ADLC, 29 avril 2014, n° 14-DCC-62
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Telindus France par le groupe Vivendi
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 31 mars 2014, relatif à la prise de contrôle exclusif du groupe Telindus France par le groupe Vivendi, formalisée par un accord d’achat et de vente d’actions en date du 23 mars 2014 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Vivendi SA (ci-après « Vivendi ») est la société mère d’un groupe actif dans les secteurs de la télévision payante et du cinéma, via sa filiale Groupe Canal Plus, de la musique, via Universal Music Group, des jeux interactifs et des communications électroniques, via sa filiale SFR. Vivendi détient le contrôle exclusif de SFR, société principalement active dans le secteur de la téléphonie mobile, de l’Internet haut débit, de la téléphonie fixe et de la télévision payante.
2. Groupe Telindus France (ci-après « Telindus ») est actuellement contrôlée par la société Belgacom. Groupe Telindus France contrôle exclusivement les sociétés Telindus France et Telindus Morocco. Le groupe est spécialisé dans l’intégration et l’exploitation d’infrastructures informatiques et de télécommunications pour le compte d’entreprises.
3. En vertu de l’accord d’achat et de vente d’actions en date du 23 mars 2014, l’opération consiste en l’acquisition par Vivendi, via un véhicule d’acquisition qu’elle détient à 100 %, de l’ensemble des actions de Groupe Telindus France auprès de Belgacom. L’opération notifiée se traduit donc par la prise de contrôle exclusif de Groupe Telindus France par Vivendi, et constitue à ce titre une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
4. Les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d’affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros au dernier exercice clos (Vivendi : 22,13 milliards d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2013 ; Telindus : 241 millions d’euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé, en France, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Vivendi : 14,66 milliards d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2013 ; Telindus : 241 millions d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
5. L’opération concerne au titre des effets horizontaux le domaine des services informatiques et des services de communication. La société cible est en effet active dans le secteur de l’intégration et de l’exploitation d’infrastructures informatiques et de télécommunication des entreprises. Telindus intervient notamment dans les domaines des réseaux d’entreprise, du stockage de données, de la virtualisation et de la sécurité.
6. SFR propose également, via sa filiale SFR Business Team, certains services informatiques et des services de communication à ses clients.
7. SFR est principalement active dans le secteur des télécommunications. En l’espèce, compte tenu des activités de Telindus, il apparaît que les marchés de détail de la téléphonie fixe et de l’accès à Internet haut débit sont concernés car il existe une complémentarité entre les services informatiques et les services de télécommunication, d’une part et les services de téléphonie fixe et d’accès à Internet d’autre part, qui peuvent être proposés ensemble dans le cadre d’offres intégrées.
8. Les marchés de gros des télécommunications ne sont néanmoins pas concernés par l’opération. En effet, Telindus n’intervient d’aucune manière sur les marchés de gros des télécommunications pour construire ses offres de service.
A. LES MARCHÉS DES SERVICES INFORMATIQUES
9. Les parties sont simultanément présentes dans le secteur des services informatiques. Les autorités de concurrence française1 et communautaire2 ont déjà eu l’occasion de se prononcer sur la délimitation des marchés pertinents de ce secteur, tout en laissant la question ouverte.
10. Les autorités ont ainsi identifié, au sein des marché des services informatiques, sept catégories fonctionnelles de service : (i) les services de gestion globale, (ii) les services de gestion d’entreprise, (iii) le développement et l’intégration de logiciels, (iv) le conseil, (v) la maintenance de logiciels et de support logistique, (vi) la maintenance de matériels informatiques et de support logistique et (vii) l’enseignement et la formation. La Commission européenne3 a également identifié un segment de l’externalisation des technologies de l’information qui comprend, d’après la partie notifiante : les services de type Public Cloud Computing, les services IaaS (« infrastructure as a service ») et les service d’externalisation des infrastructures informatiques incluant les services de data center, l’externalisation de réseaux, l’externalisation pour les équipements d’utilisateur final ainsi que l’externalisation d’activités d’assistance informatique et enfin les services d’externalisation d’applications. Enfin, la partie notifiante considère qu’il convient d’identifier un segment distinct de la sécurité informatique (sécurité et confidentialité des données informatiques), dans la mesure où ce service n’est pas substituable aux autres.
11. Différentes segmentations alternatives ou complémentaires ont aussi été envisagées4 selon :
- le type de clientèle : PME/PMI ou grands comptes ;
- les types de systèmes d’information et de communications : (i) les systèmes d’applications de gestion, qui incluent les services informatiques utilisés pour remplir une fonction horizontale au sein des entreprises ou des administrations ; (ii) les systèmes d’applications scientifiques techniques industrielles embarquées ; (iii) les systèmes d’applications génériques ; (iv) les systèmes d’infrastructures IT ; et (v) les systèmes d’infrastructures de communication et de réseaux d’entreprise.
