ADLC, 21 février 2014, n° 14-DCC-22
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la fusion-absorption de la société Médica par la société Korian
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 17 janvier 2014, relatif à la concentration des groupes Korian et Médica, formalisée par un projet de traité relatif à la fusion-absorption de Médica par Korian en date du 23 janvier 2014 et par un protocole d’accord signé le 17 novembre 2013 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-10 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Korian est une société anonyme à la tête d’un groupe actif dans le secteur de la prise en charge de la dépendance temporaire ou permanente, physique ou psychique. Il accueille les résidents et les patients principalement dans deux types de structure : les établissements pour l’hébergement des personnes âgées dépendantes (ci-après « EHPAD ») et les cliniques de soins de suite et de réadaptation (ci-après « SSR »). Le groupe compte 249 établissements en France, en Italie et en Allemagne.
2. Medica est une société anonyme, également active dans le domaine de la prise en charge de la dépendance temporaire ou permanente, physique ou psychique. Il intervient dans le secteur des EHPAD et dans le secteur sanitaire à travers les établissements de SSR. Le groupe Medica compte 220 établissements et est présent en France, en Italie et en Belgique.
3. L’opération notifiée consiste en la fusion-absorption de Medica par Korian au plus tard le 30 juin 2014. Elle sera rétroactive, aux plans comptable et fiscal, au 1er janvier 2014. En ce qu’elle se traduit par la fusion de deux entités antérieurement indépendantes, Médica et Korian, l’opération constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Korian : 1,1 milliard d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2012 ; Medica : 718,6 millions d’euros pour le même exercice). Chacune des entreprises concernées réalisent, en France, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Korian : 762 millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2012 ; Medica : 640,5 millions d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relative à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
A. DÉLIMITATION DES MARCHÉS DE SERVICES
5. Les groupes Korian et Médica sont simultanément actifs à travers les EHPAD et les centres de SSR qu’ils détiennent, dans les secteurs de l’hébergement de longue durée des personnes âgées, des centres de SSR et des soins à domicile. S’agissant des activités d’hébergement et de soins des personnes âgées, la pratique décisionnelle1 distingue deux marchés pertinents : celui de l’hébergement de longue durée des personnes âgées et celui des centres de SSR.
1. LE MARCHÉ DE L’HÉBERGEMENT DE LONGUE DURÉE DES PERSONNES ÂGÉES
6. Le marché de l’hébergement de longue durée des personnes âgées regroupe (i) les maisons de retraite ou EHPAD, (ii) les logements-foyers ou résidences de services qui sont des groupes de logements permanents autonomes, en chambre ou en appartement, qui proposent des équipements et des services collectifs dont l’usage est facultatif, les personnes âgées étant propriétaires ou locataires de leur logement et (iii) les unités de soins de longue durée (USLD) qui sont des structures médicalisées destinées à la prise en charge permanente de personnes très dépendantes.
7. La pratique décisionnelle2 a estimé qu’il n’était pas pertinent de sous-segmenter ce marché en fonction du statut juridique de l’établissement ou selon la participation financière qui est demandée à la personne âgée. Les parties à l’opération partagent cette analyse. Elles précisent de plus que ces établissements font l’objet d’une tarification conventionnelle et que leurs résidents peuvent bénéficier d’aides financières liées à leur degré d’autonomie. En revanche, la question d’un marché distinct des USLD a pu être évoquée, dans la mesure où ces unités de soin ne s’adressent pas uniquement à des personnes âgées (bien qu’elles accueillent très majoritairement des personnes de plus de 65 ans) et sont destinées à des personnes devant être suivies médicalement. La question de la délimitation exacte des marchés peut toutefois être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle ne sont pas affectées.
