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Décisions

ADLC, 2 mars 2015, n° 15-DCC-18

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

relative à l’acquisition de la société Novescia SAS par Cerba European Lab SAS

ADLC n° 15-DCC-18

1 mars 2015

L’Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 27 janvier 2015, relatif à l’acquisition de la société Novescia SAS par Cerba European Lab SAS, formalisé par un contrat de transfert des titres de Novescia en date du 19 décembre 2014 ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les éléments complémentaires transmis par les parties au cours de l’instruction ;

Adopte la décision suivante :

 

I. Les entreprises concernées et l’opération

A. LES ENTREPRISES

1. PAI Partners SAS (ci-après « PAI ») est une société d’investissement détenue par ses associés, sans qu’aucun d’entre eux n’en possède, individuellement ou conjointement, le contrôle. PAI gère trois fonds d’investissement, PAI Europe IV, PAI Europe V, PAI Europe VI et plusieurs autres fonds d’investissement commun qui détiennent des participations contrôlantes dans le capital de sociétés actives dans de nombreux domaines d’activité. PAI contrôle notamment la société Cerba European Lab SAS1 (ci-après « CEL »), qui est à la tête d’un groupe composé de sociétés actives dans les secteurs de la biologie médicale et de la biologie d’essais cliniques en France, en Belgique, au Luxembourg, en Afrique du Sud, aux États-Unis, en Asie et en Australie. En France, son réseau de laboratoires est constitué de nombreux laboratoires dits « de routine » et d’un laboratoire spécialisé, Laboratoire Cerba.

2. Novescia est une société holding dont les actions sont réparties au sein de plusieurs sociétés actives dans le secteur de la biologie médicale à travers un réseau de près de […] laboratoires de biologie médicale en France.

3. L’opération notifiée, formalisée par un contrat de transfert des titres de la société Novescia, consiste en l’acquisition par CEL, directement et indirectement, de 100 % du capital de la société Novescia. L’opération consiste donc en la prise de contrôle exclusif de la société Novescia par PAI. En conséquence, l’opération constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce.

4. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total hors taxes sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (PAI : […] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2013 ; Novescia : […] d’euros pour le même exercice). Deux au moins de ces entreprises ont réalisé en France un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (PAI : […] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2013 ; Novescia : […] d’euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au point I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

 

II. Délimitation des marchés pertinents

5. Les parties à l’opération sont simultanément présentes dans le secteur de la biologie médicale. Plus précisément, CEL et Novescia détiennent des laboratoires d’analyses médicales dont l’activité consiste en la prestation de services d’examens de biologie médicale. CEL exerce également une activité d’analyse de biologie médicale spécialisée dans la plupart des domaines médicaux tels que les maladies infectieuses, les maladies auto-immunes, l’allergie, l’endocrinologie, l’oncologie, la toxicologie, la génétique moléculaire, le diagnostic prénatal et la médecine personnalisée.

6. Les parties à l’opération sont également présentes sur le marché de l’approvisionnement en équipements, réactifs et consommables de biologie. CEL exerce par ailleurs de manière accessoire une activité de prestataire de services d’analyses de recherches cliniques aux groupes pharmaceutiques et aux sociétés de biotechnologie.

7. Les effets de l’opération seront donc examinés sur le marché de la biologie médicale de routine ainsi que sur les marchés de l’approvisionnement en équipements, réactifs et consommables de biologie au titre des effets horizontaux. Les effets verticaux de l’opération entre les marchés de biologie médicale de routine et spécialisée seront également examinés.

 

A. LES MARCHÉS DES PRESTATIONS D’EXAMENS DE BIOLOGIE MÉDICALE

1. MARCHÉS DE SERVICES

8. Les autorités de concurrence nationales et européenne ont identifié un marché de la prestation d’analyses de biologie médicale. Elles ont également envisagé, tout en laissant la question ouverte, une segmentation entre les examens « de routine » ou spécialisés2. La pratique décisionnelle relève en effet que l’activité des laboratoires de biologie médicale de routine n’est pas substituable à celle des laboratoires spécialisés qui traitent des actes de biologie rares et sont soumis à un agrément ministériel spécifique.

