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Décisions

ADLC, 14 avril 2014, n° 14-DCC-56

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à la prise de contrôle exclusif de la société Groupe Euriware par la société Capgemini France

ADLC n° 14-DCC-56

13 avril 2014

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 10 mars 2014 relatif à la prise de contrôle exclusif par la société Capgemini France de la société Groupe Euriware, formalisée par un contrat de cession en date du 26 février 2014 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-10 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;

Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées et l’opération

1. Capgemini France est la holding des filiales françaises du groupe Capgemini (ci-après « Capgemini »). Elle est détenue à 100 % par Cap Gemini SA, la société mère de Capgemini. Cap Gemini SA est une société cotée dont aucun actionnaire ne dispose de droits de veto de nature à lui octroyer une influence déterminante sur les décisions stratégiques de la société. Capgemini est spécialisé dans les services informatiques et le conseil en organisation. Il est organisé autour de quatre métiers : (i) le conseil en stratégie et transformation, (ii) l’intégration de systèmes et applications informatiques, (iii) l’infogérance et (iv) les services informatiques de proximité.

2. Groupe Euriware (ci-après « Euriware ») est une société par actions simplifiée détenue intégralement par la société Areva NP (ci-après « Areva »). Euriware est une entreprise de services informatiques spécialisée dans (i) l’intégration de systèmes informatiques, (ii) l’infogérance et, plus marginalement, (iii) le conseil en services informatiques. Euriware est également active dans le pilotage de centrales nucléaires.

3. Aux termes d’un contrat de cession en date du 26 février 2014, Capgemini France s’est portée acquéreur de la totalité des actions représentant 100 % du capital social et des droits de vote d’Euriware actuellement détenues par Areva. L’activité de pilotage des centrales nucléaires ne fait pas partie du périmètre de cession et sera transférée à Areva préalablement à l’opération.

4. En ce qu'elle se traduit par l'acquisition du contrôle exclusif d’Euriware par Capgemini France, l'opération notifiée est une concentration au sens de l'article L. 430-1 du code de commerce.

5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Capgemini : 10,2 milliards d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2012 ; Euriware : 239,7 millions d’euros pour le même exercice). Capgemini et Euriware réalisent chacun, en France, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Capgemini : 2,2 milliards d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2012 ; Euriware : 239,7 millions d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce, relatives à la concentration économique.

 

II. Délimitation des marchés pertinents

6. Les parties à l’opération sont simultanément actives dans le secteur des services informatiques en matière de conseil, de gestion globale (services d’infogérance) et de développement et intégration de logiciels.

 

A. MARCHÉS DE SERVICES

7. Les autorités de concurrence, tant françaises1 que communautaire2, ont déjà eu l’occasion de se prononcer sur la délimitation des marchés pertinents du secteur des services informatiques, tout en laissant la question ouverte. La pratique décisionnelle3 a ainsi considéré que sept catégories fonctionnelles de services pouvaient être distinguées au sein du marché des services informatiques : (i) les services de gestion globale, (ii) les services de gestion d’entreprise, (iii) le développement et l’intégration de logiciels, (iv) le conseil, (v) la maintenance de logiciels et de support logistique, (vi) la maintenance de matériels informatiques et de support logistique, et (vii) l’enseignement et la formation. Il n’a toutefois pas été exclu4 que ces sept catégories de services puissent être considérées comme appartenant à un marché global des services informatiques dans la mesure où les clients recherchent en général un service intégrant l’ensemble des activités décrites ci-dessus et qu’il existe un fort degré de substituabilité du côté de l’offre.

8. Différentes segmentations alternatives ou complémentaires ont aussi été envisagées5 selon :

- le type de clientèle, PME/PMI ou grands comptes ;

- les types de systèmes d’information et de communication : (i) les systèmes d’applications de gestion, qui incluent les services informatiques utilisés pour remplir une fonction horizontale au sein des entreprises ou des administrations ; (ii) les systèmes d’applications scientifiques techniques industrielles embarquées ; (iii) les systèmes d’applications génériques ; (iv) les systèmes d’infrastructures IT ; et (v) les systèmes d’infrastructures de communication et de réseaux d’entreprise ;

- le secteur d’activité, à savoir : (i) les communications, (ii) l’enseignement, (iii) l’énergie et les réseaux locaux, (iv) les services financiers, (v) le secteur public, (vi) la santé, (vii) l’industrie, (viii) le commerce et la distribution, (ix) les services, et (x) le transport.