- le secteur d’activité, à savoir : (i) les communications, (ii) l’enseignement, (iii) l’énergie et réseaux locaux, (iv) les services financiers, (v) le secteur public, (vi) la santé, (vii) l’industrie, (viii) le commerce et la distribution, (ix) les services et (x) le transport.
12. La partie notifiante considère que la segmentation par types de système d’information et de communication n’est pas pertinente car elle ne correspond pas à l’organisation de l’activité des entreprises concernées.
13. En l’espèce, il n’y a pas lieu de remettre en cause les segmentations envisagées, l’analyse concurrentielle demeurant inchangée quelque soit la délimitation retenue.
14. Telindus est essentiellement présente auprès des grands comptes tandis que SFR dispose d’une clientèle de grands comptes et de PME. Les parties proposent toutes deux des services de conseil, de maintenance de matériels informatiques et de support logistique, d’externalisation des technologies de l’information et de sécurité informatique. Par ailleurs, elles n’ont aucune spécialisation sectorielle.
15. En ce qui concerne la délimitation géographique, l’Autorité de la concurrence a généralement considéré que ce marché était de dimension nationale, même si la Commission européenne a eu l’occasion d’envisager un marché de l’Europe de l’Ouest ou un marché regroupant la Belgique et le Luxembourg.
B. LES MARCHÉS DES SERVICES DE COMMUNICATIONS AUX ENTREPRISES
16. Les services de communication pour entreprises ont été définis par la Commission européenne5 comme des « produits et services […] utilisés par des entreprises clientes de toutes tailles afin d'améliorer les communications de travail et collaboratives et […] conçues afin de permettre une utilisation simple et harmonieuse pour tous les types de communications (téléphone, fax, email, messagerie, vidéo conférences, messageries instantanées, etc) ».
17. La Commission a envisagé plusieurs segmentations dans le secteur des services de communication pour entreprises :
- une segmentation par fonctionnalité : téléphonie avancée, services de messagerie unifiée, vidéo conférence…;
- une segmentation en fonction de la plateforme (PC, smartphone, tablette) ;
- une segmentation en fonction du système d'exploitation.
- une segmentation en fonction de la taille des clients.
18. Par ailleurs, la Commission a considéré6 que les solutions de vidéo communications constituaient des marchés distincts.
19. Il n’y a pas lieu de remettre en cause ces délimitations à l’occasion de la présente opération
20. En l’espèce, les parties proposent uniquement des services de téléphonie managée (gestion de l’ensemble de l’installation téléphonique pour le compte d’une entreprise), des applications de collaboration (services de messagerie et solution de visioconférences) ainsi que des contacts centers (solutions de routage d’appel pour les entreprises qui font de l’appel en masse en émission ou réception).
21. En ce qui concerne la dimension géographique, la Commission a considéré que le marché des services de communication aux entreprises couvrait au moins l’EEA. En l’espèce, la partie notifiante a toutefois estimé les parts de marché au niveau national, hypothèse la plus défavorable.
C. LES MARCHÉS DE DÉTAIL DES COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES FIXES
22. Les communications électroniques sont le coeur d’activité de SFR, Telindus n’étant pas présent dans ce secteur.
23. Néanmoins les marchés des communications électroniques à destination des entreprises présentent un lien de connexité avec les services informatiques et les services de communication, compte tenu de la complémentarité de ces activités : à l’issue de l’opération, la nouvelle entité sera en effet en mesure de proposer des offres associant les communications électroniques ainsi que les services informatiques et de communication associés pour répondre aux besoins des entreprises. La partie notifiante a ainsi indiqué que la nouvelle entité serait en mesure de proposer à la fois des solutions techniques internes aux entreprises (architecture réseau, système de communication) et un accès téléphonique et Internet externe en proposant une offre commerciale globale.
24. Il convient de souligner que cette complémentarité concerne uniquement les communications électroniques fixes, la cible ne proposant aucun service de téléphonie mobile.
25. En l’espèce, SFR, via sa filiale SBT, propose aux entreprises des services de téléphonie fixe, et d’accès internet au débit.
26. Les marchés de la téléphonie fixe regroupent l’ensemble des services d’accès au réseau et de transmission de voix. Une distinction peut être opérée entre le marché de l’accès au réseau téléphonique public et le marché des communications sur réseau téléphonique commuté (« RTC »)7. Au sein de ces marchés, une segmentation additionnelle peut être effectuée en fonction du type de clientèle, en distinguant les services fournis à des particuliers de ceux fournis à des entreprises8. L’Autorité estime que ces marchés sont de dimension nationale9 mais a également déjà distingué les marchés de la métropole et de l’outre-mer10.
27. S’agissant de l’accès à internet, la pratique décisionnelle des autorités de concurrence distingue11 le marché de la fourniture d’accès à Internet bas débit (via le réseau téléphonique commuté) et le marché de la fourniture d’accès à Internet haut débit et très haut débit (via les technologies du câble, de l’ADSL et de la fibre). Par ailleurs, les marchés de la fourniture d’accès à Internet peuvent être segmentés selon le type de client, en distinguant la clientèle grand public, dite « résidentielle », et la clientèle des entreprises, dite « non résidentielle ». L’Autorité de la concurrence considère que ces marchés sont de dimension nationale mais qu’il convient de distinguer les DROM12.
