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Décisions

ADLC, 17 novembre 2014, n° 14-DCC-169

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif de la société IHLE Holding AG par la société Michelin Finanz Gesellschaft für Beteiligungen AG & OGH

ADLC n° 14-DCC-169

16 novembre 2014

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 15 octobre 2014, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société IHLE Holding AG par la société Michelin Finanz Gesellschaft für Beteiligungen AG & OGH, formalisé par un accord d’achat en date du 5 août 2014 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;

Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. Michelin Finanz Gesellschaft für Beteiligungen AG & OGH (ci-après « Michelin ») est une société de droit allemand détenue par la Compagnie Générale des Etablissements Michelin. Le groupe Michelin est principalement actif dans le secteur de la fabrication, vente et distribution de pneumatiques de première monte et de pneus de remplacement, ainsi que dans la vente de certains produits de voyage. Le groupe Michelin détient également les sociétés Euromaster et Tyredating, actives dans le secteur de la distribution de pneumatiques.

2. IHLE Holding AG (ci-après « IHLE ») est détenue à hauteur de 19,9 % par Michelin et 80,1 % par la société Consus Holding GmbH. Elle est active dans le secteur de la distribution en gros de pneus neufs de remplacement pour véhicules de tourisme et camionnettes en Europe.

3. Aux termes de l’accord d’achat d’actions conclu le 5 août 2014, l’opération consiste en l’acquisition de la totalité du capital et des droits de vote d’IHLE par Michelin.

4. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif d’IHLE par Michelin, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires hors taxe total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Michelin: 20,24 milliards d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2013 ; IHLE : […] d’euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Michelin : […] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2013 ; IHLE : […] d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

 

II. Délimitation des marchés pertinents

6. Les parties à l’opération sont simultanément actives dans le secteur des pneumatiques neufs de remplacement. En particulier, l’acquéreur est actif à l’amont sur le marché de la fabrication de pneumatiques et à l’aval sur celui de la distribution au détail de pneumatiques, via ses filiales Euromaster et Tyredating. La cible est présente sur le marché intermédiaire de la distribution en gros de pneumatiques, l’acquéreur étant également marginalement présent sur ce marché via sa filiale Euromaster. L’opération entraîne donc un chevauchement horizontal sur le marché de la distribution de gros de pneumatiques, et ses effets seront également examinés au titre des effets verticaux sur les marchés des pneumatiques neufs de remplacement.

 

A. LE MARCHÉ AVAL DE LA DISTRIBUTION DE PNEUMATIQUES DE REMPLACEMENT

1. DÉLIMITATION DES MARCHÉS DE PRODUITS

7. S’agissant de la distribution de pneumatiques, la pratique décisionnelle distingue1 la fourniture de pneumatiques de premier équipement (dit aussi « de première monte ») de celle de pneumatiques de remplacement. En effet, bien que ces produits soient identiques, ils ne sont pas destinés aux mêmes clients et sont distribués selon des canaux différents. Les pneumatiques de « première monte » correspondent aux pneumatiques placés sur les véhicules neufs. Ces pneumatiques sont généralement vendus sans intermédiaire, directement du producteur aux constructeurs automobiles. En revanche, les pneumatiques de remplacement concernent les achats effectués par les utilisateurs des véhicules. Seuls les pneumatiques de remplacement sont concernés par la présente opération.

8. S’agissant des pneumatiques de remplacement, l’Autorité de la concurrence, comme la Commission européenne, distingue2 plusieurs marchés selon les catégories de véhicules concernés : (i) véhicules de tourisme et camionnettes, (ii) camions et bus, (iii) engins agricoles, (iv) engins de travaux publics et de génie civil, (v) véhicules à deux roues non motorisés et (vi) véhicules à deux roues motorisés.

9. La distribution des pneumatiques pour véhicules de tourisme et camionnettes, seule concernée par l’opération envisagée, peut s’effectuer via (i) le canal des négociants spécialistes (tels Euromaster, Vulco, First Stop, Métifiot, Point S, Profil Plus ou Eurotyre) ; (ii) le canal des centres auto (tels Norauto, Feu Vert, Speedy) ; (iii) le canal des concessionnaires et garages automobiles3. A côté de ces canaux traditionnels s’est développée ces dernières années la vente par Internet, soit par le biais des sites internet des distributeurs traditionnels, soit par celui des boutiques en ligne d’opérateurs pure players. L’Autorité a envisagé4, tout en laissant la question ouverte, de distinguer un marché de la vente de pneumatiques sur Internet.

