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Décisions

Cass. 1re civ., 11 mai 2017, n° 15-29.374

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Cass. 1re civ. n° 15-29.374

10 mai 2017

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., ancien reporter photographe salarié de la société La Provence, estimant que la société d'édition Hugo et cie avait reproduit dans neuf ouvrages, sans son autorisation, des photographies dont il était l'auteur, a assigné la seconde en contrefaçon, laquelle a appelé en garantie la première ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ le juge doit examiner tous les éléments de preuve qui lui sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que le demandeur produisait les attestations du chef du service photographies du journal Le Provençal et secrétaire général de l'OM Plus, du chef du service photographies des quotidiens Le Provençal et La Provence, d'un reporteur photographe au journal Le Provençal, du rédacteur en chef du journal Le Provençal, également vice-président de l'Olympique de Marseille, lesquels témoignaient de ce que le demandeur était bien l'auteur de l'ensemble des photographies dont il demandait la protection par le droit d'auteur ; qu'en s'abstenant d'examiner ces pièces à même d'établir la propriété de ces photographies, la cour d'appel a violé les articles 1353 du code civil ainsi que 455 et 563 du code de procédure civile ;

2°/ le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction ; qu'en reprochant au photographe de ne pas avoir versé aux débats les reproductions papier des quatre cent quatre-vingt-quatre clichés sur lesquels reposaient ses demandes, quand figuraient parmi eux de nombreuses reproductions des deux cent soixante-treize photographies dont il avait fourni des versions papier et à propos desquelles il était dispensé de produire une nouvelle version, la cour d'appel a violé l'article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que, sous le couvert de griefs non fondés de violation des articles L. 111-1, L. 112-2 et L. 122-2 du code de la propriété intellectuelle, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, les constatations et appréciations souveraines de la cour d'appel qui, sans être tenue de s'expliquer sur les pièces qu'elle décidait d'écarter et après avoir relevé la différence existant entre les photographies revendiquées par M. X... dans ses écritures et celles listées par ses pièces, a estimé que les photographies simplement listées, mais non reproduites, ne pouvaient être prises en considération ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Mais sur les troisième et quatrième branches du moyen :

Vu les articles L. 111-1 et L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que, pour rejeter les demandes de M. X..., l'arrêt, qui constate que les photographies litigieuses représentent des joueurs soit en portrait collectif soit en portrait individuel, tantôt de manière statique et tantôt en action, retient que, si elles démontrent de véritables qualités techniques et esthétiques, dès lors qu'un grand nombre concerne des footballeurs en action rapide, elles ont été réalisées en utilisant, notamment, la technique dite de la prise en rafale qui fonctionne sans véritable choix du photographe, que le choix de la mise en scène et de l'éclairage n'existe pas puisque l'attitude et le comportement des joueurs photographiés ainsi que les lumières naturelles et artificielles ne sont pas décidés par M. X... lui-même, que le cadrage et le choix de l'angle de vue sont en partie le fruit du hasard et ne démontrent pas une recherche qui porte l'empreinte de la personnalité et de la sensibilité de M. X..., lequel photographie des footballeurs et des scènes de jeu, c'est-à-dire des sujets ordinaires, sans faire de recherches personnelles, qu'enfin, les quelques modifications qu'il a opérées après coup sur les photographies ont amélioré ces dernières mais ne portent pas l'empreinte de sa personnalité ;

Qu'en se déterminant ainsi, sans procéder à un examen distinct des photographies entre elles et sans apprécier leur originalité respective, en les regroupant, au besoin, en fonction de leurs caractéristiques communes, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les demandes de M. X... relatives aux photographies simplement listées dans les pièces produites, l'arrêt rendu le 19 novembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne la société Hugo et cie aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour M. X...

Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté un photographe (M. X..., l'exposant) de ses demandes tendant à ce qu'il soit constaté qu'une société éditrice (la société Hugo & Cie) avait reproduit dans neuf ouvrages, sans son autorisation, des photographies dont il était l'auteur et à ce qu'elle soit condamnée à lui verser des dommages et intérêts en réparation de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux et moraux attachés à ses droits d'auteur ;

