ADLC, 15 décembre 2016, n° 16-DCC-212
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle exclusif de la société Antarius par le groupe Société Générale
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 10 novembre 2016, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Antarius SA par le groupe Société Générale, formalisée par une lettre du 25 février 2015 dénonçant un protocole d'accord conclu le 8 novembre 2002 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 et R. 461-1 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Le groupe Société Générale est un groupe européen exerçant ses activités dans le secteur des services financiers dont la société mère, Société Générale SA, est un établissement de crédit de droit français constitué sous forme de société anonyme. Le groupe Société Générale intervient en particulier dans le secteur de la banque de détail par l’intermédiaire de trois enseignes, la Société Générale, le Crédit du Nord et Boursorama. Le groupe est également actif dans le secteur de la production et distribution de produits d’assurance, par l’intermédiaire de sa filiale Sogecap.
2. Antarius SA (ci-après, « Antarius) est une société active dans le secteur de l’assurance de personnes. Ses produits sont distribués exclusivement au sein du réseau du Crédit du Nord. Antarius est contrôlée conjointement par les groupes Aviva et Société Générale, chacun détenant 50 % de son capital.
3. Le 8 novembre 2002 le Crédit du Nord et Aviva ont conclu un protocole d’accord organisant leur partenariat au sein de la société Antarius. Par courrier [confidentiel] adressé à Aviva, le Crédit du Nord a dénoncé le protocole d’accord. Cette dénonciation entraine l'exercice par le Crédit du Nord de son droit contractuel d'acquérir la participation détenue par Aviva au capital d’Antarius à l’échéance d’un délai de deux ans, [confidentiel]. A l’issue de l’opération le Crédit du Nord détiendra ainsi l’intégralité du capital d’Antarius.
4. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de la société Antarius, par le groupe Société Générale, l’opération notifiée constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires hors taxe total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (groupe Société Générale : […] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2015 ; Antarius : […] d’euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (groupe Société Générale : […] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2015 ; Antarius : […] d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, les seuils prévus par l’article 1, paragraphe 2, a) et b) du Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 sont atteints. Néanmoins chacune des entreprises concernées réalisant plus des deux tiers de son chiffre d’affaires dans l’Union en France, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
1. Le groupe Société Générale et Antarius sont simultanément actifs sur les marchés amont de la production de produits d’assurance. Le groupe Société Générale est également actif sur les marchés aval de la distribution de produits d’assurance pour le compte de tiers qui seront pris en compte au titre de l’analyse des effets verticaux.
A. LES MARCHÉS DE PRODUITS
2. Dans le secteur de l’assurance, la pratique décisionnelle distingue de manière constante les marchés amont de la réassurance et de la production de produits d’assurance et les marchés aval de la distribution de produits d’assurance pour compte de tiers1.
1. MARCHÉS DE LA PRODUCTION DES PRODUITS D’ASSURANCE
3. Au sein du secteur de l’assurance, la pratique décisionnelle distingue de manière constante les assurances de personnes des assurances de dommages (biens et responsabilités), chacune pouvant à son tour être segmentée en autant de marchés qu’il existe d’assurances couvrant les différents types de risques, dans la mesure où, du point de vue de la demande, les assurances couvrant ces risques différents ne sont pas substituables2.
4. Une segmentation supplémentaire a été envisagée au sein des assurances de personnes entre les contrats d’assurance collective, conclus entre un assureur et un souscripteur distinct du bénéficiaire, et les contrats d’assurance individuelle où le souscripteur est également le bénéficiaire3. De la même manière, au sein des assurances de dommages, la pratique décisionnelle a envisagé de segmenter entre les assurances à destination des particuliers et les assurances à destination des professionnels4.
5. La pratique décisionnelle a également identifié le marché de l’épargne et de l’assurance-vie, qui regroupe l’ensemble des produits financiers proposés dans le cadre d’assurances facultatives de capital ou de rente, et les produits d’assurance-vie5.
6. La question de la délimitation exacte des marchés de la production de produits d’assurance pour le compte de tiers peut cependant être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle sont inchangées. En l’espèce, le groupe Société Générale, via la société Sogecap, et Antarius sont simultanément présentes sur les marchés de la production de produits d’assurance de personnes.
2. MARCHÉS DE LA DISTRIBUTION DES PRODUITS D’ASSURANCE POUR COMPTE DE TIERS
7. La distribution de produits d’assurance consiste à commercialiser et à assurer la gestion administrative des garanties ou des contrats d’assurance dont le risque est porté par des assureurs tiers6. La pratique décisionnelle a envisagé l’existence d’un marché large de la distribution des produits d’assurance par des intermédiaires indépendants, comprenant tous les canaux de distribution : agents courtiers et autres intermédiaires (dont les banques), à l’exception toutefois de la distribution directe par les compagnies d’assurance7. La pratique décisionnelle a également considéré un marché plus étroit du courtage d’assurance, comprenant ce seul canal de distribution.
8. Les marchés de la distribution peuvent également être segmentés en fonction de la catégorie de risques assurés (assurance de dommages et assurances de personnes) et selon la clientèle (entreprises ou particuliers)8.
