ADLC, 11 avril 2014, n° 14-DCC-54
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle conjoint de la société Dalloz Pre-Setting par la société Van Cleef & Arpels aux côtés du groupe Dalloz Frères
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 10 mars 2014, relatif à la prise de contrôle conjoint de la société Dalloz Pre-Setting par la société Van Cleef & Arpels au côtés du groupe Dalloz Frères, formalisé par une lettre d’intention en date du [confidentiel] ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Van Cleef & Arpels (ci-après « VCA ») est une société active dans le secteur de la création et de la commercialisation de produits de bijouterie-joaillerie, de haute joaillerie et d’horlogerie. Elle est détenue à […] % par la société suisse Richemont International SA, elle-même détenue à […] % par la famille Rupert via la société Compagnie Financière Rupert et la Compagnie Financière Richemont SA. Le reste des actions est coté à la SIX Swiss Exchange. Le groupe Richemont est principalement actif dans les secteurs suivants (i) la bijouterie joaillerie et la haute joaillerie (via les maisons Cartier, Piaget et Van Cleef & Arpels) qui représentent 27 % du chiffre d’affaires du groupe ; (ii) l’horlogerie (via les maisons Cartier, Jaeger-LeCoultre, Vacheron Constantin et IWC Schaffhausen) qui représente 43 % du chiffre d’affaires du groupe ; (iii) le prêt à porter, les accessoires et la maroquinerie de luxe (via Azzedine Alaiä, Chloé, Lancel, Alfred Dunhill ou Net à Porter) qui représentent 20 % du chiffre d’affaires du groupe ; et (iv) les instruments d’écriture (via Montblanc) qui représentent 4 % du chiffre d’affaires du groupe. VCA dispose en France et aux Etats Unis de deux ateliers de fabrication de produits de haute joaillerie. Les produits phares commercialisés par VCA sont les bijoux de la gamme Alhambra, dont la fabrication est concernée par la présente opération. VCA dispose en outre de 15 boutiques en Europe dont 5 en France.
2. Dalloz Frères (ci-après « Dalloz ») est un groupe familial, initialement spécialisé dans la taille de pierres et principalement actif dans le secteur de la fabrication de produits de bijouterie-joaillerie via ses filiales [confidentiel]. Les principaux clients de Dalloz Frères sont les grandes surfaces, les chaines spécialisées et les détaillants ainsi que VCA et Cartier pour la joaillerie. Dalloz a également une activité de taille de pierres synthétiques et de verres de montres pour les industries horlogères dite activité de « lapidaire ». Dalloz est ultimement contrôlé par les membres des familles Dalloz et Vernaton.
3. Dalloz Pre-Setting (ci-après « DPS ») est une filiale indirecte à 100 % de Dalloz. Initialement, DPS avait notamment pour activité le sertissage de pierres dures. En 2007, DPS a démarré, pour les besoins de VCA, une activité de façon de produits de bijouterie-joaillerie et fabrique depuis pour VCA les bijoux entrée de gamme de la ligne Alhambra. Cette activité s’est fortement développée au fil des années. Ainsi, en 2008, VCA représentait […] % du chiffre d’affaires de DPS pour atteindre […] % en 2013.
4. L’opération, formalisée par une lettre d’intention en date du [confidentiel] consiste en la prise de participation à hauteur de […] % du groupe Richemont via VCA dans la société DPS. Conformément à l’article 14 des statuts, DPS sera gérée et administrée par un président nommé par l’Assemblée Générale à la majorité. En vertu du projet de pacte d’actionnaires, DPS sera en outre dotée d’un conseil de surveillance composé de [confidentiel]. Les décisions stratégiques (approbation du budget, nomination aux postes clefs….) seront prises avec l’accord préalable du conseil de surveillance, le vote positif du membre nommé par VCA étant requis pour l’adoption de ces décisions. L’opération se traduit donc par la prise de contrôle conjoint de DPS par le groupe Richemont aux côtés de Dalloz, et constitue à ce titre une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Richemont : […] d’euros pour l’exercice 2013 ; Dalloz Frères : […] d’euros pour l’exercice 2012). Deux au moins de ces entreprises réalisent en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Richemont: […] d’euros pour l’exercice 2013; Dalloz Frères : […] d’euros pour l’exercice 2012). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
6. Les parties sont simultanément actives sur les marchés de la fabrication de bijoux. Richemont est également présente via ses 20 boutiques, sur le marché de la distribution de détail de bijoux.
A. LE MARCHÉ DU LAPIDAIRE
7. Le ministre1 a défini le marché du lapidaire, qui comprend les activités de taille de verre et de pierres précieuses et synthétiques, comme un marché situé à l’amont des marchés de fabrication de bijoux.
8. Les parties considèrent que ce marché est de dimension mondiale, les transactions étant mondialisées. En tout état de cause, pour les besoins de la présente opération, la délimitation exacte du marché pertinent peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle resteront inchangées quelle que soit la délimitation retenue.
B. LE MARCHÉ AMONT DE LA FABRICATION DE BIJOUX
9. La pratique2 distingue trois marchés dans le secteur de la bijouterie-joaillerie : i) le marché de la bijouterie fantaisie, ii) le marché de l’horlogerie, bijouterie, joaillerie et orfèvrerie (HBJO) et iii) le marché de la haute joaillerie. Au sein du marché HBJO, la pratique décisionnelle a envisagé de distinguer le segment de la bijouterie en métaux précieux, de celui de la bijouterie non précieuse et de celui de l’horlogerie de petit volume.
10. En l’espèce, les activités des parties se chevauchent uniquement sur le segment de la fabrication de bijoux en métaux précieux car aucune d’entre elles n’est active sur les marchés de la fabrication de bijoux fantaisie et de bijoux non précieux et que seul Richemont est actif sur les marchés de la haute joaillerie et de l’horlogerie.
11. La pratique a envisagé une délimitation nationale du marché3. Il n’y a pas lieu de trancher la question à l’occasion de la présente opération, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la délimitation retenue. En l’espèce, l’analyse sera menée au niveau national, hypothèse la plus défavorable aux parties.
C. LES MARCHÉS DE LA VENTE AU DÉTAIL DE BIJOUX
12. S’agissant de la distribution au détail de produits d’horlogerie, bijouterie, joaillerie et orfèvrerie, la pratique décisionnelle4 a distingué les marchés (i) de l’horlogerie de petit volume, (ii) de la bijouterie précieuse et (iii) de la bijouterie non précieuse, qui se distinguent de celui des bijoux fantaisie.
13. La pratique décisionnelle5 considère que les marchés de la distribution au détail de produits HBJO sont de dimension locale.
III. Analyse concurrentielle
A. EFFETS HORIZONTAUX
14. Sur le marché de la fabrication de bijouterie précieuse sur lequel les parties sont simultanément actives, les parties estiment que la part de marché de DPS est marginale (inférieure à [0-5] %). Elles estiment celle de Dalloz à [5-10] % et celle du groupe Richemont à [10-20] %. Les parties relèvent qu’outre le chiffre d’affaires très faible de DPS ([…] d’euros), son activité sera exclusivement dédiée à VCA à compter d’avril 2014 et ne sera plus, à proprement parler, active sur le marché6. Il faut également noter que d’autres opérateurs sont également présents sur ce marché, tels que Christian Bernard, le groupe GL ainsi que de nombreux ateliers de fabrication.
15. Il en résulte que l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux.
B. EFFETS VERTICAUX
16. Richemont est active, via ses 20 boutiques, sur le marché aval de la vente de bijoux précieux. Il en résulte que sa position est tout à fait marginale, tout comme celle de DPS sur le marché de la fabrication de bijoux, comme cela a été démontré ci-dessus.
17. Sur le marché du lapidaire situé en amont du marché de la fabrication, la partie notifiante estime que la part de marché de Dalloz au niveau mondial n’excède pas [0-5] %, Richemont étant présent sur ce marché de manière marginale. DPS quant à elle n’est pas présente sur ce marché.
18. Compte tenu des positions respectives des parties sur les différents marchés concernés, un scénario de verrouillage est peu crédible. Il en résulte que l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux.
C. RISQUE DE COORDINATION DES SOCIÉTÉS MÈRES
19. Les sociétés mères et la cible sont simultanément actives sur le marché de la fabrication de bijoux précieux. Toutefois, une coordination entre ces deux entreprises est peu vraisemblable compte tenu du caractère asymétrique de Richemont et Dalloz que ce soit en termes d’activité, de taille ou de couverture géographique. En effet, Dalloz est une entreprise familiale qui fabrique et commercialise des bijoux précieux entrée et moyenne gamme essentiellement en France. Richemont quant à lui est un groupe mondial actif dans le domaine plus large du commerce de détail des produits de luxe. En outre, compte tenu des parts de marché des parties, une éventuelle coordination n’aurait pas d’effet sensible sur le marché.
20. Il ressort de ces éléments que l’opération notifiée n’est pas de nature à faciliter une coordination du comportement concurrentiel entre Richemont et Dalloz.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 13-227 est autorisée.
NOTES :
1 Lettre C 2006-33 du 22 juin 2006
2 Décision n° 10-DCC-140 du 13 octobre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Histoire d’Or Europe SAS et Financière MO Holding SAS par Bridgepoint Capital Groupe Limited.
3 Décision n° 10-DCC-140 précitée
4 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n°10-DCC-140 précitée.
5 Décision n° 10-DCC-140 précitée.
6 L’activité de DPS était déjà dédiée à hauteur de […] % à [confidentiel].