9. Les examens de biologie médicale, composé de trois phases, pré-analytique, analytique et post-analytique, sont réalisés par un biologiste médical ou, pour certaines phases, sous sa responsabilité au sein d’un laboratoire de biologie médicale (ci-après, « LBM ») tel que ceux détenus par les parties.

10. S’agissant du tarif des actes de biologie médicale, il est fixé par un accord tripartite entre la Caisse nationale d’assurance maladie, l’État et les syndicats représentatifs des directeurs de laboratoires de biologie médicale. Le prix applicable aux examens et frais accessoires associés, tels que les prélèvements et les déplacements, est défini en fonction d’une « nomenclature des actes », laquelle s’impose aux prescripteurs quant au respect des indications médicales qui conditionnent la prise en charge par les organismes d’assurance médicale ainsi qu’aux laboratoires d’analyse de biologie médicale.

11. La partie notifiante précise que l’offre d’examens de biologie médicale spécialisés émane de seulement quelques laboratoires, tels que CEL, Biomnis, BPR ainsi que des centres hospitaliers universitaires. Elle consiste en la prestation de services de sous-traitance confiés par des LBM, dans la limite toutefois de 15 % du total des activités du LBM3. La partie notifiante indique également que la demande en examens de biologie médicale de routine émane essentiellement des patients alors que la demande d’examens spécialisés émane des LBM et des hôpitaux.

12. La partie notifiante précise enfin que les consommateurs sont libres de faire réaliser leurs analyses de biologie médicale dans des LBM privés ou dans des LBM situés dans un établissement hospitalier (établissement de santé, hôpitaux, centres hospitaliers universitaires).

13. En l’espèce, la partie notifiante a donné une estimation des parts de marchés des parties à l’opération sur les éventuels marchés d’analyses de biologie médicale de « routine » et spécialisés. La question de la définition exacte de ces marchés peut toutefois être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse demeureront inchangées quelle que soit la délimitation retenue.

 

2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

14. La pratique décisionnelle a envisagé, tout en laissant la question ouverte, de retenir une dimension nationale pour le marché des analyses de biologie médicale spécialisées et une dimension locale pour le marché des analyses de biologie médicale de routine. Ainsi, les autorités de concurrence ont examiné les effets d’opération dans ce secteur au niveau régional ou infrarégional, voire départemental4.

15. La partie notifiante confirme cette analyse et précise qu’en l’espèce, les parties à l’opération sont simultanément présentes à La Réunion ainsi que dans les régions Île-de-France, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais et Provence-Alpes-Côte-D’Azur. Enfin, les parties à l’opération sont toutes deux présentes dans les départements des Bouches-du-Rhône (13), de la Haute-Garonne (31), à Paris (75), en Seine-Saint-Denis (93) et du Val-de-Marne (94).

16. Dans le secteur de l’offre de diagnostic et de soins en établissement, la pratique décisionnelle nationale5 considère de façon constante que la région Île-de-France constitue un marché géographique unique et qu’il n’est pas pertinent de distinguer Paris intramuros des départements voisins. Elle relève en effet que l’Île-de-France se caractérise par une mobilité très importante des patients, compte tenu notamment de l’offre étendue des établissements de soins et l’existence de pôles d’attraction régionale, voire nationale. Les informations fournies par les parties confirment cette approche. L’ampleur des taux de fuite observés démontrent en effet que les patients franciliens vont fréquemment se faire soigner en dehors de leur département d’origine.

17. En l’espèce, la question de la délimitation géographique des marchés d’analyses de biologie médicale peut être laissée ouverte dans la mesure où les conclusions de l’analyse demeureront inchangées quelle que soit la délimitation retenue.

 

B. LE MARCHÉ DE L’APPROVISIONNEMENT EN ÉQUIPEMENTS, RÉACTIFS ET CONSOMABLES DE BIOLOGIE

1. MARCHÉS DE PRODUITS

18. La pratique décisionnelle a envisagé de segmenter le marché de la fourniture d’instruments et de consommables de laboratoires en quasiment autant de secteurs d’activités que de produits ou consommables concernés par les analyses (milieux de cultures et sérums, produits pour activer les gènes, billes magnétiques, etc.). La Commission européenne a ainsi repris la classification des produits de diagnostic in vitro utilisés par l’Association des Producteurs Européens de Diagnostics (European Diagnostic Manufacturers Association, « EDMA ») qui classe les réactifs et consommables dans six catégories principales (« de premier niveau ») : chimie clinique, immunochimie, hématologie/histologie, microbiologie, immunologie infectieuse et tests génétiques, puis dans des sous-catégories supplémentaires au sein de chacune d’elles6.