8. En ce qui concerne la délimitation géographique, la pratique décisionnelle3 a retenu pour l’ensemble du territoire hors région parisienne, l’existence de marchés de dimension départementale, le critère de choix de l’établissement étant sa proximité avec le domicile de la personne âgée ou du référent familial. Pour ce qui est de la région parisienne, la prise en compte de l’ensemble de la région a été envisagée. Cette question peut cependant être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle seraient inchangées quelle que soit la délimitation retenue.
2. LE MARCHÉ DES CENTRES DE SOINS DE SUITE ET DE RÉADAPTATION
9. Le marché des centres de SSR correspond à un marché de l’hébergement temporaire des personnes dépendantes notamment après une intervention chirurgicale. Dès lors, ces centres proposent des soins très larges : rééducation fonctionnelle post-opératoire, convalescence, traitement des affections à évolution prolongée ou chroniques. Il est donc envisageable de s’interroger sur la possibilité d’une segmentation plus fine des centres de SSR en fonction des spécialités de soins4. La question de la délimitation exacte des marchés peut toutefois être laissée ouverte au cas d’espèce dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées.
10. En ce qui concerne la délimitation géographique, la pratique décisionnelle5, tout en laissant la question ouverte, a envisagé une analyse au niveau de la région dans la mesure où les centres de SSR sont placés sous la tutelle des agences régionales de santé (ci-après les « ARS ») qui planifient leurs capacités d’accueil.
3. LE SECTEUR DES SOINS À DOMICILE
11. Korian et Médica proposent des prestations d’hospitalisation à domicile (ci-après « HAD »). Les parties notifiantes précisent à cet égard que les structures de HAD sont des établissements d’hospitalisation sans hébergement soumis aux mêmes obligations que les établissements hospitaliers privés ou publics : accréditation, sécurité ou encore qualité des soins. Une structure de HAD dispose de locaux spécifiques permettant notamment d’assurer la gestion et la coordination des prestations de soins et du personnel.
12. Les services de soins infirmiers à domicile (ci-après « SSIAD »), proposés seulement par Médica, ont pour vocation de faciliter le retour au domicile à la suite d’une hospitalisation, de prévenir ou de retarder l’aggravation de l’état des personnes accueillis et d’éviter ainsi leur admission en établissement de soins ou d’hébergement. Ils permettent également de préserver ou de restaurer l’autonomie des personnes dans l’exercice des activités de la vie quotidienne et d’assurer la continuité des soins prescrits. Les parties relèvent également que les pouvoirs publics ont souligné que l’hospitalisation à domicile faisait « partie intégrante des modalités de prise en charge hospitalière »6.
13. Les parties notifiantes considèrent qu’il n’y a pas lieu de distinguer ces activités de soins à domicile de celles de soins dans le cadre d’établissements hospitaliers, question laissée ouverte par la pratique décisionnelle7. Il n’y a pas lieu de trancher cette question au cas d’espèce, les conclusions de l’analyse étant inchangées quelle que soit la délimitation retenue.
14. S’agissant de la délimitation géographique de ces marchés, la Commission européenne8, sans trancher définitivement la question, suggère que les marchés de l’offre de diagnostics et de soins hospitaliers ont une dimension locale s’étendant à un rayon de 30 minutes de voiture. La pratique française, tenant notamment compte des instruments de régulation utilisés par les ARS, considère que les marchés de l’offre de diagnostics et de soins hospitaliers ont une dimension locale, au plus régionale, dont le périmètre est fonction de la spécialité concernée9. Les parties considèrent pertinent de retenir une dimension régionale compte tenu notamment du rôle joué par les ARS dans la planification de l’offre de soins. La question de la dimension géographique de ces marchés peut cependant être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse restant inchangées quelle que soit la délimitation retenue.
III. Analyse concurrentielle
A. LE MARCHÉ DE L’HÉBERGEMENT DE LONGUE DURÉE DES PERSONNES ÂGÉES
15. Korian et Médica exercent une activité de prise en charge des personnes âgées dépendantes à travers leurs maisons de retraite et résidences de services, au nombre de 129 pour Korian et 155 pour Medica. Il s’agit essentiellement d’EHPAD, seule Korian exploite une USLD10.