9. Il n’y a pas lieu de remettre en cause ces segmentations à l’occasion de la présente opération.

 

B. LES MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

10. Les autorités de concurrence6 ont, à plusieurs reprises, retenu que les marchés des services informatiques étaient de dimension nationale, notamment en raison de la nécessité pour les prestataires de ces services de communiquer régulièrement dans la langue de leurs clients et de maintenir une relative proximité avec ces derniers. Elles ont toutefois constaté une certaine internationalisation de l’offre et de la demande.

11. En l’espèce, l’analyse concurrentielle sera conduite au niveau national.

 

III. Analyse concurrentielle

A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX

12. Sur le marché global des services informatiques, la part de marché cumulée des parties s’élève à [5-10] % en 2012 avec un incrément de part de marché limité à [0-5] % (part de marché d’Euriware). Le marché français des services informatiques compte un nombre important d’opérateurs, estimé à plus de 19 3007, dont de grands groupes internationaux, tels qu’IBM, Accenture, Atos, Hewlett-Packard (HP), Orange Business Services, KPMG, Deloitte ou Logica.

13. Dans l’hypothèse d’une segmentation par type de services, les activités des parties se recoupent sur trois des sept catégories fonctionnelles de services : le conseil, la gestion globale, le développement et l’intégration de logiciels :

- sur le segment du conseil, la part de marché cumulée des parties est de [5-10] %, Euriware représentant [0-5] % du marché ;

- sur le segment de la gestion globale, la part de marché cumulée des parties est de [10-20] % (incrément de [0-5] %) ;

- sur le segment du développement et de l’intégration de logiciels, la part de marché cumulée des parties est de [10-20] %, Euriware représentant [0-5] % du marché.

14. Dans l’hypothèse d’une segmentation par type de clientèle, les parties proposent leurs services à des grands comptes et des PME-PMI. Sur ces deux segments, leur part de marché cumulée est inférieure à [10-20] % et l’incrément de part de marché est limité : [0-5] % sur le segment des grands comptes et [0-5] % sur le segment de PME-PMI.

15. Dans l’hypothèse d’une segmentation par type de systèmes d’information et de communication, l’opération entraîne un chevauchement d’activités sur trois types de systèmes d’information et de communication : les systèmes d’applications de gestion, les systèmes d’applications scientifiques techniques industrielles embarquées et les systèmes d’infrastructures IT. Sur chacun des ces segments, la part de marché de la nouvelle entité sera inférieure à [10-20] % avec un incrément inférieur à [0-5] %.

16. Dans l’hypothèse d’une segmentation par secteur d’activité, les activités des parties se chevauchent dans les secteurs de l’énergie et des réseaux locaux, du secteur public, de l’industrie, des communications, des services financiers, des services et du transport :

- sur le segment de l’énergie et des réseaux locaux, la part de marché cumulée des parties est de [10-20] %, Euriware représentant [0-5] % du marché ;

- sur le segment du secteur public, la part de marché cumulée des parties est de [10-20] % (incrément de [0-5] %) ;

- sur le segment de l’industrie, la part de marché cumulée des parties est de [10-20] %, Euriware représentant [0-5] % du marché ;

- sur les autres segments, la part de marché cumulée des parties est inférieure à [5-10] % et l’incrément de part de marché inférieur à [0-5] %.

17. Sur chacun de ces segments de marché, il restera à l’issue de l’opération de nombreux concurrents tels que Atos, IBM, Accenture, HP, Logica, Deloitte, PwC, Steria, Sopra, ou Orange Business Services, opérateurs qui sont, pour la grande majorité d’entre eux, des groupes de dimension internationale.

