentes catégories de produits concernées ou encore du positionnement commercial des produits distribués en GMS.

Distinction selon le canal de distribution

8. S’agissant des produits alimentaires, la pratique décisionnelle nationale1 a envisagé une segmentation selon le canal de distribution, à savoir l’industrie agroalimentaire (ci-après « IAA »), les grandes et moyennes surfaces (ci-après « GMS ») et la restauration hors foyer (ci-après « RHF »). Une telle segmentation est justifiée par l’existence de besoins différents selon le type d’acheteurs (notamment en termes de volumes, de calibrage et de conditionnement).

Distinction selon le type de technologie utilisée (ou gamme de produits)

9. La pratique décisionnelle nationale2 a considéré qu’il était pertinent d’opérer une segmentation selon la technologie utilisée (ou gamme de produits) pour le traitement des fruits et légumes. Elle a ainsi identifié les cinq marchés suivants : les fruits et légumes frais (1ère gamme), les fruits et légumes appertisés (2ème gamme), les fruits et légumes surgelés (3ème gamme), les fruits et légumes frais, crus, lavés et épluchés (4ème gamme) ainsi que les fruits et légumes stérilisés et pasteurisés sous vide (5ème gamme). Une telle segmentation se fonde sur l’existence de différences de prix et de modes de conservation et d’utilisation entre ces différents types de produits3.

10. En ce qui concerne spécifiquement les salades, le ministre4 avait distingué les deux types de produits en raison, du côté de l’offre, de l’emploi d’un processus de fabrication spécifique, dont toutes les phases sont régies par des règles communes d’hygiène et de sécurité, et du côté de la demande, des services spécifiques rendus par les salades de 4ème gamme qui ne nécessitent pas de préparation préalable et sont parfois prémélangés.

11. En ce qui concerne les légumes (hors salades), ils répondent également à un besoin spécifique pour la RHF mais leur spécificité est moindre pour les GMS. Dans une décision récente5, l’Autorité a considéré que l’activité de distribution de légumes de 4ème gamme aux GMS ne constituait pas à ce stade un marché distinct de la commercialisation de légumes de 1ère gamme.

Distinction selon le type de produits

12. Une segmentation entre différents légumes de 4ème gamme a déjà été envisagée pour certains légumes présentant des spécificités en termes d’usage ou de structure de l’offre6, notamment les champignons7, la pomme de terre8 et la salade9.

13. En l’espèce, les salades constituent l’essentiel des activités de 4ème gamme de la société Les Crudettes. Comme l’a noté l’Autorité dans la décision n° 13-DCC-23 précitée, les salades de 4ème gamme se distinguent d’autant plus des autres légumes sur le canal des GMS que le faible développement des autres légumes de 4ème gamme ne justifie pas qu’ils fassent l’objet d’une analyse distincte de celle des légumes de 1ère gamme, contrairement aux salades. Sur le canal RHF, les salades de 4ème gamme ont également fait l’objet d’une analyse distincte de celle des autres légumes de 4ème gamme.

14. Enfin, une éventuelle segmentation selon les variétés de salades ou entre les variétés de légumes au sein de la 4ème gamme n’a pas été jusqu’à présent jugée nécessaire, dans la mesure où, du point de vue de la demande, les variétés sont largement substituables les unes aux autres et, du point de vue de l’offre, le processus de fabrication et de commercialisation est strictement identique quelle que soit la variété de salade ou de légume concernée.

Distinction selon le positionnement commercial des produits vendus aux GMS

15. Sur le marché de la commercialisation de salades de 4ème gamme aux GMS, Les Crudettes commercialise des produits sous sa propre marque (ci-après « MDF ») et fabrique des produits sous marque de distributeur (ci-après « MDD »).

16. Conformément à la pratique décisionnelle relative à d’autres marchés de produits alimentaires10, il convient de s’interroger sur une éventuelle segmentation du marché de la vente de salades de 4ème gamme aux GMS selon le positionnement commercial des produits et d’apprécier si le fournisseur détenant une position importante sur l’un de ces segments serait en mesure d’exercer un pouvoir de marché vis-à-vis des distributeurs ou si ce pouvoir de marché serait confronté à la concurrence des fournisseurs présents sur les autres segments.

17. Dans la décision n° 13-DCC-23 précitée, l’Autorité a noté, sans conclure sur cette question, que, du point de vue des consommateurs comme du côté de l’offre, les salades de 4ème gamme vendues sous MDF et les MDD apparaissaient fortement substituables, les fournisseurs de MDF étant généralement les mêmes que les fournisseurs de MDD et le taux de pénétration des MDD sur ce marché étant important (de l’ordre de 60 % en valeur et 70 % en volume toutes enseignes confondues).