9. La question de la délimitation exacte des marchés de la distribution de produits d’assurance pour le compte de tiers peut cependant être laissée ouverte dans la mesure où quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle sont inchangées. En l’espèce, seul le groupe Société Générale est présent sur les marchés de la distribution des produits d’assurance pour le compte de tiers.
B. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
1. MARCHÉ DE LA PRODUCTION DES PRODUITS D’ASSURANCE
10. S’agissant de la délimitation géographique des marchés de la production des produits d’assurance, la pratique décisionnelle considère qu’à l’exception de certaines assurances couvrant des risques de grande ampleur, ces marchés sont de dimension nationale compte tenu notamment des préférences des consommateurs, de l’existence de réglementations fiscales nationales, de la structure actuelle de ces marchés ou encore des systèmes de régulation concernant ce secteur d’activité9.
2. MARCHÉ DE LA DISTRIBUTION DES PRODUITS D’ASSURANCE
11. La pratique décisionnelle considère que les marchés de la distribution de produits d’assurance sont, pour l’essentiel, de dimension nationale10.
III. Analyse concurrentielle
1. EFFETS HORIZONTAUX
12. Le groupe Société Générale, via la société Sogecap, et Antarius sont simultanément présents sur les marchés de la production de produits d’assurance de personnes. Sur ces marchés, la position de la nouvelle entité demeurera inférieure à [10-20] % quelle que soit la segmentation envisagée. Elle restera par ailleurs confrontée à la concurrence exercée par de nombreux groupes tels que CNP Assurances, Axa, Crédit Agricole ou Crédit Mutuel.
13. Dans ces conditions, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux.
2. EFFETS VERTICAUX
6. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l’accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l’entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval. La stratégie de verrouillage peut également concerner les marchés amont lorsque la branche aval de l’entreprise intégrée refuse d’acheter les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux. L’Autorité considère néanmoins qu’il est peu probable qu’une entreprise ayant une part de marché inférieure à 30 % sur un marché donné puisse verrouiller un marché en aval ou en amont de celui-ci11.
7. En l’espèce le groupe Société Générale distribue des produits d’assurance de personnes au sein de son réseau de banque de détail. Ces produits proviennent soit du groupe Société Générale lui-même, soit de la société Antarius, soit enfin de groupes d’assurance tiers. Il convient en outre de relever qu’avant l’opération, les produits d’Antarius étaient déjà exclusivement distribués par le groupe Société Générale.
8. A l’issue de l’opération, le groupe Société Générale pourrait restreindre l’accès de ces groupes tiers à son réseau de distribution au profit des produits en provenance d’Antarius. Toutefois, dans une telle situation, les opérateurs amont disposeraient de nombreux débouchés alternatifs, la position du groupe Société Générale sur les marchés de la distribution de produits d’assurance étant relativement modérée, estimée à [5-10] %.
9. Compte tenu de ce qui précède, l’opération notifiée n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés de l’assurance par le biais d’effets verticaux.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 16-203 est autorisée.
NOTES
1 Voir notamment les décisions de l’Autorité n° 16-DCC-87 du 20 juin 2016, relative à la prise de contrôle exclusif de La Banque Postale Prévoyance par La Banque Postale et n° 10-DCC-52 du 2 juin 2010, relative à la création d’une Société de Groupe d’Assurance Mutuelle (« SGAM ») par la MACIF, la MAIF et la MATMUT.
2 Voir par exemple les décisions de la Commission européenne COMP/M.5083, GROUPAMA / OTP GARANCIA du 15 avril 2008, COMP/M.3556, FORTIS / BCP du 19 janvier 2005, IV/M.862, AXA / UAP du 20 décembre 1996 ainsi que Décision n°09-DCC-16 du 22 juin 2009 relative à a fusion entre les groupes Caisse d’Epargne et Banque Populaire, Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’emploi du 1er octobre 2007, au conseil de la société Suisse de Participations d’Assurance, relative à une concentration dans le secteur de l’assurance-vie et de la capitalisation, Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’emploi du 10 septembre 2008, au conseil de la société Esca, relative à une concentration dans le secteur des assurances.
3 Voir en particulier la décision de l’Autorité n° 15-DCC-151 et n° 11-DCC-186, précitées.
4 Voir la décision de l’Autorité n° 10-DCC-52 du 2 juin 2010, du 2 juin 2010, relative à la création d’une société de Groupe d’Assurance Mutuelle (« SGAM ») par la MACIF, la MAIF et la MATMUT.
5 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n°10-DCC-52 du 2 juin 2010, relative à la création d’une société de groupe d’assurance mutuelle (« SGAM ») par la MACIF, la MAIF et la MATMUT.
6 Voir notamment les décisions de l’Autorité n° 16-DCC-70 et n°15-DCC-151.
7 Voir notamment la décision de l’Autorité n°15-DCC-151 et n°12-DCC-11.
8 Voir notamment la décision de l’Autorité n°11-DCC-186.
9 Voir notamment les décisions de l’Autorité n° 15-DCC-151 et n°14-DCC-161, précitées et la décision de la Commission européenne M.4701 du 3 décembre 2007 Generali/PPF Insurance Business.
10 Voir notamment les décisions de l’Autorité n° 15-DCC-151 et 11-DCC-186.