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Décisions

Cass. soc., 20 mars 1996, n° 92-41.581

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gelineau-Larrivet

Rapporteur :

Mme Aubert

Avocat général :

M. Chauvy

Avocats :

SCP Célice et Blancpain, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Chambéry, du 7 févr. 1992

7 février 1992

Sur le premier moyen :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 7 février 1992 ) rendu sur renvoi après cassation, que M. X... a cédé sa participation majoritaire dans le capital de la société Ets X... qu'il présidait à la SA Boussois qui l'a, le 21 juillet 1975, engagé en qualité de cadre pour diriger ses filiales; que le 24 juillet 1975, il a été nommé directeur général de la société Daver puis, le 28 octobre 1975, directeur général de la société Ets X..., après avoir démissionné de ses fonctions de président directeur général, ces deux filiales de la SA Boussois ayant fusionné en 1979; qu'en 1977, la SA Boussois confirmait à M. X... que son détachement ouvrait droit, s'il y était mis fin, à une réintégration au sein de la SA Boussois ou à défaut, au paiement des indemnités dues en cas de licenciement; qu'en 1983, après qu'il ait été mis fin à son mandat, M. X... a sollicité en vain sa réintégration et n'ayant pas obtenu le paiement de ses indemnités de rupture, a saisi la juridiction prud'homale ; que l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 19 octobre 1987 infirmant le jugement du conseil de prud'hommes et déboutant M. X... de ses demandes au motif que l'engagement souscrit par la SA Boussois était nul parce qu'il faisait obstacle à la libre révocation du mandat social a été cassé en toutes ses dispositions;

Attendu que la SA PPG Industrie Glass qui vient aux droits de la SA Boussois fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du conseil de prud'hommes condamnant la SA Boussois au paiement à M. X... d'indemnités de préavis, de licenciement ainsi que des dommages-intérêts, alors que le contrat de travail s'analyse comme la convention par laquelle une personne s'engage à mettre son activité à la disposition d'une autre, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant rémunération; que l'exercice d'un contrat de travail ne peut se confondre avec celui d'un mandat social; qu'il s'ensuit que viole les articles L. 120-1 et suivants du Code du travail, l'arrêt attaqué qui retient que M. X... aurait bénéficié d'un contrat de travail effectif de la SA Boussois dont l'objet aurait consisté seulement à exercer un mandat social au sein des filiales de cette société; que de plus, viole l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt attaqué qui considère que la lettre du 21 juillet 1975 de la SA Boussois à M. X... "constitue un contrat de travail puisqu'il est fait référence à la qualité de cadre, à la rémunération et à l'affectation de l'employé", faute de s'être expliqué sur le moyen des conclusions d'appel de la société exposante faisant valoir que dans les faits "M. X... n'a jamais exercé d'activité salariée à son service et n'a jamais reçu d'elle le moindre salaire";

Mais attendu que la cour d'appel, analysant l'engagement souscrit par la SA Boussois le 21 juillet 1975, a retenu qu'un contrat de travail avait été conclu avec M. X..., conférant à celui-ci la qualité de cadre rémunéré, détaché auprès de filiales pour assurer des fonctions de direction; qu'elle a ainsi, sans encourir les griefs du moyen légalement justifié sa décision;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la SA PPG Industrie Glass fait à titre subisidiaire, grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement de condamnation du conseil de prud'hommes, alors que la cour d'appel a constaté d'une part qu'à la date de la lettre du 21 juillet 1975 par laquelle la SA Boussois aurait engagé M. X... en qualité de salarié, celui-ci était président directeur général d'une filiale de la SA Boussois, et d'autre part que l'intéressé avait été engagé par cette dernière pour exercer un mandat de directeur général au sein des autres filiales; qu'il s'ensuit que manque de base légale au regard des articles 110 et 116 de la loi du 24 juillet 1966 l'arrêt attaqué qui omet de rechercher si les stipulations très avantageuses du contrat de travail litigieux (notamment reprise au titre du contrat de travail de l'ancienneté de l'intéressé en qualité de mandataire social) n'étaient pas de nature à dissuader la SA Boussois d'exercer la plénitude de ses prérogatives d'associée majoritaire au sein de ses filiales, et à méconnaître le principe de la révocabilité ad nutum de président directeur général et de directeur général d'une société anonyme; que de plus, manque de base légale au regard des articles 110 et 116 de la loi du 24 juillet 1966, l'arrêt attaqué qui refuse de tenir compte du fait qu'à la date du contrat litigieux consenti le 21 juillet 1975 par la société à M. X..., celui-ci était président directeur général de la société Ets X... au motif que le fait que ce dernier mandat ait été exercé au sein d'une autre société que la SA Boussois, enlevait toute force à l'argument, s'agissant de personnes morales distinctes aux patrimoines autonomes, "nonobstant le fait que l'une soit la filiale de l'autre", la Cour de Cassation ayant tout au contraire admis dans son arrêt de cassation du 12 février 1991 que l'engagement pris par la SA Boussois en 1977 au profit de M. X... qui exerçait des mandats sociaux dans deux de ses filiales, était de nature à faire obstacle à la libre révocation des mandats sociaux détenus par l'intéressé; qu'enfin, ayant admis que le 21 juillet 1975, M. X... était président directeur général de la société Ets X..., filiale de la SA Boussois, se contredit dans ses explications et viole l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt attaqué qui énonce par ailleurs que le contrat de travail litigieux du 21 juillet 1975 était intervenu "avant tout mandat social";