16. L’opération entraîne un chevauchement d’activité en Île-de-France et dans 35 départements11. La part de marché de la nouvelle entité reste inférieure à 10 % dans tous les départements sauf en Indre-et-Loire (37) où elle n’atteint toutefois que [10-20] %, la nouvelle entité restant confrontée à la concurrence de nombreuses résidences et EHPAD.
17. Par conséquent, l’opération notifiée n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché de l’hébergement de longue durée de personnes âgées.
B. MARCHÉ DES CENTRES DE SOINS DE SUITE ET DE RÉADAPTATION
18. Korian exploite 35 centres de SSR et Médica en exploite 31. Les parties ont une capacité d’accueil combinée de […] lits pour […] au niveau national. Elles estiment donc leur part de marché à [0-5] % en France.
19. Au niveau régional, l’opération emporte un chevauchement d’activité dans les régions Aquitaine, Île-de-France, Poitou-Charentes, Provence-Alpes-Côte-D’azur et Rhône-Alpes. Dans chaque région, la part de marché de la nouvelle entité y reste inférieure à 10 % hormis en Aquitaine, où elle atteint [10-20] %. Au niveau départemental, les parties sont simultanément présentes dans 5 départements12. La nouvelle entité détiendra dans chaque département une part de marché inférieure à 15 %, l’opération entraînant une faible addition de part de marché (moins de […] points en Aquitaine et Île-de-France, de […] points en Poitou-Charentes, de […] points en Provence-Alpes-Côte-D’azur et de […] points en Rhône-Alpes).
20. Dans l’hypothèse d’une segmentation par spécialités médicales, les activités des entreprises concernées ne se chevauchent que sur les spécialités « affections des personnes âgées polypathologiques, dépendantes ou à risque de dépendance » dans le département des Yvelines (78) en Île-de-France ainsi que sur les spécialités « affections de l’appareil locomoteur » et « affections du système nerveux » en région Rhône-Alpes.
21. S’agissant de la spécialité « affections des personnes âgées polypathologiques, dépendantes ou à risque de dépendance » dans les Yvelines (78), environ treize centres de SSR disposent d’une capacité d’accueil totale d’environ […] lits. Avec respectivement, une capacité d’accueil de […] et […] lits, Korian et Médica disposent d’une part de marché combinée d’environ [20-30] %.
22. En Île-de-France, environ 120 établissements proposent au sein de leurs centres de SSR des lits spécialisés en « affections des personnes âgées polypathologiques, dépendantes ou à risque de dépendance » pour une capacité totale d’environ […] lits. Avec respectivement, une capacité d’accueil de […] et […] lits, Korian et Médica disposent d’une part de marché combinée d’environ [5-10] %.
23. S’agissant de la spécialité « affections de l’appareil locomoteur » en région Rhône-Alpes, environ 30 établissements ont une capacité d’accueil totale dans leurs centres de SSR d’environ […] lits. Avec une capacité d’accueil de respectivement […] et […] lits, la nouvelle entité disposera d’une part de marché d’environ [5-10] %.
24. S’agissant enfin de la spécialité « affections du système nerveux » en région Rhône-Alpes, environ 30 établissements ont une capacité d’accueil totale dans leurs centres de SSR d’environ […] lits. Avec une capacité d’accueil de respectivement […] et […] lits, Korian et Médica disposent d’une part de marché combinée d’environ [10-20] %.
25. Par conséquent, l’opération notifiée n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les différents marchés concernés des centres de SSR.
C. LE SECTEUR DES SOINS À DOMICILE
26. Korian exploite un HAD dans le département des Yvelines (78) en région Île-de-France et Médica en exploite neuf dans les départements des Vosges (88), de la Marne (51), du Cher (18), de la Haute-Marne (52), du Tarn (81), de l’Aude (11), de la Lozère (48) et de l’Eure (27). Médica gère également trois services de SSIAD dans les départements de la Loire (42), de la Savoie (73) et du Var (83).
27. Les activités des parties ne se chevauchent donc pas au niveau des régions et départements. L’opération n’entraîne par conséquent aucun risque concurrentiel en matière de soins à domicile.
DECIDE
Article unique : l’opération notifiée sous le numéro 13-241 est autorisée.
NOTES :
1 Voir les décisions Lettre du ministre de l’économie des finances et de l’économie en date du 28 janvier 2003 au conseil de la société Médica France relative à une concentration dans le secteur de l’hébergement en long séjour des personnes âgées dépendantes, publiée au BOCCRF n° 2003-11, Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie en date du 22 mai 2003 au conseil de la société Batipart relative à une concentration dans le secteur de l’hébergement des personnes âgées dépendantes, soins de suite et réadaptation, publiée au BOCCRF n° 2003-11, Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’économie en date du 28 août 2003 et C2005-96 / Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’économie du 20 septembre 2005, aux conseils de la société SUREN, relative à une concentration dans le secteur des services d’hébergement des personnes âgées et des soins de longue durée, publiée au BOCCRF n° 5 du 29 avril 2006 ainsi que les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 10-DCC-132 du 11 octobre 2010 relative à la création de deux entreprises communes par Domus Vi et GDP Vendôme et n° 10-DCC-179 du 13 décembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Mediter et Mieux-Vivre par la société Orpéa.
2 Voir les décisions précitées.
3 Voir les décisions précitées.
4 Voir notamment les décisions de l’Autorité n° 10-DCC-132 et n° 10-DCC-179 précitées.
5 Voir les décisions précitées.
6 Exposé des motifs du projet de loi n° 1210 portant réforme de l’hôpital relatif aux patients, à la santé et aux territoire, et article 4 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
7 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n° 11-DCC-57 du 4 avril 2011 relative à la prise de contrôle du groupe Médipôle Sud Santé par le groupe Bridgepoint.
8 Voir notamment la décision de la Commission européenne n° COMP/M.5805, 3i/Vedici précitée.
9 Voir notamment les décisions Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie en date du 14 novembre 2002, au conseil de la société Médi-Partenaire,s relative à une concentration dans le secteur des établissements de soins en France, publiée au BOCCRF n° 2003-05 et C2006-105 / Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie en date du 26 octobre 2006, aux conseils de la société Capio santé SA, relative à une concentration dans le secteur de la production de diagnostics et de soins en établissement de sante, publiée au BOCCRF N° 1 bis du 25 janvier 2007.
10 Les parties à l’opération ont communiqué une estimation de leur part de marché sur le marché de l’hébergement de longue durée de personnes âgées hors USLD et USLD inclus. Il ressort de cette estimation que les parts de marché sont très sensiblement les mêmes dans les deux hypothèses.
11 Ces départements sont le Haut-Rhin (68), la Gironde (33), le Calvados (14), la Côte-d’Or (21), l’Indre-et-Loire (37), le Loiret (45), la Marne (51), l’Eure (27), la Seine-Maritime (76), Paris (75), Seine-et-Marne (77), les Yvelines (78), les Hauts-de-Seine (92),la Seine-Saint-Denis (93), Val-de-Marne (94), Val-d’Oise (95), l’Aude (11), l’Hérault (34), la Meurthe-et-Moselle (54), les Vosges (88), la Haute-Garonne (31), le Tarn (81), le Nord (59), la Loire-Atlantique (44), la Mayenne (53), la Sarthe (72), la Somme (80), la Charente-Maritime (17), Vienne (86), Alpes-Maritimes (06), les Bouches-du-Rhône (13), le Var (83), la Loire (42), le Rhône (69) et la Haute-Savoie (74).
12 Ces départements sont les Yvelines (78), la Charente-Maritime (17), les Bouches-du-Rhône (13), l’Ain (01) et la Haute-Savoie (74).