19. En tout état de cause, la question de la définition exacte des marchés de fourniture de matériel médical peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeureront inchangées.

 

2. MARCHÉS GÉOGRAPHIQUES

20. La pratique décisionnelle considère que la dimension géographique des marchés de l’approvisionnement en équipements, réactifs et consommables de biologie pouvait être de dimension européenne, voire mondiale. Tout en laissant la question ouverte, elle a également examiné, lors d’opérations antérieures, les effets sur le réseau de fournisseurs et grossiste au seul niveau national7.

21. La partie notifiante considère que ce marché couvre au moins l’espace économique européen (EEE) dans la mesure où il s’adresse à une même typologie de clients dans tous les pays européens, principalement les laboratoires de biologie médicale et les établissements hospitaliers, lesquels présentent les mêmes besoins techniques et commerciaux dans tout l’EEE et où les coûts de transports ne sont pas significatifs.

22. En l’espèce, la partie notifiante indique que les parties à l’opération s’approvisionnement presque exclusivement directement auprès des fabricants d’équipements réactifs et consommables de biologie tels que Roche, Abbott, Siemens, BioMérieux ou Danaher (Beckman Coulter), via les filiales françaises de ses fabricants. Toutefois, elle a donné une estimation de la part des achats de la nouvelle entité au niveau national.

23. En tout état de cause, la question de la délimitation exacte des marchés de l’approvisionnement en équipements, réactifs et consommables de biologie peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit la délimitation retenue, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeureront inchangées.

 

III. Analyse concurrentielle

A. EFFETS HORIZONTAUX

1. MARCHÉ DE LAPPROVISIONNEMENT EN ÉQUIPEMENTS, RÉACTIFS ET CONSOMMABLES DE BIOLOGIE

24. La partie notifiante indique que la part des achats combinés de CEL et Novescia sur ce marché s’élève à […] d’euros en 2013. Elle indique également s’approvisionner directement auprès de fabricants d’envergure mondiale ou de leur filiale en France, dont l’activité aurait généré un chiffre d’affaires en France qu’elle estime à […] d’euros en 2010. La partie notifiante estime ainsi que la nouvelle entité représenterait à peine plus de [0-5] % d’un éventuel marché français de l’approvisionnement, quelle que soit la catégorie de produits envisagée. A fortiori, la part des achats de la nouvelle entité serait plus faible sur un marché de niveau européen, quelle que soit la catégorie de produits envisagée, les parties à l’opération étant essentiellement actives en France.

25. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché de l’approvisionnement en équipements, réactifs et consommables de biologie.

2. MARCHÉ DES EXAMENS DE BIOLOGIE MÉDICALE DE ROUTINE

26. Sur le marché français des analyses de biologie médicale, la partie notifiante estime que CEL et Novescia représenteraient respectivement [0-5] % et [0-5] % du marché au niveau national en nombre de sites, derrière Labco avec [0-5] % de part de marché et devant Biomnis ([0-5] %) et Unilabs ([0-5] %). Ainsi, la nouvelle entité disposerait d’une part de marché estimée à [5-10] % sur un marché relativement atomisé. La partie notifiante indique qu’il existait près de […] sites de LBM en France en 2013, CEL et Novescia en détenant respectivement […] et […].

27. Sur un éventuel marché des analyses de biologie médicale de routine, CEL et Novescia disposeraient chacune d’une part de marché de [0-5] % au niveau national, soit un total de [0-5] % pour la nouvelle entité. Elle resterait confrontée notamment à la concurrence de Labco ([0-5] %), Unilabs ([0-5] %) et Biomnis ([0-5] %).

