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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 30 mars 2022, n° 19/04806

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Totalenergies Marketing France (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bala

Conseillers :

Mme Gil, Mme Butin

TGI Créteil, du 27 mars 2017, n° 12/0141…

27 mars 2017

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 6 janvier 1999, la société Total Raffinage Distribution, aujourd'hui dénommée Total Energies Marketing France, a consenti un bail commercial à la société A., à compter du 1er décembre 1999.

Par exploit d'huissier du 18 juin 2009, la société Total Raffinage Marketing selon sa nouvelle dénomination, a délivré à la société A., un congé avec refus de renouvellement et off re d'indemnité d’éviction en application de l'article 145-14 du Code de commerce.

Par acte d'huissier du 15 décembre 2011, la société SA A. a assigné la SA Total Raffinage Marketing devant le tribunal de grande instance de Créteil, pour voir principalement désigner un expert avec pour mission de donner tous éléments permettant de déterminer le montant de l'indemnité d’éviction.

Aux termes d'une ordonnance rendue le 8 juillet 2013, à laquelle il est renvoyé pour plus ample exposé du litige, le juge de la mise en état a notamment ordonné une expertise et désigné M. F. pour y procéder avec mission habituelle, et réservé les dépens.

Par jugement du 27 mars 2017, le tribunal de grande instance de Créteil a :

- Constaté la prise d'effet au 31 décembre 2009 du congé avec refus de renouvellement du bail et offre de payer l'indemnité d'éviction.

- Condamné la société Total Marketing France, (selon sa nouvelle dénomination) à payer à la SA A.la somme de 504.200 € au titre de l'indemnité totale d'éviction (indemnité principale majorée des indemnités annexes).

- Précisé que cette somme sera majorée des frais de licenciement sur justificatifs.

- Fixé l'indemnité d'occupation à la somme de 56.619 € HT HC par an à compter du 1er janvier2010.

Dit que la société Total Marketing France devra restituer à la SA A. le trop-perçu correspondant à la différence entre les sommes versées depuis le 1er janvier 2010 et l'indemnité d'occupation sus-octroyée.

Condamné la société Total Marketing France aux entiers dépens de l'instance.

Dit n'y avoir lieu à indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du CPC.

Ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration en date du 1er mars 2019, la société A. a interjeté appel de cette décision.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 1er décembre 2021.

MOTIFS ET PRÉTENTIONS

Vu les dernières conclusions signifiées le 25 novembre 2021, par lesquelles la société A., appelante, demande à la Cour de :

- Réformer le jugement en ce qui concerne les montants de l'indemnité principale d'éviction, de l’indemnité pour frais de remploi, de l'indemnité pour trouble commercial, ainsi que celle au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau,

- Dire et juger que l'exercice 2020 ne représente pas un exercice d'activité normale pour la société A. SAS au regard de la crise sanitaire en cours et écarter cet exercice de ceux servant d'assiette au calcul des différentes indemnités sollicitées.

- Dire et juger que seuls les exercices 2017, 2018 et 2019 seront retenus comme références de calcul des indemnités sollicitées par la Société A.

En conséquence,

- Fixer l'indemnité principale d'éviction à la somme de 750.740 € et condamner la société Total Energies Marketing France au paiement de cette somme avec intérêt au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir.

- Condamner cette dernière au paiement des sommes de :

- 77.890 € au titre de l'indemnité de remploi,

- 72.342 € à titre d'indemnité pour trouble commercial ;

- 55.200 € au titre des frais de déménagement.

- Confirmer le jugement pour le surplus relativement à l'indemnité d'occupation et aux frais de licenciement sur justificatifs.

- Condamner la société Total Energies Marketing France à payer à la société A. au paiement des sommes de 5.000 € au titre de la procédure de première instance ainsi que celle de 5.000 € au titre de la procédure d'appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- Débouter ladite société de toutes ses demandes.

- La condamner aux entiers dépens d'appel en application de l'article 699 du même code.

Vu les dernières conclusions signifiées le 29 novembre 2021, par lesquelles la société Total Energies Marketing France (TMF), intimée, demande à la Cour de :

- Réformer le jugement en ce qui concerne les montants de l'indemnité principale d'éviction, de l’indemnité pour frais de remploi, de l'indemnité pour trouble commercial, ainsi que celle au ti tre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

Statuant à nouveau,

- Fixer l'indemnité totale d'éviction toutes causes confondues à la somme de 150.772 € (103.059 €+ 47.713 €),

Subsidiairement,

- Fixer l'indemnité totale d'éviction toutes causes confondues à la somme de 171.385 € (123.672 €TTC + 47.713 €),

- Condamner la SA A. à payer à la somme Total Energies Marketing France la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- Condamner la SA A. aux entiers dépens d'appel en application de l'article 699 du code de procédure civile.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parti es.

MOTIFS DE L'ARRET

Les parties ne critiquent le jugement que sur les montants de l'indemnité principale d'éviction, des indemnités accessoires et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur l'indemnité principale d'éviction

Aux termes de l'article L 145-14 du code de commerce, l'indemnité d'éviction est destinée à permettre au locataire évincé de voir réparer l'entier préjudice résultant du défaut de renouvellement. Elle comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

Il est par ailleurs usuel de mesurer les conséquences de l'éviction sur l'activité exercée afin de déterminer si cette dernière peut être déplacée sans perte importante de clientèle auquel cas l’indemnité d'éviction prend le caractère d'une indemnité de transfert ou si l'éviction entraînera la perte du fonds, ce qui confère alors à l'indemnité d'éviction une valeur de remplacement.