18. En tout état de cause, la question de la segmentation selon le positionnement commercial des salades de 4ème gamme peut rester ouverte, dans la mesure où quelle que soit l’hypothèse envisagée, l’analyse concurrentielle demeure inchangée.

 

2. LES MARCHÉS DE LA COMMERCIALISATION DE PRODUITS TRAITEUR FRAIS

19. Dans le secteur des produits traiteur, la pratique décisionnelle tant communautaire que nationale11 segmente les marchés en fonction de la technologie de fabrication employée (produits appertisés, surgelés et frais). Une distinction est également faite entre les canaux de distribution. Les produits traiteur peuvent être vendus aux GMS, à la restauration hors foyer (ci-après « RHF ») et aux industries agro-alimentaires. Une distinction additionnelle a ensuite été opérée en fonction des catégories de produits (entrées, plats, etc.). Enfin, la question a aussi été posée de l’éventuelle subdivision de ces marchés en fonction de leur positionnement commercial (marques de fabricants (ci-après MDF) ou marques de distributeurs (ci-après MDD)12, des modes de distribution (libre service ou à la coupe) ou encore de l’origine des recettes proposées.

20. En l’espèce, FSDH et Les Crudettes proposent tous deux des soupes prêtes à l’emploi destinées à être vendues au rayon frais des GMS. Les Crudettes développent par ailleurs une activité de snacks végétaux (salades-repas et sandwichs) commercialisés sous marque propre au rayon des salades traiteur.

Segmentation selon le type de produits

21. Au sein des produits traiteur frais, la pratique décisionnelle antérieure13 a opéré une segmentation en fonction des catégories de produits ou de recette, en distinguant les entrées, les plats cuisinés, les tartes salées, les pâtes ménagères, les pâtes et sauces, les salades traiteur, les panés et les snacks.

22. Les soupes fraîches pourraient être considérées comme une catégorie à part ou appartenir à la catégorie des plats cuisinés ou des entrées. Les snacks végétaux pourraient être rattachés tant à la catégorie snacks qu’à celle des salades traiteur. En tout état de cause, les ventes de soupes fraîches n’entreraient pas en concurrence avec celles de snacks végétaux.

23. La délimitation exacte du marché concerné par les ventes de soupe prêtes à l’emploi vendues au rayon frais et de snacks végétaux peut rester ouverte dans la mesure où l’analyse concurrentielle demeure inchangée quelle que soit l’hypothèse envisagée.

Distinction selon le positionnement commercial des produits vendus aux GMS

24. S’agissant d’une distinction selon le positionnement commercial des produits traiteur frais, l’Autorité a eu l’occasion de souligner14 que les MDD exercent une pression concurrentielle non négligeable sur les MDF. Elle a ainsi relevé la progression régulière de la part des MDD dans chaque catégorie de produit et la faible notoriété des différentes marques de fabricants dans le secteur des produits traiteur.

 

B. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

25. S’agissant de la production et de la commercialisation de produits alimentaires, les autorités de concurrence tant nationale que communautaire considèrent de manière constante que les marchés sont de dimension nationale en raison des goûts spécifiques, des préférences et habitudes alimentaires des consommateurs dans chaque pays, des différences de prix entre les Etats-membres et des différences dans la structure de l’offre selon les Etats membres.

26. Il n’y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l’occasion de l’examen de la présente opération.

III. Analyse concurrentielle

A. EFFETS HORIZONTAUX

27. FSDH est un prestataire de services qui fabrique des soupes prêtes à l’emploi destinées à être vendus au rayon frais pour le compte d’autres industriels mais ne revend pas lui-même les produits concernés aux grossistes. FSDH et Les Crudettes n’entretenaient donc pas de relation commerciale avant l’opération et n’étaient pas susceptibles de le faire. Ils avaient en revanche un partenaire commercial en commun, dans la mesure où FSDH compte parmi les industriels dont il est sous-traitant la société [confidentiel] qui commercialise des soupes prêtes à l’emploi sous la marque [confidentiel] et où Les Crudettes est l’un des distributeurs des produits d’[confidentiel].

28. Par ailleurs, FSDH fabrique des soupes prêtes à l’emploi destinées au rayon frais en MDD pour la GMS. La nouvelle entité pourra donc proposer à la GMS à la fois des produits MDD et des soupes qu’elle distribue pour le compte d’autre fabricant.

29. Le chiffre d’affaires de FSDH en matière de production et de conditionnement de soupes prêtes à l’emploi était cependant limité à […] d’euros en 2012, soit [0-5] % du total des ventes en 2012. Les soupes prêtes à l’emploi distribuées par Les Crudettes représentaient sur la même période environ [0-5] % des produits livrés à la GMS et [0-5] % de ceux à destination de la RHD, le total des ventes de soupes prêtes à l’emploi étant estimé à […] d’euros. La nouvelle entité représentera donc [5-10] % de l’offre de soupes prêtes à l’emploi destinées au rayon frais.

30. Il ressort de ces éléments que l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux ou verticaux sur un marché qui serait limité aux seules soupes fraîches.

 

B. EFFETS CONGLOMÉRAUX

31. L’opération permet à FSDH d’étendre son offre à la GMS aux salades en sachets et aux légumes de 4ème gamme, ainsi qu’aux snacks végétaux que propose la société Les Crudettes. Une concentration peut avoir des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur plusieurs marchés dont la connexité peut lui permettre d’exploiter un effet de levier. Le lien de connexité entre les marchés concernés peut notamment découler de l’appartenance des produits à une même gamme. Il est cependant peu probable qu’une concentration emporte un risque d’effet congloméral si la nouvelle entité ne bénéficie pas d’une forte position sur un marché à partir duquel elle pourra faire jouer un effet de levier. Les lignes directrices de l’autorité précisent qu’un tel effet ne peut être exercé en-deçà de 30 % de parts de marché.

32. Les ventes de la société Les Crudettes sur le marché des salades en sachets en 2012 ont représenté [20-30] % du total des ventes. Les GMS disposent notamment d’une offre alternative auprès d’Agrial et Bonduelle (respectivement [50-60] % et [20-30] % de parts de marché en 2011). Sur les seuls légumes de 4ème gamme, les ventes de la société Les Crudettes aux GMS ont représenté, en 2013, [0-5] % du total des ventes. S’agissant des snacks vendus au rayon traiteur, la part des ventes de la société Les Crudettes s’est élevée à [10-20] % en 2013.

33. L’opération n’est donc pas susceptible de produire des effets congloméraux.

34. Compte tenu de ces éléments, la présente opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur un marché.

 

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 13-220 est autorisée.

 

NOTES :

1 Voir par exemple les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-48 du 22 septembre 2009 relative à l’acquisition par la société LDC traiteur de la société Marie ; n° 10-DCC-21 du 5 mars 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Champiloire SA par la société Bonduelle SA ; n° 10-DCC-110 du 1er septembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Entremont par le groupe Sodiaal et n° 11-DCC-106 précitée.

2 Décisions de l’Autorité de la concurrence n° 10-DCC-21 et n° 11-DCC-106 précitée ainsi que n°10-DCC-107 du 9 septembre 2010 relative à l’apport partiel d’actifs de CAM 56 à Coopagri Bretagne, et à la fusion entre Coopagri Bretagne et Union Eolys.

3 Voir notamment la décision n° 10-DCC-21 précitée.

4 Lettre du ministre C 2003-19 du 31 mars 2003 relative à une concentration dans le secteur des salades préparées.

5 Décision n° 13-DCC-23 du 28 février 2013 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe coopératif Agrial de plusieurs sociétés du groupe Bakkavör

6 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n° 11-DCC-106 précitée ainsi que les décisions de la Commission M.4216 et M.5199 précitées.

7 Décisions n° 10-DCC-21 précitée.

8 Décision n°10-DCC-107 précitée.

9 Lettre du ministre C 2003-19 du 31 mars 2003 relative à une concentration dans le secteur des salades préparées.

10 Voir par exemple les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 12-DCC-92 du 2 juillet 2012 concernant les vins tranquilles, n° 11-DCC-187 du 13 décembre 2011 concernant les spiritueux, ou encore n° 11-DCC-150 du 10 octobre 2011 concernant le cidre, n° 10-DCC-110 du 1er septembre 2010 concernant les fromages.

11 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-48 du 22 septembre 2009 relative à l’acquisition par la société LDC Traiteur de la société Marie et les décisions du ministre de l’économie C2008-28 CA Traiteur et salaisons / Holding Tradi du 23 avril 2008, C2007-153 Pierre Schmidt / Stoeffler du 15 février 2008, C2006-73 Euralis / Stalaven du 21 juillet 2006, C2004-05 Bonduelle / Caugant du 24 février 2003, C2008-27, Gastronome / Unicopa du 19 mai 2008 ou décision de la Commission européenne n° M. 445 BSN / Euralim du 7 juin 1994.

12 Voir par exemple les lettres du ministre C2006-73 et C2007-152 précitées.

13 Voir par exemple les lettres du ministre C2006-73 et C2007-152 précitées ainsi que la décision de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-précitée.

14 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-48 précitée.