28. A La Réunion, la nouvelle entité disposera de […] sites de LBM ([…] pour CEL et […] pour Novescia) sur un total de […] sites. La nouvelle entité détiendra ainsi une part de marché estimée en nombre de sites de LBM à [30-40] %, l’opération entraînant un incrément de parts de marché de [10-20] %. La nouvelle entité restera toutefois confrontée à la concurrence d’opérateurs locaux importants. Ainsi, la partie notifiante souligne la présence du Centre Hospitalier Universitaire de La Réunion qui ressemble le Centre Hospitalier Félix Guyon à Saint-Denis et le Groupe Hospitalier Sud Réunion (à Saint-Pierre, Saint Joseph, Saint Louis, Le Tampon et Cilaos). La partie notifiante indique que ces CHU pourraient réaliser environ la moitié des analyses de biologie médicale à La Réunion. Elle mentionne également la présence de Bionostic (dénomination Réunilab avec […] sites de LBM) et Bio Austral qui regroupe […] LBM.

29. En métropole, au niveau régional comme départemental, la part de marché de la nouvelle entité à l’issue de l’opération n’excédera par [10-20] %.

30. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par d’éventuels effets horizontaux sur les marchés d’analyses de biologie médicale.

 

B. EFFETS VERTICAUX

31. L’opération entraîne un renforcement vertical des parties dans la mesure où l’activité des laboratoires de biologie médicale spécialisée correspond à des actes de biologie rare que les LBM doivent leur confier en sous-traitance. Une concentration verticale peut restreindre la concurrence en rendant plus difficile l’accès aux marchés sur lesquels la nouvelle entité sera active, voire en évinçant potentiellement les concurrents ou en les pénalisant par une augmentation de leurs coûts. L’Autorité considère ainsi qu’il est peu probable qu’une entreprise ayant une part de marché inférieure à 30 % sur un marché donné puisse verrouiller un marché en aval ou en amont de celui-ci8.

32. En l’espèce, CEL pourrait restreindre l’accès au marché des examens de biologie médicales spécialisés des concurrents de Novescia qui sous-traitent ce type de prestations. Toutefois, la demande de Novescia en examens de biologie médicale spécialisés (soit […] d’euros en 2013) est très largement insuffisante pour inciter CEL, qui réalise […] d’euros de chiffre d’affaires sur ce marché, à lui réserver ses services au détriment de ses concurrents. Par ailleurs la demande de Novescia est trop modeste pour qu’un report de l’ensemble de sa consommation vers CEL ait un effet significatif sur le marché des examens de biologie médicale spécialisés.

33. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés de biologie médicale.

 

DECIDE

Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 15-001 est autorisée.

 

NOTES :

1 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n° 10-DCC-78 du 19 juillet 2010 relative à l’acquisition de la société Cerba European Lab SAS par PAI Partners SAS.

2 Voir les décisions Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie en date du 11 décembre 2002, aux gérants de la société Astorg II, relative à une concentration dans le secteur des analyses biologiques médicales, publiée au BOCCRF n° 2004-04, lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie en date du 19 août 2003, aux conseils du groupe laboratoires Marcel Mérieux-Socamed, relative à une concentration dans le secteur des analyses de biologie médicale, publiée au BOCCRF n° 2004-07, C2008-106 / Lettre du ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi du 22 octobre 2008, aux conseils de la société FCPR Duke Street Capital VI, relative à une concentration dans le secteur de la biologie médicale, BOCCRF n° 10 bis du 22 décembre 2008 ainsi que la décision de la Commission européenne du 21 mai 2010, COMP./M.5805, 3i/Vedici Groupe.

3 Article L. 6211-19 du code de la santé publique.

4 Voir les décisions précitées.

5 Voir les décisions précitées.

6 Voir par exemple les décisions de la Commission européenne COMP/M.4321 – Siemens / Bayer Diagnostics du 31 octobre 2006, COMP/M.4865 – Siemens / Dade Behring du 25 octobre 2007, COMP/M.5661 – Abbott / Solvay Pharmaceuticals du 11 février 2010, COMP/M.6175 – Danaher / Beckman Coulter du 16 juin 2011 et COMP/M.6944 Termo Fisher Scientific / Life Technoloies du 26 novembre 2013.

7 Voir les décisions précitées.

8 § 444 et suivants des Lignes Directrices de l’Autorité de la concurrence relatives aux contrôles des concentrations