10. En l’espèce, seul l’acquéreur, au travers de ses filiales Euromaster et Tyredating, est actif sur le marché de la distribution de détail.

11. Il n’y a pas lieu de remettre en cause ces délimitations à l’occasion de la présente opération.

 

2. DÉLIMITATION DES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

12. La pratique décisionnelle5, tout en laissant la question ouverte, a considéré que les marchés de la distribution de pneumatiques de remplacement pour les différents types de véhicules, y compris les véhicules de tourisme et camionnettes, revêtaient une dimension nationale.

13. La partie notifiante estime que le marché de la distribution au détail est de dimension européenne, en raison de l’absence de divergence dans les conditions de concurrence au sein des différents Etats membres.

14. Au cas d’espèce, il n’y a pas lieu de se prononcer sur la délimitation exacte du marché, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées. L’analyse sera menée au niveau national.

B. LES MARCHÉS AMONT DE LA FABRICATION ET DE LA DISTRIBUTION EN GROS DE PNEUMATIQUES DE REMPLACEMENT

1. LE MARCHÉ DE LA FABRICATION DE PNEUMATIQUES DE REMPLACEMENT POUR VÉHICULES DE TOURISME ET CAMIONNETTES

15. La pratique décisionnelle6 a considéré que le marché de la fabrication de pneumatiques de remplacement pouvait être subdivisé en fonction des catégories de véhicules concernés : (i) véhicules de tourisme et camionnettes, (ii) camions et bus, (iii) engins agricoles, (iv) engins de travaux publics et de génie civil, (v) deux roues non motorisés et (vi) deux roues motorisés.

16. La pratique décisionnelle7 considère en outre, tout en laissant la question ouverte, que ce marché est plutôt de dimension nationale. La partie notifiante estime que ce marché est au moins de dimension européenne compte tenu des coûts de transports peu élevés en Europe et de l’existence d’un cadre réglementaire commun permettant la libre commercialisation des pneus. En l’espèce, seul l’acquéreur, Michelin, est actif sur le marché de la fabrication de pneumatiques.

17. Il n’y a pas lieu de se prononcer sur la délimitation exacte du marché en l’espèce, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la délimitation retenue. L’analyse sera menée au niveau national.

 

2. LE MARCHÉ DE LA DISTRIBUTION EN GROS DE PNEUMATIQUES NEUFS DE REMPLACEMENT POUR VÉHICULES DE TOURISME ET CAMIONNETTES

18. La pratique décisionnelle8 a envisagé de distinguer la distribution en gros de la distribution au détail de pneumatiques de remplacement, tout en laissant cette question ouverte. Dans l’hypothèse d’un marché de la distribution en gros, elle a considéré qu’il convenait de segmenter ce marché par type de véhicule.

19. Les autorités de concurrence ont également observé, tout en laissant la question ouverte, que les marchés de la distribution en gros de pneumatiques étaient de dimension nationale.

20. En l’espèce, l’activité de la cible se concentre principalement sur la distribution en gros de pneumatiques neufs de remplacement pour véhicules de tourisme et camionnettes. L’acquéreur est également présent sur ce marché via sa filiale Euromaster qui distribue en outre des pneumatiques neufs de remplacement pour véhicules lourds (camions et bus, engins agricoles, engins de travaux publics et de génie civil) et véhicules à deux roues.

21. Par conséquent, sans qu’il ait lieu de se prononcer sur la délimitation exacte du marché, les conclusions de l’analyse concurrentielle restant inchangées, l’analyse sera menée sur le marché de la distribution en gros de pneumatiques neufs de remplacement pour véhicules de tourisme et camionnettes au niveau national.

III. Analyse concurrentielle

A. EFFETS HORIZONTAUX

22. Les activités des parties se chevauchent uniquement sur le marché de la distribution en gros de pneumatiques neufs de remplacement pour véhicules de tourisme et camionnettes. Au niveau national, leur part de marché cumulée s’élèvera à [10-20] % à l’issue de l’opération, avec un incrément limité à [0-5] %. Sur ce marché, les parties continueront de faire face à la concurrence d’une vingtaine d’acteurs dont le leader du marché Massa (avec une part de marché de [40-50] %), Districash ([10-20] %) ou Copadex ([5-10] %).

