ADLC, 3 mars 2015, n° 15-DCC-17
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Leader Centre Gestion et Europrice par le groupe Casino
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 28 janvier 2015, relatif à la prise de contrôle exclusif des sociétés Leader Centre Gestion et Europrice par le groupe Casino, formalisée par une lettre de levée d’option en date du 19 janvier 2015 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Les sociétés Retail Leader Price Investment (ci-après « RLPI ») et Franprix Leader Price Holding (ci-après « FPLPH ») sont des filiales du groupe Casino Guichard Perrachon (ci-après « Casino ») et ont pour principal objet la prise de participation dans des sociétés exploitant des magasins sous les enseignes Franprix et Leader Price. Le groupe Casino, troisième acteur français du secteur de la distribution à dominante alimentaire, gère un parc de plus de 14 000 magasins dans le monde (hypermarchés, supermarchés, magasins de proximité, magasins populaires, magasins discompteurs) notamment sous les enseignes Géant Casino, Franprix, Casino Supermarché, Petit Casino, Casino Shop, Casino Shopping, Spar, Vival, Monoprix et Leader Price. Il est également présent dans le secteur de la distribution sur internet de produits non alimentaires avec l’enseigne Cdiscount. Le groupe Casino est contrôlé par la société Euris, elle-même contrôlée par M. Jean-Charles Naouri.
2. La société Leader Centre Gestion (ci-après « LCG ») exploite, via 14 sociétés d’exploitation, 24 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire sous enseigne Leader Price1.
LCG est contrôlée conjointement par RLPI et par DC Développement, filiale de la société Nougein : RLPI détient 49 % du capital et des droits de vote de LCG tandis que DC Développement en détient 51 %2. La société Europrice exploite, quant à elle, via 4 sociétés d’exploitation, 12 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire sous enseigne Leader Price3. Europrice est contrôlée à 99,99 % par la société Nougein.
3. L’opération est formalisée par une lettre du 19 janvier 2015 par laquelle les sociétés Nougein et DC Développement ont notifié la levée de leurs options de vente portant sur l’intégralité de leur participation dans LCG et Europrice au profit respectivement de RLPI et FPLPH. A l’issue de l’opération, le groupe Casino détiendra ainsi l’intégralité du capital et des droits de vote des sociétés LCG et Europrice. En ce qu’elle se traduit par la prise de contrôle exclusif de LCG et Europrice par le groupe Casino, l’opération constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.
4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (groupe Casino : 48,6 milliards d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2013 ; LCG et Europrice : […] d’euros pour le même exercice). Elles réalisent en France, dans le secteur du commerce de détail, un chiffre d’affaires supérieur à 15 millions d’euros (groupe Casino : 19,5 milliards d’euros pour l’exercice clos au 31 décembre 2013 ; LCG et Europrice : […] d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. L’opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatives à la concentration économique.
II. Définition des marchés pertinents
5. Les marchés concernés par l’opération relèvent du secteur de la distribution à dominante alimentaire.
6. Selon la pratique constante des autorités nationale et européenne de concurrence, deux catégories de marchés peuvent être délimitées dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire : les marchés amont de l’approvisionnement en produits de grande consommation et les marchés aval de la distribution de détail à dominante alimentaire4.
A. MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT
1. MARCHÉS DE PRODUITS
7. En ce qui concerne les marchés de l’approvisionnement, la Commission européenne5 a retenu l’existence de marchés de dimension nationale par grands groupes de produits, délimitation suivie par les autorités nationales6.
8. Il n’y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l’occasion de la présente opération.
2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
9. Du point de vue géographique, la pratique décisionnelle constante des autorités de concurrence considère que les marchés de l'approvisionnement sont de dimension nationale7.
10. Il n’y a pas lieu de remettre en cause la pratique décisionnelle dans le cadre de la présente opération.
B. MARCHÉS AVAL DE LA DISTRIBUTION
1. MARCHÉS DE PRODUITS
11. La pratique décisionnelle8 distingue six catégories de commerce de détail de biens de consommation courante, en utilisant plusieurs critères, notamment la taille des magasins, leurs techniques de vente, leur accessibilité, la nature du service rendu et l’ampleur des gammes de produits proposés : (i) les hypermarchés (magasins à dominante alimentaire d’une surface légale de vente supérieure à 2 500 m²), (ii) les supermarchés (entre 400 et 2 500 m²), (iii) le commerce spécialisé, (iv) le petit commerce de détail (moins de 400 m²), (v) les maxi-discompteurs et (vi) la vente par correspondance.
12. La pratique décisionnelle précise toutefois que les seuils de surfaces doivent être utilisés avec précaution, et peuvent être adaptés au cas d’espèce, car des magasins dont la surface est située à proximité d’un seuil, soit en-dessous, soit au-dessus, peuvent se trouver en concurrence directe avec les magasins d’une autre catégorie. Les autorités de concurrence considèrent que, si chaque catégorie de magasin conserve sa spécificité, il existe une concurrence asymétrique entre certaines de ces catégories. Pour la province, elles distinguent ainsi9 : (i) un marché comprenant uniquement les hypermarchés, et (ii) un marché comprenant les supermarchés et les formes de commerce équivalentes (hypermarchés, hard-discount et magasins populaires) hormis le petit commerce de détail (moins de 400 m²).
13. En l’espèce, les magasins concernés par l’opération sont des commerces à dominante alimentaire d’une surface de vente supérieure à 400 m² mais inférieure à 2 500 m² (supermarchés). L’opération sera donc analysée sur le marché des supermarchés et formes de commerce équivalentes.
2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES
14. Les autorités de concurrence ont examiné les effets de concentrations dans le secteur de la distribution de détail à dominante alimentaire au niveau local, correspondant à la zone de chalandise associée à chaque magasin et dont l’étendue est fonction du temps de transport pour le consommateur.
15. L’Autorité de la concurrence a souligné que, pour les magasins dont la superficie est supérieure à 400 m², les conditions de la concurrence s’appréciaient sur deux zones différentes :
- un premier marché où se rencontrent la demande des consommateurs d’une zone et l’offre des hypermarchés auxquels ils ont accès en moins de 30 minutes de déplacement en voiture et qui sont, de leur point de vue, substituables entre eux, et
- un second marché où se rencontrent la demande de consommateurs et l’offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture. Ces dernières formes de commerce peuvent comprendre, outre les supermarchés, les hypermarchés situés à proximité des consommateurs et les magasins discompteurs10.
16. L’Autorité considère que l’analyse concurrentielle ne porte que sur le second marché lorsque le magasin cible est un supermarché, le premier marché n’étant pris en compte que lorsque le magasin cible est un hypermarché11.
17. L’Autorité précise toutefois de façon constante que ces délimitations sont susceptibles d’évoluer au cas par cas, en fonction des caractéristiques de la zone locale, puisque d’autres critères peuvent être pris en compte pour évaluer l’impact d’une concentration sur la situation de la concurrence sur les marchés de la distribution de détail, ce qui peut conduire à affiner, au cas d’espèce, les délimitations usuelles présentées ci-dessus.
18. L’analyse portera donc sur les zones comprenant les supermarchés cibles et les magasins concurrents situés à moins de 15 minutes de temps de déplacement en voiture.
III. Analyse concurrentielle
A. ANALYSE DES EFFETS DE L’OPÉRATION SUR LES MARCHÉS AMONT DE L’APPROVISIONNEMENT EN PRODUITS DE GRANDE CONSOMMATION
19. Les 36 magasins cibles représentent, en 2013, moins de [0-5] % du chiffre d’affaires généré en France par l’ensemble de l’activité de distribution alimentaire du groupe Casino. L’acquisition de LCG et Europrice n’est donc pas susceptible de renforcer significativement la puissance d’achat du groupe Casino, sur le marché global de l’approvisionnement, y compris sur les marchés de l’approvisionnement segmentés par grands groupes de produits. Le renforcement du groupe Casino sur ces marchés à l’issue de l’opération sera d’autant plus marginal que, préalablement à l’opération, les points de vente objets de l’opération étaient déjà sous enseigne Leader Price et s’approvisionnaient déjà très majoritairement auprès du groupe Casino.
B. ANALYSE DES EFFETS DE L’OPÉRATION SUR LES MARCHÉS AVAL DU COMMERCE DE DÉTAIL À DOMINANTE ALIMENTAIRE
20. L’opération emporte un chevauchement d’activités sur les 25 zones de chalandise suivantes : Allassac (19), Ambazac (87), Aurillac (15), Bergerac (24), Boulazac (24), Brive-la-Gaillarde (Cartier) (19), Brive-la-Gaillarde (Pompidou) (19), Cahors (46), Couzeix (87), Gourdon (46), Guéret (23), Le Vigen (87), Limoges (Beaubreuil) (87), Limoges (Pierre et Marie Curie) (87), Malemort-sur-Corrèze (19), Marsac-sur-l’Isle (24), Montignac (24), Objat (19), Panazol (87), Sarlat (24), Saint-Flour (15), Saint-Junien (87), Villefranche-sur-Saône (69), Brives-Charensac (43), Unieux (42).
21. Sur 19 d’entre elles12, la part de marché cumulée de la partie notifiante restera inférieure à 35 % à l’issue de l’opération. Sur cinq des six zones restantes, la position du groupe Casino sera comprise entre 35 % et 45 % : Aurillac (15), Brive-la-Gaillarde (19), Brives-Charensac (43), Malemort-sur-Corrèze (19) et Villefranche-sur-Saône (69). Toutefois, Casino continuera de faire face à une pression concurrentielle sensible émanant, dans chacune de ces zones, d’au moins trois enseignes concurrentes détenant la majorité des points de vente présents localement. Par conséquent, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence dans l’ensemble de ces zones13.
22. Enfin, dans la zone d’Unieux (42), la part de marché du groupe Casino s’élèvera à [40-50] %, l’opération n’entraînant toutefois qu’un incrément de part de marché très modéré ([0-5] %). Dans cette zone, la nouvelle entité demeurera en outre confrontée à la concurrence de quatre groupes de distribution alimentaire nationaux (Carrefour, Intermarché, Leclerc et Lidl). De plus, il convient de tenir compte de la pression concurrentielle exercée par un hypermarché Auchan situé à Saint-Etienne, dans la mesure où ce point de vente, d’une surface très supérieure aux magasins situés dans la zone concernée, est localisé à moins de 5 minutes de la bordure de la zone de chalandise. La proximité comme la taille de ce point de vente contribuent en effet à la contrainte concurrentielle qui pèsera sur Casino à l’issue de l’opération. Avec la prise en compte de ce magasin supplémentaire, Casino ne représentera que [30-40] % des surfaces de la zone à l’issue de l’opération.
23. Compte tenu de ce qui précède, l’opération n’est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés aval de la distribution de détail à dominante alimentaire.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 14-229 est autorisée.
NOTES :
1 Ces magasins sont situés à Ambazac (87),Saint-Junien (87), La Souterraine (23), Saint Leonard de Noblat (87), Guéret (23), Limoges (87), Le Vigen (87), Limoges (87), Bergerac (24), Sarlat-La-Caneda (24), Montignac (24), Figeac (46), Brive Charensac (43), Unieux (42), Mont Dore (63), Saint Céré (46), Issoudun (36), Thiviers (24),Villefranche sur Saône (69), Brive La Gaillarde (19), Bort les Orgues (19), Malemort sur Correze (19), Couzeux (87) et Panazol (87).
2 Décision n° 10-DCC-18 du 17 février 2010 relative à la prise de contrôle conjoint de la société Nougein SA sur certaines filiales de la société Retail Leader Price Investissement.
3 Ces magasins sont situés à Boulazac (24),Castillon La Bataille (33), Marsac sur Isle (24), Cahors (46), Gourdon (46), Aurillac (15), Le Bugue (24), Objat (19), Ussel (19), Brive (19), Allassac (19), Saint Flour (15).
4 Voir notamment les décisions de la Commission européenne COMP/M.1684 du 25 janvier 2000, Carrefour/Promodès et du 3 juillet 2008, COMP/M.5112, Rewe Plus/Discount ; l’arrêté ministériel du 5 juillet 2000 relatif à l’acquisition par la société Carrefour de la société Promodès, BOCCRF n° 11 du 18 octobre 2000 ; les avis du Conseil de la concurrence n° 97-A-14 du 1er juillet 1997, dans l’opération Carrefour/Cora, n° 98-A-06 du 5 mai 1998, dans l’opération Casino Franprix/Leader Price, et n° 00-A-06 du 3 mai 2000, dans l’opération Carrefour/Promodès, la décision de l’Autorité de la Concurrence n°13-DCC-90 du 11 juillet 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Monoprix par la société Casino Guichard-Perrachon et la décision de l’Autorité de la Concurrence n°14-DCC-173 du 21 novembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Dia France SA par la société Carrefour France SAS.
5 Voir les décisions de la Commission COMP / M.1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000, COMP / M.2115 Carrefour/GB du 28 septembre 2000.
6 Voir notamment les décisions du ministre dans le secteur, C.2005-98 Carrefour/Penny Market du 10 novembre 2005, C.2006-15 Carrefour/Groupe Hamon du 14 avril 2006, C.2007-172 relatif à la création e l’entreprise commune Plamidis du 13 février 2008 et C.2008-32 Carrefour/SAGC du 9 juillet 2008, ainsi que la décision de l’Autorité de la concurrence n°13-DCC-90 précitée.
7 Voir notamment les décisions de la Commission COMP/M.1684 du 25 janvier 2000 et COMP/M.4096 du 4 mai 2006 précitées et les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 12-DCC-63 du 9 mai 2012 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Guyenne et Gascogne SA par la société Carrefour SA et n°14-DCC-173 précitée.
8 Voir, par exemple, les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 12-DCC-63 du 9 mai 2012 et n°13-DCC-90 du 11 juillet 2013 précitées et les décisions de l’Autorité de la concurrence n°13-DCC-71 du 24 juin 2013 relative à la prise de contrôle exclusif du fonds de commerce de la société financière RSV par la société Carrefour et n°14-DCC-173 précitée.
9 Voir par exemple les décisions n° 12-DCC-63, n°13-DCC-90 et n°14-DCC-173 précitées.
10 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 12-DCC-63, n°13-DCC-90 et n°14-DCC-173 précitées.
11 Voir la décision n°14-DCC-173 précitée.
12Allassac (19), Ambazac (87), Bergerac (24), Boulazac (24), Brive-la-Gaillarde (Cartier) (19), Cahors (46), Couzeix (87), Gourdon (46), Guéret (23), Le Vigen (87), Limoges (Beaubreuil) (87), Limoges (Pierre et Marie Curie) (87), Marsac-sur-l’Isle (24), Montignac (24), Objat (19), Panazol (87), Sarlat (24), Saint-Flour (15), Saint-Junien (87).
13 Pour une appréciation similaire, voir la décision de l’Autorité de la concurrence n° 14-DCC-173 du 21 novembre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Dia France SAS par la société Carrefour France SAS, point 120.