18. L’opération envisagée n’est donc pas de nature à affecter la concurrence par le biais d’effets horizontaux.

B. ANALYSE DES EFFETS VERTICAUX

19. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l’accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. Ce verrouillage peut viser les marchés aval, lorsque l’entreprise intégrée refuse de vendre un intrant à ses concurrents en aval ou les marchés amont lorsque la branche aval de l’entreprise intégrée refuse d’acheter les produits des fabricants actifs en amont et réduit ainsi leurs débouchés commerciaux.

20. En l’espèce, la relation verticale entre les parties est double. D’une part, Euriware est client de Capgemini sur les segments de la gestion globale, des systèmes d’infrastructures IT et des services (chiffre d’affaires générés : […] euros). D’autre part, Euriware est un sous-traitant de Capgemini sur les segments du développement et de l’intégration de systèmes, des systèmes d’applications de gestion, de l’industrie et de l’énergie et des réseaux locaux (chiffre d’affaires générés : […] d’euros).

21. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence écarte en principe les risques de verrouillage du marché lorsque la part de l’entreprise issue de l’opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %8. En l’espèce, la part de marché cumulée des parties est inférieure à [10-20] % sur chacun des segments précités. La nouvelle entité ne disposera donc pas du pouvoir de marché nécessaire pour verrouiller l’accès de ses concurrents au marché des services informatiques.

22. En conséquence, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets verticaux.

 

C. ANALYSE DES EFFETS CONGLOMÉRAUX

23. Une concentration est susceptible d’emporter des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur plusieurs marchés dont la connexité peut lui permettre d’exploiter un effet de levier. L’entreprise augmente ainsi les ventes d’un produit sur un marché en exploitant la forte position sur le marché d’un autre produit auquel le premier produit est lié ou groupé.

24. De la même manière que pour les effets verticaux, la pratique décisionnelle des autorités de concurrence écarte en principe les risques d’effets congloméraux lorsque la part de l’entreprise issue de l’opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %9.

25. En l’espèce, la part de marché cumulée des parties est inférieure à [10-20] % sur l’ensemble des segments de marchés concernés par l’opération. De plus, les concurrents des parties sont susceptibles d’offrir, pour leur grande majorité (par exemple Atos, Accenture, IBM ou Orange Business Services), une gamme aussi étendue de services informatiques que la nouvelle entité. Une stratégie d’offres liant ou groupant différents types de services informatiques aurait donc peu d’impact sur la concurrence.

26. En conséquence, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets congloméraux.

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 14-039 est autorisée.

 

NOTES :

1 Voir, par exemple, la décision de l’Autorité de la concurrence n°13-DCC-100 du 7 août 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Osiatis par la société Econocom Group ; la décision de l’Autorité de la concurrence n°11-DCC-20 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe APTUS par le groupe AUSY ; et la décision de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-93 du 31 décembre 2009 relative à l’acquisition par la société Bull SA d’actifs de la société Crescendo Industries.

2 Décisions de la Commission européenne n°M.2365 du 4 avril 2001, Schlumberger / Sema ; n°2609 du 31 janvier 2002, HP / Compaq ; n°3555 du 9 septembre 2004, Hewlett – Packard / Synstar ; n°3571 du 18 novembre 2004, IBM / Maerskdate / DMData ; n°M.3995 du 1er décembre 2005, Belgacom / Telindus ; n°M.5197 du 25 juillet 2008, HP / EDS et n°M.5301 Cap Gemini / BAS du 13 octobre 2008.

3 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n°11-DCC-20 précitée et la décision de la Commission européenne n°M.5197 précitée.

4 Voir notamment la lettre du ministre de l’économie n°C2006-132 du 19 décembre 2006 au conseil de la société France Télécom, relative à une concentration dans le secteur de la réalisation de logiciels.

5 Décision de l’Autorité de la concurrence n°13-DCC-100 précitée.

6 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n°13-DCC-100 précitée et la décision de l’Autorité de la concurrence n°11-DCC-139 du 20 septembre 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Large Network Administration et de sa filiale LGD par la société SCC France ; ainsi que la décision n° M.5301 de la Commission européenne.

7 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n°13-DCC-100 précitée.

8 Point 451 des Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations.

9 Point 481 des Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations.