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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 28 mars 2012, n° 10/16024

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Bok (SARL)

Défendeur :

Paris Habitat OPH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bartholin

Conseillers :

Mme Blum, Mme Reghi

Avocats :

Me Vignes, Me Fertoukh, Me Fromantin, Me Puylagarde

TGI Paris, du 6 juill. 2010, n° 08/00049

6 juillet 2010

Faits et procédure :

Suivant acte sous seing privé en date du 2 avril 1998, la société immobilière du [...] aux droits de laquelle s'est trouvé l'Opac puis l'office public Paris Habitat a donné à bail à la société Bok, divers locaux à usage commercial dépendant d'un immeuble sis [...], pour une durée de 9 ans se terminant le 30 juin 2006 à destination de confection hommes femmes enfants bonneterie sans exclusivité dans l'immeuble ‘.

Par acte d'huissier en date du 21 décembre 2005, le bailleur a donné congé pour le 30 juin 2006avec refus de renouvellement et off re de payer l'indemnité d'éviction prévue à l'article L 145-14 du code de commerce.

La société Bok a alors assigné Paris habitat OPH en fixation de d'indemnité d'éviction et par ordonnance du 2 juillet 2008, le Juge de la mise en état a désigné Monsieur Robine en tant qu’expert judiciaire avec pour mission d'usage pour parvenir à déterminer le montant de l’indemnité d'éviction et d’occupation. Ce dernier a déposé son rapport en date du 8 avril 2009 en concluant à une indemnité d'éviction de 57 000 € et d'occupation de 12 600 € à compter du 1°juillet 2006.

Puis la société Bok a assigné Paris Habitat OPH en fixation d'une indemnité d'éviction de 86 600€et d'une indemnité d'occupation d'un montant de 11 900€ par an en principal outre les charges et taxes jusqu'à la libération des lieux, Paris Habitat OPH concluant à une indemnité d'éviction de 25994, 10€ et d'occupation de 15 120€ par an en principal ;

Par un jugement en date du 6 juillet 2010, le Tribunal de Grande Instance de Paris a :

Fixé à la somme de 48 000 € le montant de l'indemnité d'éviction globale qui incombe à Paris Habitat OPH

Fixé à la somme de 12 600 € par an en principal le montant de l'indemnité d'occupation imputable à la société Bok du 1er juillet 2006 au 30 avril 2009

Condamné Paris Habitat OPH à payer à la société Bok la somme de 3 08, 23 euros au titre de la restitution du dépôt de garanti e avec intérêts au taux légal à compter du 4 novembre 2009

Rejeté le surplus des demandes

Condamné chacune des parties par moiti é aux dépens qui incluront le coût de l'expertise

La société Bok a relevé appel de cette décision le 30 juillet 2010 et, par ses dernières conclusions en date du 30 novembre 2010, demande à la Cour au visa de l'article L 145-14 du code de commerce de :

La recevoir en son appel et ses présentes écritures et de réformer le jugement

Fixer le montant global d'éviction due par Paris Habitat OPH à la somme de 86 600€

Fixer le montant de l'indemnité d'occupation due à la bailleresse à compter du 1er juillet 2006 à la somme de 11 900 € par an en principal, outre les charges et taxes et ce jusqu'à la date de libération des locaux soit jusqu'au 30 avril 2009

Confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la restitution du dépôt de garanti e

Condamner Paris Habitat OPH au paiement de la somme de 2 000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Condamner Paris habitat OPH aux entiers dépens y compris les frais d'expertise avec recouvrement en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société Paris Habitat OPH, par ses dernières conclusions en date du 1er mars 2011, demande à la Cour au visa des articles L 145-82 et L 145-14 du code de commerce de :

Prendre acte de ce que les parties ne contestent pas le montant du différentiel de loyer et retenir la somme de 8 889,88€ dans l'appréciation du calcul de la valeur du droit au bail,

Retenir un coefficient de situation en rapport avec la qualification dite « d'appartement commercial » des locaux loués qui, faute de marché et de droits aux baux est à retenir dans une fourchette de 2 à 5,

Dire et juger que le coefficient à appliquer en l'espèce est de 3,

En conséquence, fixer, la valeur de droit au bail à la somme de 26 669,64 €

Confirmer la décision des premiers juges concernant les préjudices accessoires en ce qu'ils ont retenu :

les frais de remploi néant

les frais de déménagement 500 €

les frais d'agencement 3 500 €

le trouble d'exploitation commercial 3 000 €

soit un total d'indemnités accessoires de 7 000 €.

Dire et juger que le montant de l'indemnité d'éviction globale est donc de

26 669,64 €+ 7 000€, soit 33 669,64€ arrondis à 33 670 €.

Infirmer la décision des premiers juges sur les frais divers et de double loyer,

Dire et juger, eu égard à l'absence de toute demande de la société locataire à ce titre, tant en première instance qu'en appel, qu'il n'y a pas lieu au paiement de frais de double loyer et de frais divers ;

Infirmer la décision de première instance sur l'indemnité d'occupation en ce qu'aucun pourcentage de minoration pour précarité ne pourra être retenu eu égard à l'absence d'impact de l'éviction sur l’activité exercée

Dire et juger que l'indemnité d'occupation doit être assise sur la valeur des prix de marché et en conséquence retenir ladite valeur à 270€ par an x par 56m2 soit la somme de 15 120 euros par an en principal outre les charges et taxes et ce jusqu'à la date effective de libération des locaux, soit jusqu’au 30 avril 2009,

Infirmer le jugement rendu en ce qu'il a ordonné la restitution du dépôt de garanti e avec intérêts au taux légal à compter du 4 novembre 2009 eu égard au compte à établir entre les parties dès lorsque les indemnités tant d'éviction que d'occupation ne sont pas fixées définitivement

Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné chacune des parties par moiti é aux dépens incluant le coût de l'expertise,

Condamner la société Bok au paiement d'une somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles d’appel liés à l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamner la société Bok aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699du Code de procédure civile.

SUR CE

Sur l'indemnité principale d'éviction :

Les locaux sont constitués d'un appartement au premier étage d'un immeuble en pierres assez élégant selon l'expert et composé de deux pièces, l'une qui sert de bureau et à la réception de la clientèle et une deuxième à usage d'atelier et également de réception de clients ;

Les parties s'accordent pour que les conséquences de l'éviction prenne le caractère d'une indemnité de transfert dans la mesure ou le fonds est transférable dans d'autres locaux dont dispose la société Bok ;

La société Bok soutient néanmoins que le coefficient de valorisation du droit au bail qui a été retenu par le tribunal de 4, 5 est trop faible en ce que le local est idéalement situé comme l' a retenu l'expert, à proximité du quartier du Senti er, dans un emplacement approprié pour l'exercice du commerce de vente de prêt- à -porter en gros qui est recherché par les commerçants et enseignes et au regard de l'agencement du local conforme au type d'activité exercée et ce nonobstant son absence de visibilité depuis l'extérieur du bâti ment dès lors que l'activité exercée ne nécessite pas une sollicitation du public pour constituer une clientèle, celle de la société Bok étant composée de boutiques de prêt-à-porter de Paris ou de province. Elle demande qu'un coefficient de 7 soit appliqué tandis que Paris Habitat POH demande que le coefficient de capitalisation soit de 3 aux motifs d'une part que le quartier s'est largement vidé depuis le début des années 1990 au profit de professionnels d'origine asiatique situés dans le 11° arrondissement, ou de shows rooms situés à Pantin ou Aubervilliers ou encore de centrales d'achat qui ont pour effet d'amoindrir la clientèle de professionnels , d'autre part que les locaux en cause ne présentent aucune caractéristique particulière, sont de surface réduite et d'entretien moyen .