AUX MOTIFS QUE, en sa qualité de demandeur à l'instance, M. X... se devait de rapporter la preuve que les photographies qu'il revendiquait avaient été prises par lui-même ; que c'était à tort qu'il soutenait que la société Hugo, après avoir supprimé son nom qui existait à l'origine, ce qu'il ne démontrait nullement, ne pouvait inverser la charge de la recherche de l'auteur qui incombait à celle-ci ; que le nombre de clichés revendiqués par M. X... avait varié dans le temps puisqu'il avait fait mention notamment : dans sa pièce numéro 37 de 534, dans ses conclusions en appel de 484, qui était le nombre retenu par le jugement, dans ses pièces numéros 20 à 25 de 48 pour le livre géant de l'Olympique de Marseille, 11 pour l'Agenda-Calendrier Olympique de Marseille 2010, 74 pour le Dictionnaire officiel Olympique de Marseille 2006, 49 pour le Dictionnaire officiel Olympique de Marseille 2007-2008, 91 pour le Dictionnaire officiel Olympique de Marseille 2009, 56 pour l'Histoire de l'Olympique de Marseille 2009, au total 329 photographies qui étaient listées sans reproduction sur papier ; que dans ses pièces 31 et 32 figuraient 133 clichés avec reproduction sur papier à partir de diapositives et de format jpg, dans sa pièce numéro 37 80 pour le Dictionnaire officiel Olympique de Marseille 2006, 80 pour le Dictionnaire officiel Olympique de Marseille 2009, 64 pour le Dictionnaire officiel Olympique de Marseille 2010, 63 pour l'Histoire de l'Olympique de Marseille 2007, 64 pour l'Histoire de l'Olympique de Marseille 2008, 63 pour l'Histoire de l'Olympique de Marseille 2009, 60 pour l'Histoire de l'Olympique de Marseille 2010, 13 pour l'Agenda-Calendrier Olympique de Marseille 2010, 47 pour le livre géant de l'Olympique de Marseille (les 110 ans de l'OM), soit au total 534 photographies qui étaient listées sans reproduction sur papier ; que dans sa pièce numéro 53 figurait un total de 140 photographies qui étaient reproduites sur papier à partir tant de diapositives que de format jpg ; que les photographies simplement listées sans être reproduites sur papier ne pouvaient être utiles à la solution du litige ; que celles reproduites sur papier étaient seules à considérer ; qu'il convenait donc de retenir les trois pièces communiquées numéros 31, 32 et 53 soit 133 + 140 = 273 clichés ; que la reproduction des diapositives démontrait que M. X... les avait réalisées, et il en était de même pour les formats jpg qui constituaient une preuve suffisante de titularité de ce photographe que ne pouvaient renverser ni la société Hugo ni la société La Provence ; que le droit d'auteur n'existait que si les photographies de M. X... étaient une oeuvre de l'esprit, c'est-à-dire originale et portant l'empreinte de la personnalité de l'intéressé ; que trois documents émanant de La Provence concernaient la situation juridique de M. X... par rapport à ses photographies : le courrier du 1er juin 1983 par lequel la première, engageant le second en qualité de reporter photographe, précisait : « En contrepartie de [votre] rémunération (...), nous aurons le droit de diffuser, de reproduire par n 'importe quel moyen que ce soit et de céder à des tiers, les photographies et les documents obtenus par vous, aussi souvent que nous l'estimerons utile et vous ne pourrez réclamer, de ce chef, aucune rémunération supplémentaire » ; que la convention expresse concernant la reproduction de photos du 25 mai 2000 stipulant que « sera prélevée [par La Provence], sur les redevances encaissées par [elle] au titre de l'utilisation des clichés photographiques réalisés par [Monsieur X...], une somme égale à 0,46 % de leur montant hors taxe, [laquelle sera inscrite] au crédit du compte commun (...) des reporters-photographes du service photo de La Provence » ; que la lettre écrite par La Provence le 22 juin 2009 à M. X... exposant que l'éditeur d'un ouvrage pour les 110 ans de l'OM « souhaiterait utiliser certaines [photographies] (...); son choix s'est notamment porté sur 48 des photos que vous avez réalisées (...) durant votre collaboration au journal. (...) nous vous demandons de bien vouloir nous autoriser expressément à utiliser ces 48 photographies aux fins de réalisation dudit ouvrage et ce, moyennant une rémunération fixée à 22 € 00 par photographie, soit 1 056 € au total » ; que le premier document excluait toute rémunération au titre du droit d'auteur ; que les deux autres ne précisaient pas que les sommes versées (le deuxième), ou proposées mais sans réponse de M. X... (le troisième), constituaient de tels droits ; que les photographies litigieuses représentaient des joueurs du club de football l'OM, soit en portrait collectif soit en portrait individuel, tantôt de manière statique et tantôt en action ; qu'elles avaient été prises pour leur quasi-totalité dans des lieux publics même si, par sa profession de photographe, M. X... avait accès à des lieux réservés à d'autres membres de cette profession ; que ces photographies démontraient de véritables qualités techniques et esthétiques, puisqu'un grand nombre concernait des footballeurs en action rapide ; que cependant elles captaient ces personnes et leurs mouvements en utilisant notamment la technique de la prise en rafale qui permettait une action très rapide du déclencheur, et où l'appareil photographique fonctionnait sans véritable choix du photographe ; que le processus de mise en scène et d'éclairage n'existait pas puisque l'attitude et le comportement des personnes photographiées ainsi que les lumières naturelles et artificielles n'étaient pas décidés par M. X... lui-même ; que les cadrage et choix d'un angle de vue, vu la rapidité des actions de jeu en football, étaient en partie le fruit du hasard et ne démontraient pas une recherche qui portait l'empreinte de la personnalité et de la sensibilité de l'intéressé, lequel photographiait des footballeurs et des scènes de jeu de football, c'est-à-dire des sujets ordinaires sans faire de recherches personnelles ; qu'enfin les quelques modifications opérées après coup sur les photographies avaient amélioré ces dernières mais sans leur apporter une originalité ou l'empreinte de la personnalité de M. X... ; que les photographies litigieuses n'étaient pas de nature à être protégées par le droit d'auteur ;

ALORS QUE le juge doit examiner tous les éléments de preuve qui lui sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que l'exposant produisait les attestations du chef du service photographies du journal Le Provençal et secrétaire général de l'OM Plus, du chef du service photographies des quotidiens Le Provençal et La Provence, d'un reporteur photographe au journal Le Provençal, du rédacteur en chef du journal Le Provençal, également vice-président de l'Olympique de Marseille, lesquels témoignaient de ce que l'exposant était bien l'auteur de l'ensemble des photographies dont il demandait la protection par le droit d'auteur ; qu'en s'abstenant d'examiner ces pièces à même d'établir la propriété de ces photographies, la cour d'appel a violé les articles 1353 du code civil ainsi que 455 et 563 du code de procédure civile ;

ALORS QUE le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction ; qu'en reprochant au photographe de ne pas avoir versé aux débats les reproductions papier des 484 clichés sur lesquels reposaient ses demandes, quand figuraient parmi eux de nombreuses reproductions des 273 photographies dont il avait fourni des versions papier et à propos desquelles il était dispensé de produire une nouvelle version, la cour d'appel a violé l'article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle ;

ALORS QU'une oeuvre présente un caractère original lorsqu'elle résulte d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en refusant de constater le caractère original des photographies litigieuses quand, d'un côté, les clichés saisis lors des matchs étaient le résultat des choix opérés par leur auteur s'agissant de l'angle de vue, des teintes, des jeux d'ombre, de l'instant opportun faisant au mieux ressortir l'action décisive et les émotions des joueurs, du cadrage et de la modification des couleurs décidés lors de l'étape de développement, et, d'un autre côté, les portraits individuels avaient aussi nécessité des choix esthétiques sur la lumière, le contraste, les reliefs, l'objectif, le temps de pose, l'angle de la prise de vue, la position des personnes, l'instant convenable dans lesquels se trouvaient exprimés son sens de l'esthétique et sa personnalité, la cour d'appel a violé les articles L. 111-1 et L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle ;

ALORS QUE le juge doit analyser chacune des photographies pour laquelle la protection par le droit d'auteur est sollicitée afin d'apprécier si chacune d'elles prise individuellement présente le caractère d'une oeuvre originale ; qu'en s'abstenant d'examiner si chacune des photographies de portrait de joueurs, d'entraîneurs, de dirigeants du club, dont la protection était sollicitée, résultait d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 111-1 et L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle ;

ALORS QU'une convention ne peut se former sans l'échange des consentements des parties qui s'obligent ; qu'en se fondant sur le courrier adressé le 1er juin 1983 par la société La Provence à l'exposant pour en déduire que ce dernier avait cédé l'ensemble de ses droits patrimoniaux à son employeur sur ses oeuvres à venir, sans constater que le photographe y avait donné son consentement, la cour d'appel n'a conféré à sa décision aucune base légale au regard de l'article 1108 du code civil ;

ALORS QUE la cession globale des oeuvres futures est nulle ; qu'en fondant sa décision sur le courrier adressé le 1er juin 1983 par la société La Provence à l'exposant, quand celle-ci s'y appropriait l'intégralité des droits d'exploitation des photographies à venir et indéterminées de son salarié, la cour d'appel a violé l'article L. 131-1 du code de la propriété intellectuelle ;

ALORS QUE, en tout état de cause, la transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, au lieu et à la durée ; qu'en fondant sa décision sur le courrier adressé le 1er juin 1983 par la société La Provence à l'exposant, quand n'y étaient précisés ni les supports d'exploitation des photographies ni les limitations spatiale et temporelle de l'exercice des droits cédés, la cour d'appel a violé l'article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle ;

ALORS QUE, enfin, la cession par l'auteur, y compris salarié, de ses droits sur son oeuvre doit comporter à son profit une participation proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l'exploitation ; qu'en fondant sa décision sur le courrier adressé le 1er juin 1983 par la société La Provence à l'exposant, quand il comportait l'énoncé d'une cession globale et gratuite de l'ensemble de ses droits d'exploitation sur ses photographies à venir, la cour d'appel a violé l'article L. 131-4 du code de la propriété intellectuelle.