Il est admis que l'indemnité d'éviction s'évalue à la date la plus proche de l'éviction.

L'Expert et les parties admettent que le déplacement du fonds ne peut être envisagé sans perte de la clientèle et que l'éviction de la locataire entraîne en l'espèce la disparition du fonds.

Pour mémoire, l'expert judiciaire avait estimé la valeur du droit au bail à 63'000 €, sachant que le loyer plafonné s'établissait à 64'755 €. Il est constant qu'en l'espèce la valeur du fonds de commerce est supérieure à la valeur du droit au bail.

L'expert judiciaire a écarté la méthode se référant à l'excédent brut d'exploitation, ce qui se justifie pleinement par le fait que le résultat ne serait pas significatif en raison de la faible rentabilité du fonds de commerce.

L'expert judiciaire s'est ensuite attaché à faire une étude comparée, puis la synthèse de trois méthodes d’évaluation :

selon les usages et barèmes de la profession à parti r du chiffre d'affaires TTC, en retenant une valeur moyenne de 205'990 €

En fonction des éléments du marché en relevant une valeur moyenne de 453'637 €

En fonction des références judiciaires en retenant une moyenne de 480 2604 €

La moyenne de ces sommes représente environ 32 % du chiffre d'affaires HT moyen retenu.

Il a poursuivi en retenant une valeur de 400'000 € représentant 35 % du chiffre d'affaires moyen entenant compte d'un facteur de localisation moyenne du fonds de commerce et d'un chiffre d’affaires corrigé pour tenir compte des travaux du tramway et de la station-service ayant eu un effet négatif sur le chiffre d’affaires des années de référence.

La difficulté présente tient à l'ancienneté du rapport d'expertise judiciaire, déposé le 29 septembre2014 il y a sept ans et demi ; en effet, les parties ne produisent aucune documentation probante relative aux éléments du marché actuel, et des références judiciaires récentes. Cependant, il est possible de retenir les pourcentages du chiffre d’affaires moyen appliqués pour ces références au marché et aux décisions judiciaires dont la société intimée ne démontre pas qu'ils ne sont plus pertinents, à la seule évocation de l'évolution défavorable du marché de l'automobile, que viennent démentir les chiffres d’affaires réalisés récemment.

Il y a lieu en conséquence d'évaluer la valeur du fonds de commerce en appliquant sur la base des chiffres d’affaires récents, le pourcentage moyen à ces différentes approches retenu par l'expert, soit 32% sur la base du chiffre d’affaires hors-taxes;

En l'état de la sévère crise sanitaire ayant perturbé l'activité économique au cours de l'année 2020, les chiffres de ce dernier exercice seront écartés, pour être dénués en l'espèce de pertinence, afin de ne retenir que la moyenne des chiffres d’affaires des exercices 2017 à 2019.

En application de ces principes, l'indemnité principale doit être calculée comme suit :

CA HT

TOTAL

2017

1'779'253

2018

1'533'609

2019

1'047'437

MOYENNE

1'453'433

VALEUR (32%)

465'098,56

L'indemnité principale sera donc fixée en arrondi à 465'000 €

Sur les indemnités accessoires

Les frais de remploi sont destinés à compenser les droits d'enregistrement, les frais d'acquisition d’un nouveau droit au bail, les frais d'agence pour trouver un local équivalent que le locataire doit supporter pour acheter un fonds de même valeur.

Or, la société Total Marketing France ne rapporte pas la preuve du fait que la société locataire ne se réinstallera pas.

Il convient en conséquence de fixer le montant de l'indemnité de remploi selon l'usage 10 % de l’indemnité principale, soit en l'espèce la somme de 46'500 €.

L'indemnité pour trouble commercial doit être fixée à 1/2 mois du chiffre d’affaires moyen hors-taxes, soit en l'espèce au montant de 60'559,79 arrondi à 60'560 €.

Les frais de déménagement doivent également être retenus sur la base du montant hors taxes du devis produit, soit 46'000 €.

Récapitulatif

L'indemnité d'éviction doit en conséquence être fixée à la somme totale de 618'060 €.

(465'000 + 46'500 + 60'560 + 46'000)

Les autres dispositions du jugement n'étant pas critiquées, il conviendra d'y ajouter le montant des frais de licenciement sur justificatifs.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En application de l'article 696 du Code civil, la société Total Energies Marketing France devra supporter les dépens de première instance et d'appel.

En équité et tenant compte de la situation respective des parties, par application de l'article 700 du même code, elle devra indemniser la société A. de ses frais irrépétibles d'appel, la disposition du tribunal devant être confirmée.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme partiellement le jugement rendu le 27 mars 2017 par le tribunal de grande instance de Créteil,

Le réforme sur le montant de l'indemnité d'éviction,

Statuant à nouveau,

Fixe le montant total de l'indemnité d'éviction à 618'060 €, majoré des frais de licenciement sur justificatifs,

Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Total Energies Marketing France à payer à la société A. la somme de 5000 € en indemnisation de ses frais irrépétibles exposés à l'occasion de l'instance d'appel,

La condamne aux dépens.