23. Au niveau européen, la part de marché cumulée des parties sera relativement modeste, estimée à [0-5] %.

24. En conséquence, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur le marché de la distribution en gros de pneumatiques neufs de remplacement pour véhicules de tourisme et camionnettes.

 

B. EFFETS VERTICAUX

25. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l’accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l’entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval. La stratégie de verrouillage peut également concerner les marchés amont lorsque la branche aval de l’entreprise intégrée refuse d’acheter les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux. La pratique décisionnelle des autorités de la concurrence écarte en principe ces risques de verrouillage lorsque la part de l’entreprise issue de l’opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %.

26. En l’espèce, la position de Michelin au niveau national sur le marché amont de la fabrication de pneumatiques neufs de remplacement pour véhicules de tourisme et camionnettes s’élève à [30-40] %. Sur ce marché Michelin fait néanmoins face à la concurrence de plusieurs fabricants, tels que Continental ([10-20] %), Goodyear ([10-20] %) ou Bridgestone ([10-20] %), qui représentent des sources d’approvisionnement alternatives pour les grossistes.

27. Il apparaît en outre que les capacités logistiques d’IHLE, notamment en termes de stockage, sont largement inférieures à la production actuelle de Michelin. Ainsi, une distribution exclusive de ses produits par IHLE ne permettrait pas à Michelin d’écouler l’intégralité de sa production. Il est donc peu vraisemblable que Michelin soit incité à réserver la distribution de ses produits à IHLE à l’issue de l’opération.

28. Enfin, la partie notifiante précise que pour assurer à ses pneumatiques une exposition commerciale la plus large possible, il est dans son intérêt de faire distribuer ses produits par un nombre important de grossistes différents9.

29. Par conséquent, l’opération n’est pas susceptible de dégrader les conditions d’accès aux intrants pour les concurrents grossistes de la nouvelle entité.

30. Sur les marchés aval de la distribution en gros de pneumatiques neufs de remplacement pour véhicules de tourisme et camionnettes, la position du nouvel ensemble est estimée à [10-20] %. Celui-ci ne sera donc pas en mesure de restreindre l’accès de ses concurrents aval à la clientèle.

31. L’opération n’est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux sur les marchés concernés.

 

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 14-157 est autorisée.

 

NOTES :

1 Décisions de la Commission européenne n° COMP/M.1470 Goodyear/Sumitomo du 23 juillet 1999 ; n° COMP/M.3081 Michelin/Viborg du 7 mars 2003 ; n° COMP/M.4516 Continental/Matador du 8 juin 2007 ; Décision du TPICE n° T-203/01 Michelin/Commission européenne du 30 septembre 2003 ; Décisions de l’Autorité de la concurrence, n° 10-DCC-149 du 26 octobre 2010 relative à la prise de contrôle conjoint de la société TyreDating par la Manufacture Française des Pneumatiques Michelin et Atiro Holding ; n° 11-DCC-75 du 25 mai 2011 relative à la prise de contrôle conjoint de la société Alençon Pneus par la société Continental Holding France et la Société Normande de Développement et de Financement ; n° 13-DCC-148 du 30 octobre 2013 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Saci SAS, SCII, Daesle Klein SA, Leclerc Pneus SA et Eco + System SAS par la société Continental Holding France et n° 14-DCC-90 du 23 juin 2014 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés MPI eet Repneu par Continental Hodling France.

2 Voir les décisions précitées.

3 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n° 11-DCC-75 du 25 mai 2011.

4 Voir notamment les décisions 13-DCC-148 et 14-DCC-90 précitées.

5 Voir notamment les décisions COMP/M.3081 et COMP/M.4516 précitées, ainsi que les décisions de l’Autorité n° 10-DCC-149, 11-DCC-75 et 13-DCC-148 précitées.

6 Voir notamment les décisions de la Commission européenne n° COMP/M.1470 Goodyear/Sumitomo du 23 juillet 1999 ; n° COMP/M.3081 Michelin/Viborg du 7 mars 2003 ; n° COMP/M.4516 Continental/Matador du 8 juin 2007 ; la décision du TPICE n° T-203/01 Michelin/Commission européenne du 30 septembre 2003 ; la décision de l’Autorité de la concurrence, n° 10-DCC-149 du 26 octobre 2010 relative à la prise de contrôle conjoint de la société TyreDating par la Manufacture Française des Pneumatiques Michelin et Atiro Holding.

7 Voir les décisions précitées.

8 Voir la décision 10-DCC-149 précitée.

9 Formulaire de notification, p.32.