L'expert retient pour sa part que l'appartement est situé dans un quartier recherché pour y exercer les activités de prêt- à -porter en gros et propose un coefficient de 5, 5 correspondant à une bonne situation.

Le tribunal a minoré le chiffre proposé par l'expert et retenu un coefficient de 4,5 aux motifs que le local situé au premier étage et n'ayant aucune visibilité depuis la rue ne constitue pas un produit rare.

En réalité, l'absence de visibilité est sans impact important dès lors que la clientèle est composée de professionnels ; en revanche, quoique situé dans un secteur recherché et n'ayant qu'un faible loyer, l'appartement ne dispose que d'une surface assez réduite, d'aucun aménagement particulier et est en état d'entretien très moyen (électricité sous baguette et absence de chauffage). Il ne constitue donc pas un produit rare et ce d'autant que l’allégation de Paris Habitat qu'il existe de nombreux locaux disponibles dans le secteur attestée par les photographies produites n'est pas sérieusement contestée, cette constatation ne pouvant cependant conduire à considérer que le secteur est déserté alors qu'il reste attractif pour l'activité considérée.

Il s'ensuit que les premiers juges doivent être approuvés en ce qu'ils ont retenu le coefficient de valorisation de 4, 5 pour le calcul du droit au bail qui et alors que le montant du différentiel entre valeur locative de marché et loyer de renouvellement n'est pas contesté, s'établit à la somme de 40000€.

Sur les indemnités accessoires :

Sur les frais de déménagement :

L'expert a estimé au terme de son rapport que compte tenu de l'activité exercée dans les lieux, de la faiblesse du stock et de la proximité des locaux de transfert, il n'y avait pas lieu de faire appel à des déménageurs spécialisés pour un déménagement qui ne devrait pas durer plus d'une journée et sans doute une demi-journée.

Le tribunal, en l'absence de facture, a estimé ce préjudice à la somme de 500€ .

La société Bok ne produit devant la cour qu'un devis de déménagement du 6 mars 2009 d'un montant de 1500€ et aucune facture alors qu'elle a procédé au déménagement au plus tard le 30avril 2009, date de la remise des clés.

Aussi faute de justifier des frais qu'elle a exposés à cette occasion et que ceux- ci sont supérieurs à la somme forfaitairement allouée par le tribunal, la société Bok sera déboutée de sa demande complémentaire.

Sur les travaux d'aménagement dans les locaux de transfert :

Le tribunal, à défaut de facture, et compte tenu que les locaux de remplacement disposent de plusieurs pièces pouvant être affectées à la réception de la clientèle sans aménagement spécifique et que le bailleur n'a pas à supporter la remise à neuf des locaux, a alloué à la société Bok de ce chef de préjudice une somme de 3500€.

La société Bok fait valoir que son mode de gestion ' à l'ancienne ' telle que relevée par l'expert et qui suppose que les locaux de réception de la clientèle soient bien distincts des locaux de stockage de façon à ne pas laisser entrevoir à celle-ci l'importance du stock, ce qui serait préjudiciable à la discussion sur les prix, la contraint à exposer des travaux d'un montant suivant devis de 12 870€hors tva.

Or l'expert a relevé que les locaux loués étaient dans un état d'entretien très moyen, l'installation électrique étant obsolète et le chauffage inexistant, que les locaux ne disposaient d'aucun agencement spécifique et de très peu de mobilier.

Les travaux d'adaptation nécessaires dans les locaux de transfert ne peuvent avoir pour effet de faire supporter au bailleur d'origine une rénovation de locaux sans commune mesure avec les locaux quittés et qui n'avaient fait l'objet d'aucun aménagement particulier.

Il s'ensuit que l'allocation d'une somme de 5000€ est une compensation suffi sante aux travaux d’adaptation qu'elle a dû ou devra faire dans ces nouveaux locaux pour recevoir la clientèle.

Sur le trouble commercial :

Le tribunal a estimé que le trouble commercial pouvait être estimé sur la base du rapport d’expertise à une semaine de chiffre d'affaires soit 3000€ ;

La société Bok demande de lui allouer de ce chef de préjudice une somme de

10 000€ en faisant valoir que compte tenu du délai de déménagement, d’installation, elle n'a pas été en mesure d'exercer son activité pendant au moins trois semaines, d'où un manque à gagner auquel s'ajoute le fait que la surface des locaux de transfert est moins grande pour une même activité de sorte qu'elle a été obligée de revoir son mode de fonctionnement.

Or à la date à laquelle la société Bok a dû quitter les locaux, son activité était déficitaire, son chiffre d'affaires étant en baisse constante de 2004 à 2007 et elle ne produit aucun élément comptable qui soit de nature à permettre d'apprécier l'impact du déménagement estimé par l'expert à une journée au plus, sur l'activité de la société pendant la période de transfert ou dans les suites immédiates.

Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu d'allouer à la société Bok d'autre somme que celle allouée de 3000€ au titre du trouble commercial.

La société Bok ne sollicite en cause d'appel indemnisation ni au titre d'un double loyer ni au titre de frais divers.

L'indemnité d'éviction s'établit en conséquence à la somme de 40 000€ + 500€ + 5000€ + 3000€ =48 500€.

Sur l'indemnité d'occupation :

Paris Habitat demande que l'indemnité d'occupation soit fixée à la somme de 270€ / m²représentant la valeur locative de marché, s'agissant d'un appartement en étage, pour lequel le loyer rejoint la valeur de marché sans application d'un coefficient de précarité du fait de la présence d’autres locaux de transfert et de l'absence de tout investissement dans les lieux loués tandis que la société Bok sans contester la valeur de 250€ /m² retenue par le tribunal demande de porter le coefficient de précarité à 15% , le choix de transférer l'activité dans d'autres locaux voisins qu'elle possède ne s'imposant pas.

C'est à juste titre que rejoignant l'expert, le tribunal a fixé l'indemnité d'occupation à la valeur de250€ /m² qui ne correspond pas à la valeur locative de marché mais au loyer en renouvellement, compte de la situation des locaux, de leur nature et de leurs caractéristiques ;

L'application d'un coefficient de précarité de 10% a été également justement appréciée pour tenir compte de la précarité consécutive au congé mais aussi du fait que la société Bok qui n'avait aucune perspective de travaux d'aménagement dans les lieux loués, disposait de locaux de remplacement à proximité .

Sur les autres demandes :

Paris Habitat demande de rejeter la demande de restitution du dépôt de garanti e à laquelle le tribunal a fait droit avec intérêts au taux légal à compter du 4 novembre 2009 au motif qu'il y a un compte à faire entre les parties ;

Or le dépôt de garanti e est destiné à garanti r les sommes restant dues au titre du bail - loyers, charges, réparations.. ; la bailleresse qui a eu tout loisir de faire les comptes des sommes pouvant être dues au titre de l'application du bail après le départ des lieux de la locataire au 30 avril 2009, ne justifie d'aucun principe de créance à cet égard de sorte qu'elle doit la restitution du dépôt de garantie avec les intérêts tel qu'ordonné par le jugement.

Chaque partie succombant en partie, supportera les dépens qu'elle a exposés et ses frais irrépétibles, ceux de première instance incluant les frais d'expertise restant partagés par moitié.

PAR CES MOTIFS

Reformant le jugement déféré en ses seules dispositions relatives à la fixation de l'indemnité d’éviction,

Statuant à nouveau sur ce point,

Fixe le montant de l'indemnité d'éviction dont est redevable Paris Habitat à l'égard de la société Bok à la somme de 48 500€.

Dit que chaque partie supportera les dépens d'appel qu'elle a exposés et qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.