Mais attendu que la cour d'appel a retenu que l'engagement avait été souscrit le 21 juillet 1975, par la SA Boussois, avant la désignation de M. X... en qualité de directeur général des filiales, donc avant que ne puisse être invoquée une atteinte au principe de libre révocation du mandat social, et que la circonstance selon laquelle, au moment où l'engagement a été souscrit, M. X... était encore président directeur général de la société Ets X... devenue filiale de la SA Boussois, était sans portée concernant l'application de ce principe puisque le mandat social était exercé dans une société différente de celle qui avait conclu le contrat de travail; qu'elle a ainsi, sans se contredire, légalement justifié sa décision;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la SA PPG Industrie Glass fait également à titre subsidiaire, grief à l'arrêt d'avoir mis à sa charge des indemnités de préavis et de licenciement ainsi que des dommages-intérêts alors, d'une part que la rupture du contrat de travail invoquée par M. X... était intervenue en 1983; qu'à cette époque, faute par le salarié d'avoir sollicité de l'employeur par écrit l'énoncé du motif du licenciement, ce que n'avait pas fait M. X..., l'employeur était autorisé à justifier la rupture par d'autres motifs que ceux énoncés dans la lettre de licenciement; qu'il s'ensuit que viole les dispositions des articles L. 122-14-1 et suivants du Code du travail dans leur contenu applicable aux faits de l'espèce, l'arrêt attaqué qui refuse de prendre en considération les faits invoqués par la société exposante comme justifiant une faute grave, au motif que les raisons du licenciement de M. X... étaient totalement différentes de celles invoquées par la SA Boussois en cours de procédure; et alors, d'autre part, que ayant constaté que M. X... avait été condamné pénalement par jugement du 3 juin 1985 du tribunal correctionnel de Grenoble pour faux en écriture de commerce en raison de minorations des stocks de Daver-Personnaz entre 1980 et 1983, ne déduit pas les conséquences légales de ses propres constatations et viole les articles L. 122-8 et L. 122-9 du Code du travail et à tout le moins l'article L. 122-14-4 du même Code, l'arrêt attaqué qui considère que le licenciement n'était justifié ni par une faute grave ni même par une cause réelle et sérieuse;

Mais attendu que la cour d'appel a, exerçant son pouvoir d'appréciation, estimé que le licenciement n'avait pas été motivé par les faits sanctionnés pénalement mais par l'incompatibilité d'humeur entre M. X... et le président directeur général qui avait entraîné la révocation du mandat social du premier, et que ce licenciement était en conséquence dépourvu de cause réelle et sérieuse; que le moyen ne saurait être accueilli dans aucune de ses branches;

Mais sur le quatrième moyen :

Vu l'article 1134 du Code civil ;

Attendu que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement du conseil de prud'hommes qui pour calculer l'indemnité de licenciement due à M. X... a pris en considération l'ancienneté acquise par ce dernier depuis son immatriculation en son nom propre, au registre du commerce et des sociétés le 1er avril 1960;

Qu'en statuant ainsi alors que la lettre d'engagement du 21 juillet 1975 stipulait la conservation par M. X... de l'ancienneté acquise dans ses fonctions au sein des Ets X... créés en 1965, la cour d'appel a violé la loi du contrat;

Sur la demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu que M. X... sollicite, sur le fondement de ce texte, l'allocation d'une somme de 15 000 francs;

Et attendu qu'il y a lieu de faire droit partiellement à cette demande;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions fixant le montant de l'indemnité de licenciement allouée à M. X..., l'arrêt rendu le 7 février 1992, entre les parties, par cour d'appel de Chambéry; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.