28. Il n’y a pas lieu de remettre en cause ces délimitations à l’occasion de la présente opération.
III. Analyse concurrentielle
A. EFFETS HORIZONTAUX
29. Concernant les services informatiques, les activités de SFR et Telindus se chevauchent sur les segments de conseil, de la maintenance de matériels informatiques et de support logistique, de l’externalisation des technologies de l’information et de la sécurité informatique.
30. Sur les trois premières catégories de services, la part de marché de la nouvelle entité au niveau français serait inférieure à [0-5] % en valeur. Concernant la sécurité informatique, la nouvelle entité disposerait d’une part de marché évaluée à [10-20] % en valeur, résultant d’une faible addition de part de marché, SFR étant faiblement présent sur ce segment ([0-5] %).
31. Par ailleurs, plusieurs concurrents importants sont présents sur ces marchés : Orange business services, SPIE Communications, Nextira One France, IBM Global services, British Telecom Services ou encore Bull.
32. Concernant les services de communications aux entreprises, les activités des parties se chevauchent sur les segments de la téléphonie managée, des solutions de collaboration et des contacts centers.
33. Au niveau national, la part de marché sur chacun des segments concernés ne dépassera pas [0-5] %, avec une addition de part de marché inférieure à [0-5] %.
34. En outre, plusieurs concurrents importants sont présents sur ces marchés : Orange business services, SPIE Communications, Nextira One France, IBM Global services, British Telecom Services ou encore Bull.
35. L’opération n’est donc pas susceptible de soulever de problèmes de concurrence par le biais d’effets horizontaux sur ces marchés.
B. EFFETS CONGLOMÉRAUX
36. SFR est présent sur les marchés de détail de la téléphonie fixe et de l’accès à Internet, connexes aux marchés des services informatiques et des services de communications aux entreprises
37. SFR dispose de parts de marché en valeur estimées par la partie notifiante à [10-20] % sur le marché de l’accès au réseau téléphonique public et le marché des communications sur réseau téléphonique commuté. En ce qui concerne le marché de détail de l’accès à Internet haut débit à destination des entreprises, SFR dispose d’une part de marché en valeur de [20-30] %.
38. Ainsi, compte tenu de la position de SFR sur ces marchés et de la position très limitée de Telindus sur les services informatiques et les services de communication, l’opération n’est pas susceptible de soulever de problème de concurrence par le biais d’effets congloméraux sur ces marchés.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 14-035 est autorisée.
NOTES :
1 Décisions de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-93 du 31 décembre 2009 relative à l’acquisition par la société Bull SA d’actifs de la société Crescendo Industries et n° 11-DCC-20 du 7 février 2001 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Aptus par le groupe Ausy.
2 Décisions de la Commission européenne n°M.2365 du 4 avril 2001, Schlumberger / Sema ; n°2609 du 31 janvier 2002, HP / Compaq ; n°3555 du 9 septembre 2004, Hewlett – Packard / Synstar ; n°3571 du 18 novembre 2004, IBM / Maerskdate / DMData ; n°M.3995 du 1er décembre 2005, Belgacom / Telindus ; n°M.5197 du 25 juillet 2008, HP / EDS et n°M.5301 Cap Gemini / BAS du 13 octobre 2008.
3 Décision COMP/M.6921 du 9 juin 2013, IBM Italia/Ubis.
4 Décisions de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-93 et n° 11-DCC-20 précitées.
5 Décision de la Commission COMP/M.6281 du 7 octobre 2011, Microsoft/Skype.
6 Décision de la Commission COMP/M.5669 du 29 mars 2010, Cisco/Tandberg.
7 Le RTC assure la connexion momentanée de deux installations terminales afin de mettre en relation deux usagers.
8 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n°10-DCC-182 du 13 décembre 2010 et n° 14-DCC-09 du 22 janvier 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de Numericable Group par Altice Six.
9 Ibid.
10 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n° 11-DCC-110 du 26 juillet 2011.
11 Voir notamment les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 12-DCC-95 du 17 juillet 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de Darty Télécom par le Groupe Bouygues ; n° 11-DCC-110 du 26 juillet 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Outremer Telecom par AXA Investment Managers Private Equity Europe SA ; n° 10-DCC-182 du 13 décembre 2010 relative à la prise de contrôle de la société Altitude Télécom par le groupe Altice B2B et n°09-DCC-35 du 6 août 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Cinq sur Cinq par la société SFR.
12 Décision n° 14-DCC-15 du 10 février2014relative à la prise de contrôle exclusif de Mediaserv, Martinique Numérique, Guyane Numérique et La Réunion Numérique par